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Date : 19990311


Dossier : IMM-4050-98

ENTRE :


MICHAEL LAWRENCE DRAKE,

demandeur,


et


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L"IMMIGRATION,


défendeur.


MOTIFS D"ORDONNANCE

LE JUGE TREMBLAY-LAMER

[1]      Il s"agit d"une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section d"appel de l"immigration a annulé la mesure de renvoi prise contre le demandeur le 16 février 1994 et ordonné que le demandeur soit expulsé du Canada conformément à l"alinéa 74(1)a ) de la Loi sur l"immigration (la Loi), au motif qu"il est une personne visée par le sous-alinéa 27(1)a. 1)(ii) de la Loi1.

[2]      Les parties conviennent des faits.

[3]      Le demandeur est né aux États-Unis le 2 juin 1969. Il est devenu un résident permanent du Canada le 6 octobre de la même année. En 1990, il est déménagé à Bellingham, aux États-Unis. Le 6 mars 1992, il a été arrêté à Bellingham pour avoir agressé un enfant au premier degré. Il a plaidé non coupable le 13 mars 1992. Le procès devait débuté le 1er juin 1992.

[4]      Le 17 avril 1992, le demandeur est revenu au Canada. Il a été admis au pays en tant que résident de retour. En septembre 1992, il a subi son procès et a été reconnu coupable, in absentia, par un jury, d"avoir agressé un enfant au premier degré.

[5]      Le 18 novembre 1993, une directive prévoyant la tenue d"une enquête a été rendue en vertu de l"article 27 de la Loi . L"enquête a été ouverte le 22 novembre 1993 et elle s"est terminée le 16 février 1994. Le défendeur a d"abord soutenu que M. Drake était une personne visée par le sous-alinéa 27(1)a .1)(i), c"est-à-dire un résident permanent qui, selon la prépondérance des probabilités, a commis un acte qui constituait une infraction en vertu des lois du lieu où il a été commis et qui, s"il avait été commis au Canada, aurait constitué une infraction punissable d"un emprisonnement maximal de dix ans. De façon subsidiaire, le défendeur soutient que M. Drake était une personne visée par le sous-alinéa 27(1)a .1)(ii), c"est-à-dire un résident permanent qui, selon la prépondérance des probabilités, a commis un acte qui constituait une infraction en vertu des lois du lieu où il a été commis et qui, s"il avait été commis au Canada, aurait constitué une infraction punissable d"un emprisonnement maximal de dix ans.

[6]      L"arbitre a conclu que le demandeur était visé par le sous-alinéa 27(1)a .1)(i) et elle a pris une mesure de renvoi. Elle n"a pas tiré de conclusion concernant l"allégation fondée sur le sous-alinéa 27(1)a .1)(ii). Le demandeur a interjeté appel de la mesure de renvoi la journée même où elle a été prise. L"appel devait être entendu le 5 décembre 1994.

[7]      Les autorités américaines ont entamé des procédures d"extradition contre le demandeur à la fin de 1994. Le 1er décembre 1994, le demandeur a signé une lettre d"intention et conclu une entente d"extradition et transaction pénale avec les autorités américaines en vertu de laquelle il devait se rendre à des agents américains et demander l"annulation du verdict du jury en inscrivant un plaidoyer " Alford " relativement au crime d"agression d"un enfant au premier degré. Il devait également plaider coupable relativement à l"accusation de violation des conditions de sa libération sous cautionnement.

[8]      Le 8 décembre 1994, un juge de la Whatcom County Superior Court a ordonné que le verdict du jury soit considéré comme nul ab initio et comme sans effet parce qu"il avait été rendu in absentia . Le même jour, le demandeur a plaidé coupable dans l"État de Washington relativement à des accusations sur lesquelles la condamnation antérieure était fondée, et il a été condamné à une peine d"emprisonnement de 68 mois. Il sera libéré en décembre 2001.

[9]      L"audition de l"appel du demandeur fondé sur l"article 70, qui devait avoir lieu le 5 décembre 1994, a été reportée. Elle a finalement eu lieu en 1998. Des observations écrites relatives à l"appel ont été déposées devant la Section d"appel en mai 1998. Le demandeur a soutenu que la mesure de renvoi devait être annulée vu que la condamnation sur laquelle elle était fondée avait été déclarée nulle ab initio . Le défendeur a répondu que la Section d"appel pouvait prendre une nouvelle mesure de renvoi vu le plaidoyer de culpabilité du 8 décembre 1994. Il a également fait remarquer que la Section d"appel pouvait ordonner l"expulsion du M. Drake en se fondant sur la deuxième allégation faite à l"enquête, allégation dont on n"avait pas encore traité.

[10]      Le membre de la Section d"appel, Mme Clark, a annulé la première mesure de renvoi vu l"annulation de la condamnation en vertu de laquelle elle avait été prise. Elle a cependant conclu que le 8 décembre 1994, le demandeur avait avoué, en concluant la transaction pénale et signant la déclaration du défendeur relative au plaidoyer de culpabilité, qu"il avait commis l"infraction. Cet aveu confirmait la preuve dont l"arbitre disposait à l"enquête et elle confirmait que les actes du demandeur constituaient une infraction au lieu où ils avaient été commis.

[11]      En conséquence, des éléments de preuve à l"enquête établissaient que le demandeur était une personne visée par le sous-alinéa 27(1)a .1)(ii) de la Loi. Il était un résident permanent. Il avait commis un acte dans l"État de Washington qui constituait une infraction en vertu des lois de cet État et qui, s"il avait été commis au Canada, aurait constitué l"infraction, punissable, de contacts sexuels avec un enfant de moins de 14 ans. Cette infraction, définie à l"article 151 du Code criminel2, est punissable d"une peine d"emprisonnement maximale de 10 ans. Aucune preuve n"établissait qu"il était réadapté ni qu"une période de cinq ans s"était écoulée depuis la fin de toute peine d"emprisonnement imposée relativement à l"infraction. En conséquence, exerçant le pouvoir que lui conférait l"alinéa 74(1)a ) de la Loi, qui lui permettait de prendre toute autre mesure de renvoi qui aurait dû être prise, elle a pris une mesure d"expulsion contre le demandeur relativement à sa condamnation du 8 décembre 1994.

[12]      L"argument principal du demandeur est qu"il n"a pas été convenablement informé de la nature de l"instance devant la Section d"appel et qu"il n"a pas eu pleinement l"occasion d"exprimer son point de vue. Il croyait que l"appel visait à déterminer si la Section d"appel avait la compétence pour prendre une mesure de renvoi en vertu du sous-alinéa 27(1)a. 1)(ii) de la Loi. Il n"a pas été informé que la Section tirerait une conclusion sur la question de savoir s"il était visé par le sous-alinéa. Je ne suis pas d"accord. À mon avis, il n"a pas été porté atteinte à la justice naturelle en l"espèce. Le demandeur a été dûment avisé et il a eu l"occasion d"exprimer son point de vue.

[13]      Les allégations fondées sur le sous-alinéa 27(1)a.1)(ii) ont été faites avant l"enquête de l"arbitre. Des éléments de preuve concernant l"allégation fondée sur le sous-alinéa 27(1)a .1)(ii), tels des déclarations de témoins et le rapport d"un médecin, ont été présentés à l"arbitre. Ces allégations n"ont jamais été retirées.

[14]      Après que le demandeur a déposé une requête visant à obtenir l"annulation de la première mesure de renvoi en 1995, le défendeur a informé ce dernier que la deuxième allégation soulevée à l"enquête n"avait pas encore été traitée et qu"elle serait en cause dans le cadre de l"appel. Le 6 février 1998, le défendeur a déposé un résumé des arguments qu"il entendait présenter devant la Section d"appel. Dans son résumé, le défendeur confirmait qu"il voulait discuter de la condamnation du 8 décembre 1994. En outre, dans les observations, datées du 6 mai 1998, qu"il a déposées devant la Section d"appel, le défendeur dit :

                 [TRADUCTION] Monsieur Drake a été mis au courant des allégations dont il fait l"objet et il a eu pleinement l"occasion de répondre à tout élément de preuve présenté contre lui2.                 

[15]      En conséquence, rien n"empêchait le demandeur de présenter des éléments de preuve et de faire des observations. Il a choisi de ne rien faire.

[16]      Deuxièmement, le demandeur fait valoir que la Section d"appel a pris une décision en se fondant sur une conclusion de fait erronée lorsqu"elle a conclu qu"il avait avoué avoir commis le crime en question. Or, le demandeur a plutôt inscrit un plaidoyer " Alford ", qui n"est pas un aveu.

[17]      Le demandeur a écrit à la main sa déclaration du défendeur relative au plaidoyer de culpabilité, à la page 6 :

                 [TRADUCTION] Je dois maintenir mon innocence, mais après m"être entretenu avec mon avocat, je reconnais qu"il est très probable que je sois condamné vu la nature de la poursuite et de la preuve du ministère public; en conséquence, j"estime qu"il est dans mon meilleur intérêt de profiter de l"offre de transaction pénale en inscrivant ce type de plaidoyer de culpabilité, malgré mon affirmation véridique selon laquelle je suis innocent, conformément à North Carolina v. Alford, 400 US 25, 91 S.Ct 160, 27 L.Ed. 2d 162 (1970). La cour peut examiner le Certificat de détermination de la cause probable pour décider s"il existe un fondement factuel sur lequel cette transaction peut être acceptée2.                 

[18]      Le sous-alinéa 27(1)a.1)(ii) exige simplement qu"il soit établi, selon la prépondérance des probabilités, que la personne visée a commis une infraction à l"étranger. Or, M. Drake a inscrit un plaidoyer " Alford " parce que le risque qu"il soit condamné était très élevé, compte tenu de la preuve obtenue par la poursuite. À mon avis, le fait de se fonder sur l"existence d"un plaidoyer " Alford " pour conclure, selon la prépondérance des probabilités, que M. Drake avait commis l"infraction, ne constituait pas une erreur.

[19]      Par ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.


(Signé) Danièle Tremblay-Lamer

                                         JUGE

VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

Le 11 mars 1999.

Traduction certifiée conforme

Bernard Olivier, B.A., LL.B.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE :              IMM-4050-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :      MICHAEL LAWRENCE DRAKE

                     - c. -

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE                          L"IMMIGRATION

LIEU DE L"AUDIENCE :          Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L"AUDIENCE :          le 10 mars 1999

MOTIFS D"ORDONNANCE EXPOSÉS PAR MADAME LE JUGE TREMBLAY-LAMER

EN DATE DU :              11 mars 1999

ONT COMPARU :

M. Rod Holloway              pour le demandeur

Mme Sandra Weafer              pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Legal Services Society          pour le demandeur

Vancouver (C.-B.)

Morris Rosenberg              pour le défendeur

Sous-procureur général

du Canada

__________________

1      L.R.C. (1985), ch. I-2.

     L.R.C. (1985), ch. C-46.

     Affidavit de Lisa Marie Sturgess (signé le 9 septembre 1998), pièce " G ", au par. 6.

     Dossier du demandeur, à la p. 36 (onglet 4C).

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