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Date : 20020712

Dossier : T-1447-00

Ottawa (Ontario), le vendredi 12 juillet 2002

En présence de MONSIEUR LE JUGE GIBSON

AFFAIRE INTÉRESSANT une demande visant à obtenir une ordonnance d'interdiction en vertu du paragraphe 55.2(4) de la Loi sur les brevets et de l'article 6 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité)

ENTRE :

                                                                                   

                                       AB HASSLE et ASTRAZENECA CANADA INC.

demanderesses

                                                                                   et

                                                          RHOXALPHARMA INC. et

                                          LE MINISTRE DE LA SANTÉ DU CANADA

défendeurs

                                                                     ORDONNANCE

En vertu de l'article 6 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), il est interdit au ministre de la Santé de délivrer à RhoxalPharma Inc. un avis de conformité visé par ce Règlement à l'égard des comprimés de 20 mg d'oméprazole, destinés à être administrés par voie orale, avant l'expiration du brevet canadien no 2,025,668.


Les demanderesses ont droit aux dépens à l'encontre de RhoxalPharm Inc. Si ces dépens ne font pas l'objet d'une entente, ils seront taxés suivant la colonne III du tableau du Tarif B des Règles de la Cour fédérale (1998).

Il n'y a pas d'adjudication de dépens en faveur du ministre de la Santé ou contre lui.

                    FREDERICK E. GIBSON                  

J.C.F.

Traduction certifiée conforme

C. Bélanger, LL.L.


Date : 20020712

Dossier : T-1447-00

Référence neutre : 2002 CFPI 780

AFFAIRE INTÉRESSANT une demande visant à obtenir une ordonnance d'interdiction en vertu du paragraphe 55.2(4) de la Loi sur les brevets et de l'article 6 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité)

ENTRE :

                                                                                   

                                       AB HASSLE et ASTRAZENECA CANADA INC.

demanderesses

                                                                                   et

                                                          RHOXALPHARMA INC. et

                                          LE MINISTRE DE LA SANTÉ DU CANADA

défendeurs

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON

INTRODUCTION


[1]                 Dans un avis introductif de demande déposé le 4 août 2000, les demanderesses AB Hassle (Hassle) et AstraZeneca Canada Inc. (AstraZeneca) (collectivement les demanderesses) sollicitent, en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité)[1] (le Règlement) une ordonnance interdisant au ministre de la Santé (le ministre) de délivrer un avis de conformité à la défenderesse RhoxalPharma Inc. (RhoxalPharma) à l'égard des comprimés de 20 mg d'oméprazole destinés à être administrés par voie orale, avant l'expiration du brevet canadien no 2,025,668 (le brevet '668). Les présents motifs font suite à l'audition de la demande à Vancouver (Colombie-Britannique), le 26 juin 2002.

LES PARTIES

[2]                 Hassle et AstraZeneca sont membres du groupe des sociétés AstraZeneca. Hassle est propriétaire du brevet '668. AstraZeneca est le successeur des sociétés Astra Pharma Inc. et Zeneca Pharma Inc. Conformément au Règlement, Astra Pharma Inc. a soumis au ministre une liste de brevets relatifs à l'oméprazole, faisant renvoi au brevet '668. C'est avec le consentement de Hassle qu'Astra Pharma a inclus le brevet '668 dans la liste de brevets.

[3]                 RhoxalPharma est une « société qui fabrique des médicaments génériques » , c'est-à-dire un fabricant et un commerçant de médicaments au Canada qui, comme le dit le juge Nadon dans Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la santé nationale et du Bien-être social)[2] :

...commercialise une drogue sans avoir à établir, de façon distincte, la sécurité et l'efficacité de cette drogue.

[4]                 Le ministre est chargé de veiller à l'application du Règlement. Lors de l'audition de la demande, aucun document n'avait été déposé au dossier de la Cour au nom du ministre, et celui-ci n'était pas représenté.

LE CONTEXTE

            1)         Le brevet litigieux

[5]                 Le brevet '668 contient des revendications relatives à l'utilisation de l'oméprazole pour le traitement des maladies infectieuses causées par les bactéries du genre Campylobacter. Les revendications du brevet '668 sont rédigées comme suit :

1.             Utilisation du 5-méthoxy-2-[[(4-méthoxy-3,5-diméthyl-2-pyridinyl)méthyl) -sulfinyl -1H-benzimidazole ou d'un de ses sels acceptables en pharmacie pour la fabrication d'un médicament pour le traitement des infections à Campylobacter.

2.             Utilisation du 5-méthoxy-2-[[(4-méthoxy-3,5-diméthyl-2-pyridinyl)méthyl] -sulfinyl]-1H-benzimidazole ou d'un de ses sels acceptables en pharmacie pour le traitement des infections à Campylobacter.

3.             Une préparation pharmaceutique destinée à être utilisée dans le traitement des infections à Campylobacter, où la substance active est le 5-méthoxy-2- [[(4-méthoxy-3,5-diméthyl-2-pyridinyl)méthyl]-sulfinyl] -1H-benzimidazole ou un de ses sels acceptables en pharmacie.


[6]                 Les demanderesses et ZenecaPharm conviennent que, dans le cadre de la présente demande, la Cour devrait lire la nomenclature chimique apparaissant aux revendications 1 à 3, soit « 5-méthoxy-2-[[(4-méthoxy-3,5-diméthyl-2-pyridinyl)méthyl]-sulfinyl]-1H-benzimidazole » , comme s'il s'agissait de l' « oméprazole » . Les parties conviennent également que les termes Campylobacter et H. pylori sont des termes scientifiques synonymes désignant les types d'infection mentionnés dans les revendications.

            2)         Les avis d'allégation de RhoxalPharma

[7]                 L'avis d'allégation qui a donné naissance à la présente demande est le deuxième avis d'allégation signifié par RhoxalPharma aux demanderesses à l'égard du brevet '668.

[8]                 Le premier avis d'allégation de RhoxalPharma a été envoyé aux demanderesses le 29 février 2000. Il contenait l'allégation suivante :

[TRADUCTION] L'oméprazole de RhoxalPharma ne contrefera aucune revendication du brevet 2,025,668 car RhoxalPharma ne sollicite pas une autorisation de commercialisation pour l'utilisation de l'oméprazole dans le traitement des infections à Campylobacter. Nous déposons en preuve notre monographie de l'oméprazole. Ainsi, il n'y aura pas contrefaçon. Comme on peut le voir dans la monographie, RhoxalPharma énumère entre autres l'indication bien connue de l' « éradication de H. pylori » . À noter que H. pylori ou Helicobacter pylori n'est pas Campylobacter pylori. Helicobacter pylori est une bactérie qui peut vivre dans l'estomac. Par contre, les bactéries Campylobacter ne peuvent vivre dans l'estomac en raison de l'acidité normale qu'on y retrouve. Ainsi, on ne peut alléguer qu'une indication pour l' « éradication de H. pylori » est similaire à l'éradication de Campylobacter pylori[3].    [Non souligné dans l'original.]

Dans cette monographie du produit, qui a été déposée auprès du ministre comme faisant partie intégrante de la présentation abrégée de drogue nouvelle de RhoxalPharma à l'égard de l'oméprazole, il était écrit dans les « Indications » :


[TRADUCTION] Les comprimés de Rhoxal-oméprazole (oméprazole) sont indiqués pour le traitement de cas où il est nécessaire de réduire la sécrétion d'acide gastrique, tels que : ulcère duodénal; ulcère gastrique; ulcères gastrique et duodénal associés à AINS; reflux gastrooesophagien pathologique; maladie symptomatique de reflux gastroesophagien pathologique (GERD), c'est-à-dire brûlures d'estomac et régurgitation; syndrome de Zollinger-Ellison (cas pathologiques d'hypersécrétions); éradication de H. pylori[4].    [Non souligné dans l'original.]

[9]                 Les demanderesses ont promptement déposé un avis introductif de demande, équivalent à celui dont la Cour est présentement saisie[5]. Dans un affidavit à l'appui, Diane E. Taylor, Ph.D., professeur au Department of Medical Microbiology and Immunology de l'Université de l'Alberta, a déclaré sous serment :

[TRADUCTION] À la lecture du brevet ['668], il apparaîtrait clairement à une personne de niveau moyen de compétence dans le domaine que les revendications pour l'utilisation de l'oméprazole dans le traitement des infections à Campylobacter englobent les infections à C. pylori, ou ce que l'on appelle maintenant H. pylori[6].   

[10]            Lorsqu'elle a été convaincue que les infections à Campylobacter pylori et à Helicobacter ou H. pylori étaient la même infection, RhoxalPharma a retiré son premier avis d'allégation, et l'avis introductif de demande que les demanderesses avaient présenté devant cette Cour a fait l'objet d'un désistement.

[11]            Le 19 juin 2000, RhoxalPharma a signifié un deuxième avis d'allégation aux demanderesses. C'est cet avis qui a donné naissance à la demande qui fait l'objet des présents motifs. Il y est allégué que les comprimés d'oméprazole de RhoxalPharma ne contreferaient pas le brevet '668 parce que :


[TRADUCTION] Le brevet '668 concerne et revendique l'utilisation de l'oméprazole pour le traitement des infections à Campylobacter. Nos comprimés ne seront pas fabriqués, utilisés ou vendus pour le traitement des infections à Campylobacter (Helicobacter) pylori. Pour être plus précis, nous ne tenterons plus de solliciter l'approbation pour cette utilisation qui n'apparaîtra plus dans notre monographie du produit[7].    [Non souligné dans l'original.]

[12]            Dans une version revisée de la monographie du produit fournie aux demanderesses à l'appui du deuxième avis d'allégation, figure dans les « Indications » le paragraphe précité de la première version, sauf les mots « éradication de H. pylori » , supprimés à la fin du paragraphe. Dans le cours de la présente demande, une troisième modification a été apportée à la monographie dans le but d'apaiser une autre préoccupation des demanderesses. Au moment de l'introduction de la présente instance, et pour un certain temps par la suite, le ministre n'avait en main ni la deuxième ni la troisième monographies à l'appui de la présentation abrégée de drogue nouvelle de RhoxalPharma. Lors de l'audition de la demande, la Cour a été informée officieusement que le ministre avait finalement en main la troisième monographie du produit.

LA PREUVE

1)         Au nom des demanderesses

[13]            Les demanderesses ont déposé trois (3) affidavits, le premier de Philippa Murphy, vice-présidente aux affaires médicales chez AstroZeneca, le second de Adam Pignataro, pharmacien, et le troisième de Christopher Pinto, médecin.

[14]            Mme Murphy a attesté au paragraphe 16 de son affidavit :

[TRADUCTION] Dans l'état actuel des connaissances sur l'utilisation de l'oméprazole, les mots utilisés dans la pièce H (la deuxième version de la monographie du produit) relatifs à l'utilisation combinée de Rhoxal-oméprazole avec l'amoxicilline, la clarithromycine ou le métronidazole, et les mots « ¼.dans le traitement[¼] de problèmes d'estomac reliés aux bactéries » ne peuvent que référer au traitement de H. pylori. C'est ce que les médecins et les pharmaciens qui sont au fait du traitement des infections à H. pylori peuvent facilement comprendre[8].

Les mots « reliés aux bactéries » ont été supprimés dans la troisième version de la monographie du produit.

[15]            Voici une partie du témoignage de M. Pignataro :

[TRADUCTION] En tant qu'expert, on m'a demandé mon avis pour savoir si un produit générique de l'oméprazole, non approuvé par les autorités réglementaires pour le traitement des infections à H. pylori, sera en réalité utilisé par les patients pour le traitement de ces infections, dans la façon actuelle de procéder pour les ordonnances et de recevoir des produits pharmaceutiques tels que l'oméprazole.

À la lumière de mes connaissances, de mon expérience et de ma formation, je suis d'avis qu'un produit d'oméprazole générique, dans la façon actuelle de procéder, sera en réalité utilisé par des patients pour le traitement d'infections à H. pylori, étant donné que ce traitement comporte une indication approuvée de la marque LOSEC d'oméprazole (marque de l'oméprazole d'AstraZeneca). Je m'explique.


L'oméprazole est une drogue largement prescrite au Canada. De nombreux patients souffrent d'infections à H. pylori. Ces patients consultent des médecins qui leur prescriront probablement un produit d'oméprazole générique ou de marque. Ces patients présenteront l'ordonnance écrite à la pharmacie. Le pharmacien ne connaît habituellement pas les indications spécifiques pour lesquelles la drogue a été prescrite. Lorsqu'une drogue a été prescrite sous son nom générique ou de marque, en l'absence d'annotation du médecin « aucune substitution » (ce qui se produit dans moins de 10% des cas), le pharmacien va habituellement préparer la marque la moins chère qui est d'ordinaire une marque générique. Lorsqu'une marque générique d'oméprazole est disponible sur le marché, le pharmacien préparerait normalement cette marque pour le patient présentant une ordonnance pour l'oméprazole. Généralement, les pharmaciens ne connaissent pas les indications spécifiques pour lesquelles une marque spécifique de drogue est approuvée. Par conséquent, dans le cas où un produit générique d'oméprazole est disponible sur le marché, ce produit sera en fait préparé pour les patients qui l'utiliseront pour le traitement d'infections à H. pylori même si la marque particulière n'est peut-être pas approuvée pour cette indication par les autorités réglementaires[9].

[16]            Le témoignage du Dr Pinto est essentiellement au même effet que celui de M. Pignataro. En bref, voici ce qu'il dit :

[TRADUCTION] Les médecins présupposent généralement que toutes les marques génériques d'un agent actif sont approuvées pour les mêmes indications que celles de la marque de l'innovateur. Par conséquent, si un produit d'oméprazole générique devenait disponible sur le marché, les médecins présupposeraient généralement qu'il est approuvé pour le traitement de H. pylori[10].

[17]            On n'a procédé à aucun contre-interrogatoire des auteurs d'affidavit en faveur des demanderesses.

            2)         Au nom de RhoxalPharma

[18]            RhoxalPharma n'a déposé qu'un affidavit, celui de M. Len Arsenault, directeur des affaires en matière de réglementation chez RhoxalPharma. Il y a dit ceci au paragraphe 6 :

[TRADUCTION] Rhoxal sollicite auprès de Santé Canada l'approbation pour la commercialisation relativement aux utilisations hors brevet ou non brevetées de l'oméprazole. Rhoxal ne sollicite pas auprès de Santé Canada l'approbation pour la commercialisation relativement à l'utilisation de l'oméprazole pour l'éradication des infections à H. pylori et ne fera pas la promotion d'une telle utilisation¼[11]

[Souligné dans l'original.]

[19]            Se référant au paragraphe précité de l'affidavit de Philippa Murphy, M. Arsenault poursuit :

[TRADUCTION] ¼les demanderesses [¼] tentent de démontrer que Rhoxal, ailleurs dans sa monographie du produit, promeut subrepticement l'utilisation de l'oméprazole pour l'éradication deH. pylori. C'est faux pour les motifs suivants :

...

                 b)             À la page 2 de la monographie du produit, la référence à l'utilisation combinée de l'oméprazole avec l'amoxicilline, la clarithromycine ou le métronidazole, qui sont des antibiotiques, est strictement une mise en garde. En effet, Rhoxal énonce clairement qu'il faut consulter et suivre les monographies de ces agents dans le cas où ils sont utilisés en combinaison avec l'oméprazole.

... [12]

[20]            M. Arsenault a été contre-interrogé sur son affidavit. Sa référence à l'utilisation combinée de l'oméprazole avec les trois (3) antibiotiques énumérés a donné lieu à l'échange suivant :

[TRADUCTION] Alors, vous dites dans votre affidavit ¼qu'il est fait référence à certains antibiotiques; vous en énumérez trois.

Oui.

Et vous dites que cette référence est strictement une mise en garde, pouvez-vous me fournir des explications, s'il vous plaît?

Il y a une note au haut de la page 2 [de la monographie du produit dans sa deuxième comme dans sa troisième version] que je vais vous lire : « Dans le cas d'utilisation combinée avec l'amoxicilline, la clarithromycine ou le métronidazole, il faut consulter et suivre les monographies de ces agents » .

Oui, je vois, ¼et cette note n'envisage-t-elle pas l'utilisation combinée de l'oméprazole de Rhoxalpharma avec l'un ou plusieurs de ces trois antibiotiques?

Bien, clairement d'après les indications, ce n'est pas le but de l'utilisation du présent produit.


Non, mais il est dit « dans le cas d'utilisation combinée » , cela n'envisage-t-il pas clairement l'utilisation de l'un ou plusieurs de ces trois antibiotiques?

C'est un énoncé qui indique simplement que dans le cas où il serait utilisé en combinaison avec ces produits, il faudrait consulter la monographie de produit spécifique à ces ingrédients.

D'accord, n'est-il pas exact que l'oméprazole, combiné à l'un ou plusieurs de ces trois antibiotiques, est utilisé pour le traitement de H. pylori?

Je crois que c'est exact.

Et n'y aurait-il pas d'autre utilisation pour un tel schéma posologique, que vous connaissiez, à part le traitement de H. pylori?

Chacun de ces ingrédients en soi pourrait être indiqué pour une infection bactérienne.

Oui, mais ce n'est qu'une spéculation, vous n'êtes pas au courant d'une utilisation reconnue, médicalement, pour la combinaison spécifique de l'oméprazole avec l'un ou plusieurs de ces trois antibiotiques, n'est-ce pas?

Je pense que le témoin a répondu que ¼[13]

LES QUESTIONS EN LITIGE

[21]            Les demanderesses ont énoncé comme suit les questions en litige dans la présente demande :

            1)         L'avis d'allégation constitue-t-il un abus des procédures de la Cour ne pouvant, de ce fait, constituer une allégation suivant le Règlement?


            2)         RhoxalPharma s'est-elle conformée au sous-alinéa 5(3)c)(i) du Règlement qui exige qu'une demande pertinente soit déposée auprès du ministre à la date de signification de l'avis d'allégation?

            3)         L'allégation de non-contrefaçon de RhoxalPharma est-elle justifiée, entre autres,

                         a)         quant à l'énoncé détaillé des faits sur lesquels se fonde l'avis d'allégation;

                         b)         quant à la contrefaçon du brevet '668;

                         c)         quant à la contrefaçon directe du brevet '668 par RhoxalPharma;

                         d)         quant à la possibilité que RhoxalPharma incite ou induise à contrefaire le brevet '668?

            4)         L'affirmation de RhoxalPharma portant que le brevet '668 a été à tort inscrit au registre des brevets constitue-t-elle une allégation en vertu du Règlement?

J'estime que les sous-questions 3) a) et b) sont subsumées dans les questions 3) c) et d). La quatrième question touchant l'inscription erronée n'a pour l'essentiel pas été débattue devant la Cour[14].

ANALYSE


            1)         Abus de procédure   

[22]            Dans Bayer Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social)[15], le juge Lutfy, tel était alors son titre, a dit au paragraphe 9 :

La présentation de plus d'un avis d'allégation devant la Cour, à condition que ceux-ci soient distincts les uns des autres, ne peut être considérée comme un abus de procédure.

Sur ce point, le juge Lutfy a cité Apotex Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social)[16], où le juge Marceau dit à la page 10 :

Je souscris aux vues exprimées dans les nombreuses décisions que le juge des requêtes a citées et dans lesquelles la Section de première instance a affirmé qu'il est possible de soumettre des allégations successives et que chacune doit être traitée indépendamment, à condition qu'elle soit distincte des autres et que sa présentation devant la Cour ne puisse être considérée comme un abus de procédure.


[23]            L'avocat des demanderesses a fait valoir que le deuxième avis d'allégation, présentement devant la Cour, n'est pas distinct du premier avis d'allégation qui a été retiré lorsque RhoxalPharma s'est aperçue que les infections à Campylobacter et à H. pylori sont une seule et même chose. Il a soutenu que RhoxalPharma a, de fait, retiré sa première allégation quand elle a réalisé que la procédure prenait une tournure défavorable, et qu'elle a tenté, au moyen de son deuxième avis d'allégation, de plaider essentiellement la même allégation de non-contrefaçon, obtenant ainsi un avantage procédural. Permettre à RhoxalPharma de continuer ce stratagème, a-t-il poursuivi, serait lui permettre d'abuser des procédures de la Cour et du système de réglementation établi sous l'autorité du Parlement, lequel vise notamment à assurer le déroulement expéditif des procédures prévues par le Règlement.

[24]            L'avocat de RhoxalPharma a fait valoir que les questions litigieuses et la preuve découlant des deux avis d'allégation consécutifs sont clairement distinctes.

[25]            Encore qu'avec une certaine hésitation, je préfère la position de l'avocat de RhoxalPharma. Le dossier ne contient rien qui me permette de conclure que l'erreur fondamentale contenue dans le premier avis d'allégation de RhoxalPharma a été commise autrement que par inadvertance. Je ne suis pas convaincu que RhoxalPharma ait tenté d'obtenir ou ait obtenu un avantage procédural par la signification et le retrait subséquent de son premier avis d'allégation et son remplacement par le deuxième avis d'allégation. C'est uniquement en agissant ainsi que RhoxalPharma a pu s'assurer que les questions plus fondamentales découlant des deux avis d'allégation pouvaient effectivement être débattues. L'erreur de RhoxalPharma est certes inexcusable, mais je ne suis pas convaincu que son premier faux départ, corrigé par le deuxième avis d'allégation, constitue un abus des procédures de la Cour ou un abus du système de réglementation.

[26]            Je conclus que les demanderesses ne peuvent obtenir gain de cause sur ce motif.

            2)         Une présentation abrégée de drogue nouvelle en instance

[27]            Il n'a pas été contesté devant moi que RhoxaPharma avait soumis au ministre une présentation de drogue nouvelle à l'égard de ses comprimés d'oméprazole au moment de l'envoi du premier avis d'allégation ainsi que du deuxième avis d'allégation. On n'a pas non plus contesté que la présentation de drogue nouvelle, par le biais de la première version de la monographie du produit, renvoyait à l'utilisation de l'oméprazole de RhoxalPharma pour le traitement des infections à H. pylori. Lorsque le deuxième avis d'allégation a été signifié aux demanderesses, le ministre n'avait à l'évidence pas en main la monographie modifiée où l'on avait supprimé les renvois directs et indirects à l'utilisation de l'oméprazole de RhoxalPharma pour le traitement des infections à H. pylori.

[28]            L'avocat de RhoxalPharma a fait valoir que la question de la correspondance entre la présentation de drogue nouvelle de RhoxalPharma et sa monographie de produit relève de la responsabilité du ministre et n'est pas pertinente quant à la présente instance. Il a essentiellement soutenu que la présentation de drogue nouvelle de RhoxalPharma était en tout temps suffisamment pertinente pour les fins de la présente instance. Il a invoqué les extraits suivants de la décision Merck & Co. c. Canada (Ministre de la Santé)[17]:

...Le ministre disposait, à la date prévue, d'une PDN visant l'Apo-lovastatine qui satisfaisait à toutes les exigences imposées par le Règlement sur les aliments et drogues. Que la PDN ait été « nouvelle » , « redéposée » ou identique à celle qui avait été remise au ministre en 1993 est sans importance. Le processus d'examen des PDN est totalement distinct de la procédure de demande d'ordonnance d'interdiction prévue à l'article 6 du Règlement sur les AC. C'est l'avis d'allégation, et non la PDN, qui sous-tend cette dernière procédure; la PDN ne fait pas partie du dossier et ne joue aucun rôle fondamental quant à l'issue de l'instance¼


De la même manière, le contenu d'une PDN à une date quelconque, de quelque façon qu'il ait pu être modifié, est sans rapport avec l'effet essentiel d'une allégation et de toute demande d'ordonnance d'interdiction en cours. Le processus d'approbation des PDN et l'instance visant à obtenir une ordonnance d'interdiction en rapport à une allégation sont tout à fait distincts. Il est vrai que l'allégation doit être jointe à la PDN, mais sa validité relativement à la revendication concernant le médicament lui-même ou relativement à la revendication concernant l'utilisation du médicament n'a besoin d'être liée qu'à la méthode de fabrication proposée pour le médicament décrit dans la PDN avant la délivrance de l'AC¼                       [renvois et texte omis.]

[29]            L'avocat des demanderesses a fait valoir que cette jurisprudence est dépassée depuis les modifications apportées au Règlement[18] qui associent maintenant plus étroitement les procédures d'interdiction en cette Cour aux procédures d'approbation de la présentation de drogue nouvelle devant le ministre. Il fait remarquer que lorsqu'une personne telle que RhoxalPharma a déposé une présentation de drogue nouvelle en alléguant qu'aucune revendication pour un médicament en soi ou pour l'utilisation du médicament ne serait contrefaite si un avis de conformité était délivré, et tel est sûrement le cas ici, cette personne doit signifier aux personnes telles que les demanderesses en l'occurrence un avis de l'allégation « relative » à la présentation déposée, soit au moment du dépôt de la présentation soit par la suite. Lorsqu'une procédure d'interdiction s'ensuit, comme en l'espèce, les personnes qui ont introduit les procédures peuvent, en vertu du paragraphe 6(7) du Règlement, demander à la Cour d'ordonner que la personne qui a signifié l'avis d'allégation produise les extraits pertinents de la présentation de drogue nouvelle ainsi que tout changement apporté à ces extraits au cours de l'instance en interdiction. De plus, la Cour peut enjoindre au ministre de vérifier que les extraits produits correspondent fidèlement aux renseignements figurant dans la présentation de drogue nouvelle.


[30]            L'avocat a fait valoir que les modifications apportées au Règlement prévoient dorénavant clairement qu'il doit y avoir un lien entre les procédures d'interdiction et les procédures de présentation de drogue nouvelle devant le ministre. L'avocat a soutenu que le lien obligatoire rend pertinent et important le contenu de la présentation de drogue nouvelle de RhoxalPharma quant aux effets fondamentaux de son allégation dans toute procédure d'interdiction afférente. L'avocat prétend ainsi qu'il appartient maintenant à la présente Cour, voire qu'il lui incombe, de s'assurer que la présentation de drogue nouvelle de RhoxalPharma sur laquelle se fonde la présente procédure d'interdiction correspond fidèlement à l'avis d'allégation dont la Cour est saisie.

[31]            Encore une fois, je privilégie la thèse de l'avocat de RhoxalPharma. Si les rédacteurs des modifications réglementaires qu'invoquent les demanderesses avaient voulu imposer à la Cour l'obligation de s'assurer de la concordance entre la présentation d'une drogue nouvelle et un avis d'allégation afférent, ils auraient pu le faire de façon beaucoup plus claire et directe. Il convient de faire remarquer que le Règlement modifié n'oblige pas la seconde personne telle RhoxalPharma à déposer sa présentation de drogue nouvelle devant la Cour, et que le pouvoir de la Cour d'ordonner la production d'extraits pertinents d'une présentation de drogue nouvelle est discrétionnaire et non obligatoire lorsqu'une première personne, comme les demanderesses en l'espèce, sollicite une telle production. À mon sens, l'interprétation des modifications réglementaires que l'avocat des demanderesses demande à la Cour de faire sienne certes imaginative, mais elle va trop loin.


[32]            Je suis convaincu que la preuve établit que RhoxalPharma se proposait, à tout moment pertinent, de modifier la monographie de son produit déposée devant le ministre dans le cadre de sa présentation de drogue nouvelle. Je répète que lors de l'audition de la demande, j'ai été avisé officieusement que le ministre a maintenant en main la monographie revisée du produit. Il aurait été préférable qu'un tel avis soit déposé en Cour au moyen d'un affidavit, mais je n'ai aucun motif de douter de la bonne volonté de RhoxalPharma quant à son intention de modifier ainsi sa présentation de drogue nouvelle devant le ministre, ni aucun motif de douter de l'assurance de l'avocat que cette intention est maintenant devenue réalité.

[33]            Je conclus que les demanderesses ne peuvent obtenir gain de cause sur ce motif.

3)         Contrefaçon du brevet '668, soit directe soit par incitation

[34]            Dans AB Hassle c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social)[19], le juge McKeown devait se prononcer sur une requête préliminaire visant à faire rejeter une demande touchant un avis d'allégation à l'égard du même brevet que celui qui est en cause en l'espèce, au motif que la demande était frivole, vexatoire ou constituait un abus de procédure. Il a dit ceci au paragraphe 18 des motifs de son ordonnance :


...Apotex prétend donc que son produit ne sera pas utilisé, entre autres usages, pour le traitement des infections à Campylobacter, sur le fondement qu'elle ne cherche pas à obtenir d'autorisation pour cet usage et que cet usage ne sera pas compris dans son produit. À mon avis, l'autorisation dont fait mention Apotex n'a aucun rapport de fait ou de droit avec l'allégation de non-contrefaçon. Par exemple, le Règlement ne prévoit pas qu'il n'y a pas contrefaçon à l'égard de l' « utilisation » si le producteur du générique ne cherche pas à obtenir une « autorisation » de cet usage. De plus, il est établi que le produit d'oméprazole d'Apotex sera utilisé par les patients pour le traitement des infections à H. pylori, sans égard aux indications autorisées. À mon sens, le Règlement doit certainement prendre en compte l'usage des médicaments par les patients. Aussi, le droit et les faits sur lesquels se fonde Apotex ne me semblent pas justifier, dans les faits, l'allégation de non-contrefaçon.                                            [Non souligné dans l'original.]

[35]            Renvoyant à cet extrait, l'avocat des demanderesses a soutenu que les faits sur lesquels se fonde RhoxalPharma dans son avis d'allégation ne justifient tout simplement pas la conclusion de non-contrefaçon, et que sur cette seule base, les demanderesses devraient obtenir gain de cause.

[36]            À mon avis, c'est dans le cadre d'une analyse de la contrefaçon, soit directement ou par incitation, qu'il convient d'examiner cet argument. J'estime que mon analyse à cet égard sera déterminante.

[37]            Vu l'ensemble de la preuve devant la Cour, je suis convaincu que, si un avis de conformité lui était délivré conformément à sa présentation abrégée de drogue nouvelle modifiée, RhoxalPharma ne contreferait pas directement le brevet '668. Dans les motifs de la décision qu'il a rendue dans l'affaire AB Hassle c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social)[20], après l'audition sur le fond de la demande qui avait fait l'objet d'une requête préliminaire sur laquelle le juge McKeown s'était prononcé dans les motifs précités, le juge O'Keefe a dit aux paragraphes 32 à 36 :


Le brevet 668 ne confère des droits exclusifs d'utilisation de l'oméprazole qu'à l'égard du traitement des infections à Campylobacter. Le brevet 668 ne contient aucune revendication à l'égard du composé chimique de l'oméprazole lui-même et ne contient aucune revendication se rapportant aux préparations pharmaceutiques ou à l'utilisation de l'oméprazole à des fins autres que le traitement des infections à Campylobacter.

La revendication 1 accorde un droit exclusif d'utilisation de l'oméprazole pour la fabrication d'un médicament à des fins de traitement des infections à Campylobacter. En l'espèce, Apotex cherche à obtenir le droit d'utiliser l'oméprazole pour fabriquer un médicament. Toutefois, le médicament fabriqué par Apotex ne relèvera du domaine exclusif du breveté que si ce médicament est fabriqué aux fins de traitement des infections à Campylobacter. Apotex allègue dans l'ADA, que la Cour doit tenir pour véridique, qu'elle ne fabrique pas le médicament à des fins de traitement des infections à Campylobacter. Les demanderesses n'ont pas allégué de façon spécifique que la revendication 1 était directement contrefaite par Apotex, et je suis d'avis qu'elles n'ont pas réussi à fournir la preuve d'une contrefaçon de la revendication 1.

Les demanderesses ont admis qu'Apotex, en tant que société, ne peut utiliser l'oméprazole pour traiter une infection à Campylobacter. Apotex ne contrefait et ne contrefera pas directement la revendication 2.

Les demanderesses soutiennent qu'Apotex contrefera directement la revendication 3, laquelle revendication concerne une préparation pharmaceutique d'oméprazole destinée à être utilisée dans le traitement des infections à Campylobacter. Les demanderesses prétendent qu'il s'agit d'une revendication pour le médicament en soi selon le Règlement sur les ADC. La Cour note que la revendication 3 est limitée par les mots « destinée à être utilisée dans le traitement des infections à Campylobacter » de sorte que les préparations pharmaceutiques d'oméprazole qui ne sont pas utilisées pour le traitement des infections à Campylobacter ne contreferaient pas le brevet 668. Il s'agit d'une limitation et d'une dérogation importante à une revendication absolue pour le médicament.

Pour établir avec succès qu'Apotex contrefait la revendication 3, les demanderesses doivent démontrer, compte tenu de la preuve, qu'Apotex a l'intention de fabriquer et de vendre ladite préparation pharmaceutique pour le traitement des infections à Campylobacter. À mon avis, les demanderesses n'ont pas démontré, vu l'ensemble de la preuve, qu'Apotex entend fabriquer, utiliser ou vendre la préparation pharmaceutique pour le traitement des infections à Campylobacter.       [Non souligné dans l'original.]


[38]            Après avoir cité un extrait de la décision SmithKline Beecham Inc. c. Apotex Inc.[21], le juge O'Keefe a conclu qu'Apotex ne contreferait pas directement le brevet '668 si un avis de conformité lui était délivré. Je souscris au raisonnement du juge O'Keefe et j'arrive à la même conclusion étant donné les faits de la présente espèce.

[39]            Quant à savoir si RhoxalPharma inciterait ou induirait d'autres personnes, particulièrement les médecins, les pharmaciens et les utilisateurs d'oméprazole, à contrefaire le brevet '668, j'estime que c'est là une question beaucoup plus problématique. S'agissant de l'incitation, j'estime que l'intention de RhoxalPharma, qu'évoque le juge O'Keefe dans l'extrait précité, n'est pas pertinente.

[40]            Dans AB Hassle c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), précité, le juge O'Keefe examine particulièrement la question de contrefaçon par le biais de l'incitation. Au paragraphe 51 de ses motifs, il a écrit ceci :

...Cependant, la contrefaçon par quiconque n'est pertinente pour les fins du Règlement sur les ADC que s'il est possible d'établir un lien impliquant la seconde personne [en l'occurrence RhoxalPharma] dans la contrefaçon soit directement, soit indirectement par le biais d'une incitation. [Non souligné dans l'original.]

[41]            L'avocat des demanderesses a soutenu que le juge O'Keefe a en fait formulé un nouveau « critère de lien » pour déterminer la contrefaçon par le biais de l'incitation et que sa référence à la « contrefaçon soit directement, soit indirectement » s'inspirait d'un extrait des motifs du juge Richard, tel était alors son titre, dans Zeneca Pharma Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social)[22], où il a dit à la page 203 :


Toutefois, comme il a été indiqué ci-dessus, Apotex reconnaît que les utilisations pour lesquelles elle demande l'approbation gouvernementale englobent le traitement de l'insuffisance cardiaque globale. En me fondant sur les documents dont je suis saisi, je conclus qu'Apotex a l'intention d'utiliser les comprimés de lisinopril, qui peuvent servir à cette fin, pour le traitement de l'insuffisance cardiaque globale. Il est indifférent qu'un médecin et un pharmacien agissent comme intermédiaires pour prescrire et vendre le médicament au consommateur. L'alinéa 55.2(4)e) de la Loi sur les brevets prévoit spécifiquement l'adoption de règlements régissant la délivrance d'un avis lorsque celle-ci peut avoir pour effet la contrefaçon d'un brevet. Dans ces circonstances, la revendication concernant l'utilisation énoncée dans le brevet 351 serait contrefaite, si ce n'est directement, du moins très certainement indirectement.                    [Non souligné dans l'original.]

[42]            À la lumière des faits dont il était saisi, et ces faits étaient quelque peu semblables aux faits qui m'ont été présentés, le juge O'Keefe a conclu qu'il n'y aurait pas contrefaçon par incitation. Il a estimé que sa conclusion était entièrement compatible avec la conclusion du juge Richard dans Zeneca Pharma, précité. Il a dit ceci aux paragraphes 65 et 66 :

Ce sont les actions et la connaissance de la seconde personne dans l'affaire Zeneca, précitée, qui ont rendu pertinente la question des contrefaçons possibles par des tiers (les patients) dans les instances relatives au Règlement sur les ADC. Le juge Richard a clairement établi ce lien lorsqu'il a écrit : « En me fondant sur les documents dont je suis saisi, je conclus qu'Apotex a l'intention d'utiliser les comprimés de lisinopril, qui peuvent servir à cette fin, pour le traitement de l'insuffisance cardiaque globale » . Bien que le juge Richard n'ait pas, en définitive, qualifié les actions de la seconde personne (Apotex) de contrefaçon directe ou indirecte, ou d'incitation à la contrefaçon, le lien nécessaire entre la seconde personne et la contrefaçon a clairement été établi.

Pour en revenir à la présente espèce, Apotex allègue que sa demande d'approbation ne vise pas une utilisation de l'oméprazole qui est protégée par un brevet. L'ADA n'est pas contredit par la preuve. Le lien entre la seconde personne et la contrefaçon pouvant résulter de la délivrance d'un ADC n'a pas été établi. En outre, je ne crois pas que ma décision et celle du juge Richard entrent en conflit. [Non souligné dans l'original.]

[43]            Compte tenu des faits dont je dispose, j'arrive à une conclusion différente. S'il est effectivement nécessaire qu'il y ait un « lien » entre la seconde personne, en l'occurrence RhoxalPharma, et la contrefaçon, je suis convaincu que ce « lien » a été établi.


[44]            Les « actions » de RhoxalPharma, à savoir la fabrication, la commercialisation et la vente de l'oméprazole, combinées à sa « connaissance » des pratiques des médecins, des pharmaciens et des patients, sont suffisantes pour constituer une incitation à la contrefaçon, même si la preuve dont je dispose ne démontre pas de façon évidente que RhoxalPharma ait « l'intention » d'utiliser ses comprimés d'oméprazole pour le traitement des infections à H. pylori.

[45]            Dans Valmet Oy c. Beloit Canada Ltd.[23], le juge Pratte, au nom de la Cour, dit à la page 15 :

Pour inciter ou amener une autre personne à contrefaire un brevet, on doit faire quelque chose qui conduit cette personne à le faire. Si on ne fait rien, il ne saurait y avoir lieu à incitation...

Quant à savoir si ces propos du juge Pratte supposent l'existence impérative d'un « lien » entre la seconde personne, en l'occurrence RhoxalPharma, et le contrefacteur ultime, en l'occurrence le consommateur de comprimés d'oméprazole, j'estime ne pas avoir à répondre à cette question. À mon avis, ces propos du juge Pratte indiquent que si RhoxalPharma fait quelque chose, ou quoi que ce soit, qui induit ou amène une autre personne à contrefaire, cela suffit pour créer une incitation à la contrefaçon.

[46]            La preuve dont je dispose est très claire. RhoxalPharma sollicite l'approbation du ministre pour faire quelque chose : fabriquer, commercialiser et vendre des comprimés d'oméprazole.


[47]            La preuve établit aussi clairement que ces actions vont mener à tout le moins à la contrefaçon de la troisième revendication du brevet '668. J'accepte la preuve qui m'est soumise selon laquelle l'utilité de l'oméprazole pour le traitement des infections à H. pylori est bien connue des médecins qui le prescrivent, et des pharmaciens qui préparent les ordonnances. Médecins et pharmaciens se fient souvent davantage à leurs connaissances générales qu'aux « indications » d'une monographie de produit. L'oméprazole est un médicament largement prescrit au Canada. RhoxalPharma n'a pas contesté ce fait dans sa preuve ou dans le contre-interrogatoire des témoins des demanderesses.

[48]            La seule absence d'indication pour le traitement des infections à H. pylori dans la monographie du produit de RhoxalPharma n'est pas un argument pertinent. Aux yeux de ceux qui consulteront la monographie du produit, il sera manifeste que RhoxalPharma anticipe la possibilité, et peut-être même la probabilité, de l'utilisation de l'oméprazole en combinaison avec certains antibiotiques. Un témoin de RhoxalPharma a reconnu en contre-interrogatoire qu'à son avis il est correct de dire que l'oméprazole, combiné à l'un ou plusieurs des antibiotiques nommés, est utilisé pour le traitement des infections à H. pylori. Par conséquent, je conclus que RhoxalPharma a « connaissance » de la probabilité, sinon de l'inévitabilité, de la contrefaçon.


[49]            Compte tenu de ce qui précède, je conclus que si le ministre lui délivre un avis de conformité à l'égard des comprimés d'oméprazole, RhoxalPharma va, quelle que soit son intention, faire sciemment quelque chose qui va conduire les médecins à prescrire ses comprimés d'oméprazole, les pharmaciens à préparer des ordonnances soit génériques soit spécifiques pour ses comprimés d'oméprazole, et les patients à utiliser ces comprimés d'une façon qui contrefera le brevet '668, c'est-à-dire pour traiter les infections à H. pylori. En d'autres termes, je suis convaincu que le défaut d'interdire au ministre de lui délivrer un avis de conformité à l'égard des comprimés d'oméprazole conduira inévitablement RhoxalPharma à inciter à la contrefaçon du brevet '668.

4)         Post-scriptum

[50]            Par lettre en date du 10 juillet 2002, l'avocat des demanderesses a attiré l'attention de la Cour sur un arrêt de la Cour d'appel fédérale en date du 8 juillet 2002, Genpharm c. Le ministre de la Santé et la Compagnie pharmaceutique Procter & Gamble Canada, Inc. et The Procter & Gamble Company[24]. Ce jugement a été rendu entre le moment de la rédaction des présents motifs et le moment de leur signature et délivrance. Dans Genpharm Inc., le juge Rothstein, au nom de la Cour, a examiné la question de la contrefaçon par incitation. Il a écrit ce qui suit aux paragraphes 47 à 49 :


Si l'on incorpore les termes de la définition dans le sous-alinéa 5(1)b)(iv), c'est-à-dire « aucune revendication pour l'utilisation du médicament aux fins du diagnostic, du traitement, de l'atténuation ou de la prévention d'une maladie, d'un désordre, d'un état physique anormal, ou de leurs symptômes » , il en ressort que l'utilisation envisagée comprend l'utilisation par les patients. C'est dire qu'il faut envisager l'utilisation par un patient d'un médicament utilisé pour le diagnostic, le traitement, l'atténuation ou la prévention d'une maladie, d'un désordre, d'un état physique anormal, ou de leurs symptômes. Le fait est que les revendications pour l'utilisation visées au sous-alinéa 5(1)b)(iv) envisagent l'utilisation, non seulement par le fabricant de génériques, mais aussi par les patients, et qu'il en résultera la contrefaçon par les patients qui utilisent un médicament vendu par un fabricant de génériques, même sans incitation de la part de ce fabricant.

L'objet du Règlement paraît évident. Si un fabricant de génériques vend un produit et que cela a pour effet la contrefaçon d'un brevet par quiconque utilise le produit, c'est la contrefaçon que le Règlement vise à empêcher. Rien n'exige que le fabricant de génériques ait incité ou amené des patients ou d'autres personnes à contrefaire le brevet.

Pour ce motif, j'estime que, dans le cas de revendications pour l'utilisation, il n'est pas nécessaire que le titulaire d'un brevet établisse que, par ses actions, le fabricant de génériques incitera ou amènera des patients ou d'autres personnes à contrefaire le brevet. Dans la mesure où le fabricant de génériques ne peut établir qu'aucune revendication pour l'utilisation du médicament ne serait contrefaite par des patients ou d'autres personnes par la vente de son produit, il ne satisfera pas au critère du bien-fondé de l'allégation énoncé au paragraphe 6(2) du Règlement et une ordonnance d'interdiction doit être rendue.

[51]            Pour plus de commodité, voici le texte du paragraphe 6(2) du Règlement :


6. (2) Le tribunal rend une ordonnance en vertu du paragraphe (1) à l'égard du brevet visé par une ou plusieurs allégations si elle conclut qu'aucune des allégations n'est fondée.


6. (2)    The court shall make an order pursuant to subsection (1) in respect of a patent that is the subject of one or more allegations if it finds that none of those allegations is justified.


[52]            Il s'agit en l'espèce de revendications touchant l'utilisation. Ainsi, même si je n'ai pas eu l'avantage d'entendre les prétentions des avocats des parties, je m'estime lié par ce passage qui me conduit à tirer, vu les faits, une conclusion au même effet que celle à laquelle je suis arrivé en me fondant sur une analyse de l'incitation, quoiqu'un peu plus directement.                         


[53]            Étant donné qu'il y a une certaine urgence à rendre ma décision et mes motifs, j'ai choisi de ne pas modifier l'analyse sur laquelle ils se fondent. Ainsi, il ne m'apparaît pas nécessaire de consulter les avocats sur une réouverture éventuelle de l'audition pour entendre leurs observations à la lumière de l'arrêt Genpharm. Je suis raisonnablement convaincu que, quelles que soient ces observations, elles ne modifieraient pas le résultat de mon analyse, même si elles pourraient fort bien en modifier la structure.

CONCLUSION

[54]            En conséquence, la Cour rendra, en vertu de l'article 6 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), une ordonnance interdisant au ministre de la Santé de délivrer à la défenderesse RhoxalPharma Inc. un avis de conformité visé par ce Règlement à l'égard des comprimés de 20 mg d'oméprazole, destinés à être administrés par voie orale, avant l'expiration du brevet canadien portant le no 2, 025, 668.


DÉPENS

[55]            Les dépens de la présente demande seront adjugés aux demanderesses, contre RhoxalPharma. Si les parties ne parviennent pas à s'entendre sur les dépens, ces derniers seront taxés selon le barême ordinaire. Aucuns dépens ne seront adjugés en faveur du ministre ou contre lui.

  

             « Frederick E. Gibson »           

                       Juge

Ottawa (Ontario)

12 juillet 2002

     

Traduction certifiée conforme

C. Bélanger, LL.L.

     

                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

    

DOSSIER :                                      T-1447-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :             AB HASSLE ET AL. c. RHOXALPHARMA INC. ET AL.

   

LIEU DE L'AUDIENCE :              VANCOUVER (C.-B.)

DATE DE L'AUDIENCE :            26 JUIN 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE GIBSON

DATE :                                             12 JUILLET 2002

   

ONT COMPARU :

  

GUNARS A. GAIKIS

YOON KAN                                                              POUR LES DEMANDERESSES

MARIE LAFLEUR

ALAIN LECLER                                                        POUR LA DÉFENDERESSE (RHOXAL)

   

AVOCATS AU DOSSIER :          

  

SMART & BIGGAR

TORONTO (ONTARIO)                                        POUR LES DEMANDERESSES

FASKEN, MARTINEAU, DUMOULIN

MONTRÉAL (QUÉBEC)                                        POUR LA DÉFENDERESSE (RHOXAL)



[1]         DORS/93-133, modifié.

[2]         (1997), 74 C.P.R. (3d) 307 (C.F. 1re inst.) p. 314.

[3]       Dossier de la demande des demanderesses, Vol. 1, onglet 2 C, page 41.

[4]       Dossier de la demande des demanderesses, Vol. 1, onglet 2 C, page 43.

[5]         Avis de demande en date du 14 avril 2000, dossier T-691-00. Dossier de la demande des demanderesses, Vol. 1, onglet 2 D, pages 45 à 53.

[6]       Dossier de la demande des demanderesses, Vol. 1, onglet 2 E, page 60, par. 27.

[7]       Dossier de la demande des demanderesses, Vol. 1, onglet 2 G, page 67.

[8]       Dossier de la demande des demanderesses, Vol. 1, onglet 2, pages 16 et 17.

[9]       Dossier de la demande des demanderesses, Vol. 1, onglet 3, pages 102 et 103.

[10]      Dossier de la demande des demanderesses, Vol. 1, onglet 4, page 122.

[11]      Dossier de la demande des demanderesses, Vol. 1, onglet 5, page 140.

[12]      Dossier de la demande des demanderesses, Vol. 1, onglet 5, page 141.

[13]      Dossier de la demande des demanderesses, Vol. 1, onglet 6, pages 231 à 233.

[14]       Voir : Dossier de la demande des demanderesses, onglet 10, paragraphe 61, page 343, et Dossier de la demande RhoxalPharma, page 10, paragraphe 27 D.

[15]       (1998), 82 C.P.R. (3d) 359 (C.F. 1re inst.).

[16]       (1997), 76 C.P.R. (3d) 1 (C.A.F.).

[17]       (1998), 79 C.P.R. (3d) 57, aux paragraphes [42] et [43], p. 72 et 73 (C.F. 1re inst.); confirmé (1999), 3 C.P.R. (4th) 77 (C.A.F.).

[18]       DORS/98-166 et DORS/99-379.

[19]       (2000), 9 C.P.R. (4th) 79 (C.F. 1re inst.).

[20]       (2001), 16 C.P.R. (4th) 21 (C.F. 1re inst). Avis d'appel déposé le 14 décembre 2001 (Dossier A-716-01).

[21]       (1999), 1 C.P.R. (4th) 99 (C.F. 1re inst.).

[22]       (1995), 61 C.P.R. (3d) 190 (C.F. 1re inst.).

[23]       (1988), 20 C.P.R. (3d) 1 (C.A.F.).

[24]       [2002] CAF 290, 8 juillet 2002, no de greffe : A-615-01.

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