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Date : 19980909


Dossier : T-2420-97

     DANS l"affaire d"une demande de contrôle judiciaire

     présentée en vertu de l"article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale;

     ET DANS l"affaire d"une décision rendue le 8 octobre 1997

     par l"agent régional de sécurité aux termes de l"article 146 du

     Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2, relativement

     à une révision d"une instruction donnée par un agent de sécurité;

     ET DANS l"affaire d"une instruction donnée le 29 avril 1997 par

     un agent de sécurité aux termes de l"alinéa 145(2)a) du

     Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2;

Entre :

     LA PROCUREUR GÉNÉRALE DU CANADA

     Requérante

     - et -

     MARIO LAVOIE

     Intimé

     MOTIFS DE L"ORDONNANCE

LE JUGE NADON:

[1]      La requérante attaque une décision rendue le 8 octobre 1997 par l"agent régional de sécurité ("l"agent régional") Serge Cadieux aux termes de l"article 146 de la partie II du Code canadien du travail (le "Code canadien"), L.R.C. (1985), ch. L-2.

[2]      Les faits pertinents sont les suivants. L"intimé, un agent de correction employé par le Service correctionnel du Canada, travaille à l"établissement carcéral Leclerc de Ville de Laval depuis 1988. L"Établissement Leclerc est un centre de détention qui héberge des détenus ayant une cote de sécurité moyenne. Une section de l"Établissement Leclerc est réservée à l"isolement préventif et à l"isolement disciplinaire de certains détenus. Cette section compte trente cellules.

[3]      Le 21 avril 1997, deux détenus, C et H, ont été placés en isolement préventif pour des motifs de discipline à l"intérieur de l"établissement. Plus particulièrement, le détenu C fut placé en isolement préventif parce qu"il s"était retrouvé dans une cellule dont les occupants fabriquaient de l"alcool distillé. Vu son association avec les occupants de la cellule, le service correctionnel a conclu qu"il était relié "directement à la fabrication d"alcool distillé, ce qui compromet la sécurité de l"établissement". Quant au détenu H, il se retrouve en isolement préventif suite à la découverte d"un alambic en opération dans sa cellule.

[4]      Vers 9h30 le 24 avril 1997, vu le manque de cellules dans la section de l"isolement préventif, C et H ont été transférés de leurs cellules situées en isolement préventif à des cellules situées dans la section occupée par la population carcérale générale. Vers la fin de la matinée le 24 avril 1997, l"intimé a refusé de servir le repas du midi aux détenus C et H au motif qu"un autre agent de correction n"était présent pour l"assister lors de l"ouverture de la porte de leurs cellules.

[5]      L"intimé, par l"intermédiaire de la section locale du syndicat des agents de correction, a immédiatement porté son cas devant un agent de sécurité du Ministère du travail qui se trouvait sur les lieux le 24 avril 1997. L"agent de sécurité a conclu qu"il existait un "danger" au sens de l"alinéa 128(1)(b ) du Code canadien pour l"intimé d"ouvrir la porte des détenus C et H sans la présence d"un collègue de travail. L"agent de sécurité a aussi conclu que ce danger ne constituait pas un danger inhérent au sens de l"alinéa 128(2)b) du Code Canadien. L"agent de sécurité a dès lors ordonné ce qui suit à l"Établissement Leclerc:

                  INSTRUCTION À L"EMPLOYEUR EN VERTU DE L"ALINÉA 145(2)a)             
             Le 24 avril 1997, l"agent de sécurité soussigné a procédé à une enquête sur le refus de travailler de M. Mario Lavoie dans le lieu de travail exploité par SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA, employeur assujetti à la partie II du Code canadien du travail , et sis au 40C, MONTÉE ST-FRANCOIS, LAVAL, QUÉBEC, ledit lieu étant parfois connu sous le nom de Établissement Leclerc.             
             Ledit agent de sécurité estime qu"une situation existant dans le lieu constitue un danger pour un employé au travail, à savoir :             
             Le déplacement de deux détenu [sic] à statut d"isolement préventif vers les cellules du pavillon à détention régulière, sans évaluation suffisante de leur profil sécuritaire par une ressource experte et sans y ajouter les mesures de sécurité additionnelles nécessaires ou adéquates, constitue un danger d"agression pour les agents de correction ayant à y travailler.             

Par conséquent, il vous est ORDONNÉ PAR LES PRÉSENTES, en vertu de l"alinéa 145(2)a ) de la partie II du Code canadien du travail, de procéder à la protection des personnes contre ce danger immédiatement.

[6]      Le 8 octobre 1997, l"agent régional a confirmé la décision de l"agent de sécurité selon laquelle un danger existait au moment où l"intimé a refusé de travailler. L"essentiel de la décision rendue par l"agent régional ressort clairement des pages 11 et 12 de ses motifs.

             Les faits que je retiens de l"enquête de l"agent de sécurité sont:             
             "      que les cellules en isolement préventif au pavillon cellulaire régulier étaient différentes de celles en détention puisqu"elles étaient des cellules régulières sans carreaux pour servir les repas ce qui nécessitait d"ouvrir les portes pour donner certains services aux deux détenus et par conséquent être en contact physique avec eux;             
             "      que les détenus C et H étaient en "deadlock" 23 heures sur 24, soit la même procédure qu"en détention contrairement aux autres détenus du pavillon cellulaire régulier qui circulaient librement dans la rangée;             
             "      qu"un seul agent de correction devait ouvrir la porte à chacun de ces deux détenus, qui subissait le même régime punitif qu"en détention, contrairement à la procédure sécuritaire au secteur détention qui prévoit que la porte de cellule en détention ne devait être ouverte qu"en présence de deux agents de correction;             
             "      que même si la cote de sécurité des deux détenus en question était maintenue à moyenne, il manquait de l"information aux dossiers de ces détenus que les agents de cas considéraient comme pouvant affecter leur cote de sécurité et qu"il (l"agent de sécurité) ne possédait pas cette information pour rendre une décision éclairée;             
             "      qu"il considérait le séjour des deux détenus en isolement préventif au pavillon régulier comme étant une extension de la détention, ce qui n"a pas été contesté par l"employeur, et que les mêmes règles de sécurité devraient s"y appliquer; et             
             "      que la situation enquêtée par l"agent de sécurité était la même que lors du refus de monsieur Lavoie nonobstant que les détenus ont été retournés sans incident à la détention par la suite.             
             Sur la base de tout ce qui précède, je suis d"avis que l"agent de sécurité a rendu la bonne décision dans cette affaire compte tenu des circonstances. Par conséquent, je suis d"avis que l"instruction était justifiée. En effet, l"employeur n"a pas suivi ses propres procédures de détention lorsque les détenus C et H ont été assignés temporairement à l"isolement préventif en pavillon cellulaire régulier. Je suis aussi d"avis qu"il n"existait pas au moment de l"enquête de l"agent de sécurité, de procédure particulièrement pour traiter des cas de détention en pavillon cellulaire régulier ce qui crée une situation susceptible de causer des blessures à l"agent de correction Lavoie avant qu"il ne puisse y être remédié, un danger qui n"est pas prévu, à mon avis, par l"alinéa 128(2)(b) du Code.             
             Par conséquent, lorsque des détenus sont placés temporairement en isolement préventif au pavillon cellulaire régulier et aussi longtemps que le Service correctionnel Canada n"a pas développé une procédure particulière pour traiter de ces cas, la procédure de détention doit s"appliquer néanmoins en tenant compte des déficiences physiques ou autres qui peuvent exister. Comme l"agent de sécurité avant moi l"a déclaré, si la porte des deux détenus était ouverte en présence de deux agents de correction, comme cela doit être fait à la détention "le refus n"aurait pas été maintenu".             
             Toutefois, l"instruction fait référence au fait qu"il n"y avait pas d"évaluation suffisante des deux détenus par une ressource experte . Bien que j"accepte le fait qu"il manquait de l"information aux dossiers des détenus, il n"a jamais été démontré que l"évaluation des détenus devait se faire par une ressource experte autre que celle existante. Par conséquent, je modifierai l"instruction en y retranchant cette référence. De plus, je considère qu"il n"est pas nécessaire de qualifier le danger comme étant un danger d"agression puisque l"absence d"une procédure particulière pour traiter des cas de détention au pavillon cellulaire régulier constitue un danger non prévu par l"alinéa 128(2)(b) du Code. Cette référence sera aussi retranchée de l"instruction.             

Pour toutes ces raisons, JE MODIFIE par la présente l"instruction émise le 29 avril 1997 en vertu de l"alinéa 145(2)(a) du Code par l"agent de sécurité Pierre Morin à Service correctionnel Canada en retranchant de l"instruction les références suivantes, à savoir: "sans évaluation suffisante de leur profil sécuritaire par une ressource experte et" et le mot "agression".

[7]      Les dispositions pertinentes du Code canadien sont les suivantes:

124. L'employeur veille à la protection de ses employés en matière de sécurité et de santé au travail.

124. Every employer shall ensure that the safety and health at work of every person employed by the employer is protected.


128. (1) Sous réserve des autres dispositions du présent article, l'employé au travail peut refuser d'utiliser ou de faire fonctionner une machine ou une chose ou de travailler dans un lieu s'il a des motifs raisonnables de croire que, selon le cas:

128. (1) Subject to this section, where an employee while at work has reasonable cause to believe that


a) l'utilisation ou le fonctionnement de la machine ou de la chose constitue un danger pour lui-même ou un autre employé;

(a) the use or operation of a machine or thing constitutes a danger to the employee or to another employee, or


b) il y a danger pour lui de travailler dans le lieu.

(b) a condition exists in any place that constitutes a danger to the employee,


the employee may refuse to use or operate the machine or thing or to work in that place.

(2) L'employé ne peut invoquer le présent article pour refuser de faire fonctionner une machine ou une chose ou de travailler dans un lieu lorsque, selon le cas:


(2) An employee may not pursuant to this section refuse to use or operate a machine or thing or to work in a place where

a) son refus met directement en danger la vie, la santé ou la sécurité d'une autre personne;


(a) the refusal puts the life, health or safety of another person directly in danger; or

b) le danger visé au paragraphe (1) est inhérent à son emploi ou en constitue une condition normale.


(b) the danger referred to in subsection (1) is inherent in the employee's work or is a normal condition of employment.

146. (1) Tout employeur, employé ou syndicat qui se sent lésé par des instructions données par l'agent de sécurité en vertu de la présente partie peut, dans les quatorze jours qui suivent, en demander la révision par un agent régional de sécurité dans le ressort duquel se trouve le lieu, la machine ou la chose en cause.


146. (1) Any employer, employee or trade union that considers himself or itself aggrieved by any direction issued by a safety officer under this Part may, within fourteen days of the date of the direction, request that the direction be reviewed by a regional safety officer for the region in which the place, machine or thing in respect of which the direction was issued is situated.

(2) L'agent régional de sécurité peut exiger que toute demande verbale de révision soit également présentée par écrit.


(2) The regional safety officer may require that an oral request for a review under subsection (1) be made as well in writing.

(3) L'agent régional de sécurité mène une enquête sommaire sur les circonstances ayant donné lieu aux instructions et sur la justification de celles-ci. Il peut les modifier, annuler ou confirmer et avise par écrit de sa décision l'employeur, l'employé ou le syndicat en cause.


(3) The regional safety officer shall in a summary way inquire into the circumstances of the direction to be reviewed and the need therefor and may vary, rescind or confirm the direction and thereupon shall in writing notify the employee, employer or trade union concerned of the decision taken.

(4) La demande de révision n'a pas pour effet de suspendre l'exécution des instructions.


(4) A request for a review of a direction under this section shall not operate as a stay of the direction.

(5) Le paragraphe (1) ne s'applique pas aux instructions d'un agent de sécurité dont la décision a fait l'objet d'un renvoi au Conseil dans le cadre du paragraphe 129(5).


(5) Subsection (1) does not apply in respect of a direction of a safety officer that is based on a decision of the officer that has been referred to the Board pursuant to subsection 129(5).

[8]      Les articles 30 et 31 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, S.C. 1992, c. 20, sont aussi pertinents.

30. (1) Le Service assigne une cote de sécurité selon les catégories dites maximale, moyenne et minimale à chaque détenu conformément aux règlements d'application de l'alinéa 96z.6).

30. (1) The Service shall assign a security classification of maximum, medium or minimum to each inmate in accordance with the regulations made under paragraph 96(z.6).


(2) Le Service doit donner, par écrit, à chaque détenu les motifs à l'appui de l'assignation d'une cote de sécurité ou du changement de celle-ci.

(2) The Service shall give each inmate reasons, in writing, for assigning a particular security classification or for changing that classification.


31. (1) L'isolement préventif a pour but d'empêcher un détenu d'entretenir des rapports avec l'ensemble des autres détenus.

31. (1) The purpose of administrative segregation is to keep an inmate from associating with the general inmate population.


(2) Le détenu en isolement préventif doit être replacé le plus tôt possible parmi les autres détenus du pénitencier où il est incarcéré ou d'un autre pénitencier.

(2) Where an inmate is in administrative segregation in a penitentiary, the Service shall endeavour to return the inmate to the general inmate population, either of that penitentiary or of another penitentiary, at the earliest appropriate time.


(3) Le directeur du pénitencier peut, s'il est convaincu qu'il n'existe aucune autre solution valable, ordonner l'isolement préventif d'un détenu lorsqu'il a des motifs raisonnables de croire, selon le cas_:

(3) The institutional head may order that an inmate be confined in administrative segregation if the institutional head believes on reasonable grounds


a) que celui-ci a agi, tenté d'agir ou a l'intention d'agir d'une manière compromettant la sécurité d'une personne ou du pénitencier et que son maintien parmi les autres détenus mettrait en danger cette sécurité;

(a) that

(i) the inmate has acted, has attempted to act or intends to act in a manner that jeopardizes the security of the penitentiary or the safety of any person, and

(ii) the continued presence of the inmate in the general inmate population would jeopardize the security of the penitentiary or the safety of any person,


b) que son maintien parmi les autres détenus peut nuire au déroulement d'une enquête pouvant mener à une accusation soit d'infraction criminelle soit d'infraction disciplinaire grave visée au paragraphe 41(2);

(b) that the continued presence of the inmate in the general inmate population would interfere with an investigation that could lead to a criminal charge or a charge under subsection 41(2) of a serious disciplinary offence, or


c) que le maintien du détenu au sein de l'ensemble des détenus mettrait en danger sa sécurité.

(c) that the continued presence of the inmate in the general inmate population would jeopardize the inmate's own safety,

and the institutional head is satisfied that there is no reasonable alternative to administrative segregation.

[9]      La requérante me demande d"annuler la décision rendue par l"agent régional le 8 octobre 1997 et de lui retourner le dossier pour qu"il le décide à nouveau en tenant pour acquis qu"au moment de l"enquête effectuée par l"agent de sécurité le 24 avril 1997, il n"existait aucun danger aux termes de l"alinéa 128(1)(b ) du Code canadien.

[10]      Au paragraphe 28 de son mémoire, la requérante expose les motifs pour lesquels elle s"oppose à la décision de l"agent régional. Le paragraphe 28 se lit comme suit:

             28.      La requérante soutient que l"agent régional de sécurité a erré en droit et en fait en adoptant le raisonnement de l"agent de sécurité et en confirmant substantiellement l"instruction écrite émise le 29 avril 1997 par l"agent de sécurité et, partant, qu"il a commis une ou l"autre des erreurs prévues aux alinéas 18.1(4)a), 18.1(4)c), 18.1(4)d) et 18.1(4)f) de la Loi sur la Cour fédérale et, plus particulièrement ;             
                      a) il a commis une erreur de droit et de fait dans l"interprétation qu"il a donnée à la notion de danger contenue à l"article 128 du Code ;             
                      b) il a confondu la notion de danger au sens de l"article 128 du Code avec celle de danger selon la Loi sur le service correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20 ;             
                      c) il a erré en droit et en fait en concluant qu"un détenu peut, en lui-même, constituer un danger au sens de l"article 128 du Code ;             
                      d) il a commis une erreur de droit et de fait en ce qui concerne la notion de danger inhérent au sens de l"alinéa 128(2)b) du Code ;             
         e) il a commis une erreur de droit en confirmant substantiellement une instruction qui n"avait plus d"objet et qui visait des situations générales futures et hypothétiques.

[11]      Au centre du présent débat est la notion de "danger" que l"on retrouve à l"article 128 du Code canadien. Cette notion est définie à l"article 122 du Code canadien comme suit:

"danger" Risque ou situation susceptible de causer des blessures à une personne qui y est exposée, ou de la rendre malade, avant qu'il ne puisse y être remédié.

"danger" means any hazard or condition that could reasonably be expected to cause injury or illness to a person exposed thereto before the hazard or condition can be corrected;

[12]      L"alinéa 128(1)(b ) du Code canadien permet à un employé de refuser de travailler s"il a des motifs raisonnables de croire qu"il y a danger pour lui de travailler dans son lieu de travail. L"agent de sécurité, dont la décision a été confirmée par celle de l"agent régional, devait décider si le 24 avril 1997 il existait un tel danger pour l"intimé. Dans Canada (Procureur général) c. Bonfa (1990) 113 N.R. 224, le juge Pratte, pour la Cour d"appel fédérale, aux pages 230 et 231, explique le rôle de l"agent de sécurité comme suit:

Toutes ces dispositions indiquent clairement, à mon avis, que l"alinéa 128(1)b) autorise l"employé à refuser de travailler dans un lieu en raison des dangers que ce lieu présente et que le rôle de l"agent de sécurité est seulement de vérifier si le lieu en cause présente, au moment où il fait son enquête, des dangers tels que les employés soient justifiés de ne pas y travailler.

[13]      Par conséquent, la véritable question en litige est celle à savoir si le 24 avril 1997, au moment où l"intimé devait servir les repas des détenus C et H, il existait un danger tel que ce dernier était justifié de refuser de travailler.

[14]      Il appert clairement de la décision de l"agent régional que ce dernier était d"avis que le service correctionnel devait appliquer aux détenus en isolement préventif, relocalisés au pavillon cellulaire régulier pour manque d"espace, la même procédure de détention que celle qui aurait été applicable dans la section d"isolement préventif "en tenant compte des déficiences physiques ou autre qui peuvent exister". Parce que le service correctionnel n"avait pas appliqué à C et H la procédure de détention et parce que le service correctionnel n"avait pas mis de l"avant une procédure particulière pour la situation de détenus tels C et H relocalisés en pavillon cellulaire régulier, l"agent régional a conclu qu"il existait un danger au sens de l"alinéa 128(1)(b ) du Code canadien, à savoir une situation susceptible de causer des blessures à l"intimé avant qu"on ne puisse y remédier. À mon avis, la décision de l"agent régional doit être annulée. Mes motifs sont les suivants.

[15]      Ce n"est pas la première fois que la notion de danger est soulevée par un agent de correction à l"emploi du service correctionnel. La Commission des relations de travail dans la Fonction Publique du Canada (la "Commission") a eu l"occasion, à de nombreuses reprises, d"examiner ce problème. Le paragraphe 129.(5) du Code canadien confère à la Commission compétence lorsqu"un agent de sécurité conclut à l"absence de danger. Le paragraphe se lit comme suit:

(5) Si l'agent de sécurité conclut à l'absence de danger, un employé ne peut se prévaloir de l'article 128 ou du présent article pour maintenir son refus d'utiliser ou de faire fonctionner la machine ou la chose en question ou de travailler dans le lieu en cause; il peut toutefois, par écrit et dans un délai de sept jours à compter de la réception de la décision, exiger que l'agent renvoie celle-ci au Conseil, auquel cas l'agent de sécurité est tenu d'obtempérer.

(5) Where a safety officer decides that the use or operation of a machine or thing does not constitute a danger to an employee or that a condition does not exist in a place that constitutes a danger to an employee, an employee is not entitled under section 128 or this section to continue to refuse to use or operate the machine or thing or to work in that place, but the employee may, by notice in writing given within seven days of receiving notice of the decision of a safety officer, require the safety officer to refer his decision to the Board, and thereupon the safety officer shall refer the decision to the Board.

[16]      La décision rendue par la Commission dans l"affaire Stephenson1 est intéressante. Le matin du 17 octobre 1990, des agents de correction travaillant à l"établissement carcéral d"Edmonton, un établissement à sécurité maximale, ont refusé de travailler au motif qu"il n"y avait pas un nombre suffisant d"agents de correction en devoir. Le matin du 17 octobre, il n"y avait que 32 agents de correction et 3 superviseurs en devoir alors que normalement il aurait dû y avoir 40 agents de correction et 3 superviseurs en devoir. Selon les agents de correction, le minimum acceptable d"agents de correction en devoir était de 35, ce nombre ayant été agréé par l"administration de l"établissement carcéral en consultation avec le syndicat. Par conséquent, il existait, selon les agents de correction, une situation dangereuse qui justifiait un refus de travail. Voici comment la Commission résume l"essentiel du témoignage des agents de correction concernant le danger qui les a conduit à refuser de travailler. À la page 5 de sa décision, la Commission énonce:

     In their testimony, the applicants said that their concern was that if during the conduct of searches or while on escort duty they were attacked by an inmate there would not be a sufficient number of other officers in the vicinity to come to their aid. They noted that certain inmates, and especially inmates on drugs, had in the past required four or five officers to subdue them. They were all of the opinion that undermanning the complement of security personnel represented a threat to their health and safety.

[17]      Après analyse des faits et des arguments des parties, la Commission a conclu qu"il n"existait aucun danger qui pouvait justifier un arrêt de travail. À mon avis, les motifs de la Commission sont tout à fait pertinents aux faits de la présente affaire.

                  On 17 October 1990, the applicants invoked their right to refuse to work under Section 128 of the Canada Labour Code Part II. They alleged that the manning levels at the Edmonton Institution on their shift endangered their health and safety.             
                  The immediate issue is easily disposed of. Because a dangerous situation did not exist at the time that the safety officer investigated the refusal to work, their recourse to Section 128 of the Code cannot be sustained. There is no evidence before me to show that the number of correctional officers on duty, even though below minimum manning standards, was a condition that constituted a danger to the employees. From which it follows that the report of the safety officer is sustained.             
                  The problem here is of a different order. Let us begin with a hard fact. Since June 1987, this Board has heard a total of 27 applications under the health and safety provisions of the Canada Labour Code. Of those 27 applications, 14 originated with employees of correctional institutions. There is a problem here and it is not being addressed.             
                  Mr. Benda has suggested that the Code was being abused for the purpose of pursuing labour relations objectives. Mr. Lawson denied this allegation and reiterated that health and safety concerns were foremost in the minds of the applicants when they exercised their rights under Section 128.             
                  Both Mr. Benda and Mr. Lawson are right. Given the nature of a correctional institution, there cannot realistically be a separation between questions of health and safety, on the one hand, and certain aspects of labour relations, on the other.             
                  The bottom ligne in this matter is that the Canada Labour Code, as it now stands, is an inappropriate means of dealing with health and safety concerns in correctional institutions.             
                  The root of the problem is that the danger, under the law, must be actual and real whereas, the reality in a correctional institution is that the source of the danger, the inmate, has intelligence and free will.             
                  The law provides that an employee may not refuse to work until the danger has crystallized and is present in the work place. The reality is that until the moment that the inmate acts in a manner which endangers a correctional officer, there is no danger. The reality is, as well, that once an inmate has ceased to act in a manner which endangers a correctional officer, there is no longer a danger and, therefore, no right to refuse to work. This is true even if all of the conditions which led the inmate to act as he did continue unchanged.             
                  Indeed, under the law as it now stands, a correctional officer who is endangered by the malicious conduct of an inmate could refuse to work only while the inmate is engaging in such conduct. Whether the inmate would, under such circumstances, be willing to recognize a correctional officer"s right to withdraw is another matter.             
                  Another matter, as well, is the question of whether services could be withdrawn even under the conditions described above. Faced with rampaging inmates, it might well be the case that a correctional officer would find his right to invoke Section128(1) of the Code barred by the provisions of Section 128(2)(a) : "the refusal puts the life, health or safety of another person directly in danger".             
                  The reality is that under the law as it now stands, correctional officers are, except in the most unusual cases, effectively barred from exercising the right to refuse to work under Section 128 of the Code where the source of the danger lies in misconduct on the part of inmates. Mr. Benda would argue that this is as it should be, that the Code was never intended to cover such risks and that threats arising from the conduct of inmates are a labour relations matter rather than a health and safety problem.             
                  It would appear that Mr. Benda has the law on his side. However, that does not alter the fact that there is a problem, that the problem is real enough to those who must live with it and that the law provides no remedy.             
                  Under the circumstances, it is not surprising that what ought to be matters of health and safety end up being dealt with in a labour relations context.             
                  Indeed, health and safety matters, as they relate to malicious conduct by inmates, have become so intertwined with labour relations matters that the two cannot be kept entirely apart even by the employer.             
                  Mr. Hardy"s report was solicited by the Warden in a letter (exhibit 3) which makes it clear that he has labour relations matters in mind. Mr. Headrick testified that he was proposing to the Warden that certain manning reductions be made. He also testified that six officers, on training, were within easy reach and could have been recalled to the institution. They were not recalled.             
                  It is difficult to avoid the conclusion, especially in view of the Warden"s letter, that the refusal to recall officers from training had little to do with the importance of the training and much to do with future manning levels.             
                  It may well be that the applicants had labour relations considerations in mind when they invoked the right to refuse to work. However, the employer"s hands are not entirely clean on this score.             
                  Perhaps consideration ought to be given to the explicit removal of inmate generated dangers from the kind of dangers contemplated by Section 128 of the Code and the substitution therefor of some other procedure which takes account of the special nature of such dangers.             

     Due to the omission in the statute, Indeed must find that the applicants could not reasonably exercise their rights under subsection 128(1) since the danger was prospective rather than real. The report of the safety officer is therefore confirmed.

[18]      Une autre décision intéressante, et à mon avis pertinente, rendue par la Commission est celle rendue dans l"affaire Evans2. Les faits de cette affaire sont fort simples et sont résumés par la Commission aux pages 1 et 2 de sa décision comme suit:

                  Le dimanche 9 juin 1991, vers 7h, M. Evans est arrivé au pénitencier pour commencer son quart. Ce jour-là, il devait être superviseur à l"unité de ségrégation multiniveaux (Bloc "H" inférieur). Peu après son arrivée, M. Evans a appris qu"il n"y aurait que deux agents de service pendant son quart, lui-même et M. Poitras, un CX-2 qu"il devait superviser. M. Evans était d"avis que deux agents ne suffiraient pas pour faire le travail. Il a conclu que le secteur n"était pas sûr et que sa sécurité était compromise. Il s"est prévalu du droit que lui reconnaît le paragraphe 128(1) du Code, et il a refusé de travailler. L"unité a immédiatement été "bloquée", ce qui signifie que tous les détenus ont été confinés dans leur cellule et que toutes les activités et tous les déplacements ont été annulés.             

     M. Tittley a fait enquête sur la situation le lundi 10 juin 1991. Il a conclu qu"il ne pouvait pas appuyer le refus de travailler de M. Evans, compte tenu des circonstances au moment de son enquête et du fait que l"unité de ségrégation multiniveaux avait été "bloquée" le 9 juin 1991, de sorte que, comme les détenus ne pouvaient plus se déplacer, il n"y avait plus de danger. C"est cette décision que M. Evans renvoie à la Commission.

[19]      La Commission a maintenu la décision de l"agent de sécurité pour les motifs suivants.

                  J"ai entendu tous les témoignages et j"en ai tenu compte, et je suis d"avis que la décision de l"agent de sécurité doit être confirmée. Je n"hésite nullement à conclure qu"il a fait une enquête sérieuse sur les circonstances qui ont entouré le refus de M. Evans de travailler le 9 juin 1991. Pour aider les parties,, M. Tittley a demandé à l"employeur de préciser le sens de la consigne no 46 (N) par l"intermédiaire du comité de la santé et de la sécurité. Il a conclu qu"il n"y avait pas de danger le 9 juin 1991 ou le 10 juin 1991, date de son enquête.             
                  Ce qui ressort clairement des témoignages de M. Tittley et de M. Evans, c"est que, s"il y avait des problèmes de sécurité dans le Bloc "H" inférieur du pénitencier de Kingston, le 9 juin 1991, ce n"est pas dans la partie II du Code qu"on pourrait vraisemblablement y trouver remède. Selon M. Evans, le problème est dû à la politique d"effectif minimum de l"employeur. Son témoignage, dont un extrait figure dans la présente décision, est suffisamment révélateur de son opinion, à savoir que la direction a créé un problème de sécurité en réduisant le nombre d"agents des services correctionnels affectés au quart en question. L"avocat de l"employeur a soutenu que cette situation était liée aux politiques de dotation de l"employeur, et qu"il ne s"agit pas là d"une question de sécurité.             
                  C"est un problème complexe, et je pense qu"on ne pourra pas le résoudre en refusant de travailler ou en renvoyant les décisions des agents de sécurité à la Commission. Je souscris à l"opinion que le commissaire Kwavnick émet dans la décision Stephenson citée ci-dessus.             

     Peut-être faudrait-il en effet modifier la partie II du Code pour qu"elle ne s"applique plus aux établissements correctionnels ou pour qu"elle prévoie un autre recours, plus approprié celui-là aux conditions particulières de ces établissements. Ce n"est pas à la Commission d"en décider.

[20]      Dans Stephenson, la Commission a maintenu la décision de l"agent de sécurité selon laquelle il n"existait aucun danger. La Commission a conclu que la preuve au dossier ne démontrait nullement qu"il existait un danger du simple fait que le nombre d"agents de correction en devoir était en dessous du nombre agréé par l"administration de l"établissement carcéral et le syndicat. Dans Evans , la Commission a aussi maintenu la décision de l"agent de sécurité. Le panel en a profité pour donner son approbation aux motifs énoncés dans Stephenson .

[21]      L"agent de sécurité et l"agent régional ont conclu que, en l"instance, il y avait danger parce que la procédure adoptée par le système correctionnel pour la détention en isolement préventif n"était pas applicable aux détenus en isolement préventif que l"on avait relocalisé au pavillon cellulaire régulier pour manque d"espace.

[22]      Il n"est pas, à mon avis, du ressort de l"agent de sécurité ni de celui de l"agent régional de déterminer si la procédure applicable en isolement préventif ou une procédure "particulière" devrait s"appliquer à des détenus tels C et H que le service correctionnel a relocalisé, faute d"espace en isolement préventif, en pavillon cellulaire régulier.

[23]      Il en est de même de la cote de sécurité des détenus. La responsabilité de déterminer la cote de sécurité d"un détenu est celle du service correctionnel. Une lecture des dispositions pertinentes de la Loi sur le service correctionnel ne laisse aucun doute à ce sujet. La seule et unique responsabilité de l"agent de sécurité est de décider s"il existe un danger justifiant un refus de travail.

[24]      À mon avis, l"agent de sécurité ainsi que l"agent régional ont tout simplement présumé l"existence d"un danger vu la non-application par le service correctionnel de la procédure applicable aux détenus en isolement préventif. L"agent de sécurité et l"agent régional n"ont pas tenu compte de la preuve devant eux, à savoir que C et H ne manifestaient aucun signe d"agressivité ou de désordre mental, qu"ils n"avaient jamais agressé un agent de correction et qu"ils n"avaient pas été condamnés pour des crimes violents. Comme l"énonce la Commission dans Stephenson , le danger, au sens de l"alinéa 128(1)(b ) doit être "actual and real ...". Par conséquent, il n"y avait aucune raison pour l"intimé de craindre une agression de la part de ces détenus.

[25]      Le risque auquel faisait face l"intimé, le 24 avril 1997, est nul autre que le risque inhérent à son travail. Ce risque, aux termes de l"alinéa 128(2)(b ) du Code canadien, ne permettait pas à l"intimé de refuser de travailler.

[26]      Je suis entièrement d"accord avec les commentaires de la requérante que l"on retrouve aux paragraphes 39 et 75 de son mémoire.

39.      En effet, une simple possibilité d"agression par deux détenus qui ne manifestaient au demeurant aucun signe d"agressivité et de désordre mental ne constituait pas dans les circonstances, pour l"intimé, une situation dangereuse dans son lieu de travail à laquelle il fallait remédier impérativement avant qu"il ne commence à travailler;
75.      L"intimé a refusé de travailler non pas parce qu"il craignait d"être agressé spécifiquement par les détenus C et H ou une autre détenu clairement identifié mais bien parce qu"il considérait que la situation en générale était dangereuse au sens large du terme. Plus particulièrement, il considérait que les mesures de sécurité applicables n"étaient pas adéquates dans les circonstances en ce que ce n"était pas les mêmes mesures que celles appliquées dans la section de la détention ;

[27]      En terminant, j"aimerais indiquer que je partage les propos émis par la Commission dans Stephenson et Evans selon lesquels le Code canadien n"est pas le véhicule approprié pour régler des problèmes tels ceux soulevés dans la présente affaire et dans Stephenson et Evans.

[28]      Par conséquent la décision de l"agent régional doit être annulée. Le dossier lui sera retourné pour qu"il le décide à nouveau en tenant pour acquis qu"au moment de l"enquête effectuée par l"agent de sécurité le 24 avril 1997, il n"existait aucun danger. La demande de contrôle judiciaire de la requérante sera donc accueillie.

Ottawa (Ontario)      "MARC NADON"

Le 9 septembre 1998      Juge

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1 Dossier de la Commission, 165-2-83, rendue à Ottawa le 2 avril 1991.

2 Dossier 165-2-87 de la Commission rendue le 29 juillet 1991.

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