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Date : 20040819

Dossier : IMM-10138-03

Référence : 2004 CF 1149

Ottawa (Ontario), le 19 août 2004

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE DANIÈLE TREMBLAY-LAMER

ENTRE :

                                              JOSEPHINE ABASOLO PIMENTEL

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire à l'égard d'une décision prise par un agent d'immigration (l'agent) qui rejetait la demande de résidence permanente de la demanderesse pour le motif que son conjoint était interdit de territoire au Canada en vertu du paragraphe 38(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi).


[2]                La demanderesse est une ressortissante philippine. Elle est arrivée au Canada le 21 août 1999 avec un permis de travail accordé dans le cadre du Programme d'aide familial résidant. En novembre 2001, la demanderesse a présenté une demande de résidence permanente dans la catégorie des aides familiaux résidants au Canada. Le 21 février 2002, la demanderesse a reçu une lettre de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) l'informant que sa demande avait été acceptée en partie mais qu'avant de pouvoir prendre une décision définitive, toutes les personnes à sa charge devaient faire l'objet de contrôles médicaux et judiciaires.

[3]                Le 25 septembre 2003, la demanderesse a reçu une « lettre d'équité » de CIC qui l'informait que son conjoint risquait de ne pouvoir respecter les conditions imposées en matière d'immigration parce qu'il souffrait d'une maladie qui pourrait entraîner son interdiction de territoire au Canada et que, par conséquent, sa demande de résidence permanente pourrait être rejetée. La lettre donnait également 30 jours à la demanderesse pour présenter d'autres observations au sujet de l'état de santé de son mari et mentionnait que faute de communiquer des observations, sa demande pourrait être rejetée.

[4]                La demanderesse n'a jamais présenté d'observations supplémentaires. Cependant, le 2 octobre 2003, elle a demandé une prorogation de 30 jours dans une lettre envoyée à CIC par son conseiller en immigration, Gita Boyd. CIC a reçu cette lettre le 17 novembre 2003.

[5]                Le 9 décembre 2003, la demande de la demanderesse a été rejetée pour le motif que son mari était interdit de territoire pour motifs sanitaires parce que celui-ci risquerait vraisemblablement d'entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé, conformément au paragraphe 38(1) de la Loi qui est rédigé comme suit :



38. (1) Emporte, sauf pour le résident permanent, interdiction de territoire pour motifs sanitaires l'état de santé de l'étranger constituant vraisemblablement un danger pour la santé ou la sécurité publiques ou risquant d'entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé.

38. (1) A foreign national is inadmissible on health grounds if their health condition

[...]

(c) might reasonably be expected to cause excessive demand on health or social services.


[6]                Je ne pense pas que CIC a commis une erreur en refusant à la demanderesse de proroger le délai qui lui avait été accordé pour répondre à la lettre. Les preuves indiquent que CIC a accordé à la demanderesse une période plus longue que les 30 jours mentionnés dans la « lettre d'équité » qui lui demandait de transmettre des renseignements concernant l'état de santé de son mari avant qu'une décision soit prise dans son dossier. La demanderesse n'a pas été informée de la prorogation de ce délai, et elle n'a même pas tenté d'envoyer des renseignements à CIC entre le 25 septembre et le 9 décembre 2003, le jour où CIC a décidé de rejeter sa demande. En fait, l'agent a le pouvoir discrétionnaire de prendre une décision lorsqu'il a attendu les documents supplémentaires plus d'un mois de plus qu'il ne devait le faire (Arshad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. n ° 1431 (C.F.) (Q.L.)).

[7]                J'estime cependant que CIC n'a pas respecté les principes de justice naturelle et d'équité procédurale parce qu'il a omis d'informer la demanderesse de la nature de l'état de santé qui emportait interdiction de territoire de son mari. Le défendeur soutient que la demanderesse ne pouvait ignorer quel était l'état de santé de son mari et connaissait donc la raison de l'interdiction de territoire. Je ne peux retenir cet argument. Le mari de la demanderesse vit aux Philippines et il est tout à fait possible qu'elle n'ait pas été informée des problèmes cardiaques de son mari.


[8]                Dans Hersi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), 198 F.T.R. 120, le juge Dawson a décidé que le contenu d'une « lettre d'équité » devait divulguer au demandeur les arguments qu'il doit réfuter pour obtenir la résidence. Elle a écrit au début du paragraphe 20 de la décision :

20 Pour pouvoir participer utilement à un processus décisionnel, il faut être clairement informé de la situation, avoir l'occasion de présenter des éléments de preuve et des observations se rapportant à la décision à prendre et que le dossier soit examiné de façon approfondie par un décideur impartial.

21 En l'espèce, la lettre d'équité expliquait clairement les éléments essentiels du dossier. Elle mentionnait la cause du problème, à savoir la déclaration médicale mentionnant que M. Hersi était schizophrène, ainsi que la nature de la réserve, à savoir que M. Hersi « est susceptible de constituer un danger pour la santé publique au Canada ou pourrait entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé au Canada » .

22 La déclaration médicale initiale ne contenait pas d'autres renseignements que ceux qui avaient été communiqués à M. Hersi, et sa partie descriptive se lit ainsi : [...]

[9]                Il y a lieu de noter que, dans l'affaire Hersi, le demandeur avait été informé dans la « lettre d'équité » du fait que sa schizophrénie était la raison pour laquelle il n'était pas admissible.

[10]            Le défendeur soutient que le seul fait de mentionner que le mari de la demanderesse souffrait d'une maladie constitue une divulgation suffisante de l'origine de la difficulté. Je ne peux retenir cet argument. La « lettre d'équité » a pour but de donner au demandeur la possibilité de répondre aux préoccupations de l'agent d'immigration. Elle ne peut le faire si elle ne connaît pas la nature exacte de ces préoccupations.


[11]            Pour ces motifs, je conclus que CIC a violé l'obligation d'équité qui lui incombait en refusant à la demanderesse la possibilité de répondre à l'avis médical concernant son mari.

[12]            Quant à l'argument de la demanderesse selon lequel CIC aurait dû tenir compte du contexte de la catégorie des aides familiaux résidants et de son importance au Canada, j'estime que ces considérations ne sont pas pertinentes lorsque l'interdiction de territoire repose sur une base légale. L'agent ne possède aucun pouvoir discrétionnaire en matière d'attribution du droit d'établissement à une demanderesse dès lors que la personne à sa charge est jugée être interdite de territoire pour des raisons sanitaires et qu'il est constaté que sa prise en charge causerait un fardeau excessif pour le système de santé canadien.

[13]            Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accordée. L'affaire est renvoyée pour nouvelle décision à un tribunal différemment constitué.

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accordée. L'affaire est renvoyée pour nouvelle décision à un tribunal différemment constitué.

                                                                _ Danièle Tremblay-Lamer _          

                                                                                                     Juge                             

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                           IMM-10138-03

INTITULÉ :                                          JOSEPHINE ABASOLO PIMENTEL c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                    CALGARY (ALBERTA)

DATE DE L'AUDIENCE :                  LE 18 AOÛT 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                          LA JUGE DANIÈLE TREMBLAY-LAMER

DATE DES MOTIFS :                         LE 19 AOÛT 2004

COMPARUTIONS :

Lori O'Reilly                                                                             POUR LA DEMANDERESSE

Laura Dunham                                                                           POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

O'Reilly Law Office

Calgary (Alberta)                                                                       POUR LA DEMANDERESSE

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

(Bureau régional d'Edmonton)

Edmonton (Alberta)                                                                   POUR LE DÉFENDEUR


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