Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20040531

Dossier : IMM-3955-03

Référence : 2004 CF 782

Ottawa (Ontario), le 31 mai 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PHELAN

ENTRE :

                                                      GARY ANTHONY CORREIA

                                                                                                                                           demandeur

                                                                             et

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

Aperçu du dossier

[1]                Le présent contrôle judiciaire se rapporte aux droits d'un résident permanent à l'endroit duquel une conclusion selon laquelle il est un « grand criminel » a été tirée dans le processus du « Constat de l'interdiction de territoire » . Plus particulièrement, les questions en litige sont celles de savoir quelles sont les affaires qui peuvent être examinées suivant les articles 44 et 45 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), et comment elles doivent être traitées, de même que la question de savoir si toute entrevue d'un tel résident permanent doit avoir lieu avant que le ministre défère l'affaire à la Section de l'immigration pour enquête.


Question préliminaire

[2]                L'intitulé de l'affaire doit être modifié et le défendeur devra être le solliciteur général du Canada afin de refléter la réorganisation de responsabilités prévue par le Décret C.P. 2003-2061 et le Décret C.P. 2003-2063.

Les faits

[3]                M. Correia est un citoyen de la Guyana âgé de 56 ans qui est résident permanent du Canada depuis 1968. Il a des antécédents d'activités criminelles puisqu'il a été déclaré coupable de huit infractions criminelles. La dernière de ces infractions, l'importation de cocaïne, a entraîné son renvoi du Canada.

[4]                La déclaration de culpabilité suivant le paragraphe 6(1) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances entraîne une possibilité d'emprisonnement à vie. Le demandeur a été condamné à 53 jours d'emprisonnement, déjà purgés, et à vingt-sept mois et demi additionnels.

[5]                Des fonctionnaires de l'immigration ont été mis au courant de la situation du demandeur en matière criminelle et ils ont entamé le processus de renvoi suivant l'article 44 de la Loi.

[6]                Le 7 avril 2003, un agent d'immigration (agent) a établi, suivant le paragraphe 44(1) de la Loi, un rapport selon lequel M. Correia était un résident permanent interdit de territoire en raison de sa grande criminalité conformément à l'alinéa 36(1)a) de la loi (cette Loi?).

[7]                Le lendemain, le 8 avril 2003, le représentant du ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (le représentant), estimant que le rapport était « bien fondé » , a déféré ce rapport à la Section de l'immigration pour enquête.

[8]                En dépit du fait que le rapport ait été déféré à la Section de l'immigration, l'agent a reçu M. Correia en entrevue le 10 avril 2003.

[9]                C'est lors de cette entrevue que le demandeur a d'abord appris qu'il serait expulsé. Le demandeur a témoigné que bien qu'on lui ait permis d'obtenir les services d'un avocat, ce qu'il n'a pas fait, il a été informé que le fait qu'il soit représenté par un avocat ou qu'il présente des observations ne serait pas utile.

[10]            Une mesure de renvoi a été prise par la Section de l'immigration le 12 mai 2003.

[11]            Lors de la présente audience, la Cour a été informée que le demandeur avait déjà été renvoyé.

Les questions en litige

[12]            Le demandeur a soulevé les questions suivantes :

a)          Le défendeur était-il tenu d'examiner les circonstances d'ordre humanitaire avant de déférer le demandeur pour enquête?

b)          Le fait pour le défendeur de déférer le rapport à la Section de l'immigration créait-il une crainte raisonnable de partialité?

c)          Le défendeur a-t-il omis d'énoncer des motifs suffisants pour la décision de déférer le demandeur pour enquête?


Analyse

[13]            Même si le demandeur a été renvoyé du Canada, les questions soulevées ne sont pas théoriques. Si le demandeur devait avoir gain de cause, le défendeur serait tenu de le faire revenir au Canada. Voir décision Poonawalla c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 428.

[14]            Les droits du demandeur lors de chacune des trois étapes du processus de renvoi dépendent de la nature de l'enquête ou des questions à traiter.

[15]            Les dispositions de la Loi qui traitent des renvois qui résultent de l'interdiction de territoire constituent une modification importante au processus de renvoi prévu par l'ancienne Loi sur l'immigration qui permettait l'exercice par les fonctionnaires de l'immigration et par le ministre d'un pouvoir discrétionnaire plus large. C'est particulièrement vrai à l'égard de la « grande criminalité » et de la question de la réhabilitation.

[16]            Les dispositions pertinentes de la Loi, les articles 44 et 45, sont rédigées comme suit :


Rapport d'interdiction de territoire

44. (1) S'il estime que le résident permanent ou l'étranger qui se trouve au Canada est interdit de territoire, l'agent peut établir un rapport circonstancié, qu'il transmet au ministre.

Preparation of report

44. (1) An officer who is of the opinion that a permanent resident or a foreign national who is in Canada is inadmissible may prepare a report setting out the relevant facts, which report shall be transmitted to the Minister.




Suivi

(2) S'il estime le rapport bien fondé, le ministre peut déférer l'affaire à la Section de l'immigration pour enquête, sauf s'il s'agit d'un résident permanent interdit de territoire pour le seul motif qu'il n'a pas respecté l'obligation de résidence ou, dans les circonstances visées par les règlements, d'un étranger; il peut alors prendre une mesure de renvoi.

Referral or removal order

(2) If the Minister is of the opinion that the report is well-founded, the Minister may refer the report to the Immigration Division for an admissibility hearing, except in the case of a permanent resident who is inadmissible solely on the grounds that they have failed to comply with the residency obligation under section 28 and except, in the circumstances prescribed by the regulations, in the case of a foreign national. In those cases, the Minister may make a removal order.Conditions

(3) L'agent ou la Section de l'immigration peut imposer les conditions qu'il estime nécessaires, notamment la remise d'une garantie d'exécution, au résident permanent ou à l'étranger qui fait l'objet d'un rapport ou d'une enquête ou, étant au Canada, d'une mesure de renvoi.

Conditions

(3) An officer or the Immigration Division may impose any conditions, including the payment of a deposit or the posting of a guarantee for compliance with the conditions, that the officer or the Division considers necessary on a permanent resident or a foreign national who is the subject of a report, an admissibility hearing or, being in Canada, a removal order.



Décision

45. Après avoir procédé à une enquête, la Section de l'immigration rend telle des décisions suivantes :

Decision

45. The Immigration Division, at the conclusion of an admissibility hearing, shall make one of the following decisions:

a) reconnaître le droit d'entrer au Canada au citoyen canadien au sens de la Loi sur la citoyenneté, à la personne inscrite comme Indien au sens de la Loi sur les Indiens et au résident permanent;

(a) recognize the right to enter Canada of a Canadian citizen within the meaning of the Citizenship Act, a person registered as an Indian under the Indian Act or a permanent resident;

b) octroyer à l'étranger le statut de résident permanent ou temporaire sur preuve qu'il se conforme à la présente loi;

(b) grant permanent resident status or temporary resident status to a foreign national if it is satisfied that the foreign national meets the requirements of this Act;

c) autoriser le résident permanent ou l'étranger à entrer, avec ou sans conditions, au Canada pour contrôle complémentaire;

(c) authorize a permanent resident or a foreign national, with or without conditions, to enter Canada for further examination; or

d) prendre la mesure de renvoi applicable contre l'étranger non autorisé à entrer au Canada et dont il n'est pas prouvé qu'il n'est pas interdit de territoire, ou contre l'étranger autorisé à y entrer ou le résident permanent sur preuve qu'il est interdit de territoire.

(d) make the applicable removal order against a foreign national who has not been authorized to enter Canada, if it is not satisfied that the foreign national is not inadmissible, or against a foreign national who has been authorized to enter Canada or a permanent resident, if it is satisfied that the foreign national or the permanent resident is inadmissible.


[17]            Suivant la Loi, l'interdiction de territoire englobe des domaines aussi variés que celui de la sécurité, de la grande criminalité, de la criminalité organisée, des motifs sanitaires, des motifs financiers, des fausses déclarations et du manquement à la loi.

[18]            La disposition pertinente de la Loi pour le demandeur en l'espèce est l'alinéa 36(1)a) :


Grande criminalité

36. (1) Emportent interdiction de territoire pour grande criminalité les faits suivants :

a) être déclaré coupable au Canada d'une infraction à une loi fédérale punissable d'un emprisonnement maximal d'au moins dix ans ou d'une infraction à une loi fédérale pour laquelle un emprisonnement de plus de six mois est infligé;

Serious criminality

36. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on grounds of serious criminality for

(a) having been convicted in Canada of an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years, or of an offence under an Act of Parliament for which a term of imprisonment of more than six months has been imposed;


[19]            Le paragraphe 44(1) touche deux actions différentes de l'agent. Premièrement, l'agent peut prendre une décision à l'égard de l'interdiction de territoire puis, deuxièmement, il peut décider s'il établit un rapport.

[20]            La décision d'établir un rapport doit être évaluée en prenant en compte la toile de fond de la section de la Loi qui a comme but le renvoi de certaines personnes du Canada. Le pouvoir discrétionnaire qui consiste à ne pas préparer un rapport doit être extrêmement limité et rare sans quoi il donnerait aux fonctionnaires un pouvoir discrétionnaire d'un niveau que même le ministre responsable n'a pas.

[21]            Peu importe l'étendue de ce pouvoir discrétionnaire dans un cas particulier quant à différents motifs d'interdiction, à l'égard de la grande criminalité, il n'appartient pas à l'agent, par son refus d'émettre son avis, d'effectivement conclure qu'une personne est « admissible » pour un motif qui n'est pas relié à de la grande criminalité.

[22]            Aux fins du rapport établi suivant le paragraphe 44(1), il s'agit d'un rapport réservé aux cas de rapport « circonstancié » . Dans le cas de grande criminalité, ce rapport circonstancié touche aux circonstances qui ont entraîné la déclaration de culpabilité.

[23]            La nature de l'enquête ne touche pas les questions d'ordre humanitaire, de réhabilitation ou d'autres facteurs semblables. Il s'agit d'une enquête très limitée qui est essentiellement une confirmation que la déclaration de culpabilité a effectivement été prononcée. Par la suite, le processus de renvoi est entamé.


[24]            Il peut être fait une distinction entre l'enquête à l'égard de la grande criminalité et celle se rapportant à la criminalité organisée, aux motifs sanitaires ou à une fausse déclaration. Relativement à ces autres motifs d'interdiction de territoire, les fonctionnaires sont tenus de faire une appréciation tant à l'égard des faits qu'à l'égard du droit. Par conséquent, la nature de ces enquêtes est passablement différente de l'enquête très directe à l'égard de la grande criminalité.

[25]            Bien que l'arrêt de la Cour d'appel fédérale Kindles c. MacDonald, [1987] 3 C.F. 34, soit un peu moins pertinent compte tenu de la nouvelle disposition de la Loi, l'analyse de base du processus demeure pertinente dans le contexte de la grande criminalité. Comme la Cour d'appel fédérale a mentionné, l'enquête est purement factuelle et administrative par sa nature.

[26]            Une comparaison des dispositions pertinentes de l'ancienne Loi sur l'immigration et de celles de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés révèle encore plus que le législateur avait l'intention de réduire le nombre de questions devant être examinées par des fonctionnaires et de limiter les domaines pour lesquels le résident permanent peut demander réparation.

[27]            Étant donné que l'interdiction de territoire pour raison de grande criminalité suivant le paragraphe 44(1) est fondée sur la déclaration de culpabilité et sur la sentence elle-même, l'opinion de l'agent est de la même façon limitée à l'obtention des renseignements démontrant que la déclaration de culpabilité et la sentence ont été prononcées. Les faits du « rapport circonstancié » dans le contexte du rapport au ministre ou au représentant sont l'existence de la déclaration de culpabilité et la durée de la sentence.

[28]            Par conséquent, l'agent n'avait pas compétence pour examiner les questions d'ordre humanitaire lorsqu'il a préparé son rapport.

[29]            De la même façon, le représentant, lorsqu'il détermine si le rapport est « bien fondé » , est limité dans son examen aux faits pertinents de la déclaration de culpabilité et de la sentence.

[30]            Il n'a été invoqué aucun motif qui aurait justifié que le ministre ou le représentant n'ait pas déféré le rapport à la Section de l'immigration. L'exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre n'a pas pour effet que soit effectué un examen des raisons d'ordre humanitaire, comme l'a confirmé la Cour d'appel fédérale.

[31]            En disant cela, je ne déclare pas qu'il n'existe pas des circonstances qui pourraient être pertinentes à l'exercice par le ministre de son pouvoir discrétionnaire de ne pas déférer le rapport à la Section de l'immigration. Cependant, il n'y en a pas en l'espèce.

[32]            Pour les mêmes motifs, le fait de déférer le rapport ne créait pas une crainte raisonnable de partialité. Les faits étaient simples, clairs et ne donnaient pas lieu à un débat.

[33]            Compte tenu de la nature limitée de l'enquête devant être effectuée, les motifs énoncés sont plus qu'appropriés pour que le demandeur sache sur quoi était fondée la décision.

[34]            Finalement, il est nécessaire de faire des commentaires à l'égard d'un aspect du processus, soit l'entrevue. Cette entrevue a été tenue après qu'eut été rendue la décision de déférer le rapport à la Section de l'immigration. Il est difficile de voir quel était le but de l'entrevue autre que celui d'informer le demandeur de ce qui l'attendait.

[35]            Si une entrevue doit être tenue, si un droit d'obtenir une telle entrevue existe, elle devrait être tenue après que le rapport est transmis au ministre, mais avant que soit prise la décision de le déférer.


[36]            Il s'agit de l'un de ces cas rares dans lesquels il y a eu un manquement à la procédure en matière d'équité, mais dans lesquels la réparation ne devrait pas être l'annulation de la décision. Le demandeur a été incapable d'avancer les faits pertinents qui auraient pu être soumis au représentant afin de modifier de quelque façon la décision de déférer le rapport. Il ne sert à rien de répéter le processus pour arriver au même résultat. Il est injuste pour les deux parties qu'il soit ordonné une répétition du processus de renvoi. Agir ainsi ne ferait que permettre que la forme l'emporte sur le contenu.

[37]            Les directives pertinentes qui traitent de cet aspect du processus de renvoi devraient être revues afin de s'assurer qu'elles reflètent les modifications apportées à la Loi.

[38]            Bien que les directives ne créent pas de droits fondamentaux, le gouvernement les met à la disposition du public probablement afin qu'il puisse s'y appuyer dans une certaine mesure. Le gouvernement peut très bien être tenu responsable d'une certaine façon si, sans raison valable, les directives ne sont pas suivies.

[39]            Par conséquent, malgré les excellentes observations présentées par l'avocat du demandeur, la présente demande sera rejetée.

[40]            Aucune observation n'a été présentée à l'égard de la certification d'une question et compte tenu des faits particuliers de l'affaire, je conclus qu'aucune question ne sera certifiée.


                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE PAR LA PRÉSENTE :

1.          Le défendeur est le solliciteur général du Canada.

2.          La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

3.          Aucune question n'est certifiée.

                                                                                                                           _ Michael L. Phelan _            

                                                                                                                                                     Juge                         

Traduction certifiée conforme

Danièle Laberge, LL.L.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                 IMM-3955-03

INTITULÉ :                                                                GARY ANTHONY CORREIA

c.

M.C.I.

LIEU DE L'AUDIENCE :                                          TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                                        LE 19 AVRIL 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                                LE JUGE PHELAN

DATE DES MOTIFS :                                               LE 31 MAI 2004

COMPARUTIONS :

Joel Sandaluk                                                                POUR LE DEMANDEUR

Deborah Drukarsh                                                         POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mamann & Associates                                                   POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.