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Date : 20000303


Dossier : T-1876-99



ENTRE :




     KEN BARLOW ET L'UNION OF

     NEW BRUNSWICK INDIANS


     demandeurs

     et


     SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET

     LE MINISTRE DES PÊCHES ET OCÉANS


     défendeurs

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE TEITELBAUM

[1]      Le ministre des Pêches et Océans sollicite une ordonnance radiant la demande de contrôle judiciaire déposée par Ken Barlow et l'Union of New Brunswick Indians. Cette requête est présentée aux termes des règles 4, 81 et 221 des Règles de la Cour fédérale, 1998, en vue d'obtenir une ordonnance radiant :

         (1)      l'avis de demande ;
         (2)      les affidavits de Ken Barlow, établis sous serment le 27 octobre 1999 ;
         (3)      les affidavits de Gerard Hare, établis sous serment le 30 novembre 1999 ;
         (4)      le deuxième avis de Ken Barlow établi sous serment le 29 novembre 1999 ;
         (5)      l'affidavit de Joey Francis établi sous serment le 29 novembre 1999 ; et
         (6)      une ordonnance rejetant la présente instance.

[2]      Subsidiairement, aux termes des règles 4, 53, 54, 107, et 316 des Règles de la Cour fédérale, 1998, les défendeurs demandent une ordonnance pour que la question de fait de savoir si les défendeurs ont ou non saisi 60 cages à homard censées appartenir au demandeur soit décidée avant les questions constitutionnelles et relatives à des traités qui sont soulevées dans la demande de contrôle judiciaire, notamment la question de savoir si les défendeurs ont ou non contrevenu au droit du demandeur, issu d'un traité et protégé par la Constitution, de pêcher le homard et de faire le commerce du produit de cette pêche, et une ordonnance donnant des directives concernant la procédure à suivre.

[3]      Aux termes des règles 8, 35 et 36 des Règles de la Cour fédérale, 1998, les défendeurs sollicitent une ordonnance modifiant les ordonnances du juge MacKay en date du 24 novembre 1999 et du 30 novembre 1999 pour qu'il y ait ajournement général des questions suivantes :

         (1)      le délai de signification et de dépôt des affidavits des défendeurs ;
         (2)      le délai pour terminer les contre-interrogatoires se rapportant aux affidavits des demandeurs et des défendeurs ;
         (3)      le délai de signification et de dépôt du dossier des demandeurs ;
         (4)      le délai de signification et de dépôt du dossier des défendeurs ;
         (5)      l'audition de la demande de contrôle judiciaire.

[4]      Subsidiairement, aux termes du paragraphe 18.4(2) de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, les défendeurs demandent que la demande de contrôle judiciaire soit entendue comme s'il s'agissait d'une action.

[5[      Les défendeurs demandent également et subsidiairement une ordonnance fondée sur les règles 8, 35 et 36 pour que soient modifiées de la manière suivante les ordonnances du juge MacKay en date du 24 et du 30 novembre 1999 :

         (1)      la prorogation du délai de signification et de dépôt des affidavits des défendeurs jusqu'au 10 avril 2000 ;
         (2)      la prorogation du délai pour terminer les contre-interrogatoires se rapportant aux affidavits des demandeurs et des défendeurs jusqu'au 10 mai 2000 ;
         (3)      la prorogation du délai de signification et de dépôt du dossier des demandeurs jusqu'au 27 mai 2000 ;
         (4)      la prorogation du délai de signification et de dépôt du dossier des défendeurs jusqu'au 7 juin 2000 ;
         (5)      l'établissement de la date d'audition de la demande du 26 au 30 juin 2000.

CONTEXTE FACTUEL DE LA PRÉSENTE REQUÊTE

                

[6]      L'Union of New Brunswick Indians, demanderesse, est une association constituée en personne morale regroupant les chefs élus, ou du moins c'est ce qui est allégué, étant donné qu'aucune preuve n'a été déposée à cet effet, et représentant les Premières Nations micmaque et malécite du Nouveau-Brunswick.

[7]      Le demandeur, Ken Barlow, est un Indien micmac vivant dans la réserve indienne d'Indian Island dans le comté de Kent dans la province du Nouveau-Brunswick. Il subvient à ses besoins et à ceux de ses deux enfants en pêchant le homard et en vendant le produit de sa pêche.

[8]      La réserve indienne d'Indian Island est une ramification de la réserve indienne de Big Cove. Les Micmacs d'Indian Island et de Big Cove sont les descendants des Micmacs de Richibucto qui ont signé le traité de « Richibucto » le 10 mars 1760. Ce traité a récemment été interprété par la Cour suprême du Canada dans le jugement R. c. Marshall (C.S.C., non publié), dossier n 26014, prononcé le 17 septembre 1999.

[9]      Le traité de Richibucto s'applique aux Micmacs vivant à Indian Island et à Big Cove parce qu'ils sont les descendants des Micmacs de Richibucto.

[10]      Les demandeurs allèguent que le ou vers le 22 octobre 1999, dans la baie de Miramichi, les représentants du ministre des Pêches et Océans, défendeurs, ont saisi environ 60 cages à homard appartenant au demandeur Ken Barlow.

[11]      Dans un avis de demande en date du 27 octobre 1999, les demandeurs, Ken Barlow et l'Union of New Brunswick Indians sollicitent un jugement déclarant que les défendeurs ont contrevenu aux droits de M. Barlow issus du Traité de paix et d'amitié de 1760 conclu avec la Nation micmaque. Ce traité n'a pas été versé au dossier de la Cour.

[12]      Il est allégué que ce traité est protégé par l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, et qu'il a récemment été interprété par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt R. c. Marshall (#1) en date du 17 septembre 1999 (C.S.C., non publié).

[13]      Le demandeur Ken Barlow allègue que les cages à homard ne lui ont pas été restituées et qu'il est donc privé de sa capacité de subvenir à ses besoins, à ceux de ses enfants, et de gagner modestement sa vie.

[14]      Le 10 novembre 1999, les demandeurs ont signifié un avis de requête en vue d'obtenir une injonction interlocutoire et un bref de mandamus pour forcer les défendeurs à restituer toutes les cages à homard confisquées au demandeur Ken Barlow.

[15]      Le 24 novembre 1999, le juge MacKay a rejeté la requête en injonction interlocutoire. En outre, il a ordonné que la date d'audition de la présente affaire soit fixée au 11 avril 2000 à Fredericton (N.-B.) pour une journée.

[16]      En examinant l'ordonnance rendue le 24 novembre 1999, le juge MacKay a constaté qu'elle renfermait une erreur d'écriture, et il a donc rendu une deuxième ordonnance le 30 novembre 1999 dans laquelle il apportait les modifications suivantes :

         [TRADUCTION]
         L'audition de la présente instance aura lieu le 11 avril 2000 à Fredericton (N.-B.), à compter de 10 h à la Cour fédérale, pour une durée d'une journée. Si les avocats estiment qu'il faut plus d'une journée pour l'audition, ils sont priés d'en informer la Cour le ou avant le 31 mars 2000 et l'audience commencera alors à 14 h le 10 avril et se poursuivra le lendemain.

[17]      Le 24 décembre 1999, les défendeurs ont déposé un avis de requête pour que cette requête soit entendue devant la Cour le 10 janvier 2000.

LES MOTIFS DE LA REQUÊTE

[18]      Les défendeurs ont formulé les motifs suivants pour justifier leur requête :

         [TRADUCTION

         a) La procédure est nulle étant donné que les faits nécessaires pour appuyer les déclarations recherchées par les demandeurs n'ont pas été établies du fait que les affidavits qu'ils ont déposés comportent des lacunes et ne respectent pas la règle 81 des Règles de la Cour fédérale, 1998. En outre, la preuve d'expert n'est pas admissible dans une demande de contrôle judiciaire. Par conséquent, il n'y a pas de fondement à partir duquel la Cour peut accorder la réparation demandée.
         b) Les fondements factuels essentiels de l'affaire au sujet de laquelle les demandeurs demandent réparation aux termes du paragraphe 18.1(1) de la Loi sur la Cour fédérale reposent sur la validité de la prétention des demandeurs selon laquelle les cages à homard du demandeur Ken Barlow ont été saisies par les défendeurs, ce que ces derniers nient. Par conséquent, si les demandeurs ne réussissent pas à établir que les défendeurs ont saisi les cages à homard, les déclarations qu'ils sollicitent relativement aux questions complexes de droits constitutionnels et issus de traités deviennent théoriques et il n'est pas nécessaire que la Cour les examine.
         c) Les délais accordés pour le dépôt des documents devraient tous être suspendus au motif que les questions soulevées dans la présente instance deviendront théoriques si les demandeurs ne réussissent pas à établir que les cages à homard ont été saisies par les défendeurs.
         d) Cette instance est beaucoup trop complexe du point de vue de la preuve pour être entendue dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire. En effet, elle soulève des questions qui ne peuvent ni être établies ni évaluées de façon satisfaisante au moyen d'une preuve par affidavit ; elle exige en effet la présentation de l'histoire orale ayant trait aux traditions autochtones, une preuve d'un expert en histoire, celle d'un expert en biologie concernant les questions de conservation et de politique publique ayant trait à la participation historique des non-autochtones à la pêche au homard, de même que les questions ayant trait à la crise de Burnt Church. Par conséquent, il faudrait que la présente demande de contrôle judiciaire soit insruite comme s'il s'agissait d'une action.

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. I-2

Hearings in summary way

18.4 (1) Subject to subsection (2), an application or reference to the Trial Division under any of sections 18.1 to 18.3 shall be heard and determined without delay and in a summary way.

18.4(2) Exception

(2) The Trial Division may, if it considers it appropriate, direct that an application for judicial review be treated and proceeded with as an action.

Procédure sommaire d'audition

18.4 (1) Sous réserve du paragraphe (2), la Section de première instance statue à bref délai et selon une procédure sommaire sur les demandes et les renvois qui lui sont présentés dans le cadre des articles 18.1 à 18.3.

18.4(2) Exception

(2) La Section de première instance peut, si elle l'estime indiqué, ordonner qu'une demande de contrôle judiciaire soit instruite comme s'il s'agissait d'une action.


Règles de la Cour fédérale, 1998

Rule 8.      Extension or abridgement

     (1) On motion, the Court may extend or abridge a period provided by these Rules or fixed by an order.

     (2) When motion may be brought--A motion for an extension of time may be brought before or after the end of the period sought to be extended.

     (3) Motions for extension in Court of Appeal--Unless the Court directs otherwise, a motion to the Court of Appeal for an extension of time shall be brought in accordance with rule 369.

Règle 8.      Délai prorogé ou abrégé

     (1) La Cour peut, sur requête, proroger ou abréger tout délai prévu par les présentes règles ou fixé par ordonnance.

     (2) Moment de la présentation de la requête--La requête visant la prorogation d'un délai peut être présentée avant ou après l'expiration du délai.

     (3) Requête présentée à la Cour d'appel--Sauf directives contraires de la Cour, la requête visant la prorogation d'un délai qui est présentée à la Cour d'appel doit l'être selon la règle 369.



Rule 35.      Hearing dates

     (1) Subject to rule 298 and paragraph 385(1)(b), motions that can conveniently be heard at the General Sittings of the Trial Division may be made returnable accordingly.

     (2) Special hearing dates--A request may be made informally to the Judicial Administrator for an appointment of a special time and place

(a)      for sittings of the Court of Appeal or of a judge of the Court of Appeal to hear a motion; or

(b)      for sittings of a judge of the Trial Division or of a prothonotary to hear a motion that is likely to be lengthy or a motion to be heard other than at General Sittings.



Règle 35. Présentation des requêtes

     (1) Sous réserve de la règle 298 et de l'alinéa 385(1)b), les requêtes qui peuvent être commodément entendues à une séance générale de la Section de première instance peuvent être présentées à une telle séance.

     (2) Requêtes non présentées à une séance générale--Une demande d'audience peut être faite, sans formalité, à l'administrateur judiciaire pour fixer les date, heure et lieu :

a)      de l'audition d'une requête par la Cour d'appel ou l'un de ses juges;

b)      de l'audition, par un juge de la Section de première instance ou un protonotaire, d'une requête qui sera vraisemblablement de longue durée ou qu'il est indiqué d'entendre à un autre moment que pendant une séance générale.

Rule 36.      Adjournment

     (1) A hearing may be adjourned by the Court from time to time on such terms as the Court considers just.

     (2) Adjournment to fixed day--Where a hearing is adjourned to a fixed day, a party who appeared at the hearing is deemed to have had notice of the adjournment.

     (3) Notice dispensed with--Where a party has failed to appear at a hearing, that party need not be served with notice of an adjournment of the hearing.

Règle 36. Ajournement

     (1) La Cour peut ajourner une audience selon les modalités qu'elle juge équitables.

     (2) Date déterminée--Lorsqu'une audience est ajournée pour reprendre à une date déterminée, toutes les parties qui ont comparu à l'audience sont réputées en avoir été avisées.

     (3) Dispense de signification--Nul n'est tenu de donner avis de l'ajournement d'une audience à une partie qui n'a pas comparu à celle-ci.



Rule 81.      Content of affidavits

     (1) Affidavits shall be confined to facts within the personal knowledge of the deponent, except on motions in which statements as to the deponent's belief, with the grounds therefor, may be included.

     (2) Affidavits on belief--Where an affidavit is made on belief, an adverse inference may be drawn from the failure of a party to provide evidence of persons having personal knowledge of material facts.

Règle 81. Contenu

     (1) Les affidavits se limitent aux faits dont le déclarant a une connaissance personnelle, sauf s'ils sont présentés à l'appui d'une requête, auquel cas ils peuvent contenir des déclarations fondées sur ce que le déclarant croit être les faits, avec motifs à l'appui.

     (2) Poids de l'affidavit--Lorsqu'un affidavit contient des déclarations fondées sur ce que croit le déclarant, le fait de ne pas offrir le témoignage de personnes ayant une connaissance personnelle des faits substantiels peut donner lieu à des conclusions défavorables.



Rule 114.      Representative proceedings

     (1) Where two or more persons have the same interest in a proceeding, the proceeding may be brought by or against any one or more of them as representing some or all of them.

     (2) Motion to appoint representative--At any time, the Court may, on motion, appoint a person to represent some or all of the parties in a proceeding referred to in subsection (1).

     (3) Where representative not a party--Where under subsection (2) the Court appoints a person not named as a party to the proceeding, it shall make an order adding that person as a party.

     (4) Order binding on represented persons--An order in a proceeding referred to in subsection (1) is binding on all represented parties, but shall not be enforced against them without leave of the Court.

Règle 114.      Recours collectif

     (1) Lorsque des personnes ont un intérêt commun dans une instance, celle-ci peut être engagée par ou contre l'une ou plusieurs de ces personnes au nom de toutes celles-ci ou de certaines d'entre elles.

     (2) Représentant désigné sur requête--Dans une instance visée au paragraphe (1), la Cour peut, à tout moment, sur requête, désigner une personne en tant que représentant de toutes les parties ou de certaines d'entre elles.

     (3) Constitution en partie--Si la personne désignée aux termes du paragraphe (2) n'est pas une partie, la Cour rend une ordonnance constituant cette personne partie à l'instance.

     (4) Effet de l'ordonnance--L'ordonnance rendue dans une instance visée au paragraphe (1) lie toutes les personnes représentées, mais ne peut être exécutée contre celles-ci sans la permission de la Cour.

    

Rule 303. Respondents

     (1) Subject to subsection (2), an applicant shall name as a respondent every person

(a)      directly affected by the order sought in the application, other than a tribunal in respect of which the application is brought; or

Règle 303. Défendeurs

     (1) Sous réserve du paragraphe (2), le demandeur désigne à titre de défendeur:

a)      toute personne directement touchée par l'ordonnance recherchée, autre que l'office fédéral visé par la demande;

ARGUMENTS DES PARTIES

Arguments des défendeurs

(1) Radiation de la demande

[19]      Les défendeurs sollicitent dès maintenant une ordonnance radiant la demande de contrôle judiciaire au motif que les affidavits déposés ne respectent pas la règle 81 étant donné qu'ils n'ont pas réussi à établir les fondements factuels à partir desquels le jugement déclaratoire est demandé.

[20]      En outre, ils prétendent que l'Union of New Brunswick Indians n'a pas qualité pour présenter cette demande.

(2) Interversion des deux questions soulevées dans cette demande

[21]      Il y a deux questions à juger dans la demande : (1) la question de savoir si les représentants du ministère des Pêches et Océans (MPO) ont saisi les cages à homard du demandeur Ken Barlow, le ou vers le 22 octobre 1999, et (2) la question de savoir si la saisie des cages à homard du demandeur Ken Barlow contrevient à ses droits constitutionnels ou issus de traités.

[22]      Les défendeurs font valoir que les demandeurs n'ont pas droit à la réparation complexe fondée sur les droits constitutionnels et issus de traités qu'ils demandent à moins qu'ils puissent établir à la satisfaction de la Cour que les représentants du MPO ont réellement saisi les cages à homard de Ken Barlow.

[23]      Les défendeurs prétendent que la partie de la demande de contrôle judiciaire ayant trait aux droits constitutionnels et issus de traités des demandeurs devrait être ajournée en attendant la décision sur la question préliminaire de savoir si les cages à homard de Ken Barlow ont été saisies par eux.

(3) Omission de désigner à titre de défendeurs des personnes directement touchées par l'ordonnance recherchée

[24]      Les défendeurs font valoir que les demandeurs n'ont pas respecté la règle 303(1)a) étant donné qu'ils n'ont pas désigné à titre de défendeurs au moins quatre des personnes qui sont directement touchées par l'ordonnance recherchée dans l'avis de demande, c'est--à-dire :

         (1)      la bande indienne de Burnt Church dont les membres sont des Micmacs n'ayant pas adhéré à l'Union of New Brunswick Indians ;
         (2)      la bande indienne de Big Cove dont les membres sont des Micmacs, mais qui n'ont pas non plus adhéré à l'Union of New Brunswick Indians ;
         (3)      le Conseil des Premières Nations MAWIW, une société à but non lucratif établie en vertu de la Loi sur les compagnies du Nouveau-Brunswick, L.R.N.-B. 1973, ch. c-13, qui a été constituée en société en février 1992. En 1996, MAWIW est devenu le représentant politique provincial des Premières Nations de Tobique, de Big Cove et de Burnt Church après que ces bandes indiennes eurent quitté l'Union of New Brunswick Indians.

[25]      Les défendeurs prétendent que le reste de la demande de contrôle judiciaire devrait faire l'objet d'un ajournement afin de permettre à toutes les personnes qui sont directement touchées par l'ordonnance recherchée par les demandeurs de déposer des documents et de s'assurer que leurs intérêts seront défendus devant la Cour.

(4) Instruction de la demande comme s'il s'agissait d'une action

[26]      Les défendeurs font également valoir que la Cour devrait accorder une ordonnance fondée sur le paragraphe 18.4(2) de la Loi sur la Cour fédérale pour que cette demande soit instruite comme s'il s'agissait d'une action au motif que les questions qui y sont soulevées ne peuvent être établies ou évaluées de façon satisfaisante au moyen d'une preuve par affidavit, et que la Cour devrait avoir la possibilité d'observer le comportement et la crédibilité des témoins.

[27]      De plus, les défendeurs prétendent qu'il est nécessaire que des témoins viennent déposer sur les sujets suivants :

         a)      l'histoire orale ayant trait aux traités, aux traditions et territoires autochtones ;
         b)      une preuve historique donnée par un expert ;
         c)      une preuve biologique donnée par un expert concernant les questions de conservation et une preuve ayant trait à la participation historique des non-autochtones à la pêche au homard dans la baie de Miramichi ;
         d)      des questions d'équité régionales et économiques ; et
         e)      une preuve ayant trait à la nécessité d'éviter le genre de manifestations qui ont eu lieu au Nouveau-Brunswick entre le 17 septembre et le 22 octobre 1999.

(5) Prorogation des délais

[28]      Subsidiairement, les défendeurs demandent une ordonnance fondée sur les règles 8, 35 et 36 des Règles de la Cour fédérale pour que les conditions des ordonnances du juge MacKay en date du 24 novembre et du 30 novembre 1999 soient modifiées de la façon suivante :

         (1)      la prorogation du délai pour la signification et le dépôt des affidavits des défendeurs jusqu'au 13 avril 2000 ;
         (2)      la prorogation du délai pour terminer les contre-interrogatoires ayant trait aux affidavits des demandeurs et des défendeurs jusqu'au 10 mai 2000 ;
         (3)      la prorogation du délai pour la signification et le dépôt du dossier des demandeurs jusqu'au 27 mai 2000 ;
         (4)      la prorogation du délai pour la signification et le dépôt du dossier des défendeurs jusqu'au 7 juin 2000 ;
         (5)      l'établissement de la date d'audition de la demande du 26 au 30 juin 2000.

[29]      Les défendeurs font valoir que la prorogation de ces délais est nécessaire pour qu'ils soient en mesure de répondre à la preuve produite par les demandeurs dans la présente instance.

Arguments des demandeurs

(1) Radiation de la demande

[30]      Les demandeurs soutiennent que la façon appropriée de contester un avis introductif de requête est de comparaître et de faire valoir ses prétentions à l'audition de la requête même : David Bull Laboratories c. Pharmacia Inc., [1995] 1 C.F. 588.

[31]      Les demandeurs prétendent qu'il ne s'agit pas d'un cas où la Cour serait justifiée de rejeter sommairement l'avis de demande parce que la demande n'a aucune chance d'être accueillie.

[32]      Pour ce qui a trait à l'argument invoqué par les défendeurs selon lequel l'avis de demande devrait être radié en supprimant les affidavits à l'appui parce que ceux-ci ne respectent pas les règles, les demandeurs soutiennent que le fait que Ken Barlow fasse référence à un avis juridique dans son affidavit établit tout simplement le contexte et n'usurpe pas la compétence de la Cour de trancher la question comme le soutiennent les défendeurs dans leur mémoire.

[33]      En outre, les demandeurs font valoir que si la Cour juge approprié de supprimer cette référence à l'avis reçu d'un avocat, elle peut le faire sans supprimer la totalité de l'affidavit.

[34]      Les demandeurs soutiennent également que les défendeurs ont incorrectement interprété la décision de la Cour suprême dans l'arrêt Marshall, précité (#2), comme déclarant que les droits issus de traités n'appartiennent pas à une personne mais sont exercés par la collectivité. Ils soutiennent que la Cour a indiqué que les droits sont collectifs, mais qu'ils sont exercés par des individus.

Question II : Qualité pour agir

[35]      En réponse à l'argument des défendeurs selon lequel l'Union of New Brunswick Indians n'a pas qualité pour agir, les demandeurs déclarent que l'Union participe depuis longtemps à des litiges dans lesquels elle s'efforce de protéger les droits des autochtones du Nouveau-Brunswick et de l'île-du-Prince-Édouard. Plus particulièrement, l'Union est intervenue dans l'affaire Marshall, précitée.

[36]      Pour ce qui a trait à l'argument selon lequel toutes les parties directement touchées doivent être désignées, les demandeurs soutiennent que la Cour a déjà interprété l'expression « directement touchée par » une demande de contrôle judiciaire comme faisant référence aux parties qui participaient à l'instance devant le tribunal ou le décideur concernant la décision en cause. Ils soutiennent qu'aucune des parties mentionnées par les défendeurs n'ont participé à l'instance devant le décideur.

[37]      En outre, les demandeurs font valoir que l'expression « directement touchée par » fait référence au fait d'être touché directement de façon juridique et non pas commerciale. Dans la présente affaire, les demandeurs sont d'avis que les défendeurs actuels représentent l'intérêt public dans la présente instance.

Question III : Interversion des questions

[38]      Les demandeurs prétendent qu'aucune règle n'autorise la Cour à intervertir le déroulement de l'instance comme le propose les défendeurs. Qui plus est, les demandeurs font valoir que la question de la saisie des cages est liée au bien-fondé de l'affaire et par conséquent ne devrait pas être séparée de la deuxième question qui est soulevée dans la demande.

[39]      Les demandeurs prétendent aussi que les défendeurs n'ont pas produit de preuve directe des représentants du MPO qui se trouvaient à la baie de Miramichi le 22 octobre 1999 et qui servirait à réfuter la preuve de Ken Barlow et de Joey Francis. Ils soutiennent que la seule preuve offerte par les défendeurs à cet égard indique que 11 jours après la descente du 22 octobre 1999 dans la baie de Miramichi, les représentants du MPO étaient incapables de trouver des cages portant les étiquettes de Ken Barlow.

[40]      En outre, les demandeurs insistent sur le fait qu'aucune preuve précise n'a été fournie au sujet des types de contrôles ou de procédures de rapports qui étaient en place le 22 octobre 1999, et que les défendeurs n'ont pas non plus offert de preuve quant à savoir quelles mesures de sécurité étaient en place à l'endroit où les cages ont été entreposées entre le 22 octobre 1999 et le 2 novembre 1999.

[41]      Les demandeurs demandent à la Cour de rejeter avec dépens la demande visant à intervertir le déroulement de l'instance.

Question IV : Instruction de la demande comme s'il s'agissait d'une action

[42]      Les demandeurs font valoir que les défendeurs font référence à un « prétendu » droit issu d'un traité pour pêcher le homard dans la baie de Miramichi et qu'en agissant ainsi ils ignorent leur propre preuve par affidavit et les observations écrites selon lesquelles les Micmacs de Big Cove ont traditionnellement pêché le homard dans la baie de Miramichi et que les Micmacs d'Indian Island, dont est membre Ken Barlow, sont une ramification de la bande de Big Cove.

[43]      En outre, les demandeurs prétendent que les défendeurs ignorent la preuve qu'ils ont déposée par l'entremise de Steven Patterson, qui est appuyée par l'arrêt Marshall, précité (#1), de la Cour suprême, selon laquelle les Micmacs de Big Cove et d'Indian Island, soit les « Micmacs de Richibucto » , sont visés par le traité du 10 mars 1760. C'est ce traité qui, selon les demandeurs, a été enfreint par les représentants du MPO quand ces derniers ont saisi les cages à homard de Ken Barlow.

[44]      Les demandeurs font valoir que la demande de conversion devrait être rejetée avec dépens.

Question V : Prorogation des délais

[45]      Les demandeurs soutiennent que les défendeurs étaient au courant des questions soulevées dans cette demande puisque l'avis de demande leur a été signifié le 27 octobre 1999. Deuxièmement, il y a déjà eu une audience le 18 novembre 1999 à l'issue de laquelle une ordonnance a été rendue. Troisièmement, les demandeurs prétendent que les défendeurs n'ont fourni aucune indication pour expliquer comment ou pourquoi les services du Dr Patterson ont été retenus ou pourquoi il n'a pu déposer son affidavit que deux jours après la date d'audience prévue dans la présente affaire.

[46]      Les demandeurs demandent que la requête des défendeurs soit rejetée avec dépens.

ANALYSE

Question I : Radiation de la demande

[47]      La question de savoir si une demande de radiation d'un avis introductif de requête pouvait être déposée en vertu de l'ancienne règle 419, qui est maintenant la règle 221, a été examinée par la Cour d'appel fédérale dans la décision David Bull Laboratories c. Pharmacia Inc., [1995] 1 C.F. 588. Le juge Noël, qui était juge des requêtes, a rejeté la demande de radiation au motif que la règle 419 ne s'appliquait pas aux avis introductifs de requête. La Cour d'appel a confirmé cette décision en déclarant ce qui suit aux pages 596 et 597 de ses motifs :

         L'absence de dispositions prévoyant la radiation des avis de requête dans les Règles de la Cour fédérale s'explique fondamentalement par les différences qui distinguent les actions des autres instances. Dans une action, le dépôt des plaidoiries écrites est suivi de la communication de documents, d'interrogatoires préalables et d'instructions au cours desquelles des témoignages sont rendus de vive voix. Il est de toute évidence important d'éviter aux parties le délai et les dépenses nécessaires pour mener une instance jusqu'à l'instruction s'il est « manifeste » (c'est le critère à appliquer pour radier une plaidoirie écrite) que la plaidoirie écrite en cause ne peut pas établir une cause d'action ou une défense. Bien qu'il soit important, tant pour les parties que pour la Cour, qu'une demande ou une défense futiles ne subsistent pas jusqu'à l'instruction, il est rare qu'un juge soit disposé à radier une procédure écrite par application de la règle 419. De plus, le processus de radiation est beaucoup plus facile à appliquer dans le cas des actions, étant donné que de nombreuses règles exigent des plaidoiries écrites précises quant à la nature de la demande ou de la défense et aux faits qui l'appuient. Aucune règle comparable n'existe relativement aux avis de requête. Tant la règle 319(1) [mod. par DORS/88-221, art. 4], la disposition générale applicable aux demandes présentées à la Cour, que la Règle 1602(2) [édictée par DORS/92-43, art. 19], la règle pertinente en l'espèce, qui vise une demande de contrôle judiciaire, exigent simplement que l'avis de requête indique « avec précision, le redressement » recherché et « les motifs au soutien de la demande » . Le fait que les avis de requête ne doivent pas nécessairement contenir des allégations de fait précises aggrave beaucoup le risque que prendrait la Cour en radiant ces documents. De plus, une demande introductive par voie d'avis de requête introductive d'instance est tranchée sans enquête préalable et sans instruction, mesures qu'une radiation permet d'éviter dans les actions. En fait, l'examen d'un avis de requête introductive d'instance se déroule à peu près de la même façon que celui d'une demande de radiation de l'avis de requête : la preuve se fait au moyen d'affidavits et l'argumentation est présentée devant un juge de la Cour siégeant seul. Par conséquent, le moyen direct et approprié par lequel la partie intimée devrait contester un avis de requête introductive d'instance qu'elle estime sans fondement consiste à comparaître et à faire valoir ses prétentions à l'audition de la requête même.

[48]      Le juge Strayer poursuit ainsi à la page 600 :

         Nous n'affirmons pas que la Cour n'a aucune compétence, soit de façon inhérente, soit par analogie avec d'autres règles en vertu de la Règle 5, pour rejeter sommairement un avis de requête qui est manifestement irrégulier au point de n'avoir aucune chance d'être accueilli. Ces cas doivent demeurer très exceptionnels et ne peuvent inclure des situations comme celle dont nous sommes saisis, où la seule question en litige porte simplement sur la pertinence des allégations de l'avis de requête.

[49]      Cette démarche a été suivie par le juge Nadon dans le jugement de 1998 Association des distillateurs canadiens c. Canada (Ministre de la Santé) [1998] A.C.F. No. 753, dans laquelle il déclare au paragraphe 8 de sa décision que l'avis de requête n'était pas irrégulier au point de n'avoir aucune chance d'être accueilli et par conséquent ne devait pas être radié. La Cour a noté que la requête elle-même aurait pu être entendue dans le laps de temps qu'il a fallu pour entendre la requête en radiation.

[50]      En appliquant ces principes, je suis d'avis que même si les demandeurs ne peuvent pas établir les faits essentiels à la présente instance dans leur avis de requête, il ne s'agit pas d'une demande qui n'a aucune chance d'être accueillie. Je ne dis pas que leurs arguments sont irréfutables, mais simplement qu'ils ne sont pas complètement dénués de toute chance de succès.

[51]      Pour ces raisons, j'estime qu'il ne s'agit pas d'un cas exceptionnel qui justifierait la Cour de radier l'avis introductif de requête.

Question II : Qualité pour agir

[52]      À titre de question préliminaire, il semble que la question de la qualité pour agir et la quatrième question soulevée par les défendeurs, soit l'omission des demandeurs de désigner toutes les personnes directement touchées dans l'avis introductif de requête, soient étroitement reliées, et c'est pourquoi je les traiterai ensemble.

[53]      Les défendeurs prétendent que l'Union of New Brunswick Indians n'a pas qualité pour présenter cette demande du fait qu'elle ne peut en droit faire valoir le droit issu d'un traité qu'elle revendique du fait qu'elle n'a pas allégué ni établi qu'elle avait un droit issu d'un traité.

[54]      En outre, les défendeurs font référence à l'arrêt Marshall, précité, de la Cour suprême, et ils soutiennent que les droits issus de traités n'appartiennent pas à l'individu, mais qu'ils sont exercés par l'autorité de la collectivité locale. Ils prétendent donc que Ken Barlow et l'Union of New Brunswick Indians n'ont à aucun moment allégué que l'Union avait un droit issu d'un traité auquel il aurait été porté atteinte. Les défendeurs font valoir que l'Union n'est pas une collectivité et donc qu'elle ne peut avoir de droits issus d'un traité.

[55]      Finalement, les défendeurs déclare que la Règle 114 stipule qu'un recours collectif ne peut être intenté par l'Union au nom de Ken Barlow et de la Nation micmaque, à moins que l'Union ait le même intérêt dans l'instance que la personne qu'elle représente. Ils font valoir que l'Union ne peut avoir le même intérêt que Ken Barlow étant donné qu'elle n'a pas de droits issus d'un traité. Ainsi, l'Union ne peut intenter ce recours collectif.

[56]      La Règle 114 stipule ce qui suit :

Rule 114.      Representative proceedings

     (1) Where two or more persons have the same interest in a proceeding, the proceeding may be brought by or against any one or more of them as representing some or all of them.

     (2) Motion to appoint representative--At any time, the Court may, on motion, appoint a person to represent some or all of the parties in a proceeding referred to in subsection (1).

     (3) Where representative not a party--Where under subsection (2) the Court appoints a person not named as a party to the proceeding, it shall make an order adding that person as a party.

     (4) Order binding on represented persons--An order in a proceeding referred to in subsection (1) is binding on all represented parties, but shall not be enforced against them without leave of the Court.

Règle 114.      Recours collectif

     (1) Lorsque des personnes ont un intérêt commun dans une instance, celle-ci peut être engagée par ou contre l'une ou plusieurs de ces personnes au nom de toutes celles-ci ou de certaines d'entre elles.

     (2) Représentant désigné sur requête--Dans une instance visée au paragraphe (1), la Cour peut, à tout moment, sur requête, désigner une personne en tant que représentant de toutes les parties ou de certaines d'entre elles.

     (3) Constitution en partie--Si la personne désignée aux termes du paragraphe (2) n'est pas une partie, la Cour rend une ordonnance constituant cette personne partie à l'instance.

     (4) Effet de l'ordonnance--L'ordonnance rendue dans une instance visée au paragraphe (1) lie toutes les personnes représentées, mais ne peut être exécutée contre celles-ci sans la permission de la Cour.

[57]      Les éléments nécessaires à un recours collectif ont été formulés pour la première fois dans l'arrêt The Duke of Bedford v. Ellis, [1901] A.C. 1 de la manière suivante : (1) les parties doivent avoir le même intérêt, (2) le grief doit être commun, et (3) la réparation doit bénéficier à tous. Lord McNaughton a déclaré ceci à la page 8 de ses motifs :

         [TRADUCTION]
         S'il y avait un intérêt commun et un sujet commun de plainte, il y avait lieu à recours collectif si le redressement demandé était par lui-même au bénéfice de tous ceux que le demandeur se proposait de représenter.

[58]      Ces conditions ont été examinées en 1983 dans General Motors du Canada Ltd. c. Naken, [1983] 1 R.C.S. 72, par la Cour suprême qui devait interpréter la Règle 75 des Règles de pratique de la Cour suprême de l'Ontario. La Cour a statué que l'action du défendeur ne pouvait à bon droit être instruite en s'appuyant sur la Règle 75 au motif que la Règle 75 exigeait que les demandeurs et tous ceux qu'ils représentaient aient le même intérêt et, en outre, qu'il n'était pas suffisant que le groupe aient des intérêts semblables.

[59]      Dans cette affaire, les demandeurs avaient des arrangements contractuels différents qui avaient donné lieu à des réclamations différentes mais semblables en vertu de contrats relatifs au même modèle de voiture. L'action avait été intentée par quatre personnes qui poursuivaient en leur nom propre et pour d'autres personnes pour des préjudices subis par suite de l'achat des voitures.

[60]      Les défendeurs font référence à cette affaire pour étayer leur affirmation que l'Union of New Brunswick Indians n'a pas le même intérêt dans la présente instance que Ken Barlow et qu'elle n'a donc pas qualité pour présenter la demande.

[61]      Après avoir examiné soigneusement les principes régissant le recours collectif, je souscris au raisonnement des défendeurs. Les demandeurs n'ont pas fait la preuve que l'Union of New Brunswick Indians est une association constituée en personne morale représentant la Première Nation et elle n'a manifestement pas les mêmes droits que Ken Barlow.

[62]      Pour ce qui est de la question de savoir si les demandeurs ont omis de désigner toutes les personnes directement touchées dans leur avis de requête, les défendeurs soutiennent que les noms de toutes les personnes directement touchées par l'ordonnance doivent avoir été communiqués à la Cour quand la demande est entendue.

[63]      Je reconnais qu'il incombe au demandeur de désigner toutes les personnes directement touchées par l'ordonnance dans l'avis de requête. Cela n'est pas contesté. Toutefois, la première question soulevée par cette demande ne touche pas directement des parties autres que celles qui sont nommées dans l'avis de demande.

[64]      Les défendeurs font maintenant valoir que le reste de la demande de contrôle judiciaire devrait faire l'objet d'un ajournement afin de permettre à toutes les personnes intéressées de déposer les documents pertinents et de faire valoir leurs droits devant la Cour.

[65]      À mon avis, compte tenu de la complexité de la deuxième question et du fait que l'examen de celle-ci repose sur une réponse affirmative à la première question, il n'est pas nécessaire à cette étape de l'instance de décider si d'autres personnes doivent être désignées comme défendeurs.

[66]      Quand il entendra les arguments des parties sur la première question et qu'il décidera s'il y a eu en fait saisie, le juge pourra alors décider s'il y a lieu d'apporter une modification pour ajouter d'autres défendeurs qui sont directement touchés par l'ordonnance. À ce moment, le juge décidera également s'il est nécessaire d'accorder un ajournement.

Question III : Priorité de la question de fait sur les questions de droits constitutionnels et issus de traités

[67]      Les défendeurs soutiennent que la première question soulevée dans la demande, savoir la question de fait de savoir si les représentants du ministre des Pêches et Océans ont saisi les cages à homard de Ken Barlow, demandeur, devrait être traitée avant les questions de droits constitutionnels et issus de traités, qui sont de portée plus large. Cet argument se fonde sur l'hypothèse que si l'on répond par la négative à la première question, alors il ne sera pas nécessaire que la Cour traite de la deuxième question.

[68]      Avant d'aborder ce point, il est important de noter qu'aucune règle de la présente Cour ne m'autorise à intervertir les questions. Les défendeurs soulignent que la Cour a compétence inhérente pour contrôler sa propre procédure et que, par souci d'économie des ressources judiciaires, la question de fait devrait être entendue séparément des questions constitutionnelles et de celles qui concernent les droits issus de traités.

[69]      En toute déférence pour les défendeurs, je ne vois pas pourquoi il serait nécessaire d'intervertir les deux questions avant l'audition de la demande. Le contrôle judiciaire a été conçu comme un recours expéditif et le fait de séparer les questions ne ferait qu'allonger la procédure.

[70]      S'il devait répondre affirmativement à la première question, le juge passera tout simplement à la deuxième question. L'audience pourra être ajournée pour permettre la signification de l'avis de demande et des affidavits déposés à l'appui de celle-ci par les demandeurs à toutes les autres personnes directement touchées. Par conséquent, les deux questions pourront être séparées s'il est décidé qu'elles touchent des parties différentes.

Question IV : Instruction de la demande comme s'il s'agissait d'une action

[71]      Les défendeurs soutiennent que la présente demande de contrôle judiciaire devrait être entendue comme s'il s'agissait d'une action au motif qu'il y a de nombreuses questions juridiques et factuelles complexes qui ne peuvent être décidées de façon satisfaisante au moyen d'une preuve par affidavit.

[72]      Le paragraphe 18.4(2) de la Loi sur la Cour fédérale stipule ce qui suit :

18.4(2) Exception

(2) The Trial Division may, if it considers it appropriate, direct that an application for judicial review be treated and proceeded with as an action.

18.4(2) Exception

(2) La Section de première instance peut, si elle l'estime indiqué, ordonner qu'une demande de contrôle judiciaire soit instruite comme s'il s'agissait d'une action.



[73]      Cette disposition de la Loi a été examinée peu après son adoption en 1992 par le juge Strayer, maintenant juge à la Cour d'appel, dans la décision Vancouver Island Peace Society c. Canada (1992), 53 F.T.R. 300, et, ultérieurement par le juge Muldoon dans sa décision de 1993 dans Prince Edward Island Potato Board c. Ministre de l'Agriculture du Canada (1993), 56 F.T.R. 150.

[74]      Dans l'affaire Prince Edward Island Potato Board, le juge Muldoon examinait une requête du ministre de l'Agriculture en vue de convertir la demande en action du fait de la complexité des questions scientifiques en jeu. Il ressort clairement du jugement que le juge Muldoon était d'avis que les dispositions de la Loi relatives au contrôle judiciaire devaient être appliquées de façon à permettre d'entendre l'audition de l'affaire le plus rapidement possible. À la page 152 de ses motifs, il déclare ce qui suit :

         L'article 18.4 de la Loi sur la Cour fédérale dispose clairement qu'en règle générale, une demande de contrôle judiciaire ou un renvoi présenté à la Section de première instance est instruit comme s'il s'agissait d'une requête. En vertu de cet article, ces matières doivent être entendues et jugées « à bref délai et selon une procédure sommaire » . Exceptionnellement, le paragraphe 8.4(2) prévoit qu'une demande de contrôle judiciaire peut être instruite comme s'il s'agissait d'une action. Cependant, c'est dorénavant par voie de requête qu'il est préférable de procéder et il ne faut pas déroger à ce principe en l'absence de motifs très clairs.

[75]      Ce raisonnement a été confirmé par la Cour d'appel fédérale en 1994 dans McGinnis c. Canada (1994), 166 N.R. 57, où il a été noté que le législateur avait l'intention de faire du contrôle judiciaire un redressement expéditif, et le juge déclare ceci à la page 60 :

         En général, c'est seulement lorsque les faits, de quelque nature qu'ils soient, ne peuvent pas être évalués ou établis avec satisfaction au moyen d'un affidavit que l'on devrait envisager d'utiliser le paragraphe 18.4(2) de la Loi. Il ne faudrait pas perdre de vue l'intention clairement exprimée par le Parlement, qu'il soit statué le plus tôt possible sur les demandes de contrôle judiciaire, avec toute la célérité possible, et le moins possible d'obstacles et de retards du type de ceux qu'il est fréquent de rencontrer dans les procès. On a des « motifs très clairs » d'avoir recours à ce paragraphe, pour utiliser les mots du juge Muldoon, lorsqu'il faut obtenir une preuve de vive voix soit pour évaluer l'attitude et la crédibilité des témoins ou pour permettre à la Cour de saisir l'ensemble de la preuve lorsqu'elle considère que l'affaire requière tout l'appareillage d'un procès tenu en bonne et due forme.


[76 ]      Le critère qu'il convient d'utiliser pour évaluer si une demande devrait être instruite comme s'il s'agissait d'une action a été formulée par la Cour d'appel à la page 6 de ses motifs de la façon suivante :

         [...] le vrai critère que le juge doit appliquer est de se demander si la preuve présentée au moyen d'affidavits sera suffisante, et non pas de se demander si la preuve qui pourrait être présentée au cours d'un procès pourrait être supérieure.


[77]      Ce critère a été formulé dans le contexte d'un affidavit déposé par un expert et il est donc tout à fait pertinent aux faits de l'espèce. Les défendeurs soutiennent que la preuve de l'histoire orale qui concerne

nt les Micmacs vivant dans les Maritimes et les personnes qui ont signé les traités au nom des collectivités micmaques en question ne peut être adéquatement traitée au moyen d'une preuve par affidavit.

[78]      Je suis d'accord que la seconde question soulevée dans cette demande est une question historique d'une grande complexité qu'il serait difficile de présenter sous forme d'affidavit. Toutefois, comme je l'ai déjà déclaré, cette preuve ne deviendra pertinente que si l'on répond par l'affirmative à la première question ; cependant, je suis convaincu que toute cette question devrait être entendue en même temps et que la question constitutionnelle ne peut être traitée au moyen d'une preuve par affidavit, spécialement pour ce qui concerne la tradition orale.

[79]      Pour ce qui a trait à la preuve nécessaire pour déterminer s'il y a eu ou non saisie par les représentants du MPO des cages à homard du demandeur Ken Barlow, je suis également convaincu que la preuve par affidavit ne serait pas adéquate.

[80]      Pour le moment, après avoir lu la preuve par affidavit, il me semble que les cages à homard appartenant au demandeur Barlow ont été saisies par les représentants du MPO.

[81]      Cette question devrait être décidée après audition de l'affaire.

[82]      Manifestement, il est au mieux des intérêts des parties en cause qu'une réponse complète soit donnée à ces questions, particulièrement du fait que le demandeur Barlow ne subira aucun préjudice. On m'assure qu'il sera autorisé à pêcher le homard dès l'ouverture de la prochaine saison.

[83]      Par conséquent, j'ordonne par les présentes que la demande de contrôle judiciaire soit instruite comme s'il s'agissait d'une action.

Question V : Prorogation des délais

[84]      Étant donné que la présente demande est convertie en action, il n'est pas nécessaire que je traite de la question des délais.

[85]      La demande des défendeurs est accueillie, en ce sens que la demande de contrôle judiciaire est convertie en action de façon à autoriser la Cour à se prononcer sur la question de savoir si les cages à homard de Ken Barlow ont ou non été saisies et sur la question constitutionnelle qui traite du fait de savoir si les Nations micmaque et malécite du Nouveau-Brunswick sont autorisées à pêcher le homard.

[86]      Ma décision de convertir la demande de contrôle judiciaire en action se fonde également sur une autre raison : savoir que la preuve par affidavit des demandeurs n'indique pas clairement à quel traité ils font référence. Font-ils référence seulement au traité du 10 mars 1760 ou à un traité de 1760-1761 ou à un traité de 1761.

[87]      Je suis convaincu que les demandeurs ont l'obligation d'être précis. Il n'est pas suffisant qu'ils disent « parler du ou des traités mentionnés dans R. c. Marshall » (C.S.C., décision non publiée, dossier n 26014, 17 septembre 1999), sans produire le ou les traités sur lesquels ils s'appuient ou du moins, s'ils ne peuvent les produire, sans mentionner par écrit les traités sur lesquels ils s'appuient.

CONCLUSION

[88]      Pour toutes les raisons énoncées ci-dessus, j'accueille la demande des défendeurs uniquement pour que la demande de contrôle judiciaire soit instruite comme s'il s'agissait d'une action.

[89]      Les dépens suivront l'issue de la cause.

                         « Max M. Teitelbaum »

                                 Juge

Ottawa (Ontario)

le 3 mars 2000

Traduction certifiée conforme :


Laurier Parenteau, LL.L.




Date : 20000303


Dossier : T-1876-99


OTTAWA (ONTARIO), LE VENDREDI 3 MARS 200

EN PRÉSENCE DE M. LE JUGE TEITELBAUM

ENTRE :

     KEN BARLOW ET L'UNION OF

     NEW BRUNSWICK INDIANS

     demandeurs

     et

     SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET

     LE MINISTRE DES PÊCHES ET OCÉANS

     défendeurs

     ORDONNANCE


     Pour les raisons données dans les motifs de l'ordonnance, la demande des défendeurs pour que la demande de contrôle judiciaire soit instruite comme s'il s'agissait d'une action est accueillie.

     Les dépens suivront l'issue de la cause.

                         « Max M. Teitelbaum »                                 

                                 Juge         


Traduction certifiée conforme :

Laurier Parenteau LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER



N DU GREFFE :              T-1876-99
INTITULÉ DE LA CAUSE :          KEN BARLOW ET AUTRES C. LA REINE ET AUTRES
LIEU DE L'AUDIENCE :          Fredericton (N.-B.)
DATES DE L'AUDIENCE :      les 10 et 11 janvier 2000

MOTIFS DU JUGEMENT DU JUGE TEITELBAUM

DATE :                  le 3 mars 2000


ONT COMPARU :

Henry J. Bear

Harold L. Doherty                      POUR LES DEMANDEURS
Harry J. Wruck, c.r.                      POUR LES DÉFENDEURS


PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

BEAR LAW OFFICES

Malisset (N.-B.)                      POUR LES DEMANDEURS

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)                      POUR LES DÉFENDEURS
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