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     Date : 19990318

     Dossier : IMM-1208-99

Ottawa (Ontario), le 18 mars 1999

EN PRÉSENCE DE MME LE JUGE SHARLOW

Entre :

     RAJA RAJENDRAN,

     demandeur,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.

     ORDONNANCE

     SUR PRÉSENTATION D'UNE REQUÊTE au nom du demandeur afin d'obtenir un sursis à l'exécution d'une mesure de renvoi prise contre lui ;

     ET APRÈS AVOIR LU le dossier déposé devant la Cour ;

     ET APRÈS AVOIR ENTENDU les avocats des parties au cours d'une conférence téléphonique ;

     LA COUR ORDONNE CE QUI SUIT :

     Le sursis à l'exécution de la mesure de renvoi est accordé en attendant la décision concernant la demande d'autorisation déposée le 11 mars 1999. Si l'autorisation est accordée, le sursis demeurera en vigueur jusqu'à ce qu'une décision soit prise concernant la demande présentée en vertu du paragraphe 114(2) de la Loi sur l'immigration.

     Si le ministre examine la demande fondée sur le paragraphe 114(2) avant l'audition de la demande d'autorisation, le sursis demeurera en vigueur jusqu'à ce que la demande fondée sur le paragraphe 114(2) ait fait l'objet d'une décision.

                         Karen R. Sharlow

                                 Juge

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, LL.L.

     Date : 19990318

     Dossier : IMM-1208-99

Entre :

     RAJA RAJENDRAN,

     demandeur,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE SHARLOW

[1]      Une mesure de renvoi prise contre le demandeur doit être exécutée le dimanche 21 mars 1999. Le demandeur réclame un sursis à l'exécution de cette mesure en attendant la décision concernant sa demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire présentée aux termes du paragraphe 114(2) de la Loi sur l'immigration.

[2]      Le demandeur, un Tamoul du Sri Lanka, est arrivé au Canada avec sa femme en 1985. Ils ont revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention. Cette revendication a été refusée au motif qu'ils avaient une possibilité de refuge à Colombo. L'autorisation d'interjeter appel a été refusée le 7 août 1992. Une évaluation ayant pour but de déterminer si le demandeur faisait partie de la CDNRSRC a été refusée en juillet 1994 et peu après on lui a ordonné de quitter le Canada. Il s'est rendu aux États-Unis où il a vécu et travaillé, apparemment légalement, à Seattle. Son épouse et ses filles vivent à Vancouver, qui n'est pas très éloigné de Seattle. En 1994, apparemment après la fin de la procédure concernant l'appartenance à la CDNRSRC, le demandeur a demandé et obtenu des renseignements d'Amnistie Internationale afin de se procurer des preuves sur la situation au Sri Lanka qu'il pourrait utiliser dans un appel fondé sur des raisons d'ordre humanitaire. Dans une lettre datée du 14 août 1994, Amnistie Internationale fait référence au fait que le demandeur est un Tamoul sans carte d'identité nationale et fait certaines observations sur les conditions qui règnent à Colombo. La lettre se termine ainsi :

         [TRADUCTION]                 
         En résumé, Amnistie Internationale croit que si M. Raja est forcé de retourner au Sri Lanka, il s'expose à un risque particulier de subir des mauvais traitements.                 

[3]      D'autres documents déposés par le demandeur laissent entendre que par suite de l'imposition de nouveaux règlements en 1996, Colombo n'est plus un endroit aussi sûr qu'il l'était auparavant pour les Tamouls. Cette preuve n'existait pas en 1992 quand la revendication du statut de réfugié du demandeur a été examinée.

[4]      Le dossier fait ressortir que le demandeur a tendance à ne pas respecter la Loi sur l'immigration. Trois mesures d'expulsion ont été prises contre lui en 1995, et il a été arrêté deux fois en 1996 pour être revenu au Canada sans le consentement du ministre, contrairement à l'article 55 de la Loi sur l'immigration. Une mesure d'expulsion a été prise contre lui en août 1994, en avril 1996 et une troisième fois en octobre 1996.

[5]      Le demandeur prétend que ses retours non autorisés au Canada étaient motivés par le désir de voir sa famille, particulièrement ses filles. La dernière fois qu'il est revenu au Canada, c'était en mai 1998, où il a assisté à la cérémonie du bain tenue pour sa fille aînée, conformément aux coutumes de sa culture.

[6]      Il a ensuite emmené sa famille en vacances à Toronto, où il a été arrêté après que son épouse eut déposé une plainte à la police. Cette plainte n'a apparemment pas entraîné d'accusations au criminel, mais elle a attiré l'attention des autorités de l'immigration sur le demandeur, qui a été appréhendé en septembre 1998.

[7]      Le demandeur a un casier judiciaire, mais d'après le dossier dont je suis saisie, il est impossible d'en déterminer la gravité. Il y a apparemment trois condamnations pour conduite avec facultés affaiblies et deux pour voies de fait. Le dossier ne fait pas état des circonstances dans lesquelles les infractions ont été commises ni des peines qui ont été imposées. En 1996, il a plaidé coupable à trois chefs de trafic d'étrangers pour lesquels il a passé trois jours en prison. Il admet avoir un problème d'alcool.

[8]      En novembre 1998, le demandeur a été informé officieusement que le ministre prendrait une mesure d'expulsion contre lui. Le demandeur a retenu les services d'un avocat à Toronto en janvier 1999 pour le représenter concernant sa demande fondée sur le paragraphe 114(2). Le retard à retenir les services d'un avocat serait dû aux difficultés qu'a éprouvées le demandeur pendant sa détention et au fait que son frère, qui a communiqué pour la première fois avec l'avocat au nom du demandeur en décembre 1998, s'est absenté pendant quelque temps du pays après cette date. Un autre retard serait dû au temps qu'il a fallu pour obtenir le dossier du demandeur de son ancien avocat à Vancouver. Le dossier a finalement été reçu le 25 février 1997, et la lettre d'Amnistie Internationale dont il est question ci-dessus ne se trouvait pas au dossier. L'avocat a finalement reçu une copie de cette lettre le 3 mars 1999.

[9]      Le 5 mars 1999, une demande a été déposée au nom du demandeur pour que son cas soit examiné aux termes du paragraphe 114(2). À cette date, le demandeur était au courant de l'intention du ministre de prendre une mesure de renvoi. Toutefois, il n'en a été informé officiellement que le 10 mars 1999.

[10]      Le 11 mars 1999, le demandeur a déposé une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire dans laquelle il recherchait une ordonnance obligeant le ministre à examiner sa demande aux termes du paragraphe 114(2) et d'effectuer une évaluation du risque avant de procéder au renvoi.

[11]      L'avocat laisse entendre que la raison pour laquelle aucune demande fondée sur le paragraphe 114(2) n'a été reçue entre 1994, date à laquelle sa revendication du statut de réfugié a finalement été refusée, et 1998, qui est sa détention la plus récente, vient de ce que le demandeur a vécu pendant ce temps légalement aux États-Unis. On ne sait pas avec certitude s'il a le droit de retourner aux États-Unis. L'avocat du ministre n'a pu me dire si le ministre accepterait d'examiner une demande fondée sur le paragraphe 114(2) déposée par une personne vivant légalement aux États-Unis.

[12]      La question dont je suis saisie est de savoir si on peut surseoir à l'exécution de la mesure de renvoi en attendant qu'il soit statué sur la demande d'autorisation et, si l'autorisation est accordée, en attendant que la demande fondée sur le paragraphe 114(2) fasse l'objet d'une décision. Les avocats conviennent que la question doit être déterminée d'après un triple critère.

Une question grave

[13]      L'avocat du demandeur note que, dans certaines causes qu'elle a entendues, la Cour a conclu que le ministre n'a aucune obligation d'examiner une demande fondée sur le paragraphe 114(2) avant de procéder au renvoi. Toutefois, il affirme que la question grave à instruire consiste à déterminer si ces décisions peuvent être maintenues à la lumière de décisions plus récentes. Il cite notamment les observations du jugement dissident dans l'arrêt Pushpanathan c. Canada (MCI), [1998] 1 R.C.S. 982, à la page 1072 (par le juge Cory) :

         [...] il serait impensable qu'une audience équitable n'ait pas lieu devant un arbitre impartial pour déterminer s'il y a des " motifs sérieux de croire " que la personne visée par la mesure d'expulsion risque la torture, l'exécution arbitraire, la disparition ou une autre violation grave des droits de la personne.                 

[14]      Il fait également référence à l'arrêt Huor Chieu c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (3 décembre 1998), A-1038-98 (C.A.F.), qui laisse entendre qu'une personne qui risque d'être expulsée et qui s'inquiète des risques auxquels son expulsion l'expose dans ce pays a le droit de présenter une demande pour que son cas soit examiné aux termes du paragraphe 114(2). L'avocat du demandeur prétend que c'est exactement la situation dans laquelle se trouve le demandeur.

[15]      Il souligne qu'il y a certains éléments de preuve, dont aucun décideur désigné en vertu de la Loi sur l'immigration n'a examiné antérieurement, et qui indiquent que Colombo est devenue un endroit peu sûr pour le demandeur. Il fait également référence à un certain nombre de décisions très récentes dans lesquelles la Cour a infirmé des décisions de la section du statut de réfugié qui ne tenaient pas compte de la nouvelle situation à Colombo : Kandiah c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (31 août 1998), IMM-4310-97 (C.F. 1re inst.); Alvapillai c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, (14 août 1998), IMM-4226-97 (C.F. 1re inst.); Kanthavanam c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (27 octobre 1998), IMM-3678-97 (C.F. 1re inst.); Mylvaganam c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (21 décembre 1998), IMM-3378-97 (C.F. 1re inst.).

[16]      L'avocat du ministre soutient qu'un demandeur ne devrait pas avoir le droit de déposer à la dernière minute une demande fondée sur le paragraphe 114(2) pour retarder l'exécution d'une mesure de renvoi valide : Francis c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (14 janvier 1997), IMM-156-97 (C.F. 1re inst.); Younge c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (13 janvier 1997), IMM-2566-96 (C.F. 1re inst.); Sinnappu c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (1997), 126 F.T.R. 29. Dans cette affaire, le retard avait été expliqué de façon raisonnable.

[17]      En l'espèce, je conclus qu'il y a une question sérieuse à instruire.

Le préjudice irréparable

[18]      Si les nouveaux éléments de preuve du demandeur sont crus, il s'expose à un préjudice grave s'il est renvoyé dans la région du Sri Lanka qui était auparavant considérée comme une possibilité de refuge à l'intérieur du même pays. Je ne suis saisie d'aucun élément de preuve qui me laisse croire qu'une autre région du Sri Lanka pourrait être considérée comme une possibilité de refuge sûr. Je conclus que le demandeur a fait la preuve d'un risque de préjudice irréparable.

La prépondérance des inconvénients

[19]      L'avocat du ministre prétend qu'en vertu de ce critère je dois tenir compte de l'intérêt public. Il soutient que le casier judiciaire du demandeur, jumelé à sa désobéissance aux lois du Canada, justifie de conclure que la prépondérance des inconvénients penche en faveur du ministre. Je conviens que ce sont là des considérations valides dans une demande de sursis. Toutefois, la preuve concernant le casier judiciaire du demandeur est si incomplète que je ne peux parvenir à aucune conclusion quant à la gravité des infractions qu'il a commises. Et je ne peux pas conclure que son mépris pour les lois de l'immigration est à ce jour si grave qu'il doit l'emporter sur le risque de préjudice auquel son retour au Sri Lanka l'expose.



Conclusion

[20]      Le sursis est accordé en attendant que la décision sur la demande d'autorisation soit prise. Si cette autorisation est accordée, le sursis demeurera en vigueur jusqu'à ce que la demande fondée sur le paragraphe 114(2) fasse l'objet d'une décision.

[21]      Si le ministre examine la demande fondée sur le paragraphe 114(2) sans tenir d'audition sur la demande d'autorisation, le sursis demeurera en vigueur jusqu'à ce qu'une décision soit prise concernant la demande fondée sur le paragraphe 114(2).

                         Karen R. Sharlow

                                 Juge

Ottawa (Ontario)

le 18 mars 1999

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NE DU GREFFE :              IMM-1208-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :      RAJA RAJENDRAN c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :          Ottawa/Toronto

DATE DE L'AUDIENCE :          le 17 mars 1999

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE Mme LE JUGE SHARLOW

DATE :                  le 18 mars 1999

ONT COMPARU :

Michael Crane                          POUR LE DEMANDEUR

Michael Beggs                          POUR LE DÉFENDEUR

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Michael Crane                          POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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