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Date : 20000510


Dossier : T-1108-94

Entre :     


JAMES D. NOLAN


Demandeur


- et -



SILEX INTERNATIONAL CHEMICAL SYSTEMS INC.



-et-



RENÉ ST-PIERRE


Défendeurs

     MOTIFS DE LA DÉCISION

LE JUGE LEMIEUX


INTRODUCTION


[1]      Par les présentes, la Banque de Développement du Canada (ci-après: BDC) en appelle de l"ordonnance rendue par M. Roger R. Lafrenière, protonotaire, le 2 décembre 1999 qui rejetait la requête en annulation de la distribution du produit de la vente en justice des biens meubles du débiteur Silex International Chemical Systems Inc. (ci-après: Silex), défendeur à l"instance principale, déposée par la BDC.

[2]      Tel qu"il est prévu à la règle 51 des Règles de la Cour fédérale, 1998 , une ordonnance d"un protonotaire de la Cour peut être portée en appel par voie de requête présentée à un juge de la Section de première instance de la Cour.

[3]      Par ailleurs, la norme de révision applicable quant aux ordonnances rendues par les protonotaires en vertu de leur pouvoirs discrétionnaires fut élaborée par la Cour d"appel fédérale dans l"arrêt Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd , [1993] 2 C.F. 425.

[4]      Ainsi, je remarque que dans le cadre de ce présent appel, la BDC n"est pas partie au litige principal et ne fait qu"intervenir à titre de créancier du défendeur en cause, Silex. Compte tenu de cette situation, il me faut conclure que l"ordonnance du protonotaire Lafrenière, qu"il exerce un pouvoir discrétionnaire ou non, porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l"issue du principal puisque la BDC n"aura plus la possibilité de faire valoir ses droits de créance sur ladite distribution du produit de la vente; l"ordonnance s"avère donc finale quant aux droits de la BDC. En ces circonstances, je me dois donc de reprendre l"affaire depuis le début.

FAITS

[5]      Ayant entendu les parties et ayant lu le dossier, je ne vais que résumer brièvement les faits déjà exposés par le protonotaire Lafrenière dans son ordonnance.

[6]      Le 21 octobre 1998, cette Cour rendit un jugement octroyant au demandeur Nolan la somme de 96 000,00 $ contre les défendeurs Silex et René St-Pierre. Suite à ce jugement, un bref de saisie en exécution de jugement fut émis par cette Cour en date du 25 février 1999 contre les biens mobiliers et immobiliers de Silex.

[7]      Le 2 mars 1999, sur demande de Nolan, le demandeur, l"huissier Jacques Bothillier procéda à la saisie des biens mobiliers de Silex et signifia une semaine plus tard au demandeur Nolan, l"état certifié des droits inscrits au Registre des droits personnels et réels mobiliers (ci-après: le registre) sur lesdits biens saisis de Silex. Il appert dudit état certifié que deux hypothèques conventionnels sans dépossession y figurent: une première au montant de 115 000,00$ inscrite au nom de la Banque Royale du Canada (ci-après: BRC) et une seconde au montant de 96 000,00$ inscrite au nom de la BDC.

[8]      Suivant l"article 592.3 du Code de procédure civile , L.R.Q., c. C-25 (ci-après: C.p.c.), le 16 mars 1999, l"huissier signifia l"avis de vente en justice et le procès-verbal de saisie-exécution à la BDC puisque cette dernière est titulaire de droit envers lesdits biens. Le 17 mars 1999, un avis de vente en justice des biens de Silex fut publié en conformité de l"article 594 du C.p.c .; ladite vente ayant été fixée au 31 mars suivant.

[9]      Le 23 mars 1999, la BDC déposa une requête en vertu de l"article 592.4 du C.p.c. afin de fixer une mise à prix minimum des biens mobiliers saisis et en signifia copie au demandeur Nolan. Lors de cette requête, la BDC produisit une copie de son acte hypothécaire ainsi que la preuve de l"inscription de son droit au registre.

[10]      En date du 29 mars 1999, cette Cour procéda à l"émission d"une ordonnance fixant à 13 000,00$ la mise à prix totale desdits biens meubles de Silex devant être vendus et ordonnant au huissier saisissant de publier de nouveau, l"avis de vente en y incluant la mise à prix. Le nouvel avis de vente fut publié en date du 12 avril 1999; la date de la vente fut fixée au 27 avril 1999 en la ville de Blainville, province de Québec.

[11]      Lors de la vente en justice effectuée par huissier, la majorité des biens mobiliers de Silex furent vendus pour un montant brut total de 72 000,00$. Il appert que la BDC ne pressa aucun de ses représentants à assister à ladite vente et ce, malgré le fait qu"elle était parfaitement informée de la date de la vente. Toutefois, le ou vers le 30 avril 1999, la BDC s"informa, par l"entremise d"un de ses avocats, du déroulement de ladite vente en justice. À cette occasion, on lui indiqua que le produit de la vente était d"environ 73 000,00$.

[12]      En vertu de la règle prévue à l"article 604 du C.p.c. , les créanciers hypothécaires de Silex avaient jusqu"au 7 mai 1999 pour produire entre les mains du huissier saisissant un état de leur créance, appuyé d"un affidavit et des pièces justificatives nécessaires. Or, au 7 mai 1999, il appert que la BDC n"avait toujours pas produit au huissier ni signifié à Silex les documents requis.

[13]      Le 25 mai 1999, la BDC fut informée que le produit de la vente en justice des biens meubles de Silex avait été remis au demandeur Nolan. Le 27 mai 1999, la BDC signifia à Nolan la requête en annulation de la distribution du produit de la vente en justice des biens meubles du débiteur Silex qui fait l"objet du présent appel.

[14]      En date du 2 décembre 1999, le protonotaire Lafrenière rendit une ordonnance rejetant ladite requête de la BDC et ce, au motif que puisque la BDC ne s"était pas conformée aux exigences prévues au C.p.c. , c"est à bon droit que le huissier saissisant remis le produit de la vente desdits biens au créancier saisissant Nolan, le tout tel que le prescrit l"article 613 du C.p.c. .

[15]      La question qui était devant le protonotaire Lafrenière était la suivante:

     Compte tenu du défaut du créancier hypothécaire BDC de produire entre les mains du huissier saisissant un état de sa créance dans les dix (10) jours de la vente en justice des biens meubles du débiteur Silex, l"huissier saisissant était-il autorisé à verser au demandeur Nolan, créancier chirographaire, le produit de la vente en justice desdits biens meubles, après déduction des frais taxés, sans dresser un état de collocation?

[16]      Ayant écouté les prétentions des parties et ayant lu attentivement les arguments soulevés de part et d"autre, je ne m"y attarderai pas plus longtemps et je vais directement à l"analyse du droit en cause.

LE DROIT APPLICABLE

[17]      Tel qu"énoncé par la règle 448 des Règles de la Cour fédérale, 1998 , lorsque l"exécution forcée d"une ordonnance de la Cour fédérale implique la saisie et la vente de biens, meubles ou immeubles, la procédure applicable est celle de la province où ladite saisie a été effectuée. Dans le cas présent, il ne fait aucun doute que la procédure applicable est celle du C.p.c . puisque la saisie des biens meubles de Silex fut effectuée dans la province de Québec.

[18]      Consultant le C.p.c., les articles applicables aux présentes sont ceux se trouvant à la section 2 du Livre IV du C.p.c. qui porte le titre de "la saisie-exécution des biens meubles". Ce bloc d"articles comprend les articles 580 à 616.1. Les articles qui attirent notre attention sont les suivants:

592.2      Lorsque les biens saisis sont ceux d"une entreprise et qu"il se trouve parmi les biens saisis, un bien ou un ensemble de biens dont l"officier saisissant estime la valeur marchande à 6 000 $ ou plus, suivant son évaluation, celui-ci doit obtenir de l"officier de la publicité des droits un état certifié des droits consentis par le débiteur sur ce bien ou cet ensemble de biens et inscrits sur le registre des droits personnels et réels mobiliers.

592.2      Where the property seized is the property of an enterprise and includes a property or a group of properties of which the market value is estimated to be $6 000 or more according to the valuation of the seizing officer must obtain from the registrar a certified statement of the rights granted by the debtor on the property or group of properties and registered in the register of personal and movable real rights.

592.3 Lorsque l"officier saisissant constate que des droits ont été consentis par le débiteur sur des biens saisis, il doit signifier avec diligence, sous peine de tous dommages-intérêts, aux titulaires des droits publiés, à l"adresse inscrite au registre des droits personnels et réels mobiliers, une copie certifiée de son procès-verbal de saisie et de l"avis de vente ; il doit aussi informer le créancier saisissant de l"existence des droits consentis par le débiteur.

592.3      Where the seizing officer ascertains that rights have been granted by the debtor in the seized property, he must, under penalty of all damages, promptly serve on the holders of published rights, at the adress registered in the register of personal and movable real rights, a certified copy of his minutes of seizure and the notice of sale; he must also inform the seizing creditor of the existence of the rights granted by the debtor.

604. Les créanciers du saisi ne peuvent s"opposer à la saisie ni à la vente.

Toutefois, les créanciers prioritaires ou hypothécaires peuvent exercer leurs droits sur le produit de la vente; en ce cas, ils produisent entre les mains de l"officier saisissant, au plus tard dix jours après la vente, un état de leur créance, appuyé d"un affidavit et des pièces justificatives nécessaires, lesquels doivent en outre être signifiés au saisi. Dans les dix jours de la signification de l"état d"une créance prioritaire ou hypothécaire, le saisi peut s"adresser au tribunal ou au juge pour la contester.

604. The creditors of the debtor cannot oppose the seizure of the sale.

However, prior and hypothecary creditors may exercise their rights upon the proceeds of the sale; for that purpose, they file with the seizing officer, within ten days after the sale, a statement of their claim, supported by an affidavit and the necessary vouchers, which documents must also be served on the debtor. Within ten days of service of a statement of a prior or hypothecary claim, the debtor may apply to the court of to the judge to contest the claim.


613. Dans les dix jours qui suivent l"expiration du délai de production d"un état de leur créance par les créanciers prioritaires ou hypothécaires, l"officier saisissant, entre les mains duquel aucun état n"a été produit, paie au créancier saisissant les sommes d"argent saisies ou prélevées, après déduction des frais taxés et il rapporte au greffe ses procès-verbaux de saisie et de vente.

613. Within ten days after expiry of the time allowed prior or hypothecary crebitors to file a statement of their claim, the seizing officer, if no statement has been filed with him, pays to the seizing creditor the moneys seized or levied, after deducting the taxed costs, and files his minutes of seizure and sale at the office of the court.

614.      Si l"officier saisissant a constaté que des droits ont été consentis sur les biens saisis, il dresse un état de collocation dont il signifie une copie certifiée au débiteur et aux créanciers.

     Si, dans les dix jours de la signification de l"état, le débiteur ou aucun créancier ne l"a contesté, l"officier saisissant procède à la distribution des sommes d"argent. Au cas contraire, il les rapporte pour qu"elles soient adjugées à qui de droit par le tribunal ; il en est de même lorsqu"il y a déconfiture du saisi. Cependant, l"officier saisissant n"est pas tenu de dresser un état de collocation lorsque les sommes d"argent prélevées n"excèdent pas les frais de justice.

     Après la distribution, l"officier saisissant rapporte au greffe ses procès-verbaux de saisie et de vente, ainsi que l"état de collocation.

614.      If the seizing officer has ascertained that rights have been granted in the seized property, he prepares a scheme of collocation and serves a certified copy on the debtor and the creditors.

     If the scheme is not contested by the debtor or any creditor within ten days after its service, the seizing officer distributes the moneys. Otherwise, he returns the moneys to be adjudged by the court to those entitled thereto; the same applies in the case of insolvency of the debtor. However, the seizing officer is not required to prepare a scheme of collocationwhere the moneys levied do not exceed the legal costs.

     After the distribution, the seizing officer files his minutes of seizure and sale and the scheme of collocation at the office of the court.

                    

615. La distribution des sommes d"argent provenant de la vente s"effectue dans l"ordre suivant:

     1) Les frais de justice ;

     2) Les réclamations des créanciers prioritaires, ou hypothécaires, s"ils ont produit un état de leur créance appuyé d"un affidavit et des pièces justificatives nécessaires;

     3) La réclamation du créancier saisissant, s"il est chirographaire.

     S"il y a déconfiture du saisi, la distribution entre les créanciers chirographaires s"effectue conformément à l"article 578.


615.      The distribution of the proceeds of the sale is made in the following order:

     1) Legal costs

     2) The claims of the prior or hypothecary creditors, if they have filed a statement of their claim supported by an affidavit and the necessary vouchers;

     3) The claim of the seizing creditor, if unsecured.

     In the case of insolvency of the debtor, the distribution among unsecured creditors is made in accordance with article 578.


ANALYSE

     L"interprétation doctrinale

[19]      Les parties ont déposé, de part et d"autre, l"opinion de certains auteurs québécois quant à l"interaction des articles 604, 613 et 614 du C.p.c . Entre autre, je constate que le protonotaire Lafrenière s"est longuement attardé à décrire les deux thèses avancées par lesdits auteurs quant à l"application de ces articles. Ayant pris connaissance de ces articles de doctrine, je n"entend pas les réitérer in extenso dans le cadre des présents motifs.

[20]      Toutefois, la divergence existant en droit québécois quant à l"application de ces articles du C.p.c ., formant ici tout le débat, ne réside pas dans l"énoncé des principes d"interprétation mais bien dans la détermination de l"interaction de ces articles entre eux.

[21]      Je note que Me Francois Bousquet, dans son ouvrage intitulé "Procédures et statégies pour une exécution efficace du jugement", dans Service de la formation permanente, Barreau du Québec , Congrès annuel du Barreau du Québec (1994) à la page 963 suggère que l"état de collocation requis à l"article 614 ne doit contenir que les réclamations des créanciers hypothécaires ou prioritaires qui ont produit l"état de leur créance en conformité de l"article 604. De l"autre côté, Me Charles Belleau, soutient, dans son volume "Précis de procédure civile du Québec", Ferland et Emery, Volume 2, 3e édition, que l"article 613 du C.p.c ., prévoyant que les sommes d"argent résultant de la vente du bien saisi soient remises directement au créancier saisissant lorsqu"aucun état des créances n"a été déposé, ne trouve application que lorsqu"aucun droit n"a été consenti sur lesdits biens avant leur saisie.

     Principes d"interprétation des lois

[22]      Puisque selon l"arrêt de la Cour d"appel fédérale, Aqua-Gem Investments Ltd , précité, je me dois de revisiter l"ordonnance du protonotaire Lafrenière de novo , je considère essentiel de procéder à l"examen des articles en cause en appliquant les principes d"interprétation des lois tels qu"élaborés par la Cour suprême du Canada dans Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re) , [1998] 1 R.C.S. 27 et réitéré dans CanadianOxy Chemicals Ltd c. Canada (Procureur Général), [1999] 1 R.C.S. 743.

[23]      Dans Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, le M. le juge Iacobucci indiquait, aux paragraphes 21-22:

[TRADUCTION] Bien que l'interprétation législative ait fait couler beaucoup d'encre (voir par ex. Ruth Sullivan, Statutory Interpretation (1997); Ruth Sullivan, Driedger on the Construction of Statutes (3e éd. 1994) (ci-après "Construction of Statutes"); Pierre-André Côté, Interprétation des lois (2e éd. 1990)), Elmer Driedger dans son ouvrage intitulé Construction of Statutes (2e éd. 1983) résume le mieux la méthode que je privilégie. Il reconnaît que l'interprétation législative ne peut pas être fondée sur le seul libellé du texte de loi. À la p. 87, il dit:
[TRADUCTION] Aujourd'hui il n'y a qu'un seul principe ou solution: il faut lire les termes d'une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur
....
     Je m'appuie également sur l'art. 10 de la Loi d'interprétation, L.R.O. 1980, ch. 219, qui prévoit que les lois "sont réputées apporter une solution de droit" et doivent "s'interpréter de la manière la plus équitable et la plus large qui soit pour garantir la réalisation de leur objet selon leurs sens, intention et esprit véritables".

[24]      Ces principes d"interprétation, fondés sur la cohérence de la loi, ont application en droit civil québécois. Le professeur Pierre-André Côté indiquait dans son volume Interprétation des Lois , 2e éd., 1991, Les Éditions Yvon Blais Inc., pp. 288-89 et 259 :

     LA COHÉRENCE DE LA LOI
     Oeuvre d"un législateur rationnel et logique, la loi est censée former un système: chaque élément contribue au sens de l"ensemble et l"ensemble, au sens de chacun des éléments: "chaque disposition légale doit être envisagée, relativement aux autres, comme la fraction d"un ensemble complet" (François Gény).
[...]
LE PRINCIPE GÉNÉRAL DE LA COHÉRENCE DE LA LOI ET SES APPLICATIONS
Le principe de la cohérence et du caractère systématique de la loi a été consacré en jurisprudence depuis très longtemps. Dans l"affaire Lincoln College , Coke s"exprime ainsi (traduction):

C"est l"office du bon exégète d"interpréter ensemble tous les éléments d"une loi, et non un élément pris isolément: en effet, nul ne peut comprendre correctement une partie avant d"avoir lu et relu le tout.
[...]
     Dans R. c. Assessors of the Town of Sunny Brae8, le juge Kellock, citant un extrait de l"arrêt qui précède, a formulé le principe ainsi (à la p. 97, traduction):
On doit interpréter une loi de manière à éviter, autant que faire se peut , "l"incohérence ou la contradiction entre ses éléments ou ses parties".

     Dans R. c. Nabis9 enfin, le juge Beetz rappela (à la p. 494) que:
[...] l"interprète des lois doit tendre à leur intégration en un système cohérent plutôt qu"à leur morcellement et à leur discontinuité."
[...]
     En lisant un texte de loi, on doit en outre présumer que chaque terme, chaque phrase, chaque alinéa, chaque paragraphe ont été rédigés délibérément en vue de produire quelque effet. Le législateur est économe de ses paroles: il ne "parle pas pour rien dire".

[25]      Je constate qu"une seule décision fut rendue par la Cour supérieure du Québec quant à l"application de ces articles, suite aux amendements importants survenus dans le contexte de la réforme du droit civil québécois. En effet, le jugement Cleary c. Côté (C.S. Bedford, No. 460-17-000024-976, 4 mars 1999, (99BE-502)) mérite notre attention puisqu"il met en évidence les changements majeurs survenus quant à l"exercice par les créanciers hypothécaires de leur droit lorsque les biens d"un de leur débiteur font l"objet d"une saisie par un autre créancier. Je reprend donc certains passages de cette décision qui avaient été considérés par le protonotaire Lafrenière. Il cite intégralement le juge Fréchette dans Cleary, précité comme suit aux pages 11-12:

     Dans les circonstances, le tribunal n"hésite pas à conclure que l"article 604 tel que sanctionné a levé toute ambiguïté d"interprétation. En effet, il est maintenant clair que le créancier prioritaire ou hypothécaire ne peut revendiquer les biens sur lesquels il détient un lien et préalablement saisis par un autre créancier: c"est le texte même de la loi. Ces créanciers ne peuvent exercer leurs droits que sur le produit de la vente.
     D"ailleurs, s"il devait subsister quelqu"hésitation à cet égard, les commentaires du ministre de la Justice contribuent à confirmer la clarté de la disposition de même que l"objectif poursuivi par le législateur.

"Commentaires :
Cet article confirme le principe selon lequel les créanciers du saisi ne peuvent s"opposer à la saisie ni à la vente, mais supprime l"opposition à fin de conserver et simplifie la procédure permettant aux créanciers prioritaires ou hypothécaires d"exercer leurs droits sur le produit de la vente. Vu les nouvelles dispositions sur la publicité des droits, il ne semble pas vraiment nécessaire d"obliger les créanciers hypothécaires à former une opposition à fin de conserver pour protéger leurs droits, puisque ceux-ci font déjà l"objet d"une inscription au registre foncier ou au registre des droits personnels et réels mobiliers, selon le cas. Par ailleurs, l"article 2655 C.C.Q. prévoit que les créances prioritaires sont opposables aux autres créanciers sans qu"il soit nécessaire de les publier. Dans ce contexte, il suffit que ces créanciers produisent entre les mains de l"officier saisissant, au plus tard dix jours après la vente, un état de leur créance, appuyé d"un affidavit et des pièces justificatives nécessaires. Dans les dix jours de la signification de l"état d"une créance prioritaire ou hypothécaire, le saisi peut s"adresser au tribunal ou au juge pour la contester."

     On conviendra sans doute que ces commentaires du ministre ne font que contribuer à clarifier la situation: le créancier prioritaire ou hypothécaire ne peut que soumettre l"état de sa créance et être colloqué sur produit de la vente.
     Par ailleurs, il faut retenir les dispositions de l"article 678 qui établissent une concordance entre les oppositions à la saisie exécution mobilière et à la saisie exécution immobilière:

"678: Sous réserve des dispositions qui suivent, les règles des articles 596 à 604, relatives aux oppositions à la saisie-exécution mobilière, s"appliquent également aux oppositions à la saisie-exécution immobilière."

     Ainsi, on comprendra sans doute que le créancier hypothécaire immobilier dont le débiteur est en défaut ne pourra que soumettre sa créance à l"officier saisissant s"il n"a pas lui-même pris l"initiative d"exercer les droits que la loi lui permet avant qu"un autre créancier ne procède à la saisie du bien. Il n"y a pas alors d"opposition ou de revendication possible. [mes soulignés ]

[26]      Je constate des faits que l"huissier saisissant a effectivement respecté la procédure prévue aux articles 592.2 et 592.3 du C.p.c ., ceci d"ailleurs ne fait pas l"objet de contestation de part et d"autre.

[27]      Toutefois, la BDC conteste le fait que l"huissier saisissant n"ait pas dressé un état de collocation, comme le prévoit le premier alinéa de l"article 614 du C.p.c . et ce, malgré le fait qu"il était parfaitement informé de l"existence d"autres créanciers hypothécaires puisqu"il avait obtenu l"état certifié des droits consentis par Silex sur les biens en question et inscrits sur le registre, le tout en conformité de l"obligation contenue à l"article 592.2 du C.p.c..

[28]      Je comprends bien l"argument de la BDC qui souligne la phraséologie utilisée par le législateur au premier alinéa de l"article 614 du C.p.c .: "Si l"officier saisissant a constaté que des droits ont été consentis", phraséologie laissant sous-entendre l"existence d"une obligation, afférente au huissier, de dresser un état de collocation dès qu"il a constaté la présence de droits consentis sur les biens saisis. Je profite donc de la tribune qui n"est offerte que pour souligner la réelle confusion que provoque l"emploi des mots susmentionnés. Toutefois, je me dois de résoudre le litige qui est devant moi et ce, en conformité des principes d"interprétation déjà exposés.

[29]      Ainsi, je note que la BDC semble oublier, en exposant un tel raisonnement, l"existence des articles 604, 613 et 615 du C.p.c . Certes, la Cour suprême du Canada nous enseigne dans Rizzo, précité, qu"il faille interpréter les articles d"une loi en tenant compte du sens ordinaire des mots. Toutefois, l"interprétation de ces dits mots doit être faite suivant le contexte global de la loi, en fonction de l"objet de cette dernière, de son esprit et le tout en harmonie avec l"intention du législateur. En outre, le législateur ne s"exprimant jamais pour ne rien dire, il est donc essentiel d"établir l"interaction de ces articles parmi les autres et ce, dans une analyse du schéma de la Loi.

         L"article 604 du C.p.c.

[30]      Ainsi, je conclus que donner foi à l"interprétation qui m"est suggérée par la BDC serait l"équivalent de faire fi de la présence de l"article 604 du C.p.c. . En effet, il ressort clairement de cet article qu"une obligation est imposée aux créanciers hypothécaires et prioritaires qui possèdent des droits sur lesdits biens saisis et mis en vente, de produire, entre les mains du huissier saisissant, dans un délai de 10 jours suivant la vente, un état de leur créance, appuyé d"un affidavit et des pièces justificatives nécessaires.

[31]      Cette obligation imposée aux créanciers est d"autant plus logique que suivant le droit des sûretés et des hypothèques, il est de pratique courante qu"une créance hypothécaire ou prioritaire se rembourse sur une période de temps, plus ou moins longue, par le dépôt régulier d"un montant d"argent précis; bien entendu, eu égard aux modalités de paiement prévues au contrat de prêt. Il est donc essentiel à la bonne administration du produit de la vente en justice des biens saisis qu"un état précis des montants réellement dus à la date de la saisie, et non simplement le montant théorique qui apparaît dans son intégralité dans l"acte à la source des droits consentis par le débiteur, soit donné au huissier saisissant, chargé de dresser l"état de collocation et de distribuer ledit produit de la vente. L"objet principal des dispositions est la distribution du produit de la vente et non à savoir si la sûreté hypothécaire est valide ou non. Sinon, comment ce dernier pourrait-il procéder à la distribution réelle du produit de vente selon les sommes actuellement dues à chacun des créanciers?

[32]      Par ailleurs, je note que l"existence d"une telle obligation envers les créanciers hypothécaires et prioritaires est confirmée par le paragraphe 2 de l"article 615 du C.p.c. qui réitère la nécessité, pour ces derniers, de produire l"état de créance appuyé d"un affidavit et des pièces justificatives afin que s"effectue la distribution du produit de la vente. Somme toute, je conclus que l"existence de l"obligation afférente à la production de l"état de créance et des autres documents se confirme par l"interaction des articles 604 et 615 du C.p.c.

         Les articles 613 et suivants

[33]      De plus, je constate qu"adopter l"interprétation plaidée par la BDC reviendrait à annihiler tout le mécanisme de distribution du produit de la vente en justice des biens saisis prévu aux articles 613 et suivants.

[34]      Observant les articles 613 et suivants, il est évident que le législateur prévoyait deux éventualités, soit celle où aucun créancier prioritaire ou hypothécaire ne produirait l"état de leur créance ainsi que les autres documents requis ou celle où ces créanciers produiraient dans le délai imparti l"état de leur créance et les autres documents afférents.

[35]      Dans le cas du premier scénario, l"article 613 autorise l"huissier saisissant à payer au créancier saisissant les sommes d"argent saisies après les déductions des frais taxés. Pour ce qui est du deuxième scénario, il faut alors se reporter à l"article 614 du C.p.c . qui oblige l"huissier saisissant à dresser un état de collocation afin de pouvoir distribuer équitablement le produit de la vente des biens saisis.

[36]      Somme toute, afin que les articles 613 et suivants puissent trouver une application cohérente, il est absolument nécessaire d"interpréter 604 comme imposant une obligation aux créanciers hypothécaires et prioritaires de produire état de leur créance.

[37]      Après analyse du droit applicable, j"en conclus que c"est à bon droit que l"huissier saisissant décida de verser au créancier chirographaire, le demandeur Nolan, le produit de la vente des biens saisis en conformité avec le C.p.c ., après déduction des frais de justice, sans avoir dressé un état de collocation. Selon l"article 604, il revenait à la BDC de fournir un état de sa créance appuyé d"un affidavit et des pièces justificatives nécessaires dans le délai imparti si elle voulait être colloquée comme créancier lors de la distribution et recevoir une partie du produit de la vente de biens saisis.

[38]      Je conclus donc également que le fait pour un créancier hypothécaire ou prioritaire de ne pas respecter les exigences prévues au C.p.c. entraîne l"exclusion de ce dernier lors de la distribution du produit de la vente en justice des biens saisis. De plus, cette omission de la part d"un créancier relève également le huissier saisissant de son obligation de dresser un état de collocation.

[39]      À mon avis, le protonotaire Lafrenière a bien interprété les dispositions législatives du C.p.c. dans son ensemble.

CONCLUSION

[40]      Pour tous ces motifs, l"appel de la BDC est rejeté avec dépens.

     "François Lemieux"

    

     J U G E

Ottawa (Ontario)

le 10 mai 2000

                        

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