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Date: 19980216


Dossier: IMM-923-97

Entre :

     GURVINDER SINGH SANDHU,

     Partie requérante,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

     ET DE L'IMMIGRATION DU CANADA,

     Partie intimée.

     MOTIFS D'ORDONNANCE

LE JUGE DUBÉ :

[1]      Il s'agit ici d'une demande de contrôle judiciaire visant une décision de la Section du Statut de Réfugié ("le tribunal") en date du 18 février 1997 statuant que le requérant n'est pas un réfugié au sens de la Convention.

     1. Faits et décision du tribunal

[2]      Le requérant, un citoyen de l'Inde de religion Sikh a revendiqué le statut de réfugié en alléguant une crainte bien fondée de persécution en raison de ses opinions politiques. Ressortissant de la région du Punjab, il supportait le parti Akali Dal et le croyant associé au militantisme Sikh, la police s'est livrée à l'abus physique à son endroit.

[3]      Dans sa décision le tribunal reconnaît que le requérant a été torturé à l'époque. Par aileurs, il constate que le changement de circonstances au Punjab enlève toute objectivité de sa crainte de persécution advenant son retour au pays. Au départ, le tribunal identifie trois questions à trancher, à savoir l'identité du requérant comme Sikh résidant au Punjab, le bien-fondé de sa crainte de persécution et la possibilité de refuge intérieur.

[4]      Le procureur du requérant allègue que le tribunal, au lieu de répondre aux trois questions qu'il s'était lui-même posées, s'est plutôt appliqué à en traiter d'autres et, plus particulièrement, le changement de circonstances. Il est vrai que le tribunal s'est concentré sur ce dernier élément mais dans le but de démontrer l'absence de fondement objectif à la crainte du requérant. Évidemment, si cette crainte est sans fondement, il devient alors inutile de passer à la troisième question, à savoir la possibilité de refuge intérieur.

[5]      À la suite de la lecture de la décision en question et la considération des arguments développés par les deux parties, il en ressort que les trois questions à résoudre sont vraiment les suivantes: le tribunal a-t-il erré, soit en concluant à l'existence d'un changement de circonstances, ou en refusant d'appliquer la Convention contre la torture, ou en ne considérant pas le paragraphe 2(3) de la Loi sur l'immigration ("la Loi")1.

     2. Changement de circonstances

[6]      Il faut retenir qu'au moment de l'audition le requérant n'était plus au Punjab et que sa crainte subjective était basée sur sa situation antécédente dans son pays. Ce qu'il lui fallait démontrer c'était l'existence d'un fondement objectif à sa crainte au moment de l'audition.

[7]      La preuve volumineuse considérée par le tribunal relativement à la situation politique et sociale au Punjab ne fait pas l'unanimité et peut se prêter à des interprétations différentes. Le tribunal est en droit de puiser à même la preuve documentaire celle qui, à son point de vue, se conjugue le mieux à la réalité2. La question du changement de circonstances est une pure question de fait, tel que le soulignait la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Yusuf3. Il n'y a pas de critère légal prescrit pour déterminer s'il y a changement de circonstances dans un pays. Il revient au tribunal, à partir des documents qui lui sont présentés, de déterminer s'il y a vraiment changement de circonstances.

[8]      Dans le cas du requérant, la crainte subjective repose sur le fait qu'il avait supporté à l'époque un candidat du Akali Dal Party ce qui lui avait valu de mauvais traitements de la part de la police. Or, la preuve documentaire indique qu'en juin 1996 le Akali Dal Party a obtenu la majorité des sièges aux élections fédérales au Punjab. Alors, même si la preuve documentaire peut être contradictoire sur certains aspects, le tribunal pouvait valablement se fonder sur les éléments de preuve qui reflétaient le plus, selon lui, la réalité.

[9]      Dans une affaire toute récente, soit le 10 janvier 1997, le juge Lutfy de cette Cour dans Sukhraj Sigh c. M.C.I.4 s'adressait précisément aux changements de circonstances survenus au Punjab. Le juge concluait ainsi:

     The Tribunal, in my opinion, received sufficient evidence to support its decision concerning the changed circumstances in India. The record also established some contrary evidence on the same issue, including family correspondence warning the applicant not to return to India. However, it is not the function of this Court to determine whether a different view could have been reached from an analysis of the same evidence. In my view, there is no reviewable error in the manner in which the Tribunal reached its decision.             

[10]      Il faut donc en conclure que le tribunal n'a commis aucune erreur de fait justifiant l'intervention de cette Cour en concluant à l'existence d'un changement de circonstances au Punjab, ce qui enlève tout fondement objectif à la crainte du requérant.

[11]      Il s'ensuit donc qu'il devient inutile de traiter de la possibilité de refuge intérieur.

     3. Convention contre la torture

[12]      Lors de l'audition, le procureur du requérant a demandé au tribunal d'appliquer la Convention contre la torture, entente internationale signée et ratifiée par le Canada prévoyant notamment à l'article 3 "qu'aucun état parti n'expulsera, ne refoulera, ni d'extradera une personne vers un autre état où il y a des motifs sérieux de croire qu'il risque d'être soumis à la torture". Attendu que le tribunal a fait la constatation que le requérant avait déjà été soumis à la torture, le Canada ne doit donc pas retourner le requérant en Inde car il y a des motifs sérieux de croire qu'il serait à nouveau torturer. Le tribunal n'a pas retenu cette proposition et n'en a pas fait mention dans ses motifs.

[13]      À mon avis, le tribunal n'a pas la compétence d'appliquer la Convention contre la torture faute d'une disposition explicite dans sa loi habilitante à cet effet. Le rôle de ce tribunal est de déterminer si une personne est un réfugié au sens de la Convention de Genève. De plus, la Convention sur la torture n'est pas incorporée dans la législation canadienne, même si l'entente internationale a effectivement été signifiée et ratifiée par le Canada.

[14]      La Cour d'appel fédérale dans l'affaire Baker c. Canada5 avait à déterminer si les autorités d'immigration fédérales doivent considérer la Convention internationale relative aux droits de l'enfant, vu que la Loi sur l'immigration n'incorpore pas expressément le langage des obligations internationales en vertu de cette Convention. La Cour en a conclu qu'un traité signé par l'exécutif qui n'a pas été incorporé dans la législation domestique n'a pas d'effet sur les droits et obligations au Canada. De sorte que le tribunal n'a pas compétence en la matière et, de plus, ce n'est pas son rôle mais celui du Ministre d'expulser, de refouler ou d'extrader une personne vers un autre état en vertu de la Loi canadienne.

     4. Le paragraphe 2(3) de la Loi

[15]      Le requérant soumet également que le tribunal a erré en ne considérant pas le paragraphe 2(3) de la Loi, lequel se lit comme suit:

     2. (3) Une personne ne perd pas le statut de réfugié pour le motif visé à l'alinéa (2)e) si elle établit qu'il existe des raisons impérieuses tenant à des persécutions antérieures de refuser de se réclamer de la protection du pays qu'elle a quitté ou hors duquel elle est demeurée de crainte d'être persécuté.             

[16]      Ce paragraphe permet expressément au tribunal d'accorder le statut de réfugié à un revendicateur, malgré que sa crainte ne soit plus objectivement fondée en raison d'un changement de circonstances, si celui-ci a souffert une persécution tellement épouvantable que sa seule expérience constitue une raison impérieuse pour ne pas le renvoyer dans son pays6. Les passages suivants des motifs du juge Hugessen de la Cour d'appel fédérale méritent d'être reproduits:

     ...Quelle que soit l'interprétation du paragraphe 2(3), elle doit s'étendre à quiconque a été reconnu comme réfugié à un moment donné, même bien après la date de la Convention. Il n'est donc guère surprenant que ce paragraphe doive être interprété comme exigeant des autorités canadiennes qu'elles accordent la reconnaissance du statut de réfugié pour des raisons d'ordre humanitaire à cette catégorie spéciale et limitée de personnes, c'est-à-dire ceux qui ont souffert d'une persécution tellement épouvantable que leur seule expérience constitue une raison impérieuse pour ne pas les renvoyer, lors même qu'ils n'auraient plus aucune raison de craindre une nouvelle persécution.             
     Les circonstances exceptionnelles envisagées par le paragraphe 2(3) doivent certes s'appliquer uniquement à une petite minorité de demandeurs actuels...             

[17]      En l'espèce, il s'agirait de déterminer si la torture subie par le requérant était si épouvantable que sa seule expérience constitue une raison impérieuse pour ne pas le retourner dans son pays même s'il n'existe plus aucune crainte d'une nouvelle persécution. Malheureusement pour le requérant, cette disposition n'a pas été soulevée à l'audition et, dans les circonstances, le tribunal n'a pas été tenu d'en considérer l'application. Voici ce que le juge Simpson, dans l'affaire Gyamfuah c. Canada7 avait à dire à ce sujet:

     In determining whether an applicant meets the definition of a Convention refugee, the Refugee Division has jurisdiction to consider the evidence to determine whether s. 2(3) of the Immigration Act applies such that an applicant may be granted Convention refugee status even though the objective basis for their fear of persecution no longer exists.8 In cases involving appalling past persecution, if the application of s. 2(3) is not proposed by an applicant or if the applicant's factual evidence is not believed, s. 2(3) will not be considered.             

[18]      Il s'ensuit donc que le requérant n'ayant pas présenté une preuve établissant qu'il fait partie de cette infime minorité visée par le paragraphe 2(3), le tribunal n'avait pas à se prononcer sur le sujet.

     5. Conclusion

[19]      En conséquence, les motifs à l'appui de la demande du requérant et des documents déposés par lui, ne sont pas suffisants pour convaincre la Cour d'accueillir le recours recherché.

[20]      La partie requérante a soumis une question sérieuse d'importance générale à être certifiée et je l'accepte comme telle:

     La Section du Statut doit-elle tenir compte de l'article 3 de la Convention sur la torture relativement à l'expulsion, le refoulement ou l'extradition d'une personne dans le but de déterminer si un revendicateur est un réfugié au sens de la Convention?             
                 
     Juge             
OTTAWA, Ontario             
le 16 février 1998             
__________________

1      S.R.C. 1985, ch. I-2.

2      Noël J. dans l'affaire Victorov c. M.C.I., IMM-5170-94, 14 juin 1995, à la p. 4.

3      (1995), 179 N.R. (C.A.F.)11 at p. 12.

4      C.F., IMM-2803-95.

5      [1997] 2 C.F. 127.

6      Canada v. Obstoj, [1992] 2 C.F. 739.

7      25 Imm. L.R. (2d) 89.

8      Hassan v. Canada (Minister of Employment & IMmigration) (October 22, 1992), A-831-90 [reported at 147 N.R. 317 (Fed. C.A.)].

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