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Date : 19991020


Dossier : T-1215-91

Ottawa (Ontario), le mercredi 20 octobre 1999

EN PRÉSENCE DE M. LE JUGE GIBSON

ENTRE :

     BEMAR CONSTRUCTION LTD.


demanderesse

     et

     SA MAJESTÉ LA REINE


défenderesse


     JUGEMENT

     La requête en jugement sommaire présentée par la défenderesse est accueillie. L'action intentée par la demanderesse est rejetée.

     La défenderesse aura droit aux dépens de la requête et de l'action.


FREDERICK E. GIBSON

Juge

Traduction certifiée conforme


Laurier Parenteau, B.A., LL.L.





Date : 19991020


Dossier : T-1215-91


ENTRE :

     BEMAR CONSTRUCTION LTD.


demanderesse

     et

     SA MAJESTÉ LA REINE


défenderesse


     MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE GIBSON

[1]      Les présents motifs découlent d'une requête en jugement sommaire présentée par la demanderesse conformément aux règles 213 à 219 des Règles de la Cour fédérale (1998)1. La défenderesse demande également les dépens. Déposée le 19 mai 1999, la requête de la défenderesse a été entendue à Edmonton (Alberta), le 23 août 1999.

[2]      Voici, brièvement résumés, les faits qui sont à l'origine de l'affaire. En octobre 1989, la défenderesse, représentée par le ministre des Travaux publics, demandait des soumissions en vue de la construction, à Faust (Alberta), d'un immeuble de bureaux et de logements destiné à un détachement de la Gendarmerie royale du Canada. La demanderesse a obtenu de la défenderesse une documentation préalable comprenant les spécifications et plans de l'immeuble ainsi que des instructions à l'intention des soumissionnaires. Selon la demanderesse, la défenderesse lui aurait indiqué que les éléments suivants seraient tels qu'ils sont indiqués dans la documentation remise aux soumissionnaires : la manière dont la construction pouvait et devait être réalisée; les travaux envisagés à l'époque de l'appel d'offre; les renseignements concernant le site; la conformité des matériaux par rapport à l'objet visé; et l'adaptation de la construction aux conditions du site.

[3]      C'est la soumission de la demanderesse qui a été retenue pour la réalisation du projet. Les travaux ont été entamés par la demanderesse en 1989, et se sont poursuivis environ jusqu'à la fin de 1990. Des acomptes ont été versés conformément au contrat de construction jusqu'au cours de l'été 1990. À cette époque, on s'était aperçu que le terrain sur lequel devait être réalisée la construction était plus humide et moins stable que ne l'avait indiqué la documentation distribuée aux soumissionnaires. Cela entraîna des problèmes au niveau de la stabilité des fondations et de la construction en général.

[4]      Il y a eu, le 30 août 1990, une réunion devant permettre de faire redémarrer le projet. Y assistaient notamment les avocats de la demanderesse et de la défenderesse. Le 21 septembre 1990, l'avocat de la demanderesse a envoyé à l'avocat de la défenderesse une lettre rédigée en ces termes :

         [traduction]

         Suite aux discussions et à la correspondance concernant l'affaire citée en référence, notre cliente est disposée à faire à Travaux publics Canada la proposition suivante :
1.      Bemar demande par la présente un assouplissement de l'article 02220, alinéa 3.4.4 du devis descriptif qui précise le degré de compactage du remblai placé sous la dalle devant former le plancher du sous-sol du détachement de la GRC; plus précisément, Bemar demande que le degré de compactage soit ramené de 96 % à 90 %. Il est convenu entre les parties que Travaux publics Canada sera responsable de tout tassement ou autre mouvement de la dalle.
2.      Bemar convient par la présente de réparer, à ses frais, les autres éléments structurels du bâtiment, et ce, de manière à satisfaire l'ingénieur de Travaux publics Canada. Les fissures ayant moins de 3/16 de pouce de largeur seront réparées, aux frais de Bemar, par des injections d'époxy.
3.      Travaux publics Canada s'engage par la présente à verser immédiatement les 35 000 $ retenus en raison des fissures constatées dans des éléments structurels. Il est entendu qu'au cas où les fissures ne seraient pas réparées avant que ne soit achevé en grande partie l'ensemble des travaux, une somme de 35 000 $ pourra alors être retenue.
4.      Bemar entreprend de tout faire pour que le projet soit complété le 31 octobre; il est cependant possible qu'un allongement du délai se révèle nécessaire en raison des retards intervenus jusqu'à ce jour.
5.      Sur acceptation, par Travaux publics Canada, des conditions énumérées ci-dessus, Bemar s'engage par la présente à libérer Travaux publics Canada de toute réclamation ayant sa source sur le chantier et remontant à une date antérieure au 15 septembre 1990.
Si l'ensemble de ces clauses agréé à Travaux publics Canada, veuillez apposer votre signature au bas de cette lettre et nous la renvoyer dans les meilleurs délais.

[5]      Sous le titre " ACCEPTATION ", Travaux publics Canada a accepté, le 24 septembre 1990, la proposition qui lui était faite. La proposition ainsi acceptée a été renvoyée à l'avocat de la demanderesse, accompagnée d'une lettre de l'avocat de la défenderesse, elle aussi en date du 24 septembre et comprenant la phrase suivante :

         [traduction]

         Une directive de modification sera émise dans les jours qui suivent afin d'incorporer officiellement au contrat le présent accord.

Si la défenderesse a effectivement émis une sorte de directive de modification, la forme de cette directive est actuellement l'objet d'un débat, comme l'est également le fait que cette directive était censée ne porter que sur le degré de compactage.

[6]      On a déjà indiqué que la demanderesse a poursuivi ou repris les travaux jusqu'à fin 1990 environ. Lorsque la demanderesse s'est retirée du chantier, les travaux de construction n'étaient pas encore achevés.

[7]      La déclaration en cette affaire a été émise le 6 mai 1991. Selon cette déclaration, Travaux publics Canada, contrairement à ses obligations contractuelles, s'est montré négligent en faisant état, dans la documentation distribuée aux soumissionnaires, de faits qui n'étaient manifestement pas exacts, cette présentation inexacte des faits ayant causé des pertes et des dommages à la demanderesse, notamment des pertes accessoires, un manque à gagner, la perte d'occasions professionnelles ainsi qu'une atteinte à sa réputation. Il convient de noter que dans la déclaration aucun tort n'est reproché à la défenderesse après le 15 septembre 1990.

[8]      Dans des mémoires rédigés séparément mais interreliés, les parties précisent que dans le cadre de cette requête en jugement sommaire, les questions à trancher par la Cour sont les suivantes :

     -      y avait-il, à partir du 24 septembre 1990, une entente valable portant règlement;
     -      s'il existait effectivement une entente valable portant règlement, la Cour a-t-elle, eu égard aux circonstances de cette affaire, le pouvoir discrétionnaire d'écarter le règlement hors cour intervenu entre les avocats des parties lorsque l'avocat de la demanderesse peut n'avoir reçu ni autorisation ni instruction de sa cliente quant à l'entente de règlement; et
     -      la défenderesse peut-elle invoquer le règlement alors que, selon la demanderesse, elle a, après cela, violé le contrat de construction conclu avec la demanderesse en ne payant pas cette dernière pour les travaux effectués en vertu du contrat.

[9]      Les principes applicables aux requêtes en jugement sommaire présentées devant la Cour sont relativement bien établis. Ils sont énoncés de façon claire dans la décision Granville Shipping Co. c. Pegasus Lines Ltd. S.A. et autres2. Pour qu'une requête en jugement sommaire soit accueillie par la Cour, celle-ci doit être persuadée que l'affaire ne devrait pas être instruite car elle ne soulève en fait aucune question susceptible d'être tranchée par la Cour. Il ne s'agit pas de savoir si une partie n'a guère de chances d'obtenir gain de cause mais, plutôt, si l'affaire est douteuse au point de ne pas même mériter d'être instruite. La simple existence d'un conflit apparent au niveau de la preuve n'exclut pas en soi la possibilité d'un jugement sommaire; la Cour doit examiner scrupuleusement le bien-fondé des thèses en présence et dire si se pose en l'occurrence un problème de crédibilité. Ces quelques indications ne traduisent pas l'intégralité des principes exposés dans l'affaire Granville Shipping, mais elles donnent selon moi un résumé raisonnable des principes les plus pertinents en l'occurrence.

[10]      Malgré l'excellente plaidoirie prononcée devant moi au nom de la demanderesse, j'estime que l'offre de règlement citée plus haut formait, dès son acceptation au nom de la défenderesse, un accord de règlement liant la demanderesse et la défenderesse. Selon les termes mêmes de cet accord, celui-ci n'a rien d'éventuel au sens où il dépendrait de l'émission d'une directive de modification " ...[l']incorporant... au contrat ". L'accord avait une existence indépendante et liait les parties. Par conséquent, à moins que cet accord ne soit écarté par la Cour, ou annulé en raison du comportement ultérieur de l'une ou l'autre des parties, la demanderesse a, par cet accord, libéré la défenderesse de toute réclamation " ayant sa source sur le chantier [de construction] et remontant à une date antérieure au 15 septembre 1990 ". Nul n'a contesté devant la Cour que l'ensemble des réclamations formulées par la demanderesse dans le cadre de sa réclamation étaient nées avant le 15 septembre 1990, et je suis convaincu qu'elles ont toutes leur source dans les conditions " [constatées] sur le chantier... ".

[11]      Dans l'affaire Scherer v. Paletta3, où le défendeur avait déposé une requête en jugement sommaire, le juge Evans a écrit, à la page 534 :

         [traduction]

         Il ressort des documents versés au dossier que l'avocat de la partie adverse n'a eu, avant l'acceptation de l'offre le 10 mai 1965, aucune connaissance d'une quelconque limite au pouvoir qu'avait l'avocat de proposer un règlement de la demande reconventionnelle.
...
Il s'agit de savoir si le défendeur est en droit de faire exécuter par voie de justice le règlement dont avait convenu l'avocat du demandeur étant donné que les instructions de celui-ci comportaient des limites qui n'étaient pas connues du défendeur.
...
Le pouvoir de parvenir à un règlement découle implicitement du fait qu'on a confié à un avocat le soin de plaider une cause, à moins que ses instructions comportent des limites et que celles-ci soient portées à l'attention de la partie adverse.

À la page 535, le juge Evans poursuit en ces termes :

         [traduction]

         L'avocat retenu dans le cadre d'une affaire donnée, peut parvenir, dans le cadre de celle-ci, à un règlement qui liera son client à moins que celui-ci n'ait restreint les pouvoirs de son avocat et que ces restrictions n'aient été portées à la connaissance de la partie adverse, sous réserve, bien sûr, du pouvoir discrétionnaire qu'a la Cour, si on sollicite son intervention dans le cadre d'une demande d'ordonnance, de se pencher sur les circonstances de l'affaire et d'accorder ou refuser son intervention comme elle juge bon de le faire; et, sous réserve, également, de l'incapacité du client. Par conséquent, alors qu'un avocat peut avoir le pouvoir apparent d'engager son client en parvenant à un règlement, il ne peut pas lier la Cour et lui imposer la prise d'une mesure particulière et, donc, si le règlement prévoit que la Cour rendra une ordonnance, les limitations apportées au pouvoir de l'avocat pourront être portées à l'attention de la Cour à toute époque avant que celle-ci rende sa décision et la Cour pourra refuser de permettre que soit rendue l'ordonnance en bonne et due forme prévue dans l'accord. Si, cependant, les parties sont majeures et capables, la Cour, en l'absence de débat quant aux instructions que l'avocat aurait effectivement reçues, et quant aux conditions dont les avocats avaient convenu entre eux, ne s'enquérera pas, en pratique, des restrictions que le client aurait pu imposer au pouvoir de son avocat.

On fait en l'espèce valoir que la demanderesse avait limité le pouvoir de transiger de son avocat. Nul n'a contesté le fait que ni la défenderesse, ni son avocat, n'étaient au courant d'une telle limitation. Personne n'a invoqué non plus une incapacité de la part de la demanderesse. De plus, personne n'a fait valoir que la mise en oeuvre de l'accord en question exigeait une intervention de la Cour ou d'un autre tribunal.

[12]      Dans la décision Pearson v. Plester et autres4, le juge Twaddle, à la page 464, a donné de la question portée devant la Cour la définition suivante :

         [traduction]

         Le présent appel soulève l'importante question de savoir si un juge de la Cour du Banc de la Reine peut, en raison de son pouvoir discrétionnaire, écarter un règlement qui, bien que conclu hors cour par les avocats des parties, peut ne pas avoir été autorisé par l'une d'entre elles.

Le juge Twaddle se réfère à la décision Scherer, qui, selon lui, a fait jurisprudence sur la question et en cite des passages. Il conclut, aux pages 467 et 468 en ces termes :

         [traduction]

         La question de savoir dans quelle mesure cette exception[c'est-à-dire l'exception citée dans la décision Scherer, où un tribunal est appelé à rendre une ordonnance parachevant un règlement] s'applique aux affaires où l'intervention de la cour est une simple formalité, à l'inverse des affaires où il y a lieu pour la Cour d'exercer son pouvoir discrétionnaire, ne retiendra guère notre attention en l'espèce. En l'occurrence, le règlement n'a pas besoin, pour produire ses effets, d'une ordonnance de la Cour. Il n'a été demandé à la Cour de donner effet à cet accord que lorsque la demanderesse a refusé d'être liée par lui. Les défendeurs auraient pu chacun engager une action pour rupture de contrat mais, par souci de commodité procédurale, ils ont décidé de solliciter, dans le cadre de la présente action, un jugement sommaire. Ils n'ont pas sollicité l'aide de la Cour afin de donner effet au règlement : il n'a été demandé à la Cour que de faire respecter les obligations que les parties avaient elles-mêmes souscrites par contrat.

C'est précisément le cas en l'espèce.

[13]      Je suis convaincu qu'en l'occurrence la manière dont les parties se sont comportées après le règlement n'est d'aucune pertinence. Ce comportement n'a pas été invoqué par la demanderesse dans sa déclaration, et il ne pourrait pas l'être maintenant. Ainsi, la Cour n'est pas saisie de fautes qu'aurait commises la défenderesse après le 24 septembre 1990.

[14]      Au vu du dossier, et conformément à l'analyse qui précède, je considère qu'il n'y a, en l'espèce, aucune question susceptible d'être tranchée par la Cour étant donné que la demanderesse a convenu de libérer la défenderesse de toute réclamation ayant son origine sur le chantier et remontant à une date antérieure au 15 septembre 1990, ce qui englobe l'ensemble des réclamations formulées dans le cadre de la présente action, la demanderesse étant liée, en effet, par l'accord qu'elle a conclu. J'estime en outre que la cause de la demanderesse est en l'espèce douteuse au point qu'elle ne mérite pas d'être portée devant un juge dans le cadre d'une instruction future. Bien que la preuve versée au dossier soulèvent certainement des questions de crédibilité, après m'être minutieusement penché sur le bien-fondé des arguments invoqués, j'estime que les questions de crédibilité, quel que soit le sens dans lequel elles pourraient être tranchées, n'affecteraient en rien l'issue de la présente action.

[15]      Pour ces motifs, la requête en jugement sommaire présentée par la défenderesse est accueillie, et celle-ci a droit aux dépens de la requête et de l'action.



FREDERICK E. GIBSON

Juge

Ottawa (Ontario)

Le 20 octobre 1999



Traduction certifiée conforme


Laurier Parenteau, B.A., LL.L.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER




No DU GREFFE :              T-1215-91
INTITULÉ DE LA CAUSE :      Bemar Construction Ltd. c. Sa Majesté la Reine
LIEU DE L'AUDIENCE :          Edmonton (Alberta)
DATE DE L'AUDIENCE :          Le 23 septembre 1999

MOTIFS DU JUGEMENT DE M. LE JUGE GIBSON

DATE :                      Le 20 octobre 1999

ONT COMPARU

M. Roger C. Stephens          pour la demanderesse
M. Brad Hardstaff              pour la défenderesse

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Simons & Stephens              pour la demanderesse

Edmonton (Alberta)

Morris Rosenberg              pour la défenderesse

Sous-procureur général

du Canada

__________________

1      DORS/98-106, 5 février 1998.

2      (1996), 111 F.T.R. 189 à la p. 193.

3      (1966), 57 D.L.R. (2d) 532 (C.A. Ont.).

4      (1989), 65 D.L.R. (4th ) 463 (C.A. Man.).

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