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Date : 20010123

Dossier : IMM-192-00

ENTRE :

                                                  JAGWINDER SINGH SANDHU

                                                                                                                                          demandeur

                                                                          - et -

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE DUBÉ

[1]         Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision de l'agent d'immigration du Haut-commissariat du Canada à New Delhi (Inde), datée du 7 novembre 1999, dans laquelle il a retiré le demandeur à titre de personne à charge de la demande de résidence permanente au Canada de son père, au motif que le demandeur n'était pas un « fils à charge » selon la définition du paragraphe 2(1) et aux termes du paragraphe 2(7) du Règlement sur l'immigration de 1978 (le Règlement).


[2]         L'agent d'immigration a conclu que depuis que le demandeur a atteint l'âge de 19 ans, il n'a pas « été inscrit » à une université, un collège ou un autre établissement d'enseignement et n'y a pas « suivi sans interruption » à temps plein des cours de formation générale, théorique ou professionnelle. Le ratio decidendi de la décision de l'agent d'immigration est contenu dans les deux paragraphes de sa lettre qui sont reproduits ci-dessous ­:

[TRADUCTION] Étant donné ce qui précède, je n'ai d'autre choix que de conclure que bien que Jagwinder Singh ait pu être inscrit à l'université Guru Nanek Dev au cours des deux dernières années, on ne peut valablement dire qu'il y suivait des cours. Malgré les deux années au cours desquelles il aurait étudié, il n'a pas été en mesure de réussir un seul cours. Je suis d'avis que cela indique que Jagwinder Singh n'a pas réellement tenté de se consacrer à ses études ou de concentrer son énergie et son attention sur ces dernières. Je suis d'avis que Jagwinder Singh est demeuré inscrit non pas parce qu'il avait une quelconque intention d'étudier, mais plutôt pour donner l'impression qu'il possédait toujours son statut de fils à charge.

Je conclus que Jagwinder Singh n'a pas été inscrit sans interruption dans un établissement d'enseignement depuis qu'il a atteint l'âge de 19 ans, dans la mesure où il a été décidé que « a suivi » un cours comporte un élément qualitatif qui exige plus qu'une simple inscription passive, mais également que l'étudiant ait consacré des efforts et de l'attention à ses études pendant ce temps.

(non souligné dans l'original)

[3]         L'expression « fils à charge » est défini de la façon suivante au paragraphe 2(1) du Règlement :

« fils à charge » Fils :

a) soit qui est âgé de moins de 19 ans et n'est pas marié;

b) soit qui est inscrit à une université, un collège ou un autre établissement d'enseignement et y suit à temps plein des cours de formation générale, théorique ou professionnelle, et qui :

(i) d'une part, y a été inscrit et y a suivi sans interruption ce genre de cours depuis la date de ses 19 ans ou, s'il était déjà marié à cette date, depuis la date de son mariage,


(ii) d'autre part, selon un agent d'immigration qui fonde son opinion sur les renseignements qu'il a reçus, a été entièrement ou en grande partie à la charge financière de ses parents depuis la date de ses 19 ans ou, s'il était déjà marié à cette date, depuis la date de son mariage;

c) soit qui est entièrement ou en grande partie à la charge financière de ses parents et qui :

(i) d'une part, selon un médecin agréé, souffre d'une incapacité de nature physique ou mentale,

(ii) d'autre part, selon l'agent d'immigration qui fonde son opinion sur les renseignements qu'il a reçus, y compris les renseignements reçus du médecin agréé visé au sous-alinéa (i), est incapable de subvenir à ses besoins en raison de cette incapacité.

(non souligné dans l'original)

[4]         Il faut noter que l'agent d'immigration ne conteste pas dans sa décision le fait que le demandeur était physiquement présent, sans interruption, à titre d'étudiant à temps plein, mais qu'il a fondé sa décision sur le fait que le demandeur a échoué ses examens. Lors de l'entrevue, l'agent d'immigration a posé des questions au demandeur et a conclu que ce dernier [TRADUCTION] « était incapable de décrire ses études de manière sensée » . Il a donc conclu que le demandeur n'avait pas [TRADUCTION] « concentr[é] son énergie et son attention sur [ses études] » et qu'il était demeuré inscrit simplement pour conserver[TRADUCTION] « son statut de fils à charge » . Le fait pour lui de suivre des cours ne [TRADUCTION] « comporte [pas] un élément qualitatif qui exige plus qu'une simple inscription passive » .

[5]         Par conséquent, la question est de savoir si la définition de « fils à charge » aux termes du paragraphe 2(1) du Règlement fait appel à une évaluation qualitative du rendement d'un étudiant pour déterminer s'il « a suivi » des cours à un établissement d'enseignement.

[6]         Le concept d'élément « qualitatif » dans la définition de « fils à charge » provient de deux décisions de 1996 que la Cour a rendu, soit Khaira c. Canada (M.C.I.)[1] et Malkana c. Canada (M.C.I.)[2]. Avec égards pour le juge Gibson, je ne peux être d'accord avec la prémisse selon laquelle le sens ordinaire du paragraphe 2(1) du Règlement comporte un élément qualitatif. Certes, lorsque l'agent d'immigration a des doutes sur le fait de savoir si le demandeur suit des cours, il peut le questionner pour déterminer s'il a, oui ou non, satisfait à l'exigence de suivre des cours. L'agent peut disqualifier le demandeur au motif que celui-ci n'a pas été inscrit et n'a pas suivi sans interruption des cours à temps plein, mais il ne peut évaluer la qualité du rendement d'un étudiant. Le Règlement ne prévoit pas que le demandeur doit être un bon étudiant.


[7]         Je fonde mon opinion sur la décision du juge Tremblay-Lamer dans Patel c. Canada (M.C.I.)[3], où elle a conclu ce qui suit : « il suffit que selon le dossier, il soit inscrit et suive des cours à temps plein » . Elle a ajouté : « D'ailleurs, étant donné la grande variété des matières enseignées à l'université, il n'y a pas lieu de permettre aux agents des visas d'évaluer la qualité du travail qu'y fait un demandeur » .

[8]         Elle a comparé l'alinéa 2(1)b) au sous-alinéa 2(1)c)(ii) qui autorise l'agent d'immigration à exercer son pouvoir discrétionnaire aux fins d'évaluer l'information de façon à déterminer si le présumé « fils à charge » est oui ou non entièrement ou en grande partie à la charge financière de ses parents. Le libellé du paragraphe 2(1)b) ne prévoit nullement un tel pouvoir discrétionnaire.

[9]         Elle a fait référence à la « règle d'or » de l'interprétation législative « d'une façon compatible avec le sens ordinaire » comme l'a souligné la Cour suprême du Canada dans R. c. McIntosh[4]:

[U]ne loi doit être interprétée d'une façon compatible avec le sens ordinaire des termes qui la compose. Si le libellé de la loi est clair et n'appelle qu'un seul sens, il n'y a pas lieu de procéder à un exercice d'interprétation.

[10]       Dans ce jugement, le juge en chef de l'époque s'est dit d'accord avec les observations de Pierre-André Côté dans Interprétation des lois[5], où il est prévu que l'interprétation ne devrait pas ajouter des termes à la loi :

La fonction du juge étant d'interpréter la loi et non de la faire, le principe général veut que le juge doive écarter une interprétation qui l'amènerait à ajouter des termes à la loi : celle-ci est censée être bien rédigée et exprimer complètement ce que le législateur entendait dire [...]­


[11]       Si le Parlement avait l'intention de donner à l'agent d'immigration le pouvoir d'évaluer, pour un étudiant qui suit des cours, la qualité de sa fréquentation aux termes du paragraphe 2(1) du Règlement, il l'aurait prévu expressément.

[12]       La décision de l'agent d'immigration est donc annulée et la demande est renvoyée afin d'être réexaminée par un nouvel agent d'immigration. Je suis d'accord avec l'avocat du demandeur qu'il existe une question de portée générale qui doit être certifiée et qu'elle devrait être rédigée de la façon suivante :

L'agent d'immigration a-t-il le pouvoir, aux termes du sous-alinéa 2(1)b)(i), d'évaluer, pour un étudiant qui suit des cours, la qualité de sa fréquentation à titre de présumé « fils à charge » inscrit à temps plein dans un programme?

OTTAWA (Ontario)

Le 23 janvier 2001

        « J.E. Dubé »                                                                                     

                                                                                               J.C.F.C.

Traduction certifiée conforme

Kathleen Larochelle, LL.B.


Date : 20010123

Dossier : IMM-192-00

OTTAWA (ONTARIO), LE 23 JANVIER 2001

EN PRÉSENCE DE : MONSIEUR LE JUGE J.E. DUBÉ

ENTRE :

                          JAGWINDER SINGH SANDHU

                                                                                          demandeur

                                                  - et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                           défendeur

                                        ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire est accueillie et une question de portée générale est certifiée.

                                                                                        « J.E. Dubé »       

                                                                                               J.C.F.C.

Traduction certifiée conforme

Kathleen Larochelle, LL.B.


                         COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                    SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-192-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :                         Jagwinder Singh Sandhu c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration           

LIEU DE L'AUDIENCE :                              Vancouver (C.-B.)

DATE DE L'AUDIENCE :                            Le 15 janvier 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PAR :      MONSIEUR LE JUGE DUBÉ

EN DATE DU :                                               23 janvier 2001

ONT COMPARU :

Ian Goldman                                                                  POUR LE DEMANDEUR

Banafsheh Sokhansanj                                       POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ian Goldman                                                                  POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada



     [1]       (1996) 35 Imm. L.R. (2d) 257, (C.F. 1re inst.), (1996) 122 F.T.R. 63.

     [2]       (1996) 37 Imm.L.R. (2d) 288, (C.F. 1re inst.), (1996) 125 F.T.R. 71.

     [3]       [1998] A.C.F. no 1423, dossier IMM-829-98.

     [4]       [1995] 1 R.C.S. 686, au paragraphe 18.

     [5]       2e éd. (Cowansville : Yvon Blais, 1990), aux pages 257 et 258.

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