Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 19990907

Dossier : IMM-5440-98

OTTAWA (Ontario), le 7 septembre 1999

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE EVANS

ENTRE :

                                                      ALI ABDI HASSAN,

                                                                                                                         demandeur,

                                                                    - et -

               LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION,

                                                                                                                                    intimé.

                                                         ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

« John M. Evans »

                                                                                                                                               

J.C.F.C.

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.                                                                           


Date : 19990907

Dossier : IMM-5440-98

ENTRE :

                                                      ALI ABDI HASSAN,

                                                                                                                             demandeur,

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

intimé.

                                            MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE EVANS

A.       INTRODUCTION

[1]                En novembre 1992, la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a reconnu le statut de réfugié au sens de la Convention à Ali Abdi Hassan. En février 1998, soit plus de cinq ans plus tard, le ministre a demandé à la Section du statut de réfugié d'annuler cette décision pour le motif qu'elle a été obtenue par une fausse indication sur des faits importants et par la dissimulation de faits importants.


[2]                Le ministre a soutenu que, contrairement à ce qu'avait déclaré le demandeur à la Commission, M. Hassan était citoyen du Kenya et était titulaire d'un passeport kenyan en cours de validité.

[3]                Une audience a été tenue en août 1998 sur la demande d'annulation de la reconnaissance du statut de réfugié et, le mois suivant, la Section du statut de réfugié a rendu sa décision, qui était favorable au ministre.

[4]                Il s'agit en l'espèce d'une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Section du statut de réfugié d'annuler sa reconnaissance antérieure du statut de réfugié à M. Hassan. L'avocat de M. Hassan a soutenu que les motifs de la Section du statut de réfugié contenaient plusieurs erreurs susceptibles de contrôle et que la décision devait être annulée parce qu'elle était erronée en droit. Les arguments de l'avocat couvraient de nombreux éléments, mais, à mon avis, la question essentielle est celle de savoir si les motifs de décision de la Section du statut de réfugié étaient suffisants.

[5]                La disposition pertinente de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, est la suivante :



69.2(2) The Minister may, with leave of the Chairperson, make an application to the Refugee Division to reconsider and vacate any determination made under this Act or the regulations that a person is a Convention refugee on the ground that the determination was obtained by fraudulent means or misrepresentation, suppression or concealment of any material fact, whether exercised or made by that person or any other person.

69.2(2) Avec l'autorisation du président, le ministre peut, par avis, demander à la section du statut de réexaminer la question de la reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention accordée en application de la présente loi ou de ses règlements et d'annuler cette reconnaissance, au motif qu'elle a été obtenue par des moyens frauduleux, par une fausse indication sur un fait important ou par la suppression ou la dissimulation d'un fait important, même si ces agissements sont le fait d'un tiers.


B.       LES FAITS

[6]                Dans le formulaire de renseignements personnels que M. Hassan a rempli avec l'aide d'un conseil et qu'il a produit devant la Section du statut de réfugié avant qu'elle n'entende sa revendication du statut de réfugié, il a déclaré qu'il était citoyen de la Somalie et qu'il craignait d'être persécuté dans ce pays. Il a aussi ajouté qu'il n'avait aucune autre citoyenneté, mais qu'il avait résidé au Kenya avant de venir au Canada.

[7]                M. Hassan a aussi déclaré dans son FRP qu'il était muni d'un passeport kenyan lorsqu'il est venu au Canada, et il a accolé un astérisque à sa réponse. Le formulaire précisait aux demandeurs qu'ils devaient indiquer à l'aide d'un astérisque si leur document de voyage était un faux.

[8]                Il est admis que la Commission avait été saisie du FRP lorsqu'elle a reconnu le statut de réfugié à M. Hassan. Il n'était toutefois pas possible d'obtenir la transcription de cette audience; en fait, il existait des doutes quant à la nature exacte de l'audience qui a eu lieu.


[9]                La Section du statut de réfugié avait néanmoins été saisie d'éléments de preuve importants lorsqu'elle a entendu la demande d'annulation en 1998. La preuve incluait deux lettres du ministère de l'Immigration du Kenya indiquant que le passeport kenyan du demandeur était authentique et lui avait été délivré. L'auteur des lettres indiquait aussi que le dossier du demandeur et de ses frères et soeurs avait été examiné et qu'ils semblaient tous être d'authentiques Kenyans. Le demandeur aurait appartenu à un certain clan kenyan-somalien provenant du centre du Kenya, et devait parler couramment l'anglais et le swahili, [TRADUCTION] « et il était plus que probable qu'il parlait très peu le somali » .

[10]            Ces lettres confirmaient l'impression qu'avait eue l'agent d'immigration lorsque le demandeur est arrivé à l'aéroport international Pearson. Dans ses notes, l'agent avait inscrit que le demandeur avait déclaré qu'il avait en sa possession un [TRADUCTION] « passeport kenyan valide » , « non un faux » , et qu'à son avis, le demandeur était un citoyen du Kenya et un réfugié économique.


[11]            Un rapport médical relatif au demandeur a également été produit devant la Section du statut de réfugié deux jours avant la fin de l'audience portant sur la demande d'annulation. Le rapport avait été préparé par un neuropsychologue de l'hôpital St. Michael de Toronto qui avait reçu le demandeur en entrevue et l'avait évalué. Le rapport indiquait que le demandeur était séropositif, qu'il était schizophrène et qu'il avait eu des problèmes d'alcoolisme. Le rapport portait en outre que le demandeur était traité à l'hôpital à la fois pour ses problèmes physiques et pour ses problèmes psychiatriques.

[12]            L'auteur du rapport a dit que le demandeur

[TRADUCTION]...avait obtenu des résultats inférieurs aux attentes en ce qui a trait à la fluidité verbale, à la vitesse psychomotrice, à la flexibilité mentale et à l'apprentissage verbal.

Les résultats du demandeur aux tests cognitifs ont été qualifiés de [TRADUCTION] « médiocres » .

[13]                        Le demandeur a maintenu qu'il n'avait pas donné de fausses indications sur des faits essentiels ni dissimulé des faits essentiels lorsque sa revendication du statut de réfugié a été examinée. Il soutenait qu'il était citoyen de la Somalie et non citoyen du Kenya. Il avait obtenu un passeport kenyan à l'aide d'un faux certificat de naissance. Même si les autorités du Kenya le considèrent à l'heure actuelle comme un citoyen de ce pays, il craint d'être expulsé en Somalie une fois qu'elles auront découvert que son passeport a été obtenu par fraude et qu'il n'est pas citoyen du Kenya.

C.       LA DÉCISION


[14]            La Section du statut de réfugié a conclu que le témoignage du demandeur n'était pas crédible : le demandeur s'est contredit quant au moment où il serait allé au Kenya et il a donné des [TRADUCTION] « réponses hésitantes et confuses » aux questions qui lui ont été posées relativement aux circonstances dans lesquelles il a obtenu son passeport. La Section du statut de réfugié a également jugé insatisfaisantes et invraisemblables les dépositions des témoins appelés par M. Hassan qui ont déclaré qu'ils avaient connu le demandeur et sa famille dans leur ville natale en Somalie et qu'ils les avaient vus à diverses reprises pendant les années 1980.

[15]            La Section du statut de réfugié a conclu qu'il n'y avait aucune preuve digne de foi que le demandeur était citoyen de la Somalie. En revanche, son passeport kenyan et la lettre du ministère de l'Immigration du Kenya constituaient une preuve de sa citoyenneté kenyane. Le tribunal a donc conclu, suivant la prépondérance des probabilités, que le demandeur était citoyen du Kenya et qu'il avait dissimulé ce fait à la Commission lorsqu'il a revendiqué le statut de réfugié à l'égard de la Somalie.

D.             ANALYSE

[16]            La conclusion de la Section du statut de réfugié que le témoignage du demandeur n'était pas digne de foi était cruciale pour sa décision. S'il avait cru M. Hassan lorsqu'il a déclaré qu'il est né en Somalie et qu'il a obtenu son passeport kenyan à l'aide d'un faux certificat de naissance, le tribunal n'aurait pas pu conclure qu'il avait donné une fausse indication ou qu'il avait dissimulé un fait. Il en est ainsi parce qu'il ne serait probablement pas un citoyen du Kenya, même si ce statut lui est actuellement reconnu, et que son passeport, même s'il ne s'agit pas d'un faux document, a été obtenu à l'aide de faux renseignements et pourrait donc être qualifié de « faux » .


[17]            Les conclusions sur la crédibilité sont évidemment au coeur même de la compétence de la Section du statut de réfugié lui permettant d'établir les faits et ce n'est que dans les circonstances les plus inhabituelles qu'une cour de révision les modifiera. Cependant, un tribunal administratif doit mériter le respect de ses conclusions par la cour de révision en expliquant clairement les motifs qui sont à l'origine de celles-ci et comment il a traité les éléments de preuve pertinents à ces conclusions.

[18]            Pour s'acquitter de son obligation de motiver adéquatement ses décisions, un tribunal administratif n'est pas tenu de se reporter explicitement à chacun des éléments de preuve dont il a été saisi et qui tendent à réfuter une conclusion de fait qu'il a tirée, ni d'analyser chacun de ceux-ci. Cela dépend beaucoup de la pertinence et de la force de la preuve ainsi que de l'importance pour la décision finale du fait auquel se rapporte la preuve.

[19]            En l'espèce, comme je l'ai indiqué, la crédibilité du témoignage du demandeur était un élément crucial pour la décision du tribunal. Celui-ci a expliqué sa conclusion en invoquant les contradictions contenues dans le témoignage du demandeur ainsi que les réponses confuses et hésitantes qu'il a données aux questions posées. En fait, après avoir lu la transcription, je peux confirmer que le témoignage du demandeur était parfois tout à fait incohérent.


[20]            Cependant, en tirant sa conclusion, le tribunal ne s'est pas attardé dans ses motifs sur le contenu du rapport médical qui lui avait été soumis. À mon avis, ce rapport était à la fois convaincant et pertinent pour la conclusion sur la crédibilité. Les lacunes du témoignage du demandeur qui ont amené le tribunal à conclure que ce témoignage n'était pas digne de foi sont aussi compatibles avec les problèmes psychiatriques et autres dont, suivant le rapport, M. Hassan souffre, le traitement qu'il reçoit pour ceux-ci et les résultats des tests que lui a fait passer le psychologue.

[21]            Je ne veux pas que l'on pense que j'affirme que, compte tenu du rapport médical, il était déraisonnable pour le tribunal de conclure à l'absence de crédibilité. Pas du tout. J'affirme plutôt que les motifs de la décision auraient dû clairement indiquer qu'en évaluant la crédibilité du demandeur, le tribunal a examiné explicitement le contenu de son rapport.

[22]            Certes, le tribunal a dit dans l'introduction de ses motifs qu'il avait examiné les divers éléments de preuve dont il avait été saisi, notamment le rapport médical présenté au nom du demandeur. Toutefois, étant donné la force persuasive de ce rapport, sa pertinence pour la conclusion du tribunal quant à l'absence de crédibilité et l'importance primordiale de la crédibilité pour la décision, la Section du statut de réfugié aurait dû aller plus loin. Elle devait expliquer comment elle s'en était servie pour en arriver à conclure à l'absence de crédibilité : Ngombo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1997), 40 Imm. L.R. (2d) 321 (C.F. 1re inst.).


[23]            Pour déterminer si les motifs du tribunal étaient suffisants, j'ai également tenu compte du caractère inhabituel de la procédure s'étant déroulée devant lui : une audience d'annulation tenue à la demande du ministre afin de déterminer si le demandeur avait donné de fausses indications sur des faits essentiels ou avait dissimulé des faits essentiels sur lesquels la Commission s'était appuyée pour lui reconnaître le statut de réfugié environ six ans plus tôt. Dans de telles circonstances, une personne a le droit de savoir avec certitude que la Section du statut de réfugié a examiné équitablement l'ensemble de la preuve.

E.             CONCLUSION

[24]            Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie.

F.             QUESTIONS CERTIFIÉES


[25]            Après que j'eus envoyé aux avocats des deux parties une version provisoire des présents motifs, l'avocat du ministre m'a demandé, conformément au paragraphe 83(1) de la Loi sur l'immigration, de certifier deux questions. La première était celle de savoir si un document qui a été obtenu à la suite d'une fausse indication sur un fait important était « un faux document » au sens de la question du FRP où l'on demande aux revendicateurs d'indiquer si leurs documents de voyage sont des « faux » . À mon avis, le sens d'une question contenue dans un formulaire administratif n'est pas une question de droit et ne constitue pas « une question grave de portée générale » devant être examinée par la Cour d'appel.

[26]            L'avocat m'a aussi demandé de certifier la question de savoir si une personne qui a obtenu la délivrance d'un passeport à l'aide d'un certificat de naissance fabriqué est ressortissant d'un pays lorsque le pays en cause reconnaît ce statut à cette personne.

[27]            À mon avis, cette question est surtout de nature factuelle parce qu'elle dépend du droit applicable dans le pays qui a délivré le passeport. Dans Zheng c. M.C.I. (C.F. 1re inst.); IMM-332-96; 13 octobre 1996), décision sur laquelle l'avocat a attiré mon attention dans ses observations concernant la certification d'une question, il y avait une preuve sans équivoque que suivant le droit du Tonga, la délivrance d'un passeport par les autorités tonganes conférait la nationalité du Tonga à la personne à laquelle il était délivré. Dans d'autres pays, toutefois, une personne se voit délivrer un passeport parce qu'elle est un ressortissant du pays en cause : la délivrance d'un passeport ne confère pas la nationalité du pays à la personne à laquelle le passeport est délivré.


[28]            D'après les éléments de preuve dont j'ai été saisi, le droit applicable au Kenya n'est pas le même que celui qui est applicable au Tonga. La lettre du ministère de l'Immigration du Kenya indiquait simplement que, à la suite de l'examen du dossier par un fonctionnaire, le demandeur semblait être un citoyen du Kenya. Par conséquent, si les autorités du Kenya déterminaient ultérieurement que M. Hassan n'avait pas droit à un passeport kenyan parce qu'il n'est pas un ressortissant de ce pays, ce dernier pourrait être expulsé en Somalie.

[29]            En l'absence d'éléments de preuve relatifs au droit applicable au Kenya, on doit présumer qu'il est le même que celui qui s'applique au Canada. Par conséquent, la décision de la Section du statut de réfugié aurait fort bien pu être différente si elle avait cru le témoignage du demandeur.

[30]            Je ne considère pas que la présente affaire soulève une question grave de portée générale.

OTTAWA (ONTARIO)                                      « John M. Evans »       

                                                                                                                                                              

Le 7 septembre 1999                                                            J.C.F.C.              

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.


                                     COUR FÉDÉRALE

                    SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE :                   IMM-5440-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :             Ali Abdi Hassan c. M.C.I.

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                24 août 1999

MOTIFS DE L'ORDONNANCE du juge Evans en date du 7 septembre 1999

ONT COMPARU :

Michael Crane                           pour le demandeur

Godwin Friday                          pour l'intimé

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Michael Crane                           pour le demandeur

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                  pour l'intimé

Sous-procureur général du Canada


 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.