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                                                                                                                                 Date : 20040413

                                                                                                                              Dossier : T-583-01

                                                                                                                   Référence : 2004 CF 554

Ottawa (Ontario), le 13 avril 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SIMON NOËL

ENTRE :

                                           THE HOUSE OF KWONG SANG HONG

                                                     INTERNATIONAL LIMITED

                                                                                                                                     demanderesse

                                                                             et

                                                  BORDEN LADNER GERVAIS et

                               LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE

                                                                                                                                          défendeurs

                                 MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                La demanderesse interjette appel, en vertu de l'article 56 de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T-13 (la Loi) d'une décision en date du 28 février 2001 par laquelle l'agent principal des audiences (le registraire) a radié, en vertu de l'article 45 de la Loi, la marque de commerce de la demanderesse « Two Girls & Design » enregistrée sous le numéro LMC 414825.


LES FAITS

[2]                La demanderesse, The House of Kwong Sang Hong International Limited, est propriétaire de la marque de commerce TWO GIRLS AND DESIGN enregistrée au Canada sous le numéro LMC 414825. La marque de commerce visée par l'enregistrement est constituée des mots TWO GIRLS (écrits d'une certaine manière) combinés à une série de caractères chinois. La marque de commerce en litige a été enregistrée à l'égard des marchandises suivantes :

[TRADUCTION] Parfums et produits de beauté, à savoir : rouges à lèvres, vernis à ongles, fard à paupières, poudres compactes pour le visage et le corps, poudres libres pour le visage et le corps et fard à joues; parfums, à savoir, eaux de Cologne et eaux de toilette; la lotion et la crème pour les cheveux, huiles essentielles, produits de toilette pour la peau, à savoir nettoyants pour la peau, toniques pour la peau, hydratants pour la peau, blaireaux pour le visage, mousses pour le visage, lotions à main, lotions pour le corps, crèmes pour les mains, gels pour le bain, mousse pour le bain, gels pour la douche, mousse pour la douche et talc, shampoings et savons.

[3]               Le 31 août 1999, à la demande du défendeur, le registraire a donné à la demanderesse, en vertu de l'article 45 de la Loi, un avis lui enjoignant de fournir un affidavit ou une déclaration solennelle indiquant notamment si la marque de commerce enregistrée sous le numéro LMC 414825 avait été employée au Canada au cours des trois ans précédant la date de l'avis relativement à chacune des marchandises visées par l'enregistrement. En réponse à l'avis donné en vertu de l'article 45, la demanderesse a déposé l'affidavit souscrit le 2 mars 2000 par M. Kong Chi Ming.

[4]               Seul le défendeur a produit des observations écrites. Aucune audience n'a été tenue. Le 28 février 2001, le registraire a conclu que la marque de commerce en question devait être radiée au motif que la preuve soumise ne démontrait pas qu'elle avait été employée par la demanderesse (The House of Kwong Sang International Ltd.), mais plutôt qu'elle avait été employée par une autre entité, en l'occurrence The House of Kwong Sang Ltd. Le registraire a également conclu que la preuve ne démontrait pas que la marque de commerce avait été employée telle qu'elle avait été enregistrée.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

[5]               La demanderesse affirme que le registraire a commis des erreurs de fait et de droit en concluant que la preuve et les spécimens fournis ne démontraient pas que la marque de commerce « Two Girls & Design » portant le numéro LMC 414825 avait été employée. Au soutien de cet argument, elle rappelle notamment que, lorsqu'ils ont été produits en réponse à la demande formulée par le registraire dans son avis, les mêmes spécimens ont été jugés suffisants pour démontrer que la marque avait été employée au sens de l'article 33 du Règlement sur les marques de commerce, C.R.C. 1978, ch. 1559. La demanderesse affirme donc que la première conclusion suivant laquelle les spécimens démontraient que la marque avait été employée au sens de l'article 33 du Règlement lie le registraire lorsqu'il rend une décision en vertu de l'article 45 de la Loi.

[6]               La demanderesse soutient en outre qu'en raison du principe de l'autorité de la chose jugée et de celui de l'irrecevabilité résultant de l'identité des questions en litige, le registraire est, au risque de manque à l'équité procédurale, irrecevable à infirmer la conclusion antérieure selon laquelle les spécimens fournis démontrent que la marque a été employée. Toutefois, au procès, l'avocate de la demanderesse a laissé tomber cette prétention et a renoncé à invoquer le moyen tiré de l'irrecevabilité.

[7]               La demanderesse affirme également que le registraire a commis une erreur d'écriture en ordonnant la radiation de l'enregistrement no LMC 484825 au lieu de l'enregistrement no LMC 414825. Elle ajoute que la décision du registraire devrait être annulée et que l'on devrait permettre à l'enregistrement no LMC 414825 de demeurer inscrit au registre.

[8]               Le défendeur affirme que la demanderesse ne s'est pas déchargée du fardeau qui lui incombait de démontrer que la marque de commerce visée par l'enregistrement no LMC 414825 a, à l'époque en cause, été employée telle qu'enregistrée dans la pratique normale du commerce à l'égard des marchandises visées par l'enregistrement, par la demanderesse ou par un licencié dûment autorisé. Le défendeur soutient par ailleurs qu'indépendamment de la norme de contrôle applicable, la décision du registraire de radier l'enregistrement no LMC 414825 était bien fondée et raisonnable.


QUESTIONS EN LITIGE

[9]                Conformément à l'article 45 de la Loi, il y a trois questions litigieuses à trancher en l'espèce :

1.          La marque de commerce « TWO GIRLS & DESIGN » no LMC 414825 de la demanderesse a-t-elle, au cours de la période comprise entre août 1996 et août 1999, été employée à l'égard de l'une ou l'autre des marchandises enregistrées, dans la pratique normale du commerce avec les consommateurs?

2.          Si la marque de commerce a été ainsi employée, a-t-elle été employée par la demanderesse ou par une autre entité?

3.          Si la marque de commerce a été ainsi employée, a-t-elle été employée à l'égard de chacune des marchandises ou des services spécifiés dans l'enregistrement?

NORME DE CONTRÔLE

[10]            La Cour d'appel fédérale a jugé, dans l'arrêt Brasseries Molson c. John Labatt Ltée, [2000] 3 C.F. 145, que la norme de contrôle qui s'applique dans le cas d'un appel comme celui-ci est celle qu'a précisée le juge Rothstein dans l'extrait suivant :


Je pense que l'approche suivie dans les affaires Benson & Hedges et McDonald's Corp. est conforme à la conception moderne de la norme de contrôle. Même s'il y a, dans la Loi sur les marques de commerce, une disposition portant spécifiquement sur la possibilité d'un appel à la Cour fédérale, les connaissances spécialisées du registraire sont reconnues comme devant faire l'objet d'une certaine déférence. Compte tenu de l'expertise du registraire, et en l'absence de preuve supplémentaire devant la Section de première instance, je considère que les décisions du registraire qui relèvent de son champ d'expertise, qu'elles soient fondées sur les faits, sur le droit ou qu'elles résultent de l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, devraient être révisées suivant la norme de la décision raisonnable simpliciter. Toutefois, lorsqu'une preuve additionnelle est déposée devant la Section de première instance et que cette preuve aurait pu avoir un effet sur les conclusions du registraire ou sur l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, le juge doit en venir à ses propres conclusions en ce qui concerne l'exactitude de la décision du registraire.

[11]            En l'espèce, des éléments de preuve complémentaires qui auraient pu avoir un effet sur les conclusions de fait du registraire ont été soumis à la Cour conformément au paragraphe 56(5) de la Loi. Je vais en conséquence tirer mes propres conclusions en ce qui concerne le bien-fondé de la décision du registraire.

ANALYSE

[12]            La première question à résoudre est celle de savoir si la Cour peut conclure, conformément à l'article 45 de la Loi, si la marque de commerce a, au cours de la période comprise entre août 1996 et août 1999, été employée telle qu'enregistrée à l'égard de l'une ou l'autre des marchandises visées par l'enregistrement, dans la pratique normale du commerce avec les consommateurs.

Article 45 de la Loi

[13]            L'article 45 de la Loi est ainsi libellé :


(1) Le registraire peut, et doit sur demande écrite présentée après trois années à compter de la date de l'enregistrement d'une marque de commerce, par une personne qui verse les droits prescrits, à moins qu'il ne voie une raison valable à l'effet contraire, donner au propriétaire inscrit un avis lui enjoignant de fournir, dans les trois mois, un affidavit ou une déclaration solennelle indiquant, à l'égard de chacune des marchandises ou de chacun des services que spécifie l'enregistrement, si la marque de commerce a été employée au Canada à un moment quelconque au cours des trois ans précédant la date de l'avis et, dans la négative, la date où elle a été ainsi employée en dernier lieu et la raison de son défaut d'emploi depuis cette date.

(2) Forme de la preuve. - Le registraire ne peut recevoir aucune preuve autre que cet affidavit ou cette déclaration solennelle, mais il peut entendre des représentations faites par le propriétaire inscrit de la marque de commerce ou pour celui-ci ou par la personne à la demande de qui l'avis a été donné ou pour celle-ci.

(3) Effet du non-usage. - Lorsqu'il apparaît au registraire, en raison de la preuve qui lui est fournie ou du défaut de fournir une telle preuve, que la marque de commerce, soit à l'égard de la totalité des marchandises ou services spécifiés dans l'enregistrement, soit à l'égard de l'une de ces marchandises ou de l'un de ces services, n'a été employée au Canada à aucun moment au cours des trois ans précédant la date de l'avis et que le défaut d'emploi n'a pas été attribuable à des circonstances spéciales qui le justifient, l'enregistrement de cette marque de commerce est susceptible de radiation ou de modification en conséquence.

(4) Avis au propriétaire. - Lorsque le registraire décide ou non de radier ou de modifier l'enregistrement de la marque de commerce, il notifie sa décision, avec les motifs pertinents, au propriétaire inscrit de la marque de commerce et à la personne à la demande de qui l'avis visé au paragraphe (1) a été donné.

(5) Mesures à prendre par le registraire. - Le registraire agit en conformité avec sa décision si aucun appel n'en est interjeté dans le délai prévu par la présente loi ou, si un appel est interjeté, il agit en conformité avec le jugement définitif rendu dans cet appel.

APPLICATION DE LA LOI AUX FAITS


[14]            Ainsi qu'il a été précisé dans l'exposé des faits, la demanderesse a produit l'affidavit souscrit le 2 mars 2000 par Kong Chi Ming (M. Kong) en réponse à l'avis donné en vertu de l'article 45. Seul le requérant a présenté des observations écrites. Dans son affidavit, M. Kong précise que l'emploi de la marque de commerce en liaison avec la totalité des marchandises visées par l'enregistrement a été effectué au Canada par l'entremise de deux distributeurs canadiens et que cet emploi est continu depuis la date de l'enregistrement en 1993.

[15]            M. Kong a joint à son affidavit deux annexes tendant à démontrer l'emploi de la marque de commerce au Canada. L'annexe A comprend un relevé des ventes réalisées au Canada entre janvier 1994 et décembre 1998, de même qu'une série de factures faisant état de ventes au Canada de crèmes de beauté, de produits de soins capillaires, de savons, de produits pour le bain, de poudres et d' « eau de Floride » . Le nom du vendeur de ces produits qui figure sur ces factures est « The House of Kwong Sang Ho » . L'annexe B de l'affidavit est une enveloppe contenant un emballage (une petite boîte en carton) et un pot de crème de beauté arborant une étiquette sur laquelle figure la marque déposée ainsi que « d'autres éléments » dont des inscriptions en caractères chinois.

La décision du registraire

[16]            Le 28 février 2001, le registraire a déclaré ce qui suit dans la décision par laquelle il a radié la marque de commerce « Two Girls & Design » (LMC 414825) de la demanderesse en vertu de l'article 45 de la Loi :


[TRADUCTION] Le requérant a fait valoir plusieurs arguments au sujet de la preuve produite. Un de ses principaux arguments était que la preuve ne démontrait pas un emploi de la part du propriétaire inscrit ou un emploi qui pourrait être imputé au propriétaire inscrit. Le requérant soutenait par ailleurs que tout emploi démontré ne se rattachait pas à la marque de commerce déposée.

Sur le premier moyen, je suis d'accord avec le requérant pour dire que, suivant la preuve, c'est The House of Kwong Sang Hong Ltd., et non the House of Kwong Sang Hong International Limited (le propriétaire inscrit) qui a employé la marque de commerce.

[...] À mon avis, la présente espèce est analogue à l'affaireMayborn Products Ltd. c. Registraire des marques de commerce, 70 C.P.R. (2d) 1, et, compte tenu des inscriptions figurant sur l'emballage et le pot, je conclus que l'emploi qui a été établi n'est pas un emploi par le propriétaire inscrit.

Sur le second moyen invoqué par le requérant, je conviens que l'emballage produit à titre d'échantillon n'arbore par la marque déposée. Les mots « TWO GIRLS » y sont inscrits sans les caractères chinois, ce qui constitue à mon sens une variante importante qui est inacceptable. En ce qui concerne le « pot » , la marque de commerce déposée y figure, mais on y trouve aussi des éléments supplémentaires, de sorte qu'il m'est impossible de conclure que l'emploi de la marque serait perçu comme un emploi « en soi » de la marque de commerce (Nightingale Interloc Ltd. c. Prodesign Ltd., 2 C.P.R. (3d) 535) (Non souligné dans l'original).

Comme j'ai conclu que la marque n'est pas employée par son propriétaire inscrit et qu'il m'est par ailleurs impossible de conclure que l'emploi de la marque constitue un emploi « en soi » de la marque déposée, il s'ensuit que la preuve soumise n'est pas suffisante pour satisfaire aux exigences de la Loi sur les marques de commerce. J'estime donc que l'enregistrement de la marque de commerce doit être radié [...]


[17]            Dans sa décision, le registraire a conclu que la preuve soumise n'établissait pas que la marque a été employée par la demanderesse The House of Kwong Sang International Ltd., mais bien qu'elle avait été employée par une autre entité, en l'occurrence, The House of Kwong Sang Ltd. Le registraire a également conclu que la preuve ne démontrait pas que la marque de commerce employée était celle qui avait été déposée. Il y a lieu de remarquer que, pour en arriver à ces conclusions, le registraire s'est fondé sur une preuve limitée et que, comme il est dit dans le jugement Lindy c. Registraire des marques de commerce, [1982] 1 C.F. 241, aux pages 245 à 247 (C.F. 1re inst.), s'agissant de la réponse à un avis donné en vertu de l'article 45, c'est au propriétaire de la marque de commerce (la demanderesse, dans le cas qui nous occupe), qu'il incombe d'établir que la marque de commerce a été employée sans différences marquées par le propriétaire inscrit ou par un licencié et que la marque employée est bien celle qui a été déposée.

Nature de la procédure prévue aux articles 45 et 56

[18]            On trouve un résumé utile de la nature de la procédure prévue aux articles 45 et 56 de la Loi aux paragraphes 16 et suivants du jugement Osler, Hoskin & Harcourt c. United States Tobacco Co. et al., 77 C.P.R. (3d) 475, dans lequel le juge Richard explique ce qui suit :

L'article 45 prévoit une procédure simple, sommaire et expéditive pour éliminer du registre des marques de commerce les marques qui ne sont plus employées. Il vise à débarrasser le registre du bois mort et non à résoudre des questions litigieuses concernant des intérêts commerciaux concurrents qui devraient être réglées dans le cadre d'une instance en radiation en vertu de l'article 57 [...]

L'article 45 ne prévoit pas de décision sur la question de l'abandon; il s'agit simplement d'une procédure sommaire par laquelle le propriétaire inscrit d'une marque est tenue de fournir une certaine preuve de l'emploi au Canada ou une preuve de circonstances particulières justifiant le non-emploi [...]

Le paragraphe 45(1) de la Loi exige qu'il soit procédé à un examen pour savoir si la marque de commerce a été employée au Canada à un moment quelconque au cours de la période en cause.

Toutefois, une simple affirmation d'emploi sera insuffisante. Il suffit que les affidavits déposés en réponse à un avis donné par le registraire en vertu de l'article 45 établissent des faits à partir desquels, tout compte fait, une conclusion d'emploi peut logiquement être inférée.


La nature de l'instance engagée devant la présente Cour en vertu de l'article 56 de la Loi est semblable à un procès de novo en ce que l'appelant a le droit de produire des éléments de preuve qui n'ont pas été présentés au registraire. Le rôle de la Cour ne se limite pas à décider si le registraire avait tort ou raison. Toutefois, il lui faut faire montre de circonspection avant de modifier une décision du registraire [...]

Éléments de preuve complémentaires


[19]            Parmi les nouveaux éléments de preuve qui n'avaient pas été soumis au registraire mais qui ont été portés à la connaissance de la Cour conformément au paragraphe 56(5) de la Loi, il y a lieu de mentionner l'affidavit supplémentaire souscrit par Kong Chi Ming le 11 juin 2001 (le second affidavit de M. Kong), ainsi que l'affidavit souscrit par Mung Ping Po le 11 juin 2001. Dans son second affidavit, M. Kong atteste l'existence [TRADUCTION] « de liens d'entreprise étroits entre, d'une part, HOUSE CO. (The House of Kong Sang Hong International Limited - le propriétaire de la marque de commerce) et, d'autre part, la demanderesse » et il affirme que [TRADUCTION] « HOUSE CO. est une filiale à cent pour cent de la demanderesse, qui lui a accordé une licence lui permettant d'employer ses marques de commerce, dont la marque « TWO GIRLS & Design » et de commercialiser des produits portant la marque de commerce « TWO GIRLS & Design » dans de nombreux pays, dont le Canada » . Il affirme également qu'aucune entente écrite de licence n'est intervenue entre la demanderesse et HOUSE CO. en ce qui concerne l'emploi de la marque de commerce en question, mais que [TRADUCTION] « il y a toujours eu une entente verbale de licence par laquelle la demanderesse exige un contrôle rigoureux de la qualité des produits fabriqués et vendus par HOUSE CO. sous la marque de commerce "TWO GIRLS & Design" » . Au second affidavit de M. Kong est annexée sous la cote E une copie de la liste de produits TWO GIRLS dont les codes de produits correspondent à ceux qui figurent sur les factures jointes au premier affidavit à titre d'annexe A. M. Kong ajoute dans son second affidavit que [TRADUCTION] « la marque de commerce qui figure sur le pot de crème lui-même correspond exactement à la marque déposée et les caractères chinois, qui sont inscrits sur le produit lui-même en caractères plus gros sous la marque de commerce, constituent du langage descriptif et peuvent se traduire par "crème de rose vivante". Ces caractères plus gros ne font pas partie de la marque de commerce. Quiconque peut lire le Chinois serait capable de faire la distinction entre la marque de commerce et la description que l'on trouve sur le produit [...] » .

[20]            L'affidavit souscrit par Mung Ping Po (Mme Mung) le 11 juin 2001 confirme les renseignements fournis par M. Kong au sujet des liens d'entreprise étroits existant entre HOUSE CO. et la demanderesse. Mme Mung ajoute que HOUSE CO. et la demanderesse occupaient les mêmes locaux à Hong Kong, que [TRADUCTION] « avant le début de 1998, quatre des cinq administrateurs de la demanderesse siégeaient aussi au conseil d'administration de HOUSE CO. » et que depuis 1998 les deux sociétés ont les mêmes administrateurs. Mme Mung précise aussi que [TRADUCTION] « compte tenu des liens d'entreprise et de travail étroits qui existent entre la demanderesse et HOUSE CO. et compte tenu des fonctions qu'exerce M. Kong au sein de ces deux entreprises, la demanderesse exerce toujours un contrôle sur l'emploi de la marque de commerce « TWO GIRLS & Design » par HOUSE CO. et sur la qualité des produits de HOUSE CO. qui arborent la même marque de commerce » .


1.         EMPLOI DE LA MARQUE DÉPOSÉE

[21]            Lorsqu'elle examine la première question en litige en tenant compte à la fois des éléments de preuve dont disposait le registraire et des nouveaux éléments de preuve qui lui ont été présentés, la Cour ne doit pas perdre de vue l'objectif de l'article 45 de la Loi et, comme le juge en chef Thurlow l'a signalé dans la décision Plough (Canada) Limited c. Aerosol Fillers Inc., [1981] 1 C.F. 679, elle doit se rappeler que :

[...] c'est à [la loi] qu'il convient de se référer pour déterminer ce que le propriétaire inscrit de l'enregistrement est tenu de démontrer par son affidavit ou sa déclaration, sans jamais oublier que cette procédure a pour objet de débarrasser le registre des inscriptions des marques de commerce dont les propriétaires inscrits ne revendiquent plus de bonne foi l'emploi.

La Cour doit aussi tenir compte du fait que, lorsqu'une partie choisit de recourir à la procédure prévue à l'article 45, cette procédure revêt les caractéristiques suivantes exposées par le juge Hugessen dans l'arrêt Berg Equipment Co. (Canada) c. Meredith & Findlayson, [1991] A.C.F. no 1318 (C.A.F.) :

L'article 45 prévoit une méthode simple et rapide de radier du registre les marques tombées en désuétude. Il n'est pas censé prévoir un moyen supplémentaire de contester une marque de commerce autre que la procédure litigieuse courante envisagée par l'article 57. Le fait que l'auteur d'une demande fondée sur l'article 45 ne soit même pas tenu d'avoir un intérêt dans l'affaire en dit long sur la nature publique des intérêts que l'article vise à protéger.


En prenant en considération l'ensemble de la preuve, c'est-à-dire les éléments de preuve dont disposait le registraire ainsi que les éléments de preuve complémentaires soumis à la Cour, il m'est loisible de conclure, en ce qui a trait à la première question, qu'au moins une des marchandises enregistrées a été employée dans la pratique normale du commerce avec les consommateurs au cours de la période de trois ans en question. Il me reste toutefois à décider si la marque de commerce a été employée à l'égard de chacune des marchandises ou de chacun des services spécifiés dans l'enregistrement et, dans l'affirmative, si c'est la demanderesse ou une autre entité qui a employé la marque de commerce.

2.        EMPLOI DE LA MARQUE DE COMMERCE PAR LA DEMANDERESSE OU PAR UNE AUTRE ENTITÉ


[22]            La deuxième question à trancher est celle de savoir si c'est la demanderesse ou une autre entité qui a employé la marque de commerce. Ainsi qu'il a été décidé dans le jugement Well's Dairy Inc. c. UL Canada Inc., [2000] A.C.F. no 876, l'article 50 de la Loi précise les cas dans lesquels l'emploi d'une marque de commerce par un licencié est imputé au propriétaire inscrit. Je suis convaincu, eu égard aux éléments de preuve complémentaires qui ont été soumis à la Cour, que HOUSE CO. et la demanderesse occupaient les mêmes locaux commerciaux, que HOUSE CO. est une filiale à cent pour cent de la demanderesse, qui lui a octroyé une licence l'autorisant à employer la marque de commerce « TWO GIRLS & Design » et à commercialiser des produits portant la marque de commerce « TWO GIRLS & Design » dans de nombreux pays, dont le Canada, et qu'il existe une licence verbale valide entre HOUSE CO. et la demanderesse. De plus, ainsi qu'il est précisé dans le jugement Osler, Hoskin & Harcourt c. United States Tobacco Co. (précité), les éléments de preuve complémentaires soumis sous forme de relevé des ventes au Canada pour la période de décembre 1994 à décembre 1998, ainsi que les factures soumises avec renvoi à la liste des codes de produits démontrent que la demanderesse [TRADUCTION] « a amorcé le premier maillon de la chaîne d'opérations à l'origine des ventes conclues au Canada » . Je conclus également que les éléments de preuve complémentaires présentés par la demanderesse démontrent, comme il a été dit dans le jugement A & A Jewellers Ltd. c. Malcolm Johnston & Associates, (2000) 8 C.P.R. (4th) 56 (C.F. 1re inst.) qu'un contrôle de facto était exercé sur l'emploi visé par la licence. En conséquence, après avoir examiné l'ensemble de la preuve au regard des principes énoncés dans le jugement Well's Dairy Inc.c. UL Canada Inc. (précité), je conclus que la Cour dispose de suffisamment d'éléments de preuve pour pouvoir conclure que la marque de commerce a été employée par une personne morale dirigée et contrôlée directement par la demanderesse.

3.         EMPLOI DES MARCHANDISES SPÉCIFIÉES DANS L'ENREGISTREMENT

[23]            La troisième et dernière question à trancher est celle de savoir si chacune des marchandises spécifiées dans l'enregistrement a été employée au sens de l'article 45 de la Loi. Pour faciliter l'analyse de cette question, j'ai réparti les marchandises qui ont été enregistrées (voir le paragraphe 2 de la présente décision) selon les catégories suivantes :

A.         marchandises dont, de l'aveu de la demanderesse, l'emploi n'a pas été démontré;

B.         marchandises énumérées aux annexes G, H, I, J et L du second

affidavit de M. Kong;


C.         savon d'eau de Floride, annexe K du second affidavit de M. Kong;

D.         marchandises désignées lors du contre-interrogatoire;

E.         hydratants pour la peau.

[24]            Ainsi qu'il a déjà été mentionné dans la présente décision, lorsqu'elle répond à un avis donné en vertu de l'article 45, c'est à la demanderesse qu'il incombe, tant devant le registraire que devant la Cour, d'établir que la marque de commerce a été employée par le propriétaire inscrit ou par un licencié sans différences marquées et telle qu'elle avait été enregistrée.

Autres marchandises en général


[25]            Ainsi qu'il a été décidé dans le jugement Registraire des marques de commerces c. Cie Informatique CII Honeywell Bull, [1985] 71 CPR (3d) 461, [1985] 1 C.F. 406 (CF), le critère pratique à appliquer pour résoudre un cas de cette nature consiste à comparer la marque de commerce « déposée » et la marque de commerce « employée » pour déterminer si les distinctions relevées entre ces deux marques sont à ce point minimes qu'un acheteur non averti conclurait, selon toute probabilité, qu'elles identifient toutes les deux, malgré leurs différences, des marchandises ayant la même origine. Je me réfère également à l'arrêt United Artists Corp. c. Pink Panther Beauty Corp., (1998), 80 C.P.R. (3d) 247 (C.A.F), dans lequel le juge Linden, qui s'exprimait pour le compte des juges majoritaires de la Cour d'appel fédérale, écrit ce qui suit, aux pages 257 et 258 :

Ce qui importe, c'est que la marque de commerce soit associée dans l'esprit du public aux biens que produit son propriétaire. C'est l'association d'une marque de commerce à une source précise qui constitue l'élément décisif permettant de comprendre les droits que la Loi protège.

[26]            Pour ce qui est de l'obligation faite à la demanderesse de démontrer, pour chacune des marchandises ou chacun des services spécifiés dans l'enregistrement, si la marque de commerce a été employée au Canada, j'ai examiné attentivement les éléments de preuve dont disposait le registraire ainsi que les observations complémentaires que les deux parties ont par la suite présentées verbalement et par écrit dans la présente affaire. Après comparaison, je suis dans l'ensemble d'avis qu'à l'exception notable des « hydratants pour la peau » , il existe des différences marquées entre la marque déposée et la marque de commerce employée en ce qui concerne la totalité ou la presque totalité des autres marchandises énumérées dans l'enregistrement.

A. Marchandises dont, de l'aveu de la demanderesse, l'emploi n'a pas été démontré


[27]            Par ailleurs, la demanderesse admet qu'elle ne s'est pas acquittée du fardeau de la preuve qui lui incombait en ce qui concerne les autres marchandises enregistrées suivantes : parfums et produits de beauté, à savoir : rouge à lèvres, vernis à ongles, fard à paupières, poudres compactes pour le visage et le corps, poudres meubles pour le visage et le corps et parfums suivants : eaux de Cologne, eaux de toilette; lotion et crème pour les cheveux, ainsi que huiles essentielles.

B. Annexes G, H, I, J et L du second affidavit de M. Kong

[28]            Bien qu'une marque de commerce puisse être employée en combinaison avec d'autres marques figurant sur l'étiquette, il faut qu'on puisse facilement la distinguer. Ainsi qu'il a été décidé dans le jugement Promafil Canada Limitée c. Munsingwear Inc., (1992) 44 C.P.R. (3d), le droit canadien retient le maintien de l'identité et la reconnaissance ainsi que la conservation des caractéristiques principales comme facteurs importants pour se prononcer sur l'emploi d'une marque de commerce. En l'espèce, l'emploi démontré de la marque de commerce figurant sur les autres marchandises correspondant aux annexes G, H, I, J et L du second affidavit de M. Kong constitue une différence marquée par rapport à la marque déposée. La marque déposée ne figure sur aucune des marchandises en question, mais on peut résumer comme suit les étiquettes qui ont été produites :

a.          Annexe G - poudre de talc (pages 137 à 139) : ni l'un ni l'autre des mots TWO GIRLS, ni la série de caractères chinois n'y figurent;


b.          Annexe H - shampooing (pages 141 et 142) : la série de caractères chinois figure en haut de l'étiquette de face et de l'étiquette de dos sans les mots TWO GIRLS. D'autres marques de commerce enregistrées sont mentionnées sur la face du produit, y compris le dessin de deux femmes debout portant le costume traditionnel chinois. On trouve aussi les mots « Two Girls Brand ® » au bas de l'étiquette;

c.          Annexe I - revitalisant (pages 144 et 145) : la série de caractères chinois figure en haut de l'étiquette de face et de l'étiquette de dos sans les mots TWO GIRLS. D'autres marques de commerce enregistrées sont mentionnées sur la face du produit, y compris le dessin de deux femmes debout portant le costume traditionnel chinois. On trouve aussi les mots « Two Girls Brand ® » au bas de l'étiquette;

d.          Annexe J - gel pour la douche (pages 147 et 148) : la série de caractères chinois figure en haut de l'étiquette de face et de l'étiquette de dos sans les mots TWO GIRLS. D'autres marques de commerce enregistrées sont mentionnées sur la face du produit, y compris le dessin de deux femmes debout portant le costume traditionnel chinois. On trouve aussi les mots « Two Girls Brand ® » au bas de l'étiquette;


e.          Annexe L - désodorisant à bille (pages 154 à 156) : ce produit ne semble appartenir à aucune des catégories de marchandises enregistrées (voir le paragraphe 2 de la présente ordonnance). Néanmoins, un examen de l'étiquette révèle qu'on y emploie la série de caractères chinois en haut de l'étiquette de face sans les mots TWO GIRLS. D'autres marques de commerce enregistrées sont mentionnées sur le face du produit, y compris le dessin de deux femmes debout portant le costume traditionnel chinois. On trouve aussi les mots « Two Girls Brand ® » au bas de l'étiquette.

[29]            En résumé, ni la série de caractères chinois, ni les mots TWO GIRLS ne figurent à l'annexe G. De plus, seule la série de caractères chinois figure en haut de l'étiquette de face et de l'étiquette de dos des annexes H, I, J et L sans les mots TWO GIRLS. Les deux autres marques de commerce enregistrées sont inscrites bien en vue sur l'étiquette de face de ces annexes, et on y lit les mots « Two Girls Brand ® » , qui ne sont pas situés près des caractères chinois sur l'étiquette. Vu ces faits, ainsi que la jurisprudence énoncée dans l'arrêt Promafil Canada Limitée c. Munsingwear Inc., force m'est donc conclure que les différences existant entre la marque de commerce enregistrée et la marque de commerce employée dans les annexes en question sont de toute évidence à ce point importantes qu'il est peu probable qu'un acheteur conclue que les marchandises auxquelles elles correspondent ont la même origine.

C. Savon d'eau de Floride, annexe K du second affidavit de M. Kong


[30]            La demanderesse a également soumis un échantillon de savon d'eau de Floride (annexe K du second affidavit de M. Kong (pages 150 à 152)). Bien que la marque déposée ne figure sur aucune des marchandises en question, on trouve séparément sur l'emballage chacun des éléments composant la marque de commerce. Les mots TWO GIRLS figurent en haut complètement de l'endos de l'emballage et les caractères chinois apparaissent au centre du panneau et sont séparés des mots TWO GIRLS par un texte descriptif libellé en chinois et en anglais. Bien que, dans le cas de cette annexe, l'emploi démontré de la marque déposée constitue une différence moins marquée par rapport à la marque déposée que celle qui a été relevée dans le cas des autres annexes, je conclus que la marque de commerce n'est plus nettement distinctive. Lorsqu'on compare la marque qui apparaît sur l'emballage du savon à la marque déposée, on constate non seulement que son identité est diluée, mais qu'en la scindant en deux éléments distincts séparés par un texte descriptif, la demanderesse n'a pas conservé les caractéristiques dominantes de la marque de commerce. Je conclus donc que les différences relevées en ce qui concerne la marque déposée qui correspond à cette annexe sont importantes et qu'on ne peut plus considérer que les deux éléments constitutifs de la marque déposée sont indissociables au point de justifier le maintien de l'enregistrement (voir le jugement Anheuser-Busch Inc c. McDermid and Co, décision non publiée rendue le 3 février 2000 dans le dossier T-1418-97).

D. Marchandises désignées lors du contre-interrogatoire

[31]            De surcroît, la demanderesse se fonde sur le contre-interrogatoire de Kong Chi Ming (M. Kong) pour démontrer l'emploi des marchandises suivantes qui, selon lui, arborent l'étiquette illustrée à l'annexe F de l'affidavit qu'il a souscrit le 11 juin 2001 :

1.          nettoyants pour la peau;


2.          toniques pour la peau;

3.          mousses pour le visage;

4.          lotions pour le corps;

5.          crèmes pour les mains.

[32]            Il est de jurisprudence constante que, dans le cas de ces marchandises, c'est encore à la partie demanderesse qu'il incombe de démontrer l' « emploi » qui a été fait de la « marque de commerce » au sens des articles 4 et 2 respectivement de la Loi. Or, après avoir examiné attentivement les observations orales et écrites de la demanderesse ainsi que les déclarations faites par M. Kong lors de son contre-interrogatoire, je ne puis conclure avec certitude, vu l'ensemble de la preuve, que la marque déposée a été employée pour d'autres marchandises enregistrées que les « hydratants pour la peau » .

[33]            Ainsi que la Cour l'a décidé dans le jugement Plough (Canada) Limited c. Aerosol Fillers Inc. , précité, aux paragraphes 10 et 13:


10. Le paragraphe 44(1) [maintenant le paragraphe 45(1)] exige qu'il soit fourni au registraire un affidavit ou une déclaration solennelle « indiquant » , et non seulement énonçant, si la marque de commerce est employée, c'est-à-dire décrivant l'emploi de cette marque de commerce au sens de la définition de l'expression « marque de commerce » à l'article 2 et de l'expression « emploi » à l'article 4 de la Loi. Cela ressort clairement des termes du paragraphe en question puisqu'il exige que le propriétaire inscrit fournisse un affidavit ou une déclaration solennelle indiquant, à l'égard de chacune des marchandises ou de chacun des services que spécifie l'enregistrement, si la marque de commerce est employée au Canada et, dans la négative, la date où elle a été ainsi employée en dernier lieu et la raison de son défaut d'emploi depuis cette date. Cela a pour but non seulement d'indiquer au registraire que le propriétaire inscrit ne veut pas renoncer à l'enregistrement, mais aussi de l'informer quant à l'emploi de la marque de commerce afin que lui, et la Cour, s'il y a appel, puissent être en mesure d'apprécier la situation et d'appliquer, le cas échéant, la règle de fond énoncée au paragraphe 44 (3) [maintenant 45(3)]. Il n'est pas permis à un propriétaire de garder sa marque s'il ne l'emploie pas, c'est-à-dire s'il ne l'emploie pas du tout ou s'il ne l'emploie pas à l'égard de certaines des marchandises pour lesquelles cette marque a été enregistrée.

[...]

13. En outre, comme ce fut le cas pour l'affidavit en cause dans l'affaire American Distilling Co. c. Canadian Schenley Distilleries Ltd., (1979) 38 C.P.R. (2d) 60, il faut, en l'espèce, examiner ce que l'affidavit ne dit pas [...]

[34]            Je ne suis pas convaincu que les éléments de preuve recueillis lors du contre-interrogatoire de M. Kong sont suffisants pour démontrer un emploi et ce, surtout parce que ses propos (en particulier ceux que l'on trouve de la page 68, ligne 21, à la page 74 de la transcription du contre-interrogatoire du 10 décembre 2001) sont vagues et incompatibles avec les éléments de preuve qu'il avait présentés dans son premier affidavit. La contradiction la plus frappante se trouve à la page 71, ligne 8, où M. Kong explique qu'un produit appelé « gel pour la douche » a été vendu au Canada avec une étiquette sur laquelle figure une marque correspondant exactement à la marque déposée (annexe F) alors qu'en fait, ce n'est pas le cas. C'est M. Kong lui-même qui a produit l'étiquette du « gel pour la douche » (annexe J). Or, la marque déposée ne figure pas sur ce produit : on y relève la série de caractères chinois en haut de l'étiquette de face et de l'étiquette de dos sans les mots TWO GIRLS. Ainsi que je l'ai déjà précisé, d'autres marques déposées sont mentionnées sur le face du produit, y compris le dessin de deux femmes debout portant le costume traditionnel chinois et on trouve aussi les mots « Two Girls Brand ® » au bas de l'étiquette.


[35]            Le témoignage que M. Kong donne, à la page 69 de la transcription, au sujet d'un produit appelé « mousse nettoyante » , semble crédible. Il mentionne expressément le produit no 2073. Toutefois, à la page 72, il parle à nouveau d'une « mousse nettoyante » qu'il associe ensuite à un autre produit, appelé « mousse pour le bain » en déclarant ce qui suit : [TRADUCTION] « Je crois que la mousse nettoyante est un produit analogue à la mousse pour le bain » . Il ajoute, aux pages 73 et 74, qu'il a confondu les annexes G (poudre de talc) et J (gel pour le douche) lorsqu'il a décrit l'étiquette apposée sur les produits à base de mousse. Les contradictions du témoignage de M. Kong permettent de penser que, lors de son contre-interrogatoire, il s'est contenté de formuler de simples assertions d'emploi au lieu de démontrer le bien-fondé de ses assertions de fait. Je dois par ailleurs tenir compte du fait que la demanderesse n'a pas réussi à faire la preuve de l'emploi d'un grand nombre des autres marchandises visées par l'enregistrement. J'estime par conséquent que la transcription du contre-interrogatoire de M. Kong ne me permet pas de conclure de façon fiable que la marque a été employée aussi en liaison avec ces autres marchandises. Ainsi qu'il a été décidé dans le jugement Union Electric Supply Co. c. Registraire des marques de commerce, [1982] 2 C.F. 263 (C.F. 1re inst.) :

Dans les procédures visées à l'article 44 (maintenant l'article 45), le propriétaire inscrit a la charge d' « indiquer » , par opposition à la simple obligation de « déclarer » , que la marque de commerce est employée au sens des articles 2 et 4 de la Loi sur les marques de commerce. Je crois que l'emploi du mot « indiquant » au paragraphe 44(1) impose au propriétaire inscrit la responsabilité de produire des preuves précises à partir desquelles le registraire peut tirer des conclusions et rendre une décision sur l'emploi de la marque de commerce.

[36]            J'abonde dans le sens de la demanderesse lorsqu'elle affirme que le critère à respecter pour démontrer que la marque a été employée au sens de l'article 45 de la Loi est peu exigeant et que, comme il a été décidé dans le jugement Cordon Bleu International Ltée c. Renaud Cointreau & Cie (2000), 10 CPR (4th) 3799 (C.F. 1re inst.), dans certaines procédures visées par l'article 45, lorsque le propriétaire inscrit produit des factures sur lesquelles figure la marque de commerce déposée et qui constatent la vente de marchandises visées par l'enregistrement de la marque, il n'est pas nécessaire de présenter des éléments de preuve complémentaires ou une « preuve surabondante » (par exemple en soumettant des étiquettes distinctes pour chacune des marchandises enregistrées) pour démontrer que la marque de commerce a été employée. Toutefois, après avoir examiné attentivement la question, j'estime que, loin de présenter une preuve « surabondante » , la demanderesse ne s'est pas acquittée en l'espèce du fardeau qui lui incombait de démontrer, sur la foi d'éléments de preuve dignes de foi, que la marque de commerce a été employée au Canada sur ses marchandises, à l'exception d'une seule d'entre elles. J'estime par conséquent que tant les éléments de preuve portés à la connaissance du registraire que les éléments de preuve complémentaires soumis à la Cour ne sont pas suffisants pour permettre à la demanderesse de satisfaire aux exigences de la Loi. Je conclus qu'à l'exception des « hydratants pour la peau » , que nous examinerons dans la section suivante de la présente décision, l'emploi démontré ne constitue pas un emploi de la marque déposée à l'égard des marchandises visées.


E. Hydratants pour la peau

[37]            On a soumis au registraire et à la Cour un « hydratant pour la peau » qui se présente sous forme de pot contenant de la crème de beauté avec l'emballage qui l'accompagne. Des exemplaires du pot et de l'emballage ont également été joints au premier affidavit de M. Kong à titre d'annexe F. La demanderesse a également soumis des factures et des codes de produits faisant état des ventes de ce produit au Canada à l'époque en cause. Tout comme le registraire, je suis convaincu, après observation, qu'il n'y a aucun doute que la marque de commerce visée par l'enregistrement et constituée des mots TWO GIRLS (écrits d'une certaine manière) en combinaison avec une série de caractères chinois correspond exactement à la marque de commerce « Two Girls & Design » , LMC 414825. Le 28 février 2001, le registraire a également conclu ce qui suit dans sa décision de radier la marque de commerce de la demanderesse :

[TRADUCTION] En ce qui concerne le « pot » , la marque de commerce déposée y figure, mais on y trouve aussi des éléments supplémentaires, de sorte qu'il m'est impossible de conclure que l'emploi de la marque serait perçu comme un emploi « en soi » de la marque de commerce (Nightingale Interloc Ltd. c. Prodesign Ltd., 2 C.P.R. (3d) 535) (Non souligné dans l'original).


[38]            Toutefois, comme je l'ai déjà signalé, l'article 45 de la Loi prévoit une procédure simple, sommaire et expéditive pour éliminer du registre des marques de commerce les marques qui ne sont plus employées. Il vise à débarrasser le registre du bois mort et non à résoudre des questions litigieuses concernant des intérêts commerciaux concurrents qui devraient être réglées dans le cadre d'une instance en radiation en vertu de l'article 57. Par ailleurs, de nouveaux éléments de preuve ont été soumis à la Cour pour expliquer que les autres caractères chinois qui sont inscrits en plus gros caractères sous la marque de commerce constituent du texte descriptif et peuvent se traduire par « crème de rose vivante » . Je suis par conséquent persuadé, pour l'application de l'article 45, qu'ainsi qu'il est précisé dans l'arrêt Promafil Canada Limitée c. Munsingwear Inc., précité, la marque employée a été conservée malgré la présence d'éléments supplémentaires sous la marque et qu'en conséquence, c'est bien la marque déposée qui figure sur le pot. Je n'oublie pas non plus que, comme la Cour l'a signalé au paragraphe 45 du jugement Meridith and Finlayson c. Canada (Registraire des marques de commerces, (1991) 40 CPR (3d) 409, à la page 412 (C.A.F) :

L'article 45 prévoit une méthode simple et rapide de radier du registre les marques tombées en désuétude. Il n'est pas censé prévoir un moyen supplémentaire de contester une marque de commerce autre que la procédure litigieuse courante envisagée par l'article 57. Cette disposition ne vise manifestement pas la tenue d'une instruction qui porterait sur une question de faits contestée mais, plus simplement, à donner au propriétaire inscrit l'occasion d'établir, s'il le peut, que sa marque est employée, ou bien d'établir les raisons pour lesquelles elle ne l'est pas, le cas échéant. Le fait d'interjeter appel à la Cour, en application de l'art. 56, n'a pas pour effet d'élargir la portée de l'enquête.

Ainsi qu'il ressort de la jurisprudence, la procédure visée à l'article 45 n'a pas pour objet de trancher des questions qui sont manifestement litigieuses. J'estime par conséquent que, pour obtenir la radiation d'une marque de commerce au motif que les éléments supplémentaires greffés à la marque de commerce diluent celle-ci au point qu'on ne peut plus conclure qu'elle a été employée, le défendeur doit introduire une instance distincte en vertu de l'article 57 de la Loi.


DISPOSITIF

[39]            En résumé, les éléments de preuve complémentaires soumis à la Cour sont sensiblement différents de ceux qui avaient été portés à la connaissance du registraire et ont été améliorés de façon significative par les affidavits supplémentaires qui ont été déposés et les contre-interrogatoires qui ont été menés. En ce qui concerne toutes les marchandises enregistrées, à l'exception des hydratants pour la peau, je conclus que, sur le fondement de la preuve dont il disposait, le registraire a exercé son pouvoir discrétionnaire en se fondant sur des motifs raisonnables et que la décision qu'il a rendue reposait sur des principes juridiques bien fondés. J'estime toutefois que les nouveaux éléments de preuve qui ont été soumis à la Cour justifient d'infirmer la décision du registraire en ce qui concerne le pot de crème de beauté et de conclure que la marque de commerce « TWO GIRLS & DESIGN » enregistrée sous le numéro LMC 414825 qui figure sur un produit hydratant pour la peau, en l'occurrence de la crème de beauté, était employée au Canada en tout temps au cours de la période en cause.

[40]            Les parties ont réclamé les dépens, mais comme le défendeur a obtenu gain de cause en grande partie et que les dépens suivent le sort du principal, les dépens lui sont adjugés.

POUR TOUS CES MOTIFS, LA COUR ORDONNE CE QUI SUIT :


-           Conformément au paragraphe 56(5) de la Loi, le présent appel est accueilli en partie et la décision du registraire de radier les marchandises énumérées dans l'enregistrement LMC 414825 est confirmée, sauf en ce qui concerne les hydratants pour la peau;

-           La décision du registraire de radier la marque de commerce « Two Girls & Design » no LMC 414825 de la demanderesse est infirmée en ce qui concerne toutes les marchandises enregistrées comme des hydratants pour la peau;

-           Le registraire devra s'assurer que le bon numéro d'enregistrement figure au registre;

-           Les demanderesses sont condamnées à payer les dépens de la présente instance au défendeur conformément à la colonne III du tableau du tarif B desRègles de la Cour fédérale (1998).

             « Simon Noël »                                                                                                                                              Juge         

Traduction certifiée conforme

Richard Jacques, LL.L.


                                 COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                    SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                T-583-01                      

INTITULÉ :               The House of Kwong Sang Hong International Limited

c.

Borden Ladner Gervais et autre

LIEU DE L'AUDIENCE :                              OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 19 FÉVRIER 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    LE JUGE NOËL

DATE DES MOTIFS :                                   LE 13 AVRIL 2004

COMPARUTIONS :

                                  

Adele Finlayson                                                 POUR LA DEMANDERESSE

Susan D. Beaubien                                            POUR LE DÉFENDEUR

Borden Ladner Gervais

personne n'a comparu                                                  POUR LE DÉFENDEUR                     LE MINISTÈRE DE LA JUSTICE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Adele Finlayson                                                POUR LA DEMANDERESSE

Macer & Jarzyna

Ottawa (Ontario)        

Susan D. Beaubien                                            POUR LE DÉFENDEUR

Borden Ladner Gervais srl                                                         Borden Ladner Gervais

Ottawa (Ontario)

Morris Rosenberg                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada                                LE MINISTÈRE DE LA JUSTICE


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