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Date: 19971103


T-1552-97

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MARC NADON

     ACTION IN REM EN AMIRAUTÉ CONTRE LES NAVIRES

     "PACIFIC SHORE", "IVORY C", "D"YERMAK"ER" ,

     "MIHAMAWEST", "QUEPASA", "SILVER SEEKER",

     "WANDERER"Y", "US-QUABACH", "GRIZZLY KING",

     "SILVER TIDE", "GALLEY BAY", "MISS INA",

     "VICTOR", "DIANNA TINA", "SEA WIFE",

     "WINDSWEPT", "WISHING WELL", ET D'AUTRES

ENTRE :

     L'ÉTAT D'ALASKA, ALASKA MARINE HIGHWAY SYSTEM,

     ET LE MINISTÈRE DES TRANSPORT ET DES SERVICES PUBLICS

     DE L'ALASKA

     demandeurs,

ET :

     JOHN A. DOE, JOHN B. DOE, JANE A. DOE, JANE B. DOE,

     ET D'AUTRES PERSONNES INCONNUES ET

     DIFFÉRENTS NAVIRES BLOQUANT LA NAVIGATION

     À PRINCE RUPERT, EN COLOMBIE-BRITANNIQUE,

     NOTAMMENT LES NAVIRES

     "PACIFIC SHORE", "IVORY C", "D"YERMAK"ER" ,

     "MIHAMAWEST", "QUEPASA", "SILVER SEEKER",

     "WANDERER"Y", "US-QUABACH", "GRIZZLY KING",

     "SILVER TIDE", "GALLEY BAY", "MISS INA",

     "VICTOR", "DIANNA TINA", "SEA WIFE",

     "WINDSWEPT", "WISHING WELL", ET D'AUTRES

     Y COMPRIS LES NAVIRES, LEURS PROPRIÉTAIRES

     ET LEURS ARMATEURS GÉRANTS ÉNUMÉRÉS

     DANS L'ANNEXE "A",

     défendeurs.

     ORDONNANCE

     Les requêtes sont accueillies. La Cour déclare que l'action des demandeurs intentée contre les défendeurs énumérés à l'annexe "A", hormis les 17 navires désignés comme défendeurs, a été introduite irrégulièrement. La Cour déclare également que la signification de la déclaration ou de la déclaration modifiée à ces défendeurs est invalide.

     "MARC NADON"

     Juge

Traduction certifiée conforme                                   François Blais, LL.L.


Date: 19970103


T-1552-97

     ACTION IN REM EN AMIRAUTÉ CONTRE LES NAVIRES

     "PACIFIC SHORE", "IVORY C", "D"YERMAK"ER" ,

     "MIHAMAWEST", "QUEPASA", "SILVER SEEKER",

     "WANDERER"Y", "US-QUABACH", "GRIZZLY KING",

     "SILVER TIDE", "GALLEY BAY", "MISS INA",

     "VICTOR", "DIANNA TINA", "SEA WIFE",

     "WINDSWEPT", "WISHING WELL", ET D'AUTRES

ENTRE :

     L'ÉTAT D'ALASKA, ALASKA MARINE HIGHWAY SYSTEM,

     ET LE MINISTÈRE DES TRANSPORT ET DES SERVICES PUBLICS

     DE L'ALASKA

     demandeurs,

ET :

     JOHN A. DOE, JOHN B. DOE, JANE A. DOE, JANE B. DOE,

     ET D'AUTRES PERSONNES INCONNUES ET

     DIFFÉRENTS NAVIRES BLOQUANT LA NAVIGATION

     À PRINCE RUPERT, EN COLOMBIE-BRITANNIQUE,

     NOTAMMENT LES NAVIRES

     "PACIFIC SHORE", "IVORY C", "D"YERMAK"ER" ,

     "MIHAMAWEST", "QUEPASA", "SILVER SEEKER",

     "WANDERER"Y", "US-QUABACH", "GRIZZLY KING",

     "SILVER TIDE", "GALLEY BAY", "MISS INA",

     "VICTOR", "DIANNA TINA", "SEA WIFE",

     "WINDSWEPT", "WISHING WELL", ET D'AUTRES

     Y COMPRIS LES NAVIRES, LEURS PROPRIÉTAIRES

     ET LEURS ARMATEURS GÉRANTS ÉNUMÉRÉS

     DANS L'ANNEXE "A",

     défendeurs.


     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE NADON :


[1]      Les requérants, propriétaires et exploitants de navires de pêche dans la province de la Colombie-Britannique sollicitent une ordonnance dans laquelle la Cour déclarerait que l'action intentée par les demandeurs contre les défendeurs énumérés à l'annexe "A", autres que les navires désignés comme défendeurs dans la déclaration déposée le 20 juillet 1997, a été introduite irrégulièrement. Les requérants demandent en outre une ordonnance annulant la signification de la déclaration modifiée contre les défendeurs énumérés dans l'annexe "A".


[2]      Un bref résumé des faits est nécessaire pour comprendre les ordonnances demandées par les requérants.


[3]      Le 20 juillet 1997, les requérants ont intenté une action in rem devant notre Cour. Les demandeurs ont désigné comme défendeurs 17 navires "et d'autres". Les demandeurs ont également désigné comme défendeurs les personnes suivantes : John A. Doe, John B. Doe, Jane A. Doe, Jane B. Doe et d'autres personnes inconnues.


[4]      L'action des demandeurs découle d'événements qui ont débuté le 19 juillet 1997, date à laquelle un certain nombre de navires sont présumés avoir été placés de façon à empêcher le départ du navire des demandeurs, le MALASPINA, un traversier transportant des véhicules automobiles et des passagers, du terminal de Prince Rupert, en Colombie-Britannique. Voici les allégations pertinentes énoncées dans la déclaration :

                         [Traduction]                         
                         4.      Les personnes défenderesses, ou certaines d'entre elles, sont les propriétaires ou les exploitants de différents navires, dont beaucoup sont des navires de pêche commerciale canadiens, et notamment des navires défendeurs.                         
                         5.      Le samedi 19 juillet 1997, les défendeurs ont, de façon fautive et avec l'intention de causer un préjudice aux demandeurs, alors que le "Malaspina" était au terminal de Prince Rupert (C.-B.), placé différents navires dont les navires défendeurs, et d'autres objets, directement au milieu ou près du trajet du "Malaspina", empêchant ainsi le "Malaspina" de quitter le terminal pour se rendre en Alaska. Les défendeurs, ou certains d'entre eux, ont également empêché l'embarquement et le désembarquement des passagers et des véhicules automobiles du "Malaspina" et d'autres navires des demandeurs, entravant ainsi encore davantage les activités ordinaires du "Malaspina" et d'autres navires du réseau de traversiers des demandeurs. Ces actes des défendeurs sont désignés collectivement comme le "blocage".                         
                         6.      Au moment où le blocage a débuté, environ 328 passagers et 71 véhicules automobiles se trouvaient à bord du "Malaspina". Le blocage a forcé l'annulation de ce voyage et d'autres voyages du "Malaspina" et a perturbé de façon importante le réseau de traversiers des demandeurs.                         
                         7.      Malgré de nombreuses demandes de la part des demandeurs, les défendeurs ont refusé de mettre fin au blocage.                         
                         8.      Les défendeurs, par ce blocage, ont créé une nuisance publique et ont commis une atteinte contre les demandeurs.                         
                         9.      En plaçant les navires et d'autres objets à certains endroits de façon à empêcher le départ du "Malaspina" du terminal, les défendeurs portent atteinte au droit de navigation public et causent un préjudice particulier aux demandeurs.                         
                         10.      Le blocage découle d'un complot par les défendeurs pour porter atteinte aux droits contractuels des demandeurs.                         

[5]      Ces allégations amènent les demandeurs à réclamer des dommages-intérêts des défendeurs, et notamment des dommages-intérêts punitifs.

[6]      Les 21, 22, 24 et 25 juillet 1997, les demandeurs ont signifié, notamment, à huit des navires désignés comme défendeurs, à 48 autres navires, à un certain nombre de personnes nommées et de personnes "inconnues", une copie certifiée de la déclaration.

[7]      Le 21 août 1997, les demandeurs ont déposé une déclaration modifiée, conformément au paragraphe 421(1) des Règles de la Cour fédérale. Les demandeurs ont modifié l'intitulé de la cause dans leur déclaration en ajoutant, après les mots "et d'autres", la mention suivante :

                         Y COMPRIS LES NAVIRES, LEURS PROPRIÉTAIRES ET LEURS ARMATEURS GÉRANTS ÉNUMÉRÉS DANS L'ANNEXE "A".                         

[8]      De plus, les demandeurs ont modifié le paragraphe 4 de leur déclaration qui se lit maintenant ainsi :

                         [Traduction]                         
                         4.      Les personnes défenderesses, ou certaines d'entre elles, sont les propriétaires ou les exploitants de différents navires, dont beaucoup sont des navires de pêche commerciale canadiens, y compris les navires défendeurs. L'annexe "A" ci-jointe dresse une liste mentionnant les renseignements suivants concernant les navires défendeurs, ainsi que les propriétaires ou exploitants défendeurs, connus des demandeurs :                         
                              i)      le nom du navire;                                 
                              ii)      le numéro officiel d'immatriculation canadienne du navire ou le numéro du permis du bateau;                                 
                              iii)      le numéro du permis canadien de bateau de pêche;                                 
                              iv)      le nom et l'adresse du propriétaire ou de l'armateur gérant défendeur.                                 

[9]      L'annexe "A", mentionnée dans la déclaration modifiée, tant dans l'intitulé de la cause que dans le paragraphe 4, compte treize pages et énumère, si je ne trompe, 94 navires, y compris les 17 navires désignés comme défendeurs dans la déclaration, et leurs propriétaires'armateurs gérants.

[10]      Selon la thèse des demandeurs, chacun des navires et propriétaires énumérés dans l'annexe "A" est une partie défenderesse dans leur action. Les demandeurs soutiennent que ces navires, mis à part ceux déjà désignés comme défendeurs dans la déclaration, et ces propriétaires ne sont pas de nouvelles parties à l'action, mais les défendeurs nommés "Doe" qu'ils sont maintenant en mesure d'identifier. En conséquence, les demandeurs soutiennent qu'ils pouvaient modifier l'intitulé de la cause par application du paragraphe 421(1), sans l'autorisation de la Cour.

[11]      Les requérants, les propriétaires'armateurs gérants des navires énumérés dans l'annexe "A" de la déclaration, soutiennent que les demandeurs ne pouvaient se prévaloir du paragraphe 421(1), étant donné que la modification a pour effet d'ajouter de nouvelles parties défenderesses à l'action que les demandeurs ont intentée le 20 juillet 1997. Le requérant affirme que l'autorisation de la Cour était nécessaire, étant donné que l'ajout de parties à une action est régi par la Règle 1716. Voici le libellé des paragraphes 421(1) et de la Règle 1716 :

                         Règle 421. (1) Une partie peut, sans permission, amender n'importe laquelle de ses plaidoiries à tout moment avant que l'autre partie n'y ait répondu.                         
                         Règle 1716. (1) La validité d'une action n'est pas affectée à cause d'une fausse constitution de partie ou de l'omission de mettre une partie en cause, et la Cour peut dans toute action disposer des points ou des questions en litige dans la mesure où ils touchent aux droits et intérêts des personnes qui sont parties à l'action.                         
                              (2) La Cour peut, à tout stade d'une action, aux conditions qu'elle estime justes, et soit de sa propre initiative, soit sur demande,                         
                              a) ordonner qu'une personne constituée partie à tort ou sans nécessité ou qui, pour quelque raison, a cessé d'être une partie compétente ou nécessaire, soit mise hors de cause, ou                         
                              b) ordonner que soit constituée partie une personne qui aurait dû être constituée partie ou dont la présence devant la Cour est nécessaire pour assurer qu'on pourra valablement et complètement juger toutes les questions en litige dans l'action et statuer sur elles,                         
                         toutefois, nul ne doit être constitué codemandeur sans son consentement notifié par écrit ou de telle autre manière que la Cour peut juger adéquate dans les circonstances.                         
                              (3) Lorsqu'une ordonnance est rendue en vertu de la présente règle, la déclaration doit obligatoirement être rectifiée en conséquence et on doit obligatoirement y inscrire                         
                                  a) une mention de l'ordonnance en vertu de laquelle la rectification est faite, et                         
                                  b) la date à laquelle la rectification est faite,                         
                         et cette rectification doit obligatoirement être faite dans le délai que spécifie l'ordonnance ou, si aucun délai n'y est spécifié, dans les 15 jours qui suivent la date à laquelle l'ordonnance a été rendue.                         

     (4) Lorsqu'une ordonnance est rendue en vertu de la présente règle, elle doit contenir des instructions quant aux plaidoiries ou autres procédures qui en résulteront et toute partie intéressée peut demander des instructions supplémentaires.

[12]      La question que je dois trancher est celle de savoir si les défendeurs énumérés à l'annexe "A", hormis les 17 navires désignés comme défendeurs dans la déclaration, sont de nouvelles parties à l'action, ou si cette annexe identifie simplement, comme les demandeurs le prétendent, les parties défenderesses nommées "Doe". Si les demandeurs ont raison d'affirmer que la modification a été effectuée simplement pour corriger une erreur de nom, et non pour effectuer un ajout ou une substitution de parties, nouvelles ou différentes, les requêtes doivent nécessairement être rejetées.

[13]      Tant les requérants que les demandeurs ont invoqué devant moi la décision rendue par la Cour d'appel de la Colombie-Britannique dans l'affaire Jackson v. Bubela, [1972] 5 W.W.R. 80. Les faits de cette cause sont assez simples et monsieur le juge Bull les résume avec exactitude à la page 81 :

                         [Traduction]                         
                         Le 18 août 1970, l'appelante a été blessée dans un accident d'automobile qui est survenu à l'intersection de la 59e avenue et de la rue Oak, à Vancouver, lorsque, selon ses dires, un véhicule automobile portant la plaque d'immatriculation no CED 696 de 1970 appartenant à l'intimée, Lorraine Bubela, et conduite avec négligence par une personne de sexe masculin, est entrée en collision avec un véhicule dans lequel elle voyageait. Au début du mois d'août 1971, l'appelante a donné pour instructions à ses avocats d'intenter une action en dommages-intérêts pour les blessures et les pertes qu'elle avait subies, les informant que la propriétaire du véhicule automobile, conduit d'après elle avec négligence, était l'intimée et que de plus amples détails pourraient être obtenus auprès de sa compagnie d'assurance, qui avait un dossier complet concernant l'accident. Elle ne connaissait pas le nom du chauffeur du véhicule "fautif". Les avocats ont alors fait tout ce qu'ils pouvaient pour obtenir le nom du chauffeur, notamment en s'informant auprès des policiers et des assureurs du véhicule fautif. Le chauffeur n'avait remis aucun rapport aux policiers comme il aurait dû le faire et les assureurs du véhicule conduit par lui ont révélé ne pas connaître son nom, tout en confirmant que l'intimée était la propriétaire du véhicule. Comme ils n'étaient pas en mesure de vérifier le nom du chauffeur, les avocats de l'appelante ont été contraints (en raison de l'expiration imminente du délai de prescription d'un an fixé par la Motor Vehicle Act , R.S.B.C. 1960, ch. 253, art. 79 [mod. 1963, ch. 27, art. 16; 1966, ch. 30, art. 20; 1968, ch. 32, art. 12; 1969, ch. 20, art. 14]) de délivrer le bref, le 17 août 1971, en désignant l'intimée comme défenderesse avec le chauffeur de son automobile à l'endroit et au moment en cause, qu'ils ont nommé "John Doe". L'inscription figurant sur le bref indiquait très clairement que "John Doe" était poursuivi en qualité de chauffeur du véhicule fautif qui avait, selon les allégations de l'appelante, conduit le véhicule de façon tellement négligente qu'il avait causé des blessures à l'appelante dans l'accident décrit et défini avec clarté, et que ce nom n'était pas son véritable nom, celui-ci n'étant connu que par l'autre partie défenderesse, l'intimée. Peu de temps après la délivrance du bref, il a été établi que le chauffeur était le frère de l'intimée et que son véritable nom était "Wallace Bubela" : de là la requête en modification du bref d'assignation en vue de substituer le nom de "Wallace Bubela" au nom du défendeur "John Doe" dans l'intitulé de la cause et dans l'inscription.                         

[14]      À partir de ces faits, la Cour d'appel a conclu que la requête des demandeurs avait été présentée pour corriger une erreur dans le nom d'une partie existante à l'action. À la page 82, monsieur le juge Bull a déclaré :

                         [Traduction]                         
                         Toutefois, je suis parvenu à la conclusion que le juge local a eu tort de statuer qu'on avait effectué une substitution ou l'ajout d'une partie et qu'il a commis une erreur en ne concluant pas que la requête visait simplement à corriger une erreur dans le nom d'une partie existante à l'action. Les mots "John Doe" ne se limitent pas, selon moi, à désigner une personne "fictive" ou qui n'existe pas. Traditionnellement, ces mots ont été utilisés autrefois dans des poursuites en expulsion, mais depuis des générations, ils ont commencé à être acceptés, utilisés et compris, à la fois en langue juridique et en langue courante, comme désignant une véritable personne existante et identifiable, mais dont le nom n'est pas connu ou ne peut être obtenu par la personne qui fait allusion à elle. C'est le cas en l'espèce. L'appelante n'avait pas l'intention de poursuivre une fiction pour maintenir ou acquérir un droit de propriété quelconque comme c'était le cas jadis. Au contraire, elle poursuivait un homme bien en vie qui, selon ses prétentions, conduisait un véhicule automobile défini à un moment et à un endroit déterminés de façon tellement négligente qu'il lui a causé des blessures à cet endroit et à ce moment. C'est ce chauffeur, et personne d'autre, qu'elle visait dans l'instance, mais elle ne connaissait pas son nom. Aux fins de la poursuite (et il fallait agir rapidement car le délai de prescription était sur le point d'expirer), elle a nommé cet homme identifiable et identifié, en lui donnant un nom qui indiquait clairement à tous qu'il ne s'agissait pas de son véritable nom. En outre, dans l'inscription, il était clairement précisé que le véritable nom du chauffeur défendeur n'était pas "John Doe", mais que personne, hormis l'autre partie défenderesse, l'intimée, ne le connaissait. [Le caractère gras ne figure pas dans le texte original. ]                         

[15]      Plus tard, dans ses motifs, monsieur le juge Bull a retenu le critère énoncé par le lord juge Devlin dans l'affaire Davies v. Ellsby Bros. Ltd. pour déterminer si le demandeur tente de corriger une erreur de nom ou d'ajouter une nouvelle partie. À la page 676, le lord juge Devlin a déclaré1 :

                         [Traduction]                         
                         L'avocat du demandeur soutient, par contre, qu'il s'agit d'une erreur de nom parce qu'il ne fait aucun doute que la personne que le demandeur voulait poursuivre était son employeur, et son employeur au moment de l'accident était la société. Je pense que cet argument se situe à l'autre extrême et je ne peux le retenir. Le droit anglais comporte un principe général, qui ne s'applique pas uniquement à l'erreur de nom, selon lequel l'intention du concepteur d'un document au moment de sa création n'est pas pertinente. Ce principe nous distingue de beaucoup de systèmes continentaux. En droit anglais, règle générale, la question n'est pas celle de savoir ce que l'auteur du document avait à l'esprit ou voulait dire, mais plutôt quelle signification une personne responsable lui attribuerait en le lisant; et c'est ce critère qui doit être appliqué généralement aux cas d'erreur de nom -- notion qui peut englober plusieurs autres situations mise à part l'erreur de nom sur un bref, par exemple, une erreur quant à l'identité au moment de la passation d'un contrat. Il faut appliquer le critère suivant : Que comprendrait une personne raisonnable qui recevrait le document? Si, compte tenu de toutes les circonstances et après avoir vu le document dans son ensemble, cette personne se disait : "Il s'agit sûrement de moi, mais ils se sont trompés en écrivant mon nom", alors il s'agirait d'une simple erreur de nom. Si, par contre, elle se disait : "Si je m'en remets au document même, je ne peux pas dire s'il me vise ou non et je devrai me renseigner", alors il me semble que la situation ne se résume pas à une erreur de nom. L'un des facteurs qui doit influencer la personne qui reçoit un document et qui l'influence en l'espèce, est la question de savoir si la description figurant dans le bref peut ou non s'appliquer à une autre entité. [Le caractère gras ne figure pas dans le texte original.]                         

[16]      Les demandeurs soutiennent que l'application du critère énoncé par Lord Devlin aux fins de l'espèce mène à la conclusion portant que les défendeurs énumérés dans l'annexe "A" se diront nécessairement, après avoir lu honnêtement la déclaration, "Il s'agit sûrement de moi, mais ils se sont trompés en écrivant mon nom". Les requérants font évidemment valoir que la seule réponse possible est que les défendeurs énumérés dans l'annexe "A" ne peuvent dire s'ils sont les défendeurs nommés "Doe" en s'en remettant à la déclaration. Les requérants soutiennent en outre que les demandeurs ne les "visent" pas dans l'instance.

[17]      Pour appliquer le critère énoncé par Lord Devlin, il faut se reporter aux allégations énoncées dans la déclaration, et plus particulièrement au paragraphe 5. Dans ce paragraphe, les demandeurs soutiennent que les défendeurs ont, avec l'intention de leur causer un préjudice, placé un certain nombre de navires et d'autres objets directement au milieu ou près du trajet de leur navire, le MALASPINA. Les demandeurs affirment en outre que les défendeurs ont empêché l'embarquement et le désembarquement des passagers et des véhicules automobiles de leur navire. Les demandeurs utilisent le terme "blocage" pour parler de ces actes commis par les défendeurs.

[18]      À partir des allégations qui précèdent, je note que la déclaration n'est pas dirigée contre tous les navires présents dans le port de Prince Rupert le 19 juillet 1997, mais uniquement contre les navires "placés ... directement au milieu ou près du trajet du "Malaspina", ..." Je note également que la déclaration est dirigée contre les défendeurs qui, "de façon fautive et avec l'intention de causer un préjudice aux demandeurs, ont ..." "placé différents navires ... directement au milieu ou près du trajet du "Malaspina", ...". C'est là la portée des allégations des demandeurs. Seuls les défendeurs que ces allégations concernent et, partant, leurs navires, concluraient que les demandeurs les visent dans l'instance.

[19]      Je tiens également à souligner qu'aucune preuve, quelle qu'elle soit, n'a été produite devant moi relativement aux déplacements, le 19 juillet 1997 et les jours suivants, des navires énumérés dans l'annexe "A". Je ne dispose non plus d'aucun élément de preuve concernant les propriétaires'armateurs gérants de ces navires. En d'autres termes, aucun élément ne m'a été soumis pour démontrer que les propriétaires'armateurs gérants défendeurs énumérés dans l'annexe "A" ont placé leurs navires, à l'époque pertinente, "directement au milieu ou près du trajet du "Malaspina"".

[20]      Voici la raison pour laquelle j'ai souligné que je ne disposais d'aucun élément de preuve concernant les navires et les propriétaires'armateurs gérants énumérés dans l'annexe "A" : dans l'affaire Jackson v. Bubela, une preuve avait été produite devant le juge local et, par conséquent, devant la Cour d'appel, pour établir que le chauffeur du "véhicule fautif", qui n'avait pas été identifié dans le bref, était le frère de la propriétaire du véhicule. Ainsi, il ne faisait aucun doute que ce chauffeur, en lisant les allégations formulées contre John Doe, ne pouvait que conclure que la demanderesse le poursuivait. Dans son action, la demanderesse avait poursuivi, selon les termes employés par le juge d'appel Bull, à la page 82, [Traduction ] "un homme bien en vie qui, selon ses prétentions, conduisait un véhicule automobile défini à un moment et à un endroit déterminés...".

[21]      L'endroit et le moment ne sont pas, à mon avis, ainsi déterminés dans la déclaration en l'espèce. L'endroit est défini comme [Traduction] "directement au milieu ou près du trajet du "Malaspina", ...". C'est le lieu spécifié. À mon avis, pour que les demandeurs aient gain de cause sur ce point, ils auraient dû démontrer que les navires défendeurs énumérés dans l'annexe "A" étaient à cet endroit le 19 juillet 1997. Étant donné qu'aucune preuve n'a été présentée à cet égard, si ce n'est dans le cas de l'un des requérants, je ne suis pas en mesure de répondre aux questions posées par Lord Devlin dans son critère. Cette question ne se pose manifestement pas concernant les 17 navires nommés dans la déclaration. Ils ont été désignés comme défendeurs dès le début et le demeureront. Toutefois, en ce qui a trait aux navires et propriétaires'armateurs gérants qui n'ont pas été désignés comme défendeurs le 20 juillet 1997, je suis dans l'obligation de conclure qu'ils ne pouvaient pas savoir, de façon certaine, si les demandeurs les visaient dans l'instance.

[22]      Le cas des navires "Mitchell Bay" et "Island Provider", appartenant à la Mitchell Bay Fishing Ltd., est caractéristique. Ces navires et la société qui en est propriétaire figurent à titre de défendeurs dans l'annexe "A".

[23]      Un affidavit a été déposé par Roy Botkin, un administrateur de la Mitchell Bay Fishing Ltd. Dans cet affidavit, monsieur Botkin déclare qu'au moment pertinent, ces deux navires avaient été affrétés par la Seafood Products Inc. et, en conséquent, que la Seafood Products avait donné des directives à la Mitchell Bay Fishing relativement [Traduction] "à l'endroit et au moment où les deux navires devaient transporter du poisson".

[24]      Au paragraphe 10 de son affidavit, monsieur Botkin déclare que le 19 juillet 1997, les navires n'étaient [Traduction] "nulle part près du trajet emprunté normalement par le Malaspina lorsqu'il quitte le port de Prince Rupert". Il n'est pas nécessaire d'aller plus loin. Cela suffit pour que je décide que ces défendeurs n'auraient pas conclu, après avoir lu la déclaration, que les demandeurs les visaient dans l'instance.

[25]      Au paragraphe 25 de leur mémoire écrit, les demandeurs font valoir les prétentions suivantes :

                         [Traduction]                         
                         En l'espèce, le propriétaire ou exploitant d'un navire qui a participé au blocage du M.V. "Malaspina" dans le port de Prince Rupert du 19 au 22 juillet 1997 n'aurait aucun mal à se reconnaître en se reportant à la déclaration comme l'une des personnes que les demandeurs avaient l'intention de désigner comme parties défenderesses dans l'action. La déclaration décrit les activités de certaines personnes et de certains navires à "un moment et à endroit déterminés". Tout comme le chauffeur négligent en cause dans l'affaire Jackson v. Bubela qui a causé un accident précis, les demandeurs visent dans l'instance les propriétaires, exploitants et navires qui ont participé à cet acte de désobéissance civile, à l'exclusion de toute autre personne.                         

[26]      Lorsqu'ils expriment cette prétention, les demandeurs semblent supposer que chacun des défendeurs énumérés dans l'annexe "A" "a participé au blocage du M.V. Malaspina dans le port de Prince Rupert du 19 au 22 juillet 1997..." Aucune preuve dont je dispose n'étaye cette allégation. Aucun élément de preuve n'a été produit devant moi pour démontrer que les navires défendeurs énumérés à l'annexe "A" se trouvaient, entre le 19 et 22 juillet 1997, "directement au milieu ou près du trajet du "Malaspina", ..."

[27]      Dans l'affaire Jackson v. Bubela, la demanderesse a demandé au tribunal l'autorisation de modifier l'intitulé de la cause pour corriger le nom de "John Doe" et lui substituer celui de "Wallace Bubela". Bien que l'arrêt publié ne l'indique pas clairement, je dois tenir pour acquis que la demanderesse a présenté de la preuve à la Cour pour établir que Wallace Bubela était effectivement le chauffeur mentionné dans son action. En l'espèce, les demandeurs n'ont produit aucune preuve pour établir que les navires défendeurs énumérés dans l'annexe "A" se trouvaient "directement au milieu ou près du trajet du "Malaspina" ..." le 19 juillet 1997.

[28]      À cette étape de l'instance, il ne me revient manifestement pas d'évaluer la preuve pour décider si la déclaration est bien fondée ou non. Toutefois, il faut dans une certaine mesure examiner certains éléments de preuve afin de répondre aux questions qui doivent être tranchées pour déterminer si les demandeurs tentent d'ajouter des défendeurs ou simplement de corriger une erreur de nom. À mon avis, les demandeurs ont le fardeau de produire certains éléments de preuve pour démontrer que les défendeurs énumérés dans l'annexe "A" sont les défendeurs nommés "Doe" dans la déclaration. À mon avis, les demandeurs n'ont pas établi cette preuve. En conséquence, en me fondant sur la preuve, je ne puis conclure que les demandeurs, par leur modification, tentent de corriger une erreur de nom; les requêtes doivent donc être accueillies. Ainsi, je conclus que l'action intentée par les demandeurs contre les défendeurs énumérés dans l'annexe "A", hormis les 17 navires désignés comme défendeurs, a été introduite irrégulièrement. Par conséquent, la signification de la déclaration ou de la déclaration modifiée à ces défendeurs est invalide.

     "Marc Nadon"

     Juge

OTTAWA (ONTARIO)

3 novembre 1997

Traduction certifiée conforme                                       François Blais, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NUMÉRO DU GREFFE :      T-155297
INTITULÉ DE LA CAUSE :      ÉTAT DE L'ALASKA ET AUTRES -ET- LE NAVIRE "PACIFIC SHORE" ET AUTRES
LIEU DE L'AUDITION :      Vancouver (Colombie-Britannique)
DATE DE L'AUDITION :      24 octobre 1997

MOTIFS DU JUGEMENT PRONONCÉS PAR MONSIEUR LE JUGE NADON

DATE DU JUGEMENT :      3 novembre 1997

ONT COMPARU :

Me David McEwen                      POUR LE DEMANDEUR
Me Peter Bernard                          POUR LA DÉFENDERESSE
                             (S & J Fishing)
Me Patrick Foy                          POUR LE DÉFENDEUR
                             (Dave Christian)
Me Robert Richardson                      POUR LA DÉFENDERESSE
                             (Mitchell Bay Fishing)
Me Paula Kalsi                          POUR LA DÉFENDERESSE
                             (C.K. Martin Ventures Ltd.)

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

McEwen Schmitt                          POUR LE DEMANDEUR
Campney & Murphy                      POUR LA DÉFENDERESSE
                             (S & J Fishing)
Ladner Downs                          POUR LE DÉFENDEUR
                             (Dave Christian)
Piters & Co.                          POUR LA DÉFENDERESSE
                             (Mitchell Bay Fishing)
DuMoulin & Boskovich                      POUR LA DÉFENDERESSE
                             (C.K. Martin Ventures Ltd.)
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     1 [1960] 3 All. E.R. 672.

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