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     IMM-682-96

OTTAWA (Ontario), le 9 septembre 1997

EN PRÉSENCE DE M. le juge MacKay

Entre :

     HARM NOPPERS,

     requérant,

     - et -


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     intimé.

     SUR PRÉSENTATION d'une demande de contrôle judiciaire et d'ordonnance infirmant l'avis, fondé sur le paragraphe 70(5) de la Loi sur l'immigration, émis par le ministre de l'Immigration concernant le requérant en date du 10 janvier 1996, et d'une demande d'ordonnance en vue de suspendre les mesures d'expulsion et de renvoi prises contre le requérant;

     APRÈS AVOIR ENTENDU les avocats du requérant et de l'intimé à Edmonton, le 21 mars 1997, date à laquelle la Cour a réservé sa décision, et après avoir pris connaissance des observations fournies par la suite;

     O R D O N N A N C E

     LA COUR ORDONNE que la demande soit rejetée.

     W. Andrew MacKay

                 __________________________

     JUGE

Traduction certifiée conforme         

                             F. Blais, LL.L.

     IMM-682-96

Entre :

     HARM NOPPERS,

     requérant,

     - et -


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     intimé.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE MacKAY

     Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de l'avis du ministre, fondé sur le paragraphe 70(5) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, et ses modifications (la Loi), et d'une demande d'ordonnance pour annuler cet avis selon lequel le requérant, Harm Noppers, constitue un danger pour le public au Canada. Cet avis émis par le délégué du ministre est daté du 10 janvier 1996 et a été communiqué au requérant le 5 février 1996.

     Comme redressement, le requérant demande une ordonnance infirmant l'avis du ministre et suspendant les mesures d'expulsion et de renvoi prises contre lui et en outre une déclaration le dispensant de l'application du paragraphe 70(5) de la Loi1. Il demande également une déclaration attestant que le ministre ou son délégué n'ont pas exercé leur pouvoir discrétionnaire de façon appropriée en émettant l'avis contesté, et que, par conséquent, celui-ci est annulé et n'a aucun effet sur l'appel du requérant devant la section d'appel de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la section d'appel)2.

     La demande a été entendue à Edmonton le 21 mars 1997, date à laquelle, après avoir entendu les avocats des deux parties, la Cour a réservé sa décision en attendant le jugement de la Cour d'appel dans Williams c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration3. À cette date, j'ai indiqué que si la décision de la Cour d'appel dans l'affaire Williams soulevait des questions justifiant la présentation d'autres arguments, les parties seraient invitées à formuler d'autres observations. À mon avis, la décision Williams a réglé définitivement certaines questions soulevées en l'espèce et il n'y a pas lieu de demander d'autres observations. Ayant soigneusement examiné les observations écrites et les arguments verbaux qui m'ont été présentés par les deux parties, et en tenant compte de la jurisprudence ayant trait à l'application du paragraphe 70(5)4, je suis d'avis de rejeter la présente demande de contrôle judiciaire pour les motifs énoncés ci-après.

LES FAITS

     Le requérant est né aux Pays-Bas le 9 novembre 1954. Le 6 juillet 1974, à l'âge de 19 ans, il a été admis au Canada à titre d'immigrant reçu avec ses parents et ses quatre frères et soeurs. Le requérant et sa famille ont été parrainés par un oncle qui résidait déjà au Canada. Depuis, le requérant a conservé le statut de résident permanent sans obtenir la citoyenneté canadienne.

     En août 1992, le requérant a été reconnu coupable de deux chefs d'accusation d'exploitation sexuelle par une personne en situation d'autorité et d'un chef d'accusation de contact sexuel aux termes de l'alinéa 153(1)a) et de l'article 151 du Code criminel. Les condamnations découlent d'incidents de nature sexuelle qui ont eu lieu entre le requérant et des jeunes filles mineures qui vivaient dans son foyer d'accueil entre septembre 1990 et juin 1991. Par suite de ces infractions, le requérant a été condamné à des peines cumulatives de trois ans et trois mois d'incarcération. Le requérant avait déjà un casier judiciaire dans lequel figurent notamment, une condamnation pour voies de fait en 1986, à l'égard de laquelle il a été libéré sous condition et placé en probation pour six mois, et une condamnation en 1976 pour possession de stupéfiants en vue d'en faire le trafic, qui s'est soldée par un sursis de sentence et une période de probation de 18 mois.

     Par suite de ses condamnations criminelles, le requérant a fait l'objet d'une enquête aux termes du paragraphe 27(1) de la Loi. Le 7 novembre 1994, il a été déterminé qu'il était visé aux sous-alinéas 27(1)d)(i) et (ii) de la Loi et, conformément au paragraphe 32(2) de la Loi, une ordonnance a été émise pour qu'il soit expulsé du Canada.

     Le 7 novembre 1994, le jour même où la mesure d'expulsion était prise, le requérant a interjeté appel devant la section d'appel. L'audition de l'appel devait initialement avoir lieu le 12 septembre 1995, mais comme le requérant a changé d'avocat, l'audition a été ajournée jusqu'au 5 octobre 1995, pour être de nouveau différée par la suite jusqu'au 4 décembre 1995. À cette date, l'appel a été entendu comme prévu, la preuve verbale a été déposée et la Cour a réservé sa décision.

     Avant l'audition de l'appel, le projet de loi C-44, Loi modifiant la Loi sur l'immigration et la Loi sur la citoyenneté et modifiant la Loi sur les douanes en conséquence, L.C. 1995, ch. 15 (projet de loi C-44), est entré en vigueur le 10 juillet 1995. Parmi les dispositions du projet de loi C-44 pertinentes à la présente demande, figure une modification ajoutant le paragraphe 70(5) à la Loi sur l'immigration et en prévoyant les modalités d'application. Ce paragraphe dispose essentiellement qu'un résident permanent qui, de l'avis du ministre, constitue un danger pour le public au Canada, ne peut interjeter appel devant la section d'appel concernant une mesure d'expulsion qui a été prise contre lui.

     Avant l'audition de l'appel du requérant par la section d'appel, le ministère de l'Immigration a demandé au ministre de déterminer si, conformément au paragraphe 70(5) de la Loi, le requérant constituait un "danger pour le public au Canada", et le requérant a été informé que tel était le cas dans une lettre en date du 16 octobre 19965. La lettre dressait la liste des éléments de preuve devant être examinés par le ministre, et des copies des documents étaient joints à l'attention du requérant. La lettre invitait celui-ci à présenter des observations concernant cette preuve ou à soumettre d'autres éléments de preuve ayant trait à la question de savoir s'il constituait un danger pour le public au Canada et visant à établir s'il existait des raisons d'ordre humanitaire suffisantes pour contrebalancer le danger qu'il pouvait représenter. Si le requérant ne soumettait aucune observation dans les quinze jours suivant la réception de la lettre, le ministre ferait connaître son opinion en fonction de la preuve dont il était saisi.

     Le requérant a déposé ses observations écrites le 1er novembre 1995, dans lesquelles des opinions, à l'appui du fait qu'il ne constituait pas un danger pour le public, étaient présentées par son avocat, son agent de libération conditionnelle, un psychologue et des membres de la famille de son épouse, et auxquelles étaient joints des rapports sur l'évolution de son cas provenant de l'établissement pénitentiaire où il avait été incarcéré.

     Le 5 février 1996, M. Noppers a reçu une lettre l'informant que le ministre était d'avis qu'il constituait un danger pour le public au Canada conformément au paragraphe 70(5) de la Loi. Cet avis, formulé par le délégué du ministre, était daté du 10 janvier 1996. En outre, le requérant était informé que, compte tenu de la mesure d'expulsion qui avait déjà été prise contre lui, l'avis du ministre le privait de son droit d'en appeler de cette mesure devant la section d'appel.

     Le 26 février 1996, le requérant a déposé la présente demande d'autorisation et de contrôle judiciaire concernant la mesure d'expulsion et la décision du ministre, et l'autorisation lui a été accordée par voie d'ordonnance en date du 16 janvier 1997. Entre-temps, le requérant avait déposé une requête en vue d'obtenir une ordonnance pour suspendre les mesures d'expulsion et de renvoi en attendant le règlement de sa demande d'autorisation et de contrôle judiciaire. Cette suspension provisoire a été accordée par le M. le juge Gibson par voie d'ordonnance le 1er mars 1996.

LES QUESTIONS EN LITIGE

     Les questions en litige dans la présente demande de contrôle judiciaire sont formulées dans les termes suivants dans le mémoire déposé par le requérant :

     1.      L'application du paragraphe 70(5) de la Loi sur l'immigration dans un cas où "l'audition est commencée".         
     2.      L'exercice déraisonnable du pouvoir discrétionnaire du ministre quand il a émis l'avis que le requérant constituait un danger pour le public au Canada.         

     À l'audience, l'avocat du requérant a soulevé une troisième question, faisant valoir que le ministre a commis une erreur en tenant compte à tort d'éléments de preuve extrinsèques extrêmement préjudiciables au requérant pour prendre sa décision fondée sur le paragraphe 70(5) de la Loi.


ANALYSE

     Selon le requérant, l'interprétation du paragraphe 70(5) de la Loi est la "question fondamentale" dans la présente procédure de contrôle judiciaire. Ce paragraphe dispose comme suit :

         70.(5) Ne peuvent faire appel devant la section d'appel les personnes, visées au paragraphe (1) ou aux alinéas (2)a) ou b), qui, selon la décision d'un arbitre :         
         a) appartiennent à l'une des catégories non admissibles visées aux alinéas 19(1)c), c.1), c.2) ou d) et, selon le ministre, constituent un danger pour le public au Canada;         
         b) relèvent du cas visé à l'alinéa 27(1)a.1) et, selon le ministre, constituent un danger pour le public au Canada;         
         c) relèvent, pour toute infraction punissable aux termes d'une loi fédérale d'un emprisonnement maximal égal ou supérieur à dix ans, du cas visé à l'alinéa 27(1)d) et, selon le ministre, constituent un danger pour le public au Canada.         

     Le requérant fait valoir que le paragraphe 70(5) ne s'applique pas en l'espèce. Il soutient que le libellé du paragraphe 70(5) laisse entendre que lorsque le ministre émet son opinion, tous les appels en instance devant la section d'appel sont retirés, mais le paragraphe 70(5) n'est pas applicable en l'espèce parce que "l'audition" de l'appel du requérant était déjà commencée et en fait déjà terminée, à l'exception du fait que la Commission n'avait pas encore fait connaître sa décision, au moment où l'avis du ministre a été émis. Autrement dit, le requérant fait valoir que lorsque, comme en l'espèce, l'audition de l'appel est terminée, même si la section d'appel n'a pas réglé définitivement le cas, avant que le ministre émette une ordonnance, l'appel n'est pas annulé et par conséquent le ministre n'a pas compétence pour émettre son ordonnance.

     L'avocat du requérant a apparemment fondé son argument sur son interprétation du libellé du paragraphe 13(4) des dispositions transitoires du projet de loi C-44, qui dispose comme suit :

         13. (4) Le paragraphe 70(5) de la même loi, édicté par le paragraphe 3, s'applique aux appels interjetés dans le cadre de l'article 70 dont l'audition n'est pas commencée à la date de son entrée en vigueur; cependant, toute personne visée peut, dans les quinze jours suivant la date à laquelle elle est avisée que, selon le ministre, elle constitue un danger pour le public au Canada, présenter une demande de contrôle judiciaire, dans le cadre de l'article 82.1, à l'égard de la mesure de renvoi ou de renvoi conditionnel.         

     Selon le requérant, le paragraphe 13(4) signifie que le paragraphe 70(5) s'applique aux appels interjetés avant la date ou à la date de son entrée en vigueur, c'est-à-dire le 10 juillet 1995, mais dont l'audition n'était pas commencée avant que le ministre prenne sa décision. Cela ne signifie pas, selon l'avocat, que "l'audition" devait avoir commencé avant l'entrée en vigueur du paragraphe 70(5). De cette façon, le requérant laisse entendre que la conjonction anglaise "and" dans la première phrase de la disposition transitoire 13(4) est disjonctive; "l'entrée en vigueur" du paragraphe 70(5) ne compte que lorsqu'un appel est déposé; elle n'a aucun effet sur la question de savoir si l'audition est déjà commencée.

     En l'espèce, le requérant a déposé son appel le 7 novembre 1994, soit avant l'entrée en vigueur du paragraphe 70(5). Bien que l'audition ait été ajournée à deux reprises et n'ait commencé qu'après cette date, soit le 4 décembre 1995, l'audition était déjà commencée et avait été conclue, à l'exception du fait que la Commission n'avait pas encore fait connaître sa décision, quand le ministre a émis son avis. Dans les circonstances, le requérant fait valoir que le ministre n'avait pas compétence pour émettre aux termes du paragraphe 70(5) une opinion indiquant que le requérant constitue un "danger pour le public au Canada".

     À l'audition de cette affaire, l'avocat du requérant a essayé de faire la distinction entre l'espèce et la décision Tsang c. Ministre la Citoyenneté et de l'Immigration6, sur laquelle s'est appuyé l'intimé. Selon le requérant, Tsang n'est tout simplement pas applicable à l'espèce, étant donné que le libellé de la disposition qui était en cause dans cette affaire, soit le paragraphe 77(3.01) de la Loi, est "tout à fait différent" du libellé du paragraphe 70(5).


     L'intimé fait valoir que le paragraphe 70(5) s'applique parfaitement à l'espèce. Selon lui, le libellé du paragraphe 13(4) de la Loi modificative est clair : le paragraphe 70(5) s'applique lorsque, au moment de l'entrée en vigueur du paragraphe 70(5) le 10 juillet 1995 : (i) un appel avait été interjeté, et (ii) l'audition n'était pas commencée. Étant donné que l'appel du requérant a été déposé avant cette date, soit le 7 novembre 1994, et que l'audition n'a commencé que le 4 décembre 1995, soit après l'entrée en vigueur du paragraphe 70(5), les deux critères ont manifestement été respectés en l'espèce. À l'appui de cette interprétation, il cite la décision Tsang c. M.E.I.

     Selon l'intimé, les faits de l'espèce sont semblables à ceux de l'affaire Tsang. En l'espèce, l'audition devant la section d'appel n'était pas commencée lorsque le paragraphe 70(5) est entré en vigueur, puisqu'elle n'a commencé que cinq mois plus tard. Dans l'affaire Tsang, le juge Dubé devait interpréter le paragraphe 15(3) des dispositions transitoires du projet de loi C-44. Cette disposition, selon l'intimé, est rédigée en termes semblables à ceux du paragraphe 13(4) :

             15.(3) Le paragraphe 77(3.01) de la même loi, édicté par le paragraphe 3, s'applique aux appels interjetés dans le cadre de l'article 77 dont l'audition n'est pas commencée à la date de son entrée en vigueur; cependant, toute personne visée peut, dans les quinze jours suivant la date à laquelle elle est avisée que, selon le ministre, elle constitue un danger pour le public au Canada, présenter une demande de contrôle judiciaire, dans le cadre de l'article 82.1, à l'égard de la décision de l'agent d'immigration ou de l'agent des visas prise au titre du paragraphe 77(1).         

     L'intimé fait valoir que, dans la décision Tsang, comme en l'espèce, bien que l'appel ait été déposé avant le 10 juillet 1995, date à laquelle les paragraphes 77(3.01) et 70(5) sont entrés en vigueur, la véritable audition du cas n'a commencé que 15 jours après cette date. Comme en l'espèce, l'appel du requérant dans l'affaire Tsang devant la section d'appel, qui avait été déposé avant le 10 juillet 1995, a été entendu après cette date, mais n'avait pas été réglé par la section d'appel quand l'avis du ministre concernant le "danger que constitue le requérant pour le public" a été émis. En interprétant le paragraphe 15(3), le juge Dubé, dont la décision a été maintenue par la Cour d'appel, indique ce qui suit :

         Dans le cas qui nous occupe, l'appel a été déposé le 1er octobre 1993, avant l'entrée en vigueur du paragraphe en question (le 10 juillet 1995). L'audience a commencé le 25 juillet 1995, quinze jours après l'entrée en vigueur du paragraphe. Ainsi, l'audience n'était pas commencée lorsque le paragraphe est entré en vigueur. Le ministre avait donc le droit de déposer son avis au moment où il l'a fait. Le libellé de la version française justifie d'ailleurs cette interprétation.         
     [...]         
         En conséquence, je conclus que le ministre n'a pas commis d'erreur de droit en donnant un avis défavorable à Peter Tsang après la tenue de l'audience et avant le prononcé de la décision de la section d'appel. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.         

     Dans l'affaire Tsang, le juge Dubé a statué qu'il n'y avait pas d'ambiguïté dans le texte anglais du paragraphe 15(3). Il a conclu que ce paragraphe s'appliquait manifestement pour exclure les appels de l'application du paragraphe 77(3.01) seulement lorsque l'audition de l'appel avait commencé avant le 10 juillet 1995. Cette interprétation, selon le juge Dubé, était appuyée par la version française de la disposition. Cette décision a été maintenue par la Cour d'appel dans Tsang7, dans lequel le juge Marceau, rédigeant les motifs de la Cour, a déclaré ce qui suit :

     En toute déférence, je ne suis pas d'accord pour dire que la version anglaise de cette disposition est ambiguë. Je sais que le juge des requêtes et certains membres de la section d'appel ont, dans des décisions récentes, souscrit à l'idée que le texte pouvait se prêter à deux interprétations possibles, mais je ne vois pas la chose de cette façon. Il me semble que la seconde interprétation suggérée ne tient pas compte du fait que le sujet de la phrase anglaise est "subsection 77(3.01) of the Act" et non "the appeal" et qu'elle présuppose l'insertion des mots "before the filing of the Minister's opinion" après le passage "the hearing has not been commenced". Il n'est pas loisible, selon moi, de retenir une telle interprétation.         
     En tout état de cause, même si la version anglaise comportait une ambiguïté, la version française de la disposition n'est nullement ambiguë et démontre incontestablement que la première interprétation de la version anglaise correspond à la volonté du législateur. Ainsi que le juge des requêtes l'a dit, les principes d'interprétation des lois exigeraient que l'ambiguïté que comporte le texte anglais soit résolue de façon à se conformer au texte français qui, lui, n'est pas ambigu. Aucun principe secondaire d'interprétation des lois n'entrerait en jeu.         
     Finalement, j'ajouterais qu'il n'y a rien dans la Loi qui limite le délai dans lequel le ministre peut exercer son pouvoir d'exprimer l'avis qu'une personne constitue un danger pour le public. Il existe de toute évidence des raisons de principe qui justifient de lui accorder la plus grande marge de manoeuvre possible dans le cadre de ce processus pour accorder une protection maximale au public canadien. Selon moi, la volonté du législateur à cet égard est parfaitement claire.         

     La décision Tsang a été appliquée par la Cour à l'égard du paragraphe 13(4) du projet de loi C-448, qui est la disposition transitoire relative à l'application du paragraphe 70(5). Dans Casiano c. Canada (M.C.I.)9, le juge Dubé a déclaré ce qui suit :

         L'article 75 [la référence exacte serait le paragraphe 70(5)] de la Loi adopté le 10 juillet 1995 dispose que les résidents permanents qui ont fait l'objet d'une mesure d'expulsion ne peuvent faire appel à la section d'appel de l'immigration lorsque le ministre est d'avis que cette personne constitue un danger pour le public au Canada. La disposition transitoire énoncée à l'article 13(4) [...] L.C. 1995, ch. 15 est rédigée dans les termes suivants : [le paragraphe 13(4) est ensuite cité]         
         Dans la décision Tsang et autres c. M.C.I., IMM-2585-95 (C.F. 1re inst.), j'ai eu l'occasion d'examiner cette disposition et j'en suis venu à la conclusion que le ministre était en droit de déposer son opinion au moment où il l'a fait. En l'espèce, l'appel du requérant a été déposé le 25 janvier 1994, soit avant l'entrée en vigueur de ce paragraphe le 10 juillet 1995. L'audition de l'appel n'avait pas encore commencé quand le paragraphe est entré en vigueur. Le ministre avait donc le droit de déposer son opinion à la date à laquelle il l'a fait, c'est-à-dire le 8 février 1996.         

     En l'espèce, étant donné que l'audition de l'appel du requérant n'a pas commencé avant le 10 juillet 1995, date à laquelle le paragraphe 70(5) est entré en vigueur, le ministre était en droit d'émettre son avis, comme il l'a fait le 10 janvier 1996. Une fois que le ministre a fait connaître son avis sur le danger que représente le requérant, la section d'appel n'a plus compétence pour connaître de l'appel. Comme l'indiquait le juge Strayer dans Williams10, une fois que le ministre a communiqué sa décision aux termes du paragraphes 70(5), le pouvoir discrétionnaire de la section d'appel est remplacé par celui du ministre :

         L'avis donné par le ministre en application du paragraphe 70(5) a donc pour effet de substituer le droit de demander un contrôle judiciaire au droit d'interjeter appel de la mesure d'expulsion, de substituer l'exercice par le ministre du pouvoir discrétionnaire dont il est investi de dispenser une personne d'une expulsion légale à l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire semblable conféré à la section d'appel par l'alinéa 70(1)b), et de substituer le droit de demander un sursis judiciaire au droit d'obtenir un sursis d'origine législative.         

     Par conséquent, je conclus que le ministre était en droit d'émettre son avis concernant le requérant aux termes du paragraphe 70(5) et qu'en agissant de la sorte il n'a commis aucune erreur de droit susceptible de contrôle. Le premier argument soulevé par le requérant est donc rejeté.

     Le deuxième argument qu'il formule indique que le ministre n'a pas exercé son pouvoir discrétionnaire d'une façon appropriée et qu'il a manqué aux principes de justice naturelle. Le requérant fonde cet argument sur trois motifs.

     Tout d'abord, le requérant prétend que le ministre a manqué aux principes de justice naturelle en ne lui fournissant pas les motifs de sa décision d'émettre un avis contre lui.

     Deuxièmement, le requérant prétend que le ministre a commis une erreur en n'examinant pas la "totalité" de la preuve qui, selon lui, indique de façon tout à fait claire que le requérant s'est réhabilité et qu'il ne présente aucun danger de récidive, et par conséquent qu'il ne constitue pas pour la communauté un danger qui nécessite son renvoi du Canada.

     À l'audience, l'avocat du requérant a soumis un troisième argument, selon lequel le ministre a commis une erreur et manqué aux règles de justice naturelle en tenant compte d'éléments de preuve extrinsèques et extrêmement préjudiciables au requérant pour parvenir à sa décision fondée sur le paragraphe 70(5). Plus précisément, l'avocat du requérant mentionne un rapport de police dont était saisi le ministre et qui, selon ses allégations, fait référence à d'autres incidents de comportement criminel dont le requérant n'a pas été reconnu coupable. Selon le requérant, ces éléments de preuve ont à tort été versés au dossier et n'auraient pas dû être examinés par le ministre. Toutefois, je fais observer qu'à l'audience les deux avocats ont convenu qu'il n'y avait pas de disparité entre les pièces dont était saisi le ministre et celles qui ont été communiquées au requérant. Par conséquent, étant donné que ces éléments de preuve avaient également été fournis au requérant, cet argument ne soulève pas de questions concernant l'examen inapproprié d'une preuve "extrinsèque" comme celles dont il était question dans Kim c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)11 et Shah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)12.

     La question de savoir si le fait que le ministre n'a pas motivé sa décision fondée sur le paragraphe 70(5) constitue un déni de justice fondamentale a été traitée par la Cour d'appel dans Williams, précité. S'exprimant au nom de la Cour dans cette affaire, le juge Strayer a conclu qu'il n'y avait pas eu déni de justice, et a déclaré ce qui suit :

         On nous répète souvent que les principes de justice fondamentale résident dans les préceptes fondamentaux de notre système juridique. À mon avis, ces préceptes fondamentaux n'ont jamais obligé les tribunaux à motiver leurs décisions lorsqu'une loi ne l'exige pas expressément. C'est particulièrement vrai lorsque la décision en question est essentiellement une décision discrétionnaire. S'agissant des questions litigieuses en l'espèce, on ne nous a renvoyés à aucun précédent qui conteste sérieusement ces principes.         
         Ce qui a été reconnu, c'est que lorsque la décision discrétionnaire d'un tribunal est manifestement absurde ou lorsque les faits qui ont été soumis au tribunal exigeaient manifestement un résultat différent ou étaient dénués de pertinence mais ont apparemment eu un effet déterminant sur le résultat, il se peut qu'une cour de justice doive, en l'absence de motifs qui auraient pu expliquer comment le résultat est effectivement justifié ou comment certains facteurs ont été pris en considération mais rejetés, annuler la décision pour l'un des motifs reconnus de contrôle judiciaire comme l'erreur de droit, la mauvaise foi, la prise en considération de facteurs dénués de pertinence et l'omission de tenir compte de facteurs pertinents. Dans de telles circonstances, la décision du tribunal est annulée non pas parce qu'elle n'est pas motivée, mais parce que sans motifs il n'est pas possible de surmonter l'obstacle que constitue la conclusion d'absurdité ou d'erreur dérivée du résultat ou des circonstances entourant la décision.         
     [...]         
         Je ne sais absolument pas pourquoi les cours de justice peuvent, de droit, rendre une décision non motivée, mais peuvent insister pour que les tribunaux ne puissent, de droit, le faire. Selon l'arrêt Doody et le juge des requêtes en l'espèce, cette affirmation s'explique par le fait que si le décideur ne motive pas sa décision, une cour de justice qui siège en révision ne peut pas savoir si la décision est correcte. Il me semble que cette approche est fondée sur la prémisse selon laquelle les décisions rendues par les tribunaux et les hauts fonctionnaires sont présumées erronées tant que leur bien-fondé n'a pas été établi. Toutefois, la séparation des pouvoirs et les principes ordinaires de retenue judiciaire exigent qu'il incombe à la personne qui conteste une décision discrétionnaire de prouver que cette décision est illégale. Cette preuve peut être facile à faire dans certains cas s'il s'agit d'une décision qui est manifestement absurde, qui est manifestement illégale parce qu'elle se rapporte à des questions qui ne ressortissent pas à la compétence du décideur, ou qui n'est explicable qu'en présument la mauvaise foi. En l'absence de tels facteurs, c'est à la personne qui demande un contrôle judiciaire qu'il appartient de soumettre des éléments de preuve ou d'invoquer des moyens expliquant pourquoi la décision est illégale. Cela ne diminue nullement l'opportunité pour le décideur de fournir des motifs, mais je ne vois pas comment on peut en faire une obligation légale en l'absence d'une exigence législative.13         

                         [renvois omis]

     M'appuyant sur l'arrêt Williams, je rejette l'argument du requérant selon lequel en ne motivant pas sa décision le ministre a exercé son pouvoir discrétionnaire d'une manière non appropriée et contraire aux principes de justice naturelle.

     À mon avis, l'argument du requérant selon lequel le ministre a commis une erreur dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire en n'examinant pas la totalité de la preuve qui, selon le requérant, "indique de façon plus que manifeste" que celui-ci s'est réhabilité, a également été traité par la Cour d'appel dans Williams . Dans cette affaire, en discutant de la latitude qui est laissée à la Cour pour revoir la décision discrétionnaire du ministre fondée sur le paragraphe 70(5), le juge Strayer déclare ceci :

         Il est frappant que le paragraphe 70(5) dispose que ne peut faire appel l'intéressé qui constitue un danger "selon le ministre" et non "selon le juge". Par ailleurs, le législateur n'a pas formulé la disposition de manière objective, c'est-à-dire en prescrivant qu'une attestation interdisant un autre appel peut uniquement être délivrée s'il est "établi" ou "décidé" que l'appelant constitue un danger pour le public au Canada. Le législateur a plutôt eu recours à une formulation subjective pour énoncer le pouvoir de tirer une telle conclusion : le critère n'est pas celui de savoir si le résident permanent constitue un danger pour le public, mais celui de savoir si, "selon le ministre", il constitue un tel danger. Il existe une jurisprudence abondante selon laquelle, à moins que toute l'économie de la Loi n'indique le contraire en accordant par exemple un droit d'appel illimité contre un tel avis, ces décisions subjectives ne peuvent pas être examinées par les tribunaux, sauf pour des motifs comme la mauvaise foi du décideur, une erreur de droit ou la prise en considération de facteurs dénués de pertinence. En outre, lorsque la Cour est saisie du dossier qui, selon une preuve non contestée, a été soumis au décideur, et que rien ne permet de conclure le contraire, celle-ci doit présumer que le décideur a agi de bonne foi en tenant compte de ce dossier.         
         En l'espèce, nous savons quels documents ont été soumis au décideur. Parmi ceux-ci, il y avait à la fois des documents favorables et des documents défavorables à l'intimé, notamment les observations faites par son avocate et un rapport psychologique qui lui était favorable. [...] La Cour n'est pas invitée à confirmer le bien-fondé de l'avis du ministre, mais simplement à déterminer si le contrôle de cet avis est justifié en droit.14         


     Comme dans l'affaire Williams, à moins que le requérant ne réussisse à établir que le ministre a commis une erreur de droit, qu'il a agi de mauvaise foi ou qu'il s'est appuyé sur des considérations non pertinentes, sa décision fondée sur le paragraphe 70(5), selon laquelle le requérant constitue un danger pour le public au Canada, échappe tout simplement au contrôle judiciaire. En l'espèce, il n'y a pas de fondement dans la preuve, à mon avis, qui laisse entendre que la décision du ministre, prise dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, était manifestement absurde, qu'il a outrepassé sa compétence ou fait preuve de mauvaise foi.

Conclusion

     Dans les circonstances, en m'appuyant sur les décisions de la Cour d'appel dans les affaires Tsang et Williams, je conclus que la demande présentée par M. Noppers, en vue de faire annuler l'avis du ministre fondé sur le paragraphe 70(5), est rejetée. En fait, cette décision met fin à la suspension provisoire, accordée précédemment, des mesures visant l'exécution des mesures d'expulsion ou de renvoi prises contre le requérant.

     W. Andrew MacKay

                 __________________________

     JUGE

OTTAWA (Ontario)

le 9 septembre 1997

Traduction certifiée conforme         

                             F. Blais, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NE DU GREFFE :              IMM-682-96

INTITULÉ DE LA CAUSE :      HARM NOPPERS c. M.C.I.

LIEU DE L'AUDIENCE :      EDMONTON (ALBERTA)

DATE DE L'AUDIENCE :      LE 21 MARS 1997

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PAR LE JUGE MACKAY

DATE :                  LE 9 SEPTEMBRE 1997

ONT COMPARU :

BARINDER PANNU              POUR LE REQUÉRANT

BRAD HARDSTAFF              POUR L'INTIMÉ

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

BARINDER PANNU              POUR LE REQUÉRANT

EDMONTON (ALBERTA)

George Thomson                  POUR L'INTIMÉ

Sous-procureur général

du Canada

__________________

1      Demande d'autorisation et de contrôle judiciaire du requérant, en date du 26 février 1996

2      Mémoire du requérant en date du 18 avril 1996

3      [1997] 1 C.F. 457 (C.F. 1re inst.), appel accueilli, (1997) 212 N.R. 63, 147 D.L.R. (4th) 93 (C.A.F.) A-855-96 (ci-après Williams).

4      Voir Williams, précité note 3; Tsang c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), (11 février 1997), A-179-96 (C.A.F.) [1997] A.C.F. no 151, confirmant la décision de la Section de première instance citée à (1996), 107 F.T.R. 214, (ci-après Tsang); Pratt c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), (30 avril 1997) IMM-3160-95 (C.F. 1re inst.) [1997] A.C.F. no 522; Luksicek c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (30 avril 1997) IMM-3160-95, IMM-3528-95 (C.F. 1re inst.) [1997] A.C.F. no 523; et Gonsalves c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (9 mai 1997) IMM-1992-96 (C.F. 1re inst.), [1997] A.C.F. no 588.

5      En fait, la lettre a été incorrectement datée du 16 octobre 1996. Elle a été reçue par l'avocat du requérant le 23 octobre 1995, de sorte que l'année qui figure dans la date de la lettre est erronée.

6      Précité, note 4.

7      Précité, note 4, (C.A.F.), paragraphes 12 à 14, A.C.F. no 151.

8      Voir Pratt, précité, note 4; Luksicek, précité, note 4; Gonsalves, précité, note 4; et Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c. Davis [1997] A.C.F. no 769.

9      IMM-746-96 (le 20 septembre 1996), [1996] A.C.F. no 1199, paragraphes 8 et 9.

10      212 N.R. pages 70 et 71 (C.A.F.) A-855-96, page 10

11      (5 mars 1997), IMM-154-96 (C.F. 1re inst.), [1997] A.C.F. no 255.

12      (1994), 170 N.R. 238 (C.A.F.)

13      A-855-96, pages 22 à 25 (C.A.F.)

14      A-855-96, pages 11 et 12 (C.A.F.)

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