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Date : 19990830


Dossier : IMM-59-99

OTTAWA (ONTARIO), LE 30 AOÛT 1999

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE LUTFY     


ENTRE :


SHERIF MOATAZ,


demandeur,


- et -


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION,


défendeur.



ORDONNANCE


VU la demande de contrôle judiciaire de la décision de l"agente des visas, datée du 6 décembre 1998, dans laquelle la demande de résidence permanente du demandeur a été rejetée;

VU l"audience tenue à Montréal (Québec) le 22 juillet 1999;


LA COUR ORDONNE QUE :

  1. .      La demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que l"affaire soit renvoyée à un autre agent des visas et un autre agent d"immigration supérieur pour qu"ils rendent une nouvelle décision.

" Allan Lutfy "

___________________

J.C.F.C.


Traduction certifiée conforme


Philippe Méla






Date : 19990830


Dossier : IMM-59-99

ENTRE :


SHERIF MOATAZ,


demandeur,

                    

- et -


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION,


défendeur.



MOTIFS DE L"ORDONNANCE



LE JUGE LUFTY


[1]      Le demandeur, un citoyen de l"Egypte, est un ingénieur civil qui, depuis 1986, a géré sa propre entreprise dans le domaine de la construction.

[2]      Le demandeur a fait une demande de statut de résident permanent dans le cadre de la catégorie de travailleur autonome sous la profession projetée d"ingénieur civil. Sa demande a été rejetée par l"agente des visas qui dans l"exercice de son pouvoir discrétionnaire en vertu du paragraphe 11(3) du Règlement sur l"immigration de 1978, (DORS/78-172, dans sa forme modifiée), a établi que son évaluation de 73 points d"appréciation ne reflétait pas ses chances de réussir son installation au Canada.

[3]      L"alinéa 11(3)b ) du règlement prévoit les différentes exigences que doivent respecter l"agent des visas et l"agent d"immigration supérieur avant qu"un demandeur de résidence permanente, qui a obtenu au moins soixante dix points d"appréciation, puisse se voir refuser un visa d"immigrant :

(3) A visa officer may

...

(b) refuse to issue an immigrant visa to an immigrant who is awarded the number of units of assessment required by section 9 or 10, if, in his opinion, there are good reasons why the number of units of assessment awarded do not reflect the chances of the particular immigrant and his dependants of becoming successfully established in Canada and those reasons have been submitted in writing to, and approved by, a senior immigration officer.

(3) L'agent des visas peut

...

b) refuser un visa d'immigrant à un immigrant qui obtient le nombre de points d'appréciation requis par les articles 9 ou 10, s'il est d'avis qu'il existe de bonnes raisons de croire que le nombre de points d'appréciation obtenu ne reflète pas les chances de cet immigrant particulier et des personnes à sa charge de réussir leur installation au Canada et que ces raisons ont été soumises par écrit à un agent d'immigration supérieur et ont reçu l'approbation de ce dernier.


Si je comprends bien ce mécanisme réglementaire, l"agent des visas qui a examiné la demande, identifie les " bonnes raisons " pour lesquelles les points d"appréciation ne reflètent pas les chances de réussite de l"installation au Canada. La décision de l"agent des visas de refuser le visa d"immigrant ne peut être prise qu"après que ces raisons ont été approuvées par un agent d"immigration supérieur. À la fin, la décision du refus reste entre les mains de l"agent des visas.

[4]      Les raisons pour lesquelles l"agente des visas ne croit pas que le demandeur pourrait réussir son installation au Canada sont clairement indiquées dans ses notes CAIPS :

[TRADUCTION]
1) n"a pas vraiment travaillé sur le marché libre à titre de d"ingénieur civil. Il a été travailleur autonome pendant les 12 dernières années et avant cela a occupé deux emplois de très courte durée, l"un de six mois et l"autre de trois mois. Cette très courte expérience est à la fois courte mais également invérifiable puisqu'au moins une des deux entreprises pour lesquelles il a travaillé n"existe plus.

2) même s"il prétend qu"à titre d"entrepreneur autonome il a pratiqué le génie civil, je suis convaincue que sa première préoccupation était de gérer ses deux entreprises plutôt que de pratiquer le génie civil lui-même (il a 25 employés et partage son temps entre la salle d"exposition du marbre et l"entreprise de construction)

3) même si son épouse parle le français et paraît instruite, elle a dit qu"elle n"a aucune intention de chercher un travail au Canada et qu"elle n"a jamais travaillé en Egypte, donc il ne tirerait aucun bénéfice d"une épouse qui peut être employée au Canada. [Non mis en forme]



En résumé, l"agente des visas était d"avis que le demandeur n"avait pas travaillé à titre d"ingénieur civil au cours des douze dernières années et qu"il continuerait à concentrer son attention sur son entreprise de construction en Egypte, même après s"être installé au Canada.

[5]      Quelques dix jours plus tard, l"agent d"immigration supérieur a révisé les motifs de l"agente des visas et y a souscrit. Il a cependant identifié des motifs supplémentaires, en particulier relativement à l"habileté en langue du demandeur, qui n"a pas été remarquée par l"agente des visas dans son analyse en vertu du paragraphe 11(3). Les notes CAIPS de l"agent d"immigration supérieur indiquent :

[TRADUCTION]

Compte tenu des motifs invoqués plus haut d"accord que les points d"appréciation ne reflètent pas, comme il se doit, les chances de succès du présent demandeur au CDA. De plus ne paraît pas avoir effectué de recherche relativement à son déménagement au CDA et a parfois des difficultés avec son anglais. Pouvoir discrétionnaire défavorable approuvé. [Non mis en forme]


[6]      C"est en s"appuyant sur ce dossier qu"une personne peut mieux comprendre la lettre de décision de l"agente des visas dans laquelle elle explique les motifs de son refus en vertu de l"alinéa 11(3)b ) :

[TRADUCTION]

Tout d"abord, vos possibilités d"emploi au Canada pour un autre employeur sans un bon anglais seront très limitées. Ensuite, vous n"avez aucune parenté au Canada susceptible de vous aider et vous n"aviez rien préparé pour planifier votre immigration. Vous ne disposez d"aucune offre valide d"emploi au Canada et vous n"avez jamais travaillé, pendant quelque période que ce soit, sur le marché libre de l"emploi. Enfin, vous ne pouvez tirer aucun bénéfice de l"aide de votre épouse qui est susceptible d"obtenir un emploi. Il est, en conséquence, improbable que vous serez capable de réussir votre installation au Canada.

Cette lettre a été signée presque deux mois après que l"agent d"immigration supérieur a approuvé les motifs de l"agente des visas de refus du visa d"immigrant.

[7]      Pour des motifs qui n"apparaissent pas dans le dossier ni ne sont expliqués au demandeur, l"agente des visas a indiqué le problème de la langue comme étant son premier motif dans sa lettre de refus, même si ce motif n"apparaît pas dans son analyse écrite en vertu du paragraphe 11(3). Le facteur linguistique a été soulevé pour la première fois par l"agent d"immigration supérieur lors de sa révision des " bonnes raisons " du refus de l"agente des visas. La lettre de la décision ne fait pas mention de l"inquiétude de l"agente des visas quant au fait que le demandeur continuerait de gérer son entreprise de construction en Egypte, compromettant ainsi les chances de réussite de son installation au Canada à titre d"ingénieur des travaux publics.

[8]      Le Règlement est clair. Le visa d"immigrant peut être refusé si, de l"avis de l"agent des visas, il existe de bonnes raisons de croire que l"évaluation de 70 points d"appréciation ou plus ne reflète pas les chances du demandeur de réussir son installation au Canada. À la fois le refus et les bonnes raisons de ce refus doivent tous deux provenir de l"agent des visas, pas de l"agent d"immigration supérieur. Dans la présente affaire, la lettre de décision a invoqué, à tort, un motif soulevé par l"agent d"immigration supérieur qui n"avait pas été examiné auparavant par l"agente des visas. Pour ce seul motif, à mon avis, la décision de refus doit être annulée. Dit simplement, les fonctionnaires du défendeur doivent suivre la démarche prévue à l"alinéa 11(3)b ) du Règlement.

[9]      L"agent d"immigration supérieur, qui n"a pas rencontré le demandeur, n"explique pas sa déclaration indiquant que le demandeur " a parfois des difficultés avec son anglais ". Les huit points d"appréciation demandés par le demandeur pour le facteur linguistique lui ont été attribués. Cette évaluation a pour but de refléter l"habileté à lire et écrire l"anglais couramment et bien le parler.

[10]      Dans ses notes CAIPS, l"agente des visas a écrit que le demandeur [TRADUCTION] " parle avec beaucoup d"hésitation et ses réponses ne viennent pas facilement. Les renseignements qu"il donne sont extrêmement brefs et même quand il lui est demandé d"élaborer, il ne le fait pas. " À mon avis, ces notes peuvent être interprétées comme renvoyant soit à la réticence ou la candeur du demandeur soit à son habileté linguistique. Dans son affidavit, l"agente des visas a été moins équivoque [TRADUCTION] " ..le demandeur avait des problèmes évidents de communication causés par sa faible connaissance de la langue anglaise. " Elle a alors répété l"essentiel de ses notes CAIPS quant à cette question.

[11]      Si l"agente des visas a vraiment cru que le demandeur avait une " faible connaissance " de l"anglais, on peut se demander pourquoi elle a évalué son habileté orale comme " bonne " et lui a attribué un point de moins que le maximum de neuf points d"appréciation pour le facteur linguistique. Il n"existe aucune preuve d"un examen écrit en vue d"évaluer ses compétences à l"écrit. S"il s"agissait de son avis, il lui appartenait, à mon avis, d"examiner plus en profondeur l"habileté du demandeur pendant l"entrevue et d"évaluer correctement sa demande de huit points d"appréciation. Il ne paraît pas logique de lui avoir attribué huit points d"appréciation s"il avait une " faible connaissance " de l"anglais.

[12]      Pour finir, les affidavits du demandeur et de l"agente des visas sont contradictoires quant à savoir à quel moment il a été averti de ses inquiétudes relativement à la réussite de son installation au Canada, même s"il lui a été attribué 73 points d"appréciation. Aucun des auteurs d"affidavit n"a été contre-interrogé et les notes CAIPS de l"agente des visas sont muettes à ce sujet. L"avocat du demandeur s"est fondé sur la déclaration générale du juge Teitelbaum dans l"arrêt Ali c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration) (1998), 151 F.T.R 1 au paragraphe 24 :

Bref, lorsqu"il convient d"interviewer un requérant pour évaluer sa demande, l"équité exige que l"agent des visas interroge le requérant de manière exhaustive sur les facteurs pertinents de la demande, et qu"il donne au requérant l"occasion de répondre aux allégations ou aux hypothèses dont il ne saurait, raisonnablement, avoir connaissance. [Non souligné dans l"original]

Aucune autre jurisprudence n"a été citée par l"avocat.


[13]      L"entrevue n"a pas poussé l"agente des visas à modifier l"évaluation sur papier du demandeur de 71 points d"appréciation, sinon par l"attribution de deux points d"appréciation pour qualités personnelles. En conséquence, le total de l"évaluation était de 73 points d"appréciation. De manière significative, le refus de l"agente des visas de délivrer un visa en vertu du paragraphe 11(3) n"a pas découlé de la diminution du nombre d"unités en vertu d"aucun facteur de l"annexe 1.

[14]      Lorsque soixante-dix points d"appréciation ou plus on été attribués et que les raisons touchant l"utilisation potentielle d"un pouvoir discrétionnaire de manière défavorable en vertu du paragraphe 11(3) n"émanent pas directement des facteurs de l"annexe 1, l"agent des visas devrait aviser le demandeur que sa capacité de réussir son installation au Canada est toujours en question. Ceci donnera au demandeur la possibilité d"aborder les difficultés et les inquiétudes ressenties par l"agent des visas qui ne peuvent pas être évidentes pour l"immigrant potentiel.

[15]      Pour ces motifs, le refus de l"agente des visas de délivrer un visa d"immigrant est annulé et l"affaire est renvoyée à un autre agent des visas et un autre agent principal


d"immigration pour qu"ils rendent une nouvelle décision. Aucune des parties n"a demandé la certification d"une question grave.

" Allan Lutfy "

_____________________

J.C.F.C.

Ottawa (Ontario)

Le 30 août 1999.







Traduction certifiée conforme


Philippe Méla

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE DE LA COUR FÉDÉRALE DU CANADA


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


No DU GREFFE :                  IMM-59-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :          SHERIF MOATAZ c. M.C.I.

LIEU DE L"AUDIENCE :              MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L"AUDIENCE :              LE 22 JUILLET 1999

MOTIFS DE L"ORDONNANCE DE MONSIEUR LE JUGE LUTFY

EN DATE DU :                  30 AOÛT 1999

ONT COMPARU :

Me Pascal Lescarbeau              POUR LE DEMANDEUR
Me Daniel Latulippe                  POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Benchetrit & Bohbot                  POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)

M. Morris Rosenberg              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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