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     Date: 19991105

     Dossier: T-2424-97

Ottawa (Ontario), ce 5e jour de novembre 1999

En présence de l'honorable juge Pinard

Entre :

     SYNDICAT DES EMPLOYÉ(ES) DE TERMINUS

     VOYAGEUR COLONIAL LIMITÉE (CSN)

     Requérant

     - et -

     LISE GOYETTE

     -et-

     NICOLE TOURVILLE

     -et-

     COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

     Intimées

     ORDONNANCE

     La demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens.

                            

                             JUGE

     Date: 19991105

     Dossier: T-2424-97

Entre :

     SYNDICAT DES EMPLOYÉ(ES) DE TERMINUS

     VOYAGEUR COLONIAL LIMITÉE (CSN)

     Requérant

     - et -

     LISE GOYETTE

     -et-

     NICOLE TOURVILLE

     -et-

     COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

     Intimées

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE PINARD :

[1]      La demande de contrôle judiciaire, faite en vertu de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. 1985, ch. F-7, vise une décision du Tribunal des droits de la personne (le "tribunal"), rendue le 14 octobre 1997, concluant que le syndicat requérant a commis un acte de discrimination systémique à l'égard d'un groupe d'employés, les téléphonistes (majoritairement des femmes), les limitant dans leurs chances d'emploi ou d'avancement.

[2]      Le syndicat requérant est une association des employés au sens du Code canadien du travail, L.R.C. 1985, ch. L-2. Les intimées Lise Goyette et Nicole Tourville, en leur qualité de membres du syndicat requérant, ont déposé contre lui une plainte de discrimination fondée sur le sexe. Il est à noter qu'un règlement étant subséquemment intervenu dans le cas de l'intimée Nicole Tourville, seule l'intimée Lise Goyette continue de contester cette demande de contrôle judiciaire.

[3]      Dans deux décisions antérieures, la première en date du 16 février 1996 et la seconde en date du 21 mai 1997, toutes deux reliées aux plaintes de Lise Goyette et Nicole Tourville, le tribunal a exonéré l'employeur de toute responsabilité de discrimination systémique dans cette affaire.

[4]      Il importe de reproduire la conclusion de la décision en cause:

         CONCLUSION                 
             Le Tribunal en vient à la conclusion qu'en acceptant et concluant la convention collective de travail, signée le 7 décembre 1989, le syndicat des employé-e-s de terminus Voyageur de Colonial Limité (sic) (CSN) a commis un acte de discrimination systémique à l'égard d'un groupe d'employés, les téléphonistes (majoritairement des femmes) les limitant dans leurs chances d'emploi ou d'avancement.                 
             Même si en général la façon de fonctionner des syndicats répond aux besoins de l'ensemble des travailleurs, le présent Tribunal ne peut entériner le fait que le syndicat des employé-e-s de Terminus de Voyageur Colonial Limitée (CSN) ait négocié des conditions de travail censées s'appliquer à tous les employé-e-s en créant en parallèle un système défavorisant un groupe d'employés, membres du même syndicat, les téléphonistes (majoritairement des femmes) les privant des mêmes chances d'avancement au sein de l'entreprise.                 
         REDRESSEMENT:                 
             Le Tribunal ayant à traiter uniquement de l'égalité des chances de vivre une vie libre de discrimination fondée sur tous les motifs illicites énumérés dans la L.C.D.P. à l'article 2:                 
             " ... " le droit de tous les individus, dans la mesure compatible avec leurs devoirs et obligations au sein de la société, à l'égalité des chances d'épanouissement, indépendamment des considérations fondées sur " ... ".                         
         protection dont toute personne bénéficie de façon égale et prenant en considération le fait que la nouvelle convention collective signée par les parties le 6 juin 1996 a éliminé les deux systèmes d'ancienneté générale et départementale pour rétablir la situation, formule l'ordonnance suivant (sic) dans le cas de Madame Lise Goyette puisqu'une déclaration de règlement a été déposée dans le cas de Madame Nicole Tourville.                 
             Pour les motifs énoncés dans les conclusions de notre décision, le Tribunal estime que les réparations suivantes sont appropriées en l'espèce et ordonne au syndicat des employé-e-s de Terminus de Voyageur de Colonial Limitée de payer à la plaignante les montants suivants dans les trente (30) jours de la présente décision:                 
         1.      Préjudice moral: conformément à l'article 53 (3) b) de la L.C.D.P., le Tribunal conclut que la plaignante à (sic) droit à une indemnité de $5,000.00 pour le préjudice moral qu'elle a subi en raison de la pratique discriminatoire.                 
         2.      Perte de salaire et d'avantages: conformément à l'article 53 (2) c) le Tribunal ordonne à l'intimé de rembourser à la plaignante le salaire et les avantages qu'elle a perdus pour la période du 7 décembre 1989 au 6 juin 1996.                 
         3.      Frais supplémentaires: conformément à l'article 53 (2) d) de C.C.D.P., l'intimé doit payer un montant de $3,000.00 couvrant les dépenses liées au dépôt de la plainte et qui ont été effectuées par la plaignante en raison de la pratique discriminatoire, celle-ci s'étant représentée elle-même.                 
         4.      Intérêts: la plaignante a droit à des intérêts simples sur les sommes accordées conformément aux paragraphes 2 et 3 précédants (sic), aux (sic) taux préférentiel de la Banque du Canada applicable au moment du dépôt de la plainte, depuis ce dépôt jusqu'à la date de la présente décision.                 
             S'il y a un problème pour effectuer les calculs et que les parties ne peuvent s'entendre au sujet des modalités pour déterminer les montants, le Tribunal pourra se réunir à la demande de l'une ou l'autre des parties pour entendre la preuve à cet effet et résoudre le différent (sic).                 

[5]      Les dispositions pertinentes de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H-6, (la Loi) sont les suivantes:

7. It is a discriminatory practice, directly or indirectly,

(a) to refuse to employ or continue to employ any individual, or

(b) in the course of employment, to differentiate adversely in relation to an employee,

on a prohibited ground of discrimination.

9. (1) It is a discriminatory practice for an employee organization on a prohibited ground of discrimination

(a) to exclude an individual from full membership in the organization;

(b) to expel or suspend a member of the organization; or

(c) to limit, segregate, classify or otherwise act in relation to an individual in a way that would deprive the individual of employment opportunities, or limit employment opportunities or otherwise adversely affect the status of the individual, where the individual is a member of the organization or where any of the obligations of the organization pursuant to a collective agreement relate to the individual.

(2) Notwithstanding subsection (1), it is not a discriminatory practice for an employee organization to exclude, expel or suspend an individual from membership in the organization because that individual has reached the normal age of retirement for individuals working in positions similar to the position of that individual.

(3) For the purposes of this section and sections 10 and 60, "employee organization" includes a trade union or other organization of employees or local thereof, the purposes of which include the negotiation, on behalf of employees, of the terms and conditions of employment with employers.

10. It is a discriminatory practice for an employer, employee organization or organization of employers

(a) to establish or pursue a policy or practice, or

(b) to enter into an agreement affecting recruitment, referral, hiring, promotion, training, apprenticeship, transfer or any other matter relating to employment or prospective employment,

that deprives or tends to deprive an individual or class of individuals of any employment opportunities on a prohibited ground of discrimination.

53. (2) If, at the conclusion of its inquiry, a Tribunal finds that the complaint to which the inquiry relates is substantiated, it may, subject to subsection (4) and section 54, make an order against the person found to be engaging or to have engaged in the discriminatory practice and include in that order any of the following terms that it considers appropriate:

(a) that the person cease the discriminatory practice and, in order to prevent the same or a similar practice from occurring in the future, take measures, including

     (i) adoption of a special program, plan or arrangement referred to in subsection 16(1), or
     (ii) the making of an application for approval and the implementing of a plan pursuant to section 17,

in consultation with the Commission on the general purposes of those measures;

(b) that the person make available to the victim of the discriminatory practice, on the first reasonable occasion, such rights, opportunities or privileges as, in the opinion of the Tribunal, are being or were denied the victim as a result of the practice;

(c) that the person compensate the victim, as the Tribunal may consider proper, for any or all of the wages that the victim was deprived of and for any expenses incurred by the victim as a result of the discriminatory practice; and

(d) that the person compensate the victim, as the Tribunal may consider proper, for any or all additional cost of obtaining alternative goods, services, facilities or accommodation and for any expenses incurred by the victim as a result of the discriminatory practice.

7. Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects :

a) de refuser d'employer ou de continuer d'employer un individu;

b) de le défavoriser en cours d'emploi.

9. (1) Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, pour une organisation syndicale :

a) d'empêcher l'adhésion plein et entière d'un individu;

b) d'expulser ou de suspendre un adhérent;

c) d'établir, à l'endroit d'un adhérent ou d'un individu à l'égard de qui elle a des obligations aux termes d'une convention collective, que celui-ci fasse ou non partie de l'organisation, des restrictions, des différences ou des catégories ou de prendre toutes autres mesures susceptibles soit de le priver de ses chances d'emploi ou d'avancement, soit de limiter ses chances d'emploi ou d'avancement, ou, d'une façon générale, de nuire à sa situation.

(2) Ne constitue pas un acte discriminatoire au sens du paragraphe (1) le fait pour une organisation syndicale d'empêcher une adhésion ou d'expulser ou de suspendre un adhérent en appliquant la règle de l'âge normal de la retraite en vigueur pour le genre de poste occupé par l'individu concerné.

(3) Pour l'application du présent article et des articles 10 et 60, "organisation syndicale" s'entend des syndicats ou autres groupements d'employés, y compris leurs sections locales, chargés notamment de négocier avec l'employeur les conditions de travail de leurs adhérents.

10. Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite et s'il est susceptible d'annihiler les chances d'emploi ou d'avancement d'un individu ou d'une catégorie d'individus, le fait, pour l'employeur, l'association patronale ou l'organisation syndicale :

a) de fixer ou d'appliquer des lignes de conduite;

b) de conclure des ententes touchant le recrutement, les mises en rapport, l'engagement, les promotions, la formation, l'apprentissage, les mutations ou tout autre aspect d'un emploi présent ou éventuel.

53. (2) À l'issue de l'instruction, le tribunal qui juge la plainte fondée peut, sous réserve du paragraphe (4) et de l'article 54, ordonner, selon les circonstances, à la personne trouvée coupable d'un acte discriminatoire :

a) de mettre fin à l'acte et de prendre, en consultation avec la Commission relativement à leurs objectifs généraux, des mesures de redressement ou des mesures destinées à prévenir des actes semblables, notamment :

     (i) d'adopter un programme, plan ou arrangement visé au paragraphe 16(1),
     (ii) de présenter une demande d'approbation et de mettre en oeuvre un programme prévus à l'article 17;

b) d'accorder à la victime, dès que les circonstances le permettent, les droits, chances ou avantages dont l'acte l'a privée;

c) d'indemniser la victime de la totalité, ou de la fraction qu'il juge indiquée, des pertes de salaire et des dépenses entraînées par l'acte;

d) d'indemniser la victime de la totalité, ou de la fraction qu'il juge indiquée, des frais supplémentaires occasionnés par le recours à d'autres biens, services, installations ou moyens d'hébergement, et des dépenses entraînées par l'acte;


[6]      Dans la mesure où l'appréciation des faits faite par le tribunal est concernée, je suis d'avis qu'elle ne comporte pas d'erreur significative justifiant l'intervention de cette Cour. On sait qu'en matière d'appréciation des faits, il n'appartient pas à cette Cour de se substituer à semblable tribunal lorsque, comme ici, le syndicat requérant fait défaut de prouver que ce tribunal a rendu une décision fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose (article 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale). Dans le présent cas, à mon avis, en plus des témoignages des intimées (Lise Goyette et Nicole Tourville) et de ceux de deux représentants du syndicat requérant, il y avait des éléments de preuve importants qui justifiaient le tribunal de conclure comme il l'a fait, notamment les conventions collectives signées en 1980 et 1989, la pièce I-2, soit la liste d'ancienneté générale au 28 mars 1991, la pièce I-3, soit la liste des vendeurs de billets au 28 mars 1991, ainsi que les pièces P-9 et P-16, comportant la liste des vendeurs de billets en 1993.

[7]      Quant au droit, l'argument du requérant, voulant qu'un syndicat ne puisse être tenu responsable, à l'exclusion de l'employeur, de discrimination systémique à l'égard d'un groupe d'employés, et qu'il ne puisse être tenu seul de l'obligation d'accommodement, m'apparaît sans fondement. Je ne vois rien, dans l'arrêt de la Cour suprême du Canada Central Okanagan School District No. 23 c. Renaud, [1992] 2 R.C.S. 970, auquel réfère le requérant, qui soutienne cette position. Au contraire, l'extrait suivant de cette dernière décision, à la page 989, semble indiquer qu'il est possible qu'un syndicat qui soit à l'origine de l'effet discriminatoire puisse encourir seul une responsabilité:

         . . . De plus, quiconque fait preuve de discrimination s'expose aux peines que la Loi prévoit. Par définition, le syndicat est une personne (art. 1) [de la Human Rights Act de la Colombie-Britannique, S.B.C. 1984, ch. 22]. En conséquence, le syndicat qui est à l'origine de l'effet discriminatoire ou qui y contribue encourt une responsabilité. Pour éviter une responsabilité absolue, le syndicat doit posséder le même droit qu'un employeur de justifier la discrimination. Pour ce faire, il doit s'acquitter de son obligation d'accommodement.                 

[8]      Par ailleurs, le requérant a été incapable de citer quelque autre jurisprudence ou doctrine à l'appui de sa proposition.

[9]      Ainsi, la Loi elle-même ne comportant aucune disposition empêchant la responsabilité exclusive d'un syndicat en semblable matière, je suis d'avis que des circonstances particulières telles celles que l'on retrouve dans le présent cas peuvent permettre qu'un syndicat soit seul tenu responsable de discrimination systémique.

[10]      Quant au redressement accordé par le tribunal, le requérant lui nie le droit de le condamner au remboursement à l'intimée Lise Goyette du salaire et des avantages qu'elle a perdus, redressement qui, selon lui, ne peut être exigé que d'un employeur. Encore là, cette proposition n'est ni supportée par la Loi, la jurisprudence ou la doctrine. Qu'il suffise, à cet égard, de référer au texte même du paragraphe 53(2) de la Loi qui, en des termes clairs, impose expressément "à la personne trouvée coupable d'un acte discriminatoire" l'obligation "d'indemniser la victime de la totalité, ou de la fraction des pertes de salaire et des dépenses entraînées par l'acte". Le syndicat requérant, dans le présent cas, ayant été trouvé coupable d'un acte discriminatoire, pouvait donc être tenu de rembourser à l'intimée Lise Goyette le salaire et les avantages perdus pour la période du 7 décembre 1989 au 6 juin 1996.

[11]      Enfin, les opinions exprimées au cours de l'audition devant le tribunal sur le droit et sur la responsabilité, relativement au redressement, n'ont pas pour effet d'empêcher l'application correcte de la Loi, notamment du paragraphe 53(2) de celle-ci, dans la décision finale du tribunal. À cet égard, le commentaire de l'intimée Lise Goyette, sur la responsabilité normalement imposée à l'employeur de rembourser du salaire, de même que celui du membre du tribunal Marie-Claude Landry, sur l'absence de compétence du tribunal pour ordonner le remboursement à l'intimée Lise Goyette des frais et honoraires reliés à la poursuite de sa plainte, ne portent pas davantage atteinte à l'équité procédurale, le requérant n'ayant pas réussi à prouver un préjudice réel lui ayant résulté de l'expression de ces opinions.

[12]      Pour toutes ces raisons, le requérant ayant fait défaut d'établir que le tribunal a commis une erreur sujette au contrôle judiciaire de cette Cour, la demande est rejetée avec dépens.

                            

                                     JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

Le 5 novembre 1999


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