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                                                                                                                                           Date : 20020211

                                                                                                                               Dossier : IMM-473-02

                                                                                                           Référence neutre : 2002 CFPI 153

Ottawa (Ontario), le 11 février 2002

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PELLETIER

ENTRE :

                                                    ALEXANDRU CSABA RETTEGI

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                              - et -

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 M. Rettegi vivait au Canada sans statut depuis août 1999. Il a finalement été appréhendé par les autorités, mais à un bien mauvais moment. Il prie la Cour de surseoir à l'exécution d'une mesure de renvoi le visant et conteste la décision de l'agent d'exécution qui a refusé de reporter son renvoi.


[2]                 Les faits sont simples. Alexandru Rettigi est un citoyen de Roumanie d'origine ethnique hongroise. Il est entré au Canada avec un faux passeport hongrois le 29 août 1999. Il dit qu'il a demandé le statut de réfugié en décembre 1999, mais le registre des dossiers du ministre indique que la demande a été faite en mai 2000. Son avocat a expliqué qu'il avait mis sa demande à la poste en décembre 1999, mais que les autorités n'ont pas jugé de son admissibilité avant mai 2000. Sa revendication était fondée sur le fait qu'il était persécuté en Roumanie du fait qu'il était d'origine ethnique hongroise et surtout parce que son père était un représentant du régime disgracié de Ceauscescu.

[3]                 En août 2000, le demandeur a fait la rencontre d'une femme qu'il a épousée en février 2001. En mai 2001, il a déposé une demande de résidence permanente, appelée demande de conjoint marié au Canada, qui constitue effectivement un type de demande d'établissement faite à partir du Canada et fondée sur des raisons d'ordre humanitaire (demande CH) prévue par le paragraphe 114(2) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2. C'est alors que le demandeur a apparemment été très mal conseillé par une personne qui lui a dit qu'il ne pouvait pas avoir deux demandes pendantes en même temps. Il a donc retiré sa demande de statut de réfugié, confiant que sa demande CH pourrait lui assurer le droit de rester au Canada. Le 8 novembre 2001, sa femme a donné naissance à un garçon.


[4]                 Entre-temps, en raison du retrait de sa demande du statut de réfugié, la mesure d'interdiction de séjour conditionnelle le visant est devenue exécutoire. En octobre 2001, le superviseur d'exécution a décidé qu'un mandat devait être délivré pour son arrestation. Le dossier a été confié à un agent d'exécution qui en a fait l'examen le 1er février 2002. Son numéro de téléphone et son adresse ont été obtenus en interrogeant son père qui vit au Canada. Les agents d'exécution se sont présentés chez lui, l'ont appréhendé et l'ont mis en détention en attendant son renvoi. Il a été arrêté le 2 février 2002 et son renvoi était prévu pour le 6 février 2002. Un arbitre a ordonné sa libération à la condition qu'il se présente en personne à la date prévue pour son renvoi, ce qu'il a fait. Dans l'intervalle, des difficultés ayant trait à la délivrance des documents de voyage roumains sont survenues, ce qui a eu pour effet de retarder le renvoi prévu le 6 février. Aucune nouvelle date n'a encore été avancée.

[5]                 La preuve démontre que la conjointe du demandeur est actuellement en congé de maternité, mais qu'elle devra bientôt retourner travailler. Comme le demandeur n'a plus l'autorisation de travailler, il ne peut chercher d'emploi mais il pourrait toutefois s'occuper de l'enfant pendant que sa conjointe travaille. Même si la preuve par affidavit n'en fait pas état, il a été allégué que si le demandeur était expulsé, la famille devrait avoir recours à l'aide sociale.

[6]                 Le premier avis de demande de contrôle judiciaire faisait état de la contestation d'une décision prise par une personne inconnue à une date inconnue. Il a été admis qu'aucune demande de report n'avait été faite parce que le demandeur, qui n'était pas représenté, n'en avait pas présenté. Compte tenu du fait que le renvoi était retardé, l'affaire a été ajournée pour permettre la production de la demande de report. Si cette demande était accordée, l'affaire était réglée. Ce n'est pas ce qui s'est passé et, par conséquent, une requête a été présentée pour la modification de l'avis de demande de contrôle judiciaire de manière qu'il y soit précisé que la décision contestée était celle refusant le report du renvoi qui avait été demandé.


[7]                 Il aurait été possible de trancher la requête en suspension d'exécution en invoquant son imperfection sur le plan technique. La Cour ne critique pas le travail de l'avocat dont les services ont été retenus à la dernière minute et qui a fait du mieux qu'il a pu dans les circonstances. Toutefois, étant donné l'importance de la question pour les parties, je crois qu'il est préférable d'en débattre au fond. Par conséquent, j'autorise la requête modifiant le premier avis de demande de contrôle judiciaire. L'avis modifié demande le contrôle judiciaire de la décision par laquelle l'agent d'exécution a refusé de reporter le renvoi du demandeur dans l'attente du règlement de sa demande de conjoint marié au Canada.

[8]                 La lettre sollicitant le report fait état des divers facteurs jugés pertinents, notamment la demande CH pendante et la naissance de l'enfant du demandeur. L'agent d'exécution a répondu essentiellement que le ministère avait l'obligation d'exécuter les mesures de renvoi dès que les circonstances le permettent et que [Traduction] « après avoir examiné votre demande, je ne crois pas qu'un report de l'exécution de la mesure de renvoi est approprié dans les circonstances de cette affaire » . Dans son affidavit, déposé avant la demande de report, l'agent d'exécution a déclaré qu'il disposait d'un pouvoir restreint pour différer le renvoi. Il s'est dit d'avis qu'il était limité à des problèmes logistiques comme l'absence de document, l'incapacité physique, les sursis prévus par la loi ou les moratoires touchant les renvois dans certains pays. Finalement, en cas de preuve crédible et objective d'un risque de préjudice, l'agent d'exécution estimait qu'il jouissait d'un pouvoir discrétionnaire pour renvoyer l'affaire afin qu'elle fasse l'objet d'une évaluation du risque lié au retour. L'agent a conclu dans son affidavit qu'aucun de ces facteurs ne s'appliquait en l'espèce.


[9]                 Le demandeur allègue que l'agent d'exécution était tenu d'exercer son pouvoir discrétionnaire pour tenir compte de la demande CH pendante et des répercussions du renvoi sur le fils du demandeur né au Canada. Le défaut d'exercer ce pouvoir était une question sérieuse, au sens du critère en trois volets applicable aux demandes de sursis et aux injonctions interlocutoires. Le retour du demandeur en Roumanie sans qu'une évaluation du risque ait été faite était une autre question sérieuse. Le préjudice irréparable, soit le deuxième volet du critère, découle de la séparation de la famille, du risque de préjudice si le demandeur est renvoyé dans son pays d'origine qu'il dit avoir fui comme un réfugié et du risque d'une séparation familiale permanente s'il lui était impossible de repartir de la Roumanie.

[10]            L'avocate du ministre signale qu'il est établi dans la jurisprudence que l'agent d'exécution n'a pas la compétence pour procéder lui-même à l'examen d'une demande CH et que, par conséquent, le défaut par l'agent d'y procéder ne peut être considéré comme une question sérieuse. Qui plus est, la jurisprudence à l'appui de la thèse selon laquelle une demande CH pendante ne suffit pas pour justifier un sursis d'exécution est abondante. En ce qui a trait au préjudice irréparable, l'avocate souligne que les préjudices invoqués par le demandeur, à l'exception du risque associé au retour dans son pays, sont attribuables à la propre conduite du demandeur qui s'est marié et a eu un enfant alors que son statut d'immigrant était incertain. En ce qui a trait au risque lié au retour dans son pays, l'avocate allègue que, comme le demandeur a volontairement retiré sa demande de statut de réfugié, cela donne à penser que le risque lié à son retour en Roumanie n'est peut-être pas ce qu'il est affirmé être.


[11]            La demande CH du demandeur est pendante depuis huit mois et demi. Au cours de l'argumentation, il est ressorti que si le demandeur est expulsé, le dossier sera transféré du centre d'exécution de la loi de Mississauga, où il est actuellement traité, à l'ambassade du Canada à Bucarest. Aucune information n'indique où il sera acheminé une fois là-bas. L'avocate du ministre a également admis que si le demandeur était expulsé, il ne pourrait pas rentrer au Canada sans permis ministériel, même si sa demande CH était acceptée. Toutefois, il est expliqué au chapitre 5 du Guide de l'immigration que l'agent des visas de l'endroit où une personne est renvoyée peut délivrer un permis ministériel.

[12]            Je n'ai pas l'intention de reprendre ici l'analyse que j'ai faite dans la décision Wang c. Canada, 2001 CFPI 148, où j'ai estimé notamment qu'une demande CH n'est pas un motif justifiant un sursis à l'exécution d'une mesure de renvoi, sauf peut-être dans les circonstances décrites par mon collègue M. le juge Nadon dans la décision Simoës c. Canada (2000), Imm. L.R. (3d) 141 (C.F. 1re inst.), qui portait sur une demande CH pendante déposée en temps opportun. Dans la présente affaire, il s'agit d'une demande, déposée il y a quelque huit mois et demi, sur laquelle il n'a pas encore été statué. La question du renvoi sans évaluation du risque lié au retour a été soulevée dans la décision Saini, ([1998] 4 C.F. 328), où il a été allégué que le demandeur serait exposé à un risque sérieux de torture s'il retournait en Inde. Tout ce que nous avons en l'espèce est une demande du statut de réfugié retirée qui n'avait été déposée qu'environ quatre mois après l'arrivée du demandeur au Canada.


[13]            Il y a aussi le défaut de l'agent d'exécution de tenir compte des intérêts de l'enfant du demandeur né au Canada. L'avocate du ministre s'appuie sur la décision Davis et Taylor c. Canada, [2000] A.C.F. no 1628, pour étayer l'argument selon lequel un agent de renvoi n'a pas à considérer chacun des facteurs qui se devait d'être pris en compte à toutes les autres étapes du processus. Contrairement à la décision Davis, il s'agit pas d'une cause où aucune demande CH n'a encore été déposée. Dans la décision Wang, je n'ai pas eu à trancher particulièrement la question touchant les intérêts supérieurs des enfants parce que la Cour n'en avait pas été saisie. Dans Harry c. Canada, [2000] A.C.F. 1727, mon collègue M. le juge Gibson a estimé qu'une question sérieuse avait été soulevée à cause du défaut d'un agent de renvoi de prendre en compte les intérêts supérieurs d'un enfant dans le cas d'une demande CH pendante qui avait été déposée quelque 13 mois auparavant.

[14]            Le dossier de la présente cause porte à croire que l'agent d'exécution n'a pas pris en compte la demande CH pendante ni les intérêts de l'enfant né au Canada lorsqu'il a tranché la demande de report. Cette situation soulève-t-elle une question sérieuse?

[15]            Déterminer les facteurs qu'un agent d'exécution peut considérer est une chose, mais dicter quels sont les facteurs qu'il doit considérer en est une autre. Le fait que, dans la décision Simoës, précitée, le juge Nadon ait mentionné qu'un agent d'exécution pouvait tenir compte d'une demande CH pendante déposée en temps opportun signifie-t-il que l'agent doive considérer ce facteur lorsqu'il tranche une demande de report de renvoi? Il semble qu'il s'agisse d'une question à débattre qui satisfait aux exigences de la question sérieuse à juger.


[16]            La question suivante est celle du préjudice irréparable. L'application de la loi en immigration est le seul contexte où l'on parle de « simple » séparation de famille, mais il est clair dans la jurisprudence qu'une « simple » séparation de famille ne constitue pas un préjudice irréparable. En ce qui a trait au risque lié au retour du demandeur en Roumanie, la présente affaire diffère de la décision Saini, dans laquelle le risque avait été établi avant que la question de l'expulsion soit soulevée. En l'espèce, le retrait de la demande du statut de réfugié est le seul indice permettant d'évaluer ce risque. Je suis d'avis que les faits sont insuffisants pour soulever la possibilité d'un préjudice irréparable.

[17]            À mon avis, le seul argument possible découle des mots utilisés par M. le juge Robertson dans l'arrêt Suresh c. Canada, [1999] 4 C.F 206 :

                 À l'évidence, il est possible de répondre à la question du préjudice irréparable de deux façons. La [page 220] première consiste à évaluer le risque de préjudice personnel en cas de renvoi dans un pays donné. La seconde consiste à évaluer l'effet du rejet d'une demande de sursis sur le droit d'une personne d'obtenir une décision sur le fond de sa cause et de profiter des avantages rattachés à une décision positive.

Dans cet arrêt, le juge Robertson a accordé un sursis parce qu'il était évident que les autorités sri-lankaises ne permettraient pas à Suresh de retourner au Canada si sa demande était acceptée. Le défaut d'accorder le sursis aurait effectivement privé Suresh des avantages rattachés à sa demande.


[18]            Il est allégué que la présente affaire comporte des enjeux similaires. Le demandeur a présenté une demande CH fondée sur le parrainage de sa femme peu de temps après avoir obtenu le droit de la présenter. Cette demande est entre les mains du ministre depuis environ huit mois et demi. S'il est expulsé, il sera tenu, en vertu du paragraphe 55(1) de la Loi sur l'immigration, d'obtenir l'autorisation écrite du ministre avant de pouvoir revenir au Canada et de rembourser tous les frais imputables à son retour en Roumanie. De plus, le traitement de sa demande sera interrompu et tout le dossier sera remis aux agents consulaires à Bucarest, en Roumanie.

[19]            Ces facteurs signifient-ils que le demandeur perdra les avantages rattachés à sa demande? En ce qui a trait à l'autorisation du ministre, le Guide de l'immigration, qui est utilisé par les fonctionnaires du ministère, prévoit que l'autorisation du ministre sera accordée si la demande CH est acceptée. Sur la question des demandes acceptées après le renvoi, le guide précise que le bureau des visas de l'endroit sera avisé de l'acceptation. La démarche à entreprendre par la suite comprend les étapes suivantes :

·           Le bureau des visas ne réévalue pas la décision CH initiale.

·           Le demandeur doit acquitter tous les frais de voyage et les droits exigibles et, le cas échéant (voir OP 1, section 17.7 ou OM IS 93-01 pour des instructions), rembourser les frais de renvoi. Lorsque cela est possible, les frais sont acquittés au Canada par un parent, un ami ou un représentant au nom du demandeur. Dans le cas contraire, le bureau des visas perçoit ces frais.

·          Si le demandeur est admissible, le bureau des visas peut délivrer un permis ministériel et, le cas échéant, accorder l'autorisation du ministre (un visa d'immigrant ne peut pas être délivré parce que le demandeur s'est vu accorder, après en avoir fait la demande, une dispense de visa, qui mènera à l'octroi du droit d'établissement au Canada).


Par conséquent, il existe un mécanisme pour régler la question de l'autorisation du ministre au moment où la demande CH est acceptée. Le guide ne l'indique pas clairement mais il semble qu'il soit prévu que le traitement se poursuivra au bureau d'origine. (Voir les observations concernant l'absence de visa parce que le demandeur a obtenu une dispense, c'est-à-dire que la demande a été traitée comme une demande présentée de l'intérieur).

[20]            La perte des avantages rattachés à la demande dans l'arrêt Suresh, précité, était absolue en ce sens qu'il était peu probable que les autorités sri-lankaises, auxquelles Suresh aurait été remis, l'auraient libéré advenant l'acceptation de sa demande CH afin qu'il puisse retourner au Canada pour continuer de recueillir des fonds pour les Tigres.

[21]            Dans la présente affaire, il ne s'agit pas de la perte potentielle des avantages rattachés à la demande mais du risque que le processus devienne plus lourd et plus coûteux que si l'affaire avait été tranchée pendant que le demandeur était au Canada. Il est probable que le demandeur bénéficiera des avantages rattachés à sa demande si elle est acceptée. Le volet du préjudice irréparable n'a pas été prouvé.

[22]            Par conséquent, la demande de sursis échoue parce que les trois facteurs doivent être présents pour qu'un sursis soit accordé.

[23]            Pour les motifs susmentionnés, la demande de sursis à l'exécution de la mesure de renvoi prise à l'encontre du demandeur sera rejetée.


                                                                     ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE QUE

1.         la demande de sursis à l'exécution de la mesure de renvoi prise à l'encontre du demandeur soit rejetée.

    

                                                                                                                                   « J.D. Denis Pelletier »           

Juge   

   

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

          AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER                  

DOSSIER :                                                     IMM-473-02         

INTITULÉ :                          Alexandru Csaba Rettegi c. Le ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration

     

LIEU DE L'AUDIENCE :              Ottawa (Ontario)

Toronto (Ontario)

DATE DES TÉLÉCONFÉ RENCES :      Les 6 et 8 février 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                    MONSIEUR LE JUGE PELLETIER

DATE DES MOTIFS :                  Le 11 février 2002

COMPARUTIONS :                 

M. Peter G. Ivanyi                   pour le demandeur

  

Mme Patricia MacPhee                                     pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Rochon Genova                      pour le demandeur

Toronto (Ontario)

M. Morris Rosenberg                  pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada           

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