Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision





Date : 19991130


Dossier : T-1212-90


Ottawa, Ontario, ce 30ième jour de novembre 1999

Présent :      L"HONORABLE JUGE HUGESSEN


ENTRE :


     JEAN-CHARLES ST-ONGE

     demandeur

     - et -


     SA MAJESTÉ LA REINE

     défenderesse




     ORDONNANCE

     La requête pour jugement sommaire est accueillie et l"action du demandeur est rejetée avec dépens.

     "James K. Hugessen"

     Juge









        



Date : 19991130


Dossier : T-1212-90

Entre :

     JEAN-CHARLES ST-ONGE

     Demandeur

     - et -


     SA MAJESTÉ LA REINE

     Défenderesse



     MOTIFS DE L"ORDONNANCE

LE JUGE HUGESSEN


[1]      Cette requête pour jugement sommaire est présentée par la défenderesse. Celle-ci demande le rejet de l"action du demandeur en raison de la prescription.

[2]      La déclaration amendée, qui est très déroutante et difficile à comprendre, allègue essentiellement que des préposés de la défenderesse, employés du Centre d"emploi du Canada (CEC) à Timmins (Ontario), ont commis une série de délits et de quasi délits contre le demandeur et notamment, ont violé ses droits à l"égalité et ses droits linguistiques garantis en vertu des articles 15 et 20 de la Charte canadienne des droits et libertés . J"estime qu"il n"est pas nécessaire de décrire ces allégations en détail. Il suffit de dire que les actes reprochés aux préposés du CEC se sont tous déroulés pendant la période s"échelonnant entre le 2 septembre 1982 et le 22 février 1984.

                

[3]      Le 22 février 1984, le CEC a informé le demandeur oralement que ses services ne lui seraient plus disponibles. Cette décision du CEC a été motivée par le refus du demandeur de suivre l"avis de l"un de ses conseillers et de subir un examen psychologique. La décision a été confirmée par l"envoi d"une lettre au demandeur en date du 13 mars 1984.

[4]      La cause d"action ayant pris naissance en Ontario, c"est la loi ontarienne, en matière de prescription, qui s"applique. La défenderesse invoque deux périodes de prescription différentes: la prescription générale de six ans, édictée à l"alinéa 45(1)(g) de la Loi sur la prescription des actions1 qui s"applique à toutes les actions de nature délictuelle ou quasi-délictuelle, et la courte prescription de six mois qu"on retrouve dans la Loi sur l"immunité des personnes exerçant des attributions d"ordre public2. Puisque l"action du demandeur n"a été intentée qu"en mai 1990, soit plus de six ans après le refus du CEC de continuer à fournir des services au demandeur, il n"est pas nécessaire d"étudier la question, controversée dans la jurisprudence3, à savoir si une courte prescription provinciale est efficace à l"encontre d"une réclamation basée sur la prétendue violation d"un droit garanti par la Charte . A mon avis, il ne fait absolument aucun doute que l"action en responsabilité civile, basée sur des délits qui sont en même temps des violations de droits garantis par la Charte, est assujettie à la prescription qui est généralement applicable à toute autre action de nature délictuelle. La Charte a été adoptée dans un contexte qui comprenait déjà deux systèmes bien développés de droit civil avec des règles de procédure sophistiquées et des tribunaux appropriés pour les rendre efficaces. La Charte ne contient aucune disposition de nature purement procédurale ni de règle concernant la prescription.

[5]      Evidemment, il ne faut pas déduire de ce fait que la Charte a complètement détruit les systèmes existants et a créé un régime où il n"existe aucune procédure et aucune prescription. Au contraire, les lois et les procédures existantes ont continué à s"appliquer sauf dans la mesure où elles sont clairement incompatibles avec la Charte elle-même. Or, un délai de prescription qui s"applique généralement à toutes les actions de la même nature et qui ne fait aucune discrimination envers certains groupes de justiciables ne contrevient en rien à la Charte4 . Je note en passant que même si j"étais d"avis que l"une ou l"autre des lois ontariennes en question était incompatible avec la Charte , ce qui n"est pas le cas, le demandeur n"a pas demandé une déclaration à cet effet et n"a pas donné l"avis exigé par l"article 57 de la Loi sur la Cour fédérale5.

[6]      Pour ce qui est de la partie de la demande qui allègue des violations au droit à l"égalité, il est évident qu"elle doit être rejetée pour la simple raison que chacun des incidents allégués a eu lieu avant avril 1985, date à laquelle l"article 15 de la Charte est entré en vigueur.

[7]      Quant au reste de la déclaration amendée, elle n"allègue pas non plus de délit spécifique postérieur à mars 1984. A mon avis, la réclamation est prescrite et ce, pour les raisons mentionnées ci-haut.

[8]      Toutefois, le demandeur prétend que son action ne peut être prescrite en raison du fait que, même si la décision du CEC de ne plus lui offrir des services a été prise en février 1984, elle continuait à produire des effets jusqu"en 1997, longtemps après que l"action fut intentée.

[9]      En effet, les préposés de la défenderesse, employés du CEC, ont continué à lui refuser des services tant qu"il n"acceptait pas de subir un autre test psychologique, et ce, jusqu"à la modification de la Loi en 1997. Mais le demandeur a tort de prétendre qu"il s"agit là d"une série de délits ou de quasi-délits, chacun donnant ouverture à un nouveau droit d"action. Au contraire, il s"agit plutôt de l"application dans le temps d"une seule et unique décision. Donc, même si le demandeur avait raison de prétendre que cette décision était fautive et par conséquent génératrice d"un droit d"action, l"échelonnement de sa mise en application sur une période de plusieurs années n"étend pas pour autant la période de prescription applicable.

[10]      Le demandeur prétend finalement que son droit d"action n"est pas prescrit parce que ce n"est qu"en 1996 qu"il a appris l"existence de certaines preuves des agissements, prétendument fautifs, des employés du CEC. Selon lui, tant qu"il n"avait pas ces preuves en main, il ne pouvait agir. Il a tort. Il est évident d"après plusieurs documents au dossier que, dès février 1984, le demandeur connaissait exactement la nature et l"étendue des griefs qu"il avait contre la défenderesse. Il s"en est plaint, d"abord dans une lettre au ministre responsable, ensuite dans une plainte à la Commission des droits de la personne, et plus tard au Commissaire aux langues officielles. Le fait de ne pas avoir entre ses mains tous les éléments de preuve d"un prétendu délit n"empêche pas la prescription du recours d"une personne qui est consciente du fait que ledit délit lui a causé un préjudice. En d"autres termes, puisque rien n"empêchait le demandeur d"exercer ses prétendus droits d"action immédiatement en 1984, la prescription a commencé à courir dès que les actes qu"il reproche à la défenderesse ont eu lieu. Il y a une distinction claire à faire entre la connaissance qu"on est créancier d"une obligation et la possession des moyens pour en prouver l"existence. Le délai de prescription commence à courir à partir de la première situation et non à partir de la seconde.

[11]      J"arrive donc à la conclusion que la demande pour un jugement sommaire devrait être accueillie et l"action du demandeur rejetée avec dépens.



     "James K. Hugessen"

     Juge

Ottawa, Ontario

Le 30 novembre 1999

__________________

     1      L.R.O. 1990, L.15

     2      L.R.O. 1990, P.38, art. 7

     3      Gauthier c. Lambert, [1985] C.S. 927, conf. [1988] R.D.J. 14 (C.A. Qué.), demande d"autorisation de porter la décision en appel refusée par la C.S.C. le 26 mai 1988; Nagy c. Phillips (1996), 137 D.L.R. (4e) 715 (C.A. Alta.); Prete c. Ontario (1983), 16 O.R. (3d) 161 (C.A. Ont.), demande d"autorisation de porter la décision en appel refusée par la C.S.C. le 28 avril 1994.

     4      Lussier c. Collin , [1985] 1 C.F. 124 (C.A.); voir aussi R. c. Mills, [1986] 1 R.C.S. 863 à 953.

     5      R.S.C. 1985, c. F-7

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.