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Date : 20040429

Dossier : T-856-03

Référence : 2004 CF 641

Ottawa (Ontario), le 29 avril 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE JOHN A. O'KEEFE

ENTRE :

                                                         PENDER FARMS LTD.

                                                                                                                                              appelante

                                                                             et

                                      COMMISSION CANADIENNE DES GRAINS

                                                                                                                                                  intimée

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE O'KEEFE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de l'appelante (la demanderesse aux présentes), producteur de grain, à l'égard de la décision en date du 23 avril 2003 par laquelle la Commission canadienne des grains intimée (la défenderesse aux présentes) a refusé la réclamation de la demanderesse visant une garantie détenue en vertu de la Loi sur les grains du Canada, L.R.C. 1985, ch. G-10.

[2]                La demanderesse sollicite une ordonnance enjoignant à la défenderesse d'accepter sa réclamation visant la garantie d'API Grain Processors Limited Partnership, ainsi que les dépens de la présente demande.

Les faits à l'origine du litige

[3]                La Loi sur les grains du Canada (la Loi) prévoit un système de garantie financière visant à protéger les producteurs de grain qui vendent à des négociants en grains qui sont ou deviennent faillis ou qui refusent par ailleurs de payer.

[4]                La défenderesse, qui administre le régime de la Loi, est autorisée à obliger les négociants en grains à déposer un cautionnement afin de pouvoir recevoir une licence de négociant en grains. Sous réserve de quelques exceptions restreintes, seuls les commerçants qui détiennent une licence de négociant en grains sont autorisés à faire le commerce de grain.

[5]                En vertu de la Loi et du Règlement sur les grains du Canada, C.R.C. ch. 889, les producteurs de grain qui détiennent un bon au comptant ou un chèque peuvent réaliser la garantie que détient la défenderesse en cas d'omission ou de refus de paiement du négociant. Des délais sont prescrits quant à l'avis de réclamation à remettre à la défenderesse.

[6]                Au cours de l'automne 2002, la demanderesse a conclu par l'entremise de son mandataire, Farm Corp. Marketing International (Farm Corp), une entente prévoyant la vente de blé à API Grain Processors Limited Partnership (API), qui est négociant en grains.

[7]                Le 18 octobre 2002, la demanderesse a livré à API du blé d'une valeur de 8 062,40 $. En contrepartie de cette livraison, API a donné à la demanderesse un reçu de grain daté du 18 octobre 2002. API a ensuite posté un chèque daté du 29 octobre 2002 à l'adresse de la demanderesse à Meath Park, en Saskatchewan, en paiement du compte.

[8]                Rick Pender, le président de la demanderesse, demeure à Calgary, en Alberta, et n'a reçu le chèque d'API que le 4 décembre 2002, lorsque son courrier de Meath Park lui a été expédié.

[9]                Le 5 décembre 2002, Farm Corp a avisé la demanderesse qu'API était en faillite. La demanderesse n'avait pas encore déposé le chèque d'API. Farm Corp a communiqué avec le syndic de faillite de celle-ci, qui a avisé la demanderesse de ne pas encaisser le chèque, mais plutôt de déposer une réclamation auprès de la défenderesse en faisant valoir la garantie d'API.

[10]            Le 12 décembre 2002, la demanderesse a envoyé par télécopieur à la défenderesse une réclamation ainsi que le reçu de grain daté du 18 octobre 2002. Une copie du chèque d'API daté du 29 octobre 2002 a été envoyée par télécopieur à la défenderesse le 31 décembre 2002 à l'appui de la réclamation de la demanderesse.


[11]            La défenderesse détenait une garantie de 750 000 $ relativement à API.

[12]            Le 2 avril 2003, la défenderesse a refusé la réclamation de la demanderesse au motif que celle-ci avait été déposée après le délai de trente jours fixé à l'alinéa 49(6)e) de la loi.

[13]            Rick Pender a signé un formulaire indiquant qu'il était en désaccord avec la décision et a demandé à Farm Corp d'interjeter appel au nom de la demanderesse, ce qu'elle a fait au moyen d'une lettre datée du 3 avril 2003. La défenderesse a répondu le 23 avril 2003 par l'entremise de Catherine Jaworsky, gestionnaire, Politique, Planification et Protection des producteurs (Jaworsky). Celle-ci a fait savoir que les commissaires de la défenderesse avaient examiné la question le 15 avril 2003 et décidé qu'ils étaient incapables de verser l'argent demandé, parce que la demanderesse ne respectait pas les critères d'admissibilité prévus par la Loi.

[14]            La demanderesse a d'abord contesté la décision de la défenderesse en interjetant appel conformément à l'article 101 de la Loi. Les avocats ayant convenu que l'article 101 ne s'appliquait pas à la présente affaire, la demanderesse a déposé une demande de contrôle judiciaire le 7 août 2003, après avoir obtenu une prorogation du délai relatif au dépôt de sa demande.

[15]            La présente décision porte donc sur le contrôle judiciaire du refus de la réclamation de la demanderesse par la défenderesse.

La décision faisant l'objet du contrôle

[16]            La lettre de Jaworsky, qui est la décision sous examen, ne comporte aucune explication au sujet du raisonnement de la défenderesse, mais indique simplement que les commissaires avaient examiné la réclamation et l'avaient jugée inadmissible, parce qu'elle avait été déposée plus de trente jours après [traduction] « la date d'émission du chèque de la société » . Jaworsky a plus tard avisé Farm Corp que la défenderesse s'était fondée sur l'alinéa 49(3)b) et sur le paragraphe 49(6) de la Loi pour en arriver à sa décision.

Les arguments de la demanderesse

[17]            La demanderesse soutient qu'il n'y a pas eu en l'espèce de manquement de la part d'API à ses obligations de paiement ni de refus de les respecter de façon à déclencher l'application du paragraphe 49(6). Le chèque d'API n'a nullement été présenté à une banque, de sorte que la condition préalable à l'application du paragraphe 49(6) n'a pas été remplie, aucune banque n'ayant « refusé par la suite d'honorer » le chèque. En conséquence, la demanderesse fait valoir que le délai de trente jours ne s'appliquait pas et que la défenderesse a commis une erreur lorsqu'elle a invoqué ce délai pour rejeter la réclamation.


[18]            Selon la demanderesse, si l'avis du syndic de faillite d'API de ne pas encaisser le chèque de celle-ci constitue un manquement à l'obligation de paiement, l'avis de ce manquement a été remis à la défenderesse dans un délai de trente jours, de sorte que sa réclamation devrait être acceptée.

[19]            La demanderesse fait valoir que les mots « date de la remise » du paragraphe 49(6) devraient être interprétés comme la date à laquelle le producteur de grain a reçu le paiement plutôt que la date à laquelle le négociant en grains a établi le chèque dudit paiement. Selon la demanderesse, la date d'émission qui figure sur le chèque ne prouve nullement la date à laquelle le chèque a été posté, à laquelle il est arrivé dans une boîte aux lettres ou à laquelle le producteur de grain l'a reçu.

[20]            Soutenant que le délai de trente jours prévu au paragraphe 49(3) devrait recevoir une interprétation plus favorable que celle que propose la défenderesse, la demanderesse invoque l'arrêt Canada c. J. D. Irving Ltd., [1999] 2 C.F. 346 (1re inst.), où le juge Hugessen s'est exprimé comme suit :

. . . la prescription ne court pas contre un demandeur tant qu'il n'a pas ou qu'il ne devrait pas avoir eu connaissance de l'existence d'une réclamation.

[21]            S'inspirant de l'arrêt J.D. Irving, la demanderesse allègue qu'il serait contraire à la règle du moment où le préjudice aurait pu être découvert que le délai de prescription prévu à la Loi commence à courir et expire contre une personne avant que celle-ci ait reçu la moindre indication de l'existence d'une réclamation. De l'avis de la demanderesse, les mots « date de la remise » de la Loi ont le même effet que la règle susmentionnée et devraient donc être interprétés de façon à signifier le moment où l'auteur de la réclamation reçoit le chèque.


[22]            La demanderesse ajoute que, si la défenderesse veut invoquer le paragraphe 49(6) comme créant une présomption, elle devrait exiger que les paiements au titre du grain soient postés par courrier recommandé.

[23]            Dans la présente affaire, la demanderesse allègue qu'elle n'avait aucune raison d'être préoccupée par le fait qu'elle n'avait pas reçu de chèque d'API avant le 5 décembre 2002, parce que la Loi et le Règlement protègent les producteurs de grain du défaut de paiement des négociants en grains pendant une période de 90 jours suivant la livraison du grain. Si la demanderesse n'avait pas reçu de paiement d'API après 90 jours, elle aurait disposé ensuite d'un délai de trente jours pour déposer une réclamation contre la défenderesse.

[24]            Lorsque le syndic d'API a avisé la demanderesse de ne pas déposer le chèque en raison de la faillite d'API, la demanderesse a agi avec diligence en faisant parvenir l'avis de la réclamation à la défenderesse.

Les arguments de la défenderesse

[25]            La défenderesse soutient que la demanderesse n'était pas admissible à formuler une réclamation fondée sur une garantie en vertu de la Loi, parce que l'avis de réclamation a été reçu après le délai de trente jours prévu au paragraphe 49(3).

[26]            La défenderesse affirme avoir reçu la réclamation de la demanderesse le 12 décembre 2002, soit en dehors des délais, parce que le chèque d'API était daté du 29 octobre 2002. API l'a posté à l'adresse indiquée au dossier de la demanderesse. Le chèque n'a pas été honoré par la suite en raison de l'insolvabilité d'API; par conséquent, le paragraphe 49(6) de la Loi pose la présomption que API a manqué à son obligation de paiement à la date à laquelle le chèque a été posté à la demanderesse.

[27]            La défenderesse ajoute que la règle du moment où le préjudice aurait pu être découvert, qui est énoncée dans l'arrêt J.D. Irving, ne s'applique pas en l'espèce. La demanderesse a reçu un avis de sa réclamation lorsque le chèque d'API a été posté à l'adresse que la demanderesse avait fournie aux fins du paiement. En conséquence, il convient de dire, selon la défenderesse, que le délai de prescription a commencé à courir à cette date. L'omission de la demanderesse, pendant plus d'un mois, de déposer le chèque n'est pas un moyen de défense opposable au délai de prescription énoncé en toutes lettres dans la Loi.

[28]            La défenderesse fait valoir que l'argument de la demanderesse selon lequel la présomption n'a de sens que dans le contexte du courrier recommandé ne peut être retenu. La défenderesse ne peut contrôler la façon dont les producteurs sont payés : ils peuvent recevoir un chèque au silo-élévateur.

[29]            La défenderesse conteste l'allégation de la demanderesse selon laquelle, étant donné que le chèque d'API n'a jamais été déposé, le paragraphe 49(6) ne s'applique pas. La défenderesse se demande comment la demanderesse peut soutenir qu'elle a une réclamation valable alors qu'aucune mesure n'a été prise pour vérifier si le chèque serait honoré. Elle ajoute que le paragraphe 49(6) a pour but d'encourager les producteurs de grain qui sont payés par chèque à tenter d'encaisser celui-ci le plus rapidement possible, ce qui n'a pas été fait en l'espèce.

[30]            La défenderesse fait également valoir que la faillite d'API et la décision de la demanderesse de ne pas déposer le chèque équivalaient à un refus d'honorer celui-ci. En conséquence, de l'avis de la défenderesse, le paragraphe 49(6) de la Loi pose la présomption que le manquement à l'obligation de paiement a eu lieu à la date à laquelle le chèque émis a été remis à la demanderesse. La réclamation de la demanderesse a donc été présentée en dehors des délais et refusée à bon droit.

[31]            La défenderesse demande le rejet de la présente demande.

Questions en litige

[32]            Les questions en litige sont les suivantes :

1.                   Quelle est la norme de contrôle qui devrait être appliquée à la décision de la défenderesse?


2.                   La réclamation de la demanderesse devrait-elle être refusée en raison de l'argument relatif à la prescription?

Dispositions législatives pertinentes

[33]            La Loi sur les grains du Canada énonce à l'article 13 les objets que poursuit la défenderesse dans le cadre de l'administration du texte législatif et fixe, à l'article 49, des restrictions quant à la capacité des producteurs de grain comme la demanderesse de réaliser la garantie que la défenderesse détient :


13. Sous réserve des autres dispositions de la présente loi et des instructions que peuvent lui donner le gouverneur en conseil ou le ministre, la Commission a pour mission de fixer et de faire respecter, au profit des producteurs de grain, des normes de qualité pour le grain canadien et de régir la manutention des grains au pays afin d'en assurer la fiabilité sur les marchés intérieur et extérieur.

49.(2) La garantie donnée par un titulaire de licence ne peut être réalisée ou recouvrée que, selon le cas:

a) par la Commission;

b) par tout détenteur visé à l'article 45 et qui a subi une perte ou des dommages en raison du manquement du titulaire, délibéré ou non:

(i) aux exigences de la présente loi, ainsi que des règlements ou ordonnances pris sous son régime,

(ii) à l'obligation de lui faire un paiement ou de lui livrer du grain sur remise du bon de paiement, de l'accusé de réception ou du récépissé délivré par le titulaire en application de la présente loi.

(3) Par dérogation au paragraphe (2), la garantie donnée par le titulaire d'une licence d'exploitation d'un silo primaire ou d'un silo de transformation ou d'un commerce de grains ne peut être réalisée ou recouvrée relativement à un accusé de réception, un bon de paiement ou un récépissé que si, à la fois:

13. Subject to this Act and any directions to the Commission issued from time to time under this Act by the Governor in Council or the Minister, the Commission shall, in the interests of the grain producers, establish and maintain standards of quality for Canadian grain and regulate grain handling in Canada, to ensure a dependable commodity for domestic and export markets.

49.(2) Any security given by a licensee as a condition of a licence may only be realized or enforced by

(a) the Commission; or

(b) any holder referred to in section 45 who has suffered loss or damage by reason of the refusal or failure of the licensee to

(i) comply with this Act or any regulation or order made thereunder, or

(ii) meet any of the licensee's payment or delivery obligations to that holder on the surrender of any cash purchase ticket, elevator receipt or grain receipt issued by the licensee pursuant to this Act.

(3) Notwithstanding subsection (2), a security given by a licensee as a condition of a licence to operate a primary or process elevator or to carry on business as a grain dealer may be realized or enforced in relation to a cash purchase ticket, an elevator receipt or a grain receipt only if


a) avant l'expiration de la période réglementaire suivant la livraison au titulaire du grain qui y est visé, celui-ci a manqué à son obligation de paiement ou de livraison envers le producteur ou a refusé de l'exécuter;

b) le producteur en a avisé par écrit la Commission dans les trente jours suivant le manquement ou le refus.

. . .

(6) Le manquement à ses obligations de la part du titulaire de licence lorsque celui-ci remet au producteur un bon de paiement ou toute autre lettre de change que la banque ou autre institution financière sur laquelle ils sont tirés refuse par la suite d'honorer est réputé avoir lieu à la date de la remise.

(a) the licensee fails or refuses to meet any of their payment or delivery obligations to the producer of the grain to which the ticket or receipt relates within such period as may be prescribed after the day on which the grain was delivered to the licensee; and

(b) the producer of the grain has given notice in writing of the failure or refusal to the Commission within thirty days after the failure or refusal.

. . .

(6) If the failure on the part of a licensee to meet the licensee's payment obligations is a result of their giving to the producer a cash purchase ticket or other bill of exchange that the bank or other financial institution on which it is drawn subsequently refuses to honour, that failure occurs when the cash purchase ticket or other bill of exchange is given to the producer.

Analyse et décision

[34]            Question 1

Quelle est la norme de contrôle qui devrait être appliquée à la décision de la défenderesse?

La norme de contrôle à appliquer sera déterminée en fonction des décisions citées dans Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226, 2003 CSC 19, (2003), 223 D.L.R. (4th) 599. À mon avis, la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable simpliciter, compte tenu de l'analyse pragmatique et fonctionnelle qui suit.

[35]            1. Clause privative/appel prévu par la loi

La Loi ne renferme aucune clause privative. Ce facteur ne s'applique donc pas en ce qui concerne la norme de contrôle. Ajouté au fait que l'affaire aurait pu être présentée sous forme d'appel, cet argument milite en faveur d'une retenue moins grande à l'endroit de la décision de la défenderesse.

[36]            2. Compétence spécialisée de la Cour comparativement à celle du tribunal sur la question à trancher

La défenderesse possède une compétence spécialisée dans le domaine de l'administration de l'industrie du grain au Canada, notamment en ce qui a trait aux questions liées aux licences qu'elle délivre. Effectivement, les litiges de cette nature remontent au tournant du siècle. L'affaire concerne l'administration par la défenderesse de sa loi habilitante; cependant, la défenderesse n'est pas plus compétente que la Cour en matière d'interprétation législative. D'ailleurs, les commissaires ne sont pas tenus de suivre une formation en droit pour être nommés à la Commission. Pour savoir qui de la défenderesse ou de la Cour possède une plus grande compétence spécialisée, il faut donc déterminer la nature de la question en litige.


[37]            À mon avis, la question en litige est une question d'application générale qui ne nécessite pas une compétence spécialisée touchant l'administration de la Loi. La question est plus juridique qu'administrative. Elle consiste à savoir s'il y a « remise » d'un chèque à une personne au moment de son impression ou de sa mise à la poste, lorsqu'un certain temps s'est écoulé après celle-ci ou lorsqu'il est reçu. À mon sens, la Cour est l'organe habilité à statuer sur une question de cette nature et cette décision pourrait avoir valeur de précédent dans d'autres circonstances.

[38]            3. Objet du texte législatif et de la disposition législative concernée

La défenderesse joue un rôle polycentrique qui consiste à mettre en balance les besoins et intérêts des producteurs, négociants en grains, transporteurs et autres intervenants. Dans le cas des titulaires de licence qui sont en faillite, elle doit trouver un juste équilibre entre les droits des agriculteurs pour ce qui est de la répartition de la garantie qu'elle détient du titulaire en question. En pareil cas, la défenderesse doit également veiller à distribuer les fonds qu'elle détient de manière efficace et avec célérité afin de dédommager les parties touchées en temps opportun. Ce facteur milite en faveur d'une plus grande retenue.

[39]            4. Nature de la question à trancher

Enfin, la question à trancher en l'espèce est de nature juridique. Elle porte sur l'interprétation de l'alinéa 49(3)b) et du paragraphe 49(6) de la Loi, ce qui est une question de droit.

[40]            Après avoir soupesé ces différents facteurs, j'estime qu'il y a lieu d'appliquer la norme de la décision raisonnable simpliciter à la décision de la défenderesse en l'espèce.

[41]            Question 2

La réclamation de la demanderesse devrait-elle être refusée en raison de l'argument relatif à la prescription?

La défenderesse a décidé que la demande de paiement de la demanderesse n'était pas admissible en raison de l'effet de l'alinéa 49(3)b) et du paragraphe 49(6) de la Loi. J'examinerai d'abord l'argument relatif au paragraphe 49(6).

[42]            Paragraphe 49(6)

Par souci de commodité, je reproduis à nouveau le texte du paragraphe 49(6) :

49.(6) Le manquement à ses obligations de la part du titulaire de licence lorsque celui-ci remet au producteur un bon de paiement ou toute autre lettre de change que la banque ou autre institution financière sur laquelle ils sont tirés refuse par la suite d'honorer est réputé avoir lieu à la date de la remise.

49.(6) If the failure on the part of a licensee to meet the licensee's payment obligations is a result of their giving to the producer a cash purchase ticket or other bill of exchange that the bank or other financial institution on which it is drawn subsequently refuses to honour, that failure occurs when the cash purchase ticket or other bill of exchange is given to the producer.

[43]            Le paragraphe 49(6) de la Loi énonce que, lorsqu'un chèque est remis au producteur et que la banque sur laquelle le chèque est tiré refuse de l'honorer, le manquement aux obligations de paiement du titulaire de licence envers le producteur survient à la date de la remise dudit chèque à celui-ci. Dans la présente affaire, le chèque était daté du 29 octobre 2002. Selon la défenderesse, la demanderesse aurait dû faire sa réclamation dans les trente jours suivant le 29 octobre 2002, la date inscrite sur le chèque.

[44]            À mon avis, pour que le paragraphe 49(6) s'applique, il faut que la banque ou l'institution financière sur laquelle le chèque a été tiré refuse d'honorer celui-ci. Dans la présente affaire, il n'y a aucun élément de preuve indiquant que le chèque a été présenté à la banque. Je ne considère pas l'avis du syndic de ne pas encaisser le chèque comme un refus par la banque d'honorer celui-ci. En conséquence, j'estime que le paragraphe 49(6) de la Loi ne s'applique pas en l'espèce de façon à faire obstacle à la réclamation de la demanderesse.

[45]            Subsidiairement, même si le paragraphe 49(6) de la Loi s'appliquait, je suis d'avis que, eu égard aux faits de la présente affaire, le chèque n'a été remis au producteur que lorsque celui-ci l'a reçu le 4 décembre 2002. J'en suis venu à cette conclusion en raison du fait que la Loi n'indique pas de façon précise la date à laquelle un producteur est réputé avoir reçu un chèque. Elle n'indique pas que le producteur est réputé avoir reçu le chèque, par exemple, dix jours après l'émission ou la mise à la poste. Un exemple de présomption de ce genre figure à la Règle 141(1) des Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, qui est ainsi libellée :

141. (1) La signification d'un document par la poste ordinaire prend effet le dixième jour suivant la mise à la poste du document.

141. (1) Service of a document by ordinary mail is effective on the tenth day after it was mailed.

[46]            Les seules dates concrètes existant en l'espèce sont la date du chèque (29 octobre 2002) et la date de réception de celui-ci par la demanderesse, soit le 4 décembre 2002. Le dossier ne comporte aucun élément de preuve indiquant la date à laquelle la défenderesse a posté le chèque.

[47]            À mon avis, le paragraphe 49(6) de la Loi ne s'applique pas de façon à faire obstacle à la réclamation de la demanderesse.

[48]            Alinéas 49(3)a) et b)

Par souci de commodité, je reproduis à nouveau le texte des alinéas 49(3)a) et b) :

49.(3) Par dérogation au paragraphe (2), la garantie donnée par le titulaire d'une licence d'exploitation d'un silo primaire ou d'un silo de transformation ou d'un commerce de grains ne peut être réalisée ou recouvrée relativement à un accusé de réception, un bon de paiement ou un récépissé que si, à la fois:

a) avant l'expiration de la période réglementaire suivant la livraison au titulaire du grain qui y est visé, celui-ci a manqué à son obligation de paiement ou de livraison envers le producteur ou a refusé de l'exécuter;

b) le producteur en a avisé par écrit la Commission dans les trente jours suivant le manquement ou le refus.

49.(3) Notwithstanding subsection (2), a security given by a licensee as a condition of a licence to operate a primary or process elevator or to carry on business as a grain dealer may be realized or enforced in relation to a cash purchase ticket, an elevator receipt or a grain receipt only if

(a) the licensee fails or refuses to meet any of their payment or delivery obligations to the producer of the grain to which the ticket or receipt relates within such period as may be prescribed after the day on which the grain was delivered to the licensee; and

(b) the producer of the grain has given notice in writing of the failure or refusal to the Commission within thirty days after the failure or refusal.


[49]            Selon les dispositions précitées, le producteur doit remettre à la défenderesse un avis écrit du refus ou manquement du titulaire de licence dans les trente jours suivant celui-ci. Le Règlement prévoit que le paiement doit être fait dans les 90 jours suivant la livraison du grain au titulaire de licence. Le grain a été livré le 18 octobre 1992. Vers le 5 décembre 2002, le syndic de faillite a dit au représentant de la demanderesse de ne pas déposer le chèque d'API, qui était daté du 29 octobre 2002. Je suis d'avis que le manquement ou le refus de payer de la part du titulaire de licence est survenu vers le 5 décembre 2002, lorsque le syndic a dit de ne pas déposer le chèque. La demanderesse a ensuite présenté sa réclamation par écrit à la défenderesse le 12 décembre 2002, soit à l'intérieur du délai de trente jours prescrit par la Loi.

[50]            Je suis d'avis que la défenderesse a commis une erreur lorsqu'elle a refusé la réclamation de la demanderesse au motif que celle-ci avait été faite en dehors du délai prescrit par la Loi.

[51]            En conséquence, la demande de la demanderesse est accueillie et la décision de la défenderesse est annulée. La défenderesse doit traiter la réclamation de la demanderesse en réalisant la garantie d'API conformément aux présents motifs. Je soulignerais que, si je m'en rapporte aux documents du dossier, la réclamation de la demanderesse a été refusée uniquement parce qu'elle avait été déposée en dehors des délais. Étant donné que j'ai décidé que le délai prescrit par la Loi ne s'appliquait pas de façon à empêcher la demanderesse de déposer sa réclamation, il semblerait qu'il n'y ait aucun autre obstacle au paiement de celle-ci.

[52]            La demanderesse a droit à ses dépens dans la présente demande.


ORDONNANCE

[53]            LA COUR ORDONNE QUE :

1.       La demande de la demanderesse est accueillie et la décision de la défenderesse est annulée. La défenderesse doit traiter la réclamation de la demanderesse en réalisant la garantie d'API Grain Processors Limited Partnership et ne doit pas refuser la réclamation au motif qu'elle a été déposée en dehors du délai prescrit par la Loi.

2.       La demanderesse a droit à ses dépens dans la présente demande.

                                                                            « John A. O'Keefe »              

                                                                                                     Juge                          

Ottawa (Ontario)

le 29 avril 2004

Traduction certifiée conforme

Richard Jacques, LL.L.


                         COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                    SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         T-856-03

INTITULÉ DE LA CAUSE :             PENDER FARMS LTD.

c.

COMMISSION CANADIENNE DES GRAINS

                                                     

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Saskatoon (Saskatchewan)

DATE DE L'AUDIENCE :                le 15 janvier 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                        le juge O'Keefe

DATE DES MOTIFS :                       le 29 avril 2004

COMPARUTIONS :

Curtis Onishenke                                              POUR L'APPELANTE (DEMANDERESSE)

Marvin Luther

Valerie Gilroy                                       POUR L'INTIMÉE (DÉFENDERESSE)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

McKercher McKercher & Whitmore

Saskatoon (Saskatchewan)                               POUR L'APPELANTE (DEMANDERESSE)

Ministère de la Justice

Saskatoon (Saskatchewan)                               POUR L'INTIMÉE (DÉFENDERESSE)


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