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Date : 20030626

Dossier : IMM-4535-02

Référence : 2003 CFPI 803

Québec (Québec), le 26 juin 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLAIS

ENTRE :

                                               MOSEYAB NAZARI NOKHODCHARI

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                              - et -

                                               LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                           ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire concernant la décision de la Section d'appel de l'immigration [la SAI] de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié [la Commission], datée du 14 août 2002, portant que Moseyab Nazari Nokhodchari [le demandeur] était une personne visée au paragraphe 64(1) et à l'article 196 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés [LIPR] qui n'avait pas obtenu la suspension de l'exécution d'une mesure d'expulsion aux termes de la Loi sur l'immigration [l'ancienne Loi] avant le 28 juin 2002, et qu'il avait par conséquent été mis fin à son appel devant la SAI, par l'effet de la loi.

LES FAITS

[2]                 Le demandeur est un citoyen iranien, né à Téhéran le 23 mai 1955.

[3]                 Le demandeur est arrivé à l'aéroport international Pearson de Toronto le 4 novembre 1993. Le demandeur a alors revendiqué le statut de réfugié pour le motif qu'il craignait « avec raison d'être persécuté en Iran du fait de ses opinions politiques, telles que manifestées dans ses activités au sein de la People's Mujaheddin Organization of Iran, y compris dans son armée de libération nationale, opinions qui s'opposent à celles du gouvernement islamique fondamentaliste de l'Iran » . Le demandeur craignait « les agents de persécution relevant directement du gouvernement iranien » et n'était donc pas en mesure de réclamer la protection de son pays d'origine. Le demandeur soutenait que la persécution dont il serait l'objet s'il revenait en Iran prendrait la forme d'une exécution. (Dossier du demandeur, onglet 3, page 69)

[4]                 Le 29 avril 1994, le demandeur a obtenu le statut de réfugié au sens de la Convention. Le 27 mai 1994, le demandeur a présenté une demande d'établissement permanent.


[5]                 Le 6 septembre 2000, un rapport a été préparé conformément à l'article 27 de l'ancienne Loi dans lequel il était allégué que le demandeur était membre d'une catégorie de personnes non admissibles. Une directive prévoyant la tenue d'une enquête a été donnée le 8 septembre 2000. L'enquête a été reportée pour permettre au demandeur de demander au ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration [le ministre] s'il estimait que son admission au Canada ne serait pas contraire à l'intérêt national. Le ministre a rendu son opinion le 12 juillet 2001 et a déclaré qu'il n'était pas convaincu que l'admission du demandeur au Canada ne serait pas contraire à l'intérêt national.

[6]                 Le 26 juin 2002, la Commission a décidé, sous la plume de l'arbitre Marc Tessler, que le demandeur faisait partie d'une catégorie de personnes non admissibles aux termes de la division 19(1)f)(iii)(B) de l'ancienne Loi, à titre de personne pour laquelle il existe des motifs raisonnables de croire qu'elle commet ou a commis des actes de terrorisme, pour les raisons suivantes :

-          À l'automne de l'année 1980, le demandeur a commencé d'appuyer la People's Mujaheddin Organization of Iran [le Mujaheddin];

-          le demandeur a participé à des réunions et à des manifestations et il a réuni des fonds pour l'organisation;

-          en 1981, il a cessé ses activités reliées au Mujaheddin;

-          à cause des souffrances dont il avait souffert lui-même ainsi que les gens de son entourage, le demandeur est devenu membre de l'armée de libération nationale du Mujaheddin qui se constituait en Iraq : vers le mois de juin 1986, il a participé sous son vrai nom à des émissions de radio et de télévision, la voix du Mujaheddin, qui pouvaient être entendues et vues en Iran; il a participé à des combats armés contre l'armée iranienne, tant dans des opérations offensives que défensives;

-          en janvier 1991, alors qu'il se trouvait en Iraq, il a informé le Mujaheddin qu'il quittait cette organisation, ce qu'il fit en restant en bon terme avec ce groupe;


-          la Commission a jugé que le demandeur avait été membre du Mujaheddin pendant une des périodes au cours de laquelle cette organisation avait commis un grand nombre d'actes de terrorisme, même s'il n'existe aucun élément indiquant qu'il ait personnellement participé à des actes de violence au cours de cette période;

-          la Commission a jugé qu'il n'était pas nécessaire que la personne en question ait effectivement commis des actes de terrorisme, puisque, selon la division 19(1)f)(iii)(B) de l'ancienne Loi, le seul fait d'avoir été membre d'un tel organisme suffit.

Le même jour, une mesure d'expulsion a été prise par M. Tessler.

[7]                 Le 27 juin 2002, le demandeur a déposé un appel devant la SAI. Le 28 juin 2002, la LIPR est entrée en vigueur.

[8]                 Le 14 août 2002, M.J. Mbaruk, l'agent de gestion des cas de la SAI, a informé le demandeur qu'à la suite de changements apportés à la loi, il était mis fin à son appel aux termes de l'article 196 de la LIPR et que son dossier était par conséquent classé. C'est cette dernière décision qui fait l'objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

QUESTIONS EN LITIGE

[9]                 1.          La SAI a-t-elle commis une erreur de droit lorsqu'elle a conclu que l'article 196 de la LIPR avait pour effet d'éteindre le droit d'appel qu'accorde au demandeur l'article 192 de la LIPR?

2.          Les faits de l'affaire sont-ils visés par l'article 7 de la Charte, et le cas échéant, le rejet de l'appel du demandeur a-t-il entraîné une violation des principes de justice fondamentale énoncés dans cet article?


ANALYSE

[10]            Les deux parties ont cité la décision qu'a rendue récemment le juge Snider dans l'affaire Olga Medovarski c. MCI, 2003 CFPI 634 [Medovarski]. J'ai examiné avec attention cette décision et les documents fournis par les parties.

[11]            Certains aspects de la présente espèce ressemblent à ceux de l'affaire Medovarski, précitée, mais il demeure des différences importantes. Le juge Snider a déclaré :

[paragr. 29] Je ne disconviens pas de l'analyse que fait le défendeur de l'intention qui se dégage du cadre législatif dans son ensemble; il y a une intention manifeste de limiter les droits des criminels qui ont été condamnés. L'alinéa 3(1)I) ne peut être plus clair quand il indique que l'un des objectifs de la LIPR est d'interdire « [le] territoire aux personnes qui sont des criminels » . Toutefois, cette analyse a pour effet d'éluder une discussion de trois facteurs importants que j'estime significatifs dans le règlement de la présente question :

1.              la disposition en question fait partie des dispositions transitoires de la LIPR;

2.              le comportement des parties, avant l'entrée en vigueur de la LIPR, n'est pas compatible avec l'interprétation du défendeur; et

3.              la demanderesse a des droits spéciaux ou « acquis » .

[12]            En fait, le juge Snider a clairement mentionné au début de ses motifs qu'elle souscrivait à l'analyse qu'avait faite le défendeur de l'intention qui se dégage du cadre législatif, à savoir qu'il existe « une intention manifeste de limiter les droits des criminels qui ont été condamnés » . [Non souligné dans l'original]

[13]            Plus loin, dans le même paragraphe, elle semble expliquer que l'intention clairement énoncée à l'alinéa 3(1)l) de la LIPR doit être examinée à la lumière de trois importants facteurs, qui sont énumérés à la fin du paragraphe ci-dessus.

[14]            Le premier facteur, sur lequel je n'ai pas de commentaire particulier à faire, est que la disposition en question fait partie des dispositions transitoires de la LIPR.

[15]            Le troisième facteur mentionné est que « la demanderesse a des droits spéciaux ou "acquis" » . Le défendeur soutient qu'il n'existe pas en droit un droit acquis à interjeter appel et se fonde sur la décision Athwal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 C.F. 489, [1997] A.C.F. n ° 1183 [Athwal], dans laquelle le juge Robertson a déclaré :

[paragr. 12] La disposition transitoire prévoit des situations où un arbitre avait pris une mesure d'expulsion en application des articles 27 et 32 de la Loi et un appel a été déposé à la SAI antérieurement à l'entrée en vigueur de l'alinéa 70(5)c) le 10 juillet 1995. [Je fais remarquer que le juge des requêtes a énoncé par erreur que la date pertinente était le 10 juillet 1996.] Dans de telles circonstances, une personne n'a pas le droit d'appel acquis à moins que l'audition de son appel n'ait commencé au plus tard à cette date.

[16]            Il me semble que, d'après la décision de la Cour d'appel fédérale, la Cour doit être convaincue que l'instruction de l'appel a commencé le 28 juin 2002, au plus tard, avant de pouvoir conclure que le demandeur possède un droit d'appel qui lui est acquis; ce n'est pas ce que démontrent les preuves présentées au tribunal.


[17]            Le deuxième facteur mentionné par le juge Snider est le comportement des parties. Elle a déclaré que la LIPR est entrée en vigueur le 28 juin 2002, mais qu'elle a reçu la sanction royale le 1er novembre 2001. Le juge Snider a également mentionné que les parties connaissaient les dispositions de cette loi bien avant son entrée en vigueur.

[18]            Dans Medovarski, précitée, l'appel avait été interjeté en novembre 2001, après que la LIPR ait reçu la sanction royale et le 24 avril 2002, la demanderesse recevait un avis de comparution lui indiquant que son appel serait entendu le 26 septembre 2002. Le juge Snider a conclu que le comportement des parties ne pouvait s'expliquer que si le défendeur avait interprété l'article 196 de la LIPR comme s'il ne s'appliquait pas à la demanderesse.

[19]            Dans la présente espèce, l'audience a eu lieu le 18 juin 2002, soit dix jours avant l'entrée en vigueur de la LIPR. L'avocat du demandeur a déclaré ce qui suit :

[traduction] AVOCAT : Voilà donc mes observations. Je demanderais - et je sais que de nombreuses preuves vous ont été présentées. Cependant, il y a une nouvelle loi qui entre en vigueur le 28 juin. En cas de décision négative et si M. Nazari ne dépose pas son appel - son avis d'appel avant cette date, il lui sera impossible d'interjeter appel à cause de cet article, compte tenu de l'entrée en vigueur de la LIPR.

ARBITRE : N'y a-t-il pas de dispositions transitoires?

AVOCAT : Les dispositions transitoires énoncent pour l'essentiel que tout va bien si l'avis d'appel a été déposé avant le 28 juin. Si ce n'est pas le cas, lorsqu'il y a des allégations de terrorisme, cela n'est plus possible. Dans les circonstances, nous vous demandons de tenir compte de cet aspect pour ce qui est du moment où vous rendrez votre décision.

ARBITRE : Très bien. Alors, donc, très bien. Y a-t-il d'autres observations? M. Tucci, souhaitez-vous répondre à cela?

[20]            Plus loin dans la transcription, à la page 29, l'arbitre a déclaré :


[traduction] Oh, très bien. Je vais prendre la décision en délibéré. Je sais que la nouvelle loi soulève certaines préoccupations. Je ne suis pas certain d'être en mesure de fournir les motifs avant le 28; je pense cependant être en mesure de rendre une décision d'ici là, si celle-ci n'est pas en faveur de votre client, je pourrais alors prendre une mesure d'expulsion et vous pourrez interjeter appel, mais vous serez peut-être obligé d'attendre les motifs.

[21]            Dans sa décision datée du 26 juin 2002, la Commission a ordonné que le demandeur soit expulsé du Canada. Voici comment se lit le dernier paragraphe de cette décision :

[traduction] Il est possible que M. Nazari Nokhodchari ait le droit d'interjeter appel devant la Section d'appel de l'immigration à titre de personne ayant obtenu le statut de réfugié au sens de la Convention au Canada. Un formulaire d'avis d'appel a été joint à la décision et devrait être transmis à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié le plus rapidement possible.

[Non souligné dans l'original]

[22]            Le lendemain, le 27 juin, le demandeur a déposé un avis d'appel et la LIPR est entrée en vigueur le 28 juin 2002. Le temps a joué un rôle important dans ces deux affaires, mais j'estime qu'il y a une différence entre le comportement des parties. En l'espèce, la période en cause était très courte. Il semble que la Commission ait rendu sa décision deux jours avant la date d'entrée en vigueur de la loi (28 juin 2002) et ait déclaré que le demandeur avait peut-être un droit d'appel. Cette affirmation ne suffit pas à lui attribuer un droit d'appel.

[23]            En l'espèce, la date de l'audition n'avait pas encore été fixée et il n'y a pas eu de période au cours de laquelle les parties ont été inactives, en particulier le défendeur, comme c'était le cas dans Medovarski, précitée.

[24]            Compte tenu du fait que seul l'avis d'appel avait été déposé, et en nous basant sur les critères établis dans l'arrêt Athwal, précité, il m'est difficile de conclure que l'audition de l'appel du demandeur avait commencé. Comme le juge l'a mentionné dans Medovarski, précitée :

[paragr. 34] Il convient de souligner que cela n'a aucun effet sur l'application des dispositions non transitoires ou des objectifs de la LIPR dans son ensemble. Cela ne signifie pas non plus que le législateur ne pouvait pas supprimer le droit d'appel à la Section d'appel; toutefois, si le législateur souhaite supprimer ce droit, il doit le faire le plus clairement possible.

[25]            Je souscris totalement à cette observation. En fait, le législateur a le droit de supprimer le droit d'appel devant la SAI. L'article 192 énonce ce qui suit :


192. S'il y a eu dépôt d'une demande d'appel à la Section d'appel de l'immigration, à l'entrée en vigueur du présent article, l'appel est continué sous le régime de l'ancienne loi, par la Section d'appel de l'immigration de la Commission.

192. If a notice of appeal has been filed with the Immigration Appeal Division immediately before the coming into force of this section, the appeal shall be continued under the former Act by the Immigration Appeal Division of the Board.


[26]            L'article 196 de la LIPR introduit une exception à l'article 192. Il se lit :


196. Malgré l'article 192, il est mis fin à l'affaire portée en appel devant la Section d'appel de l'immigration si l'intéressé est, alors qu'il ne fait pas l'objet d'un sursis au titre de l'ancienne loi, visé par la restriction du droit d'appel prévue par l'article 64 de la présente loi.

196. Despite section 192, an appeal made to the Immigration Appeal Division before the coming into force of this section shall be discontinued if the appellant has not been granted a stay under the former Act and the appeal could not have been made because of section 64 of this Act.


[27]            L'article 64 de la LIPR fait référence au cas où il n'y a pas appel :



64. (1) L'appel ne peut être interjeté par le résident permanent ou l'étranger qui est interdit de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux, grande criminalité ou criminalité organisée, ni par dans le cas de l'étranger, son répondant.


[28]            Il faut interpréter ensemble ces trois articles. L'article 192 énonce que l'appel est continué sous le régime de l'ancienne Loi, mais l'article 196 énonce clairement que « malgré l'article 192 » , il est mis fin à l'appel si l'appelant n'a pas fait l'objet d'un sursis à cause de l'article 64, qui interdit l'octroi d'un sursis dans le cas de l'appelant. [non souligné dans l'original] Ces dispositions sont très claires.

[29]            On peut approuver ou non l'intention qu'a eu le Parlement d'inclure ces dispositions, qui peuvent être interprétées comme si elles privaient quelqu'un d'un droit. Je suis néanmoins convaincu que la Cour d'appel fédérale a résolu cette question dans l'arrêt Athwal, précité. La Cour a jugé dans Medovarski, précitée :

[paragr. 48] Par conséquent, je conclus que le mot « sursis » utilisé à l'article 196 de la LIPR envisage un sursis qui a été accordé du fait de l'alinéa 49(1)b) de l'ancienne Loi. Ma décision en l'espèce ne décide pas de la question de savoir si le législateur pourrait, par des modifications législatives, supprimer le droit d'appel de la demanderesse et d'autres personnes se trouvant dans sa situation; elle indique seulement que le législateur n'a pas pris cette décision à l'égard de la demanderesse.

[30]            D'après ce que je comprends de l'observation qui précède, le juge Snider n'a pas déclaré que l'article 196 de la LIPR n'était pas applicable et que le législateur ne pouvait jamais supprimer un droit d'appel. Il me semble qu'elle a en fait reconnu que son interprétation de l'article 196 n'avait pas pour effet de supprimer le droit d'appel dans l'affaire dont elle était saisie, mais que sa conclusion pourrait être différente si les circonstances étaient différentes. J'estime que l'affaire qui m'est soumise en est une où le législateur a clairement supprimé le droit d'appel du demandeur.


[31]            Le demandeur a soulevé un argument fondé sur la Charte, et soutient que la suppression d'un droit d'appel a pour effet de déclencher l'application de l'article 7. L'article 7 de la Charte énonce ce qui suit :


Chacun a droit à la vie, à la liberté, à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale.

Everyone has the right to life, liberty and security of the person and the right not to be deprived thereof except in accordance with the principles of fundamental justice.


[32]            En bref, le demandeur affirme que le fait que ces deux appels aient été supprimés lui permet d'invoquer l'article 7 de la Charte. Il soutient qu'un appel qui risque de déboucher sur la prise d'une mesure d'expulsion à son endroit [le demandeur] et qui risque ainsi d'être renvoyé dans le pays où il a été persécuté met en jeu les droits reconnus à l'article 7.

[33]            Comme l'ont suggéré les deux parties, l'analyse prévue par l'article 7 comporte deux étapes. Avant de déterminer si les droits que l'article 7 reconnaît au demandeur ont été restreints en violation des principes de justice fondamentale, il faut d'abord démontrer que la suppression législative de cet appel est visée par l'article 7 de la Charte. Par conséquent, avant d'examiner l'article 7, il faut d'abord décider s'il a été porté atteinte au droit à la vie, la liberté et la sécurité de la personne. Si ce n'est pas le cas, il n'est pas nécessaire de poursuivre l'analyse.

[34]            Dans R. c. Beare, [1988] 2 R.C.S. 387, à la page 401, le juge La Forest a déclaré :


L'article 7 de la Charte

   L'analyse de l'art. 7 de la Charte se fait en deux temps. Pour que l'article puisse entrer en jeu, il faut constater d'abord qu'il a été porté atteinte au droit « à la vie, à la liberté et à la sécurité [d'une] personne » et, en second lieu, que cette atteinte est contraire aux principes de justice fondamentale. Comme d'autres dispositions de la Charte, l'art. 7 doit être interprété en fonction des intérêts qu'il est censé protéger. Il doit recevoir une interprétation généreuse, mais il est important de ne pas outrepasser le but réel du droit en question; voir R. c. Big M. Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295, à la p. 344.

[35]            En l'espèce, je reconnais avec le défendeur que la question n'est pas de savoir si l'expulsion déclenche l'application de l'article 7 de la Charte mais plutôt si la suppression, par voie législative, d'un appel prévu devant la SAI déclenche l'application de l'article 7. Dans Williams c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] 2 CAF 646 (C.A.), à la page 665, la Cour d'appel fédérale a déclaré :

Premièrement, pour les motifs exposés plus haut, je ne suis pas disposé à présumer qu'un avis donné en vertu du paragraphe 70(5) devrait être assimilé à une mesure d'expulsion. Au pire, l'avis remplace un appel sur le droit et les faits par un contrôle judiciaire, remplace le pouvoir discrétionnaire de la section d'appel par le pouvoir discrétionnaire dont le ministre est investi d'accorder une dispense pour des raisons d'ordre humanitaire et remplace la certitude d'un sursis d'exécution d'origine législative par l'éventualité d'un sursis d'exécution judiciaire.

Deuxièmement, même en acceptant la prémisse du juge des requêtes selon laquelle c'est l'avis du ministre qui est la cause de l'expulsion de M. Williams, je ne suis pas convaincu que cela fait intervenir un droit à la « liberté » ou à la « sécurité de la personne » prévu à l'article 7 de la Charte.

Il est nécessaire d'établir une distinction entre la présente espèce et des affaires comme l'arrêt Singh et autres c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration dans lequel trois des six juges ont statué que l'article 7 entrait en jeu dans le règlement d'une revendication du statut de réfugié. Le fait qu'un revendicateur du statut de réfugié risque d'être renvoyé dans un pays dans lequel il serait, selon lui, menacé de mort ou d'emprisonnement a été fondamental pour parvenir à cette conclusion. En l'espèce, M. Williams n'a pas laissé entendre qu'il ne peut pas retourner en Jamaïque en toute sécurité, même s'il préférerait ne pas y retourner.

...


Sans prétendre trancher la question à l'égard des réfugiés, j'ai du mal à comprendre comment on peut considérer que le refus d'accorder une dispense discrétionnaire de l'exécution d'une mesure d'expulsion légale prise contre un non-réfugié auquel la loi ne reconnaît pas le droit d'être au Canada entraîne une perte de liberté. À moins de considérer que la « liberté » comprend la liberté d'être partout où l'on veut, sans égard à la loi, comment l'exécution légale d'une mesure d'expulsion peut-elle faire perdre cette liberté?

[36]            Comme cela a été mentionné à l'audience, le défendeur admet que les intérêts protégés par l'article 7 peuvent être en jeu dans un cas d'expulsion, dans certaines circonstances, comme dans le cas de l'expulsion d'une personne vers un pays où celle-ci a démontré qu'elle sera apparemment victime de persécution ou de torture. Dans le cas présent, la décision du tribunal n'entraînerait pas l'expulsion du demandeur, parce qu'il a été reconnu qu'il avait le statut de réfugié. En fait, avant de l'expulser, il doit passer par une autre étape, à savoir l'évaluation du risque préalable à l'expulsion. Par conséquent, il semble que le demandeur n'ait pas épuisé toutes les voies de recours.

[37]            Je conclus qu'il n'y a pas eu violation des principes de justice fondamentale et que le droit d'appel du demandeur n'était aucunement garanti par la Constitution. La jurisprudence est constante sur ce point. Dans Casiano c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1996] A.C.F. n ° 1199 (1re inst.), le juge Dubé a déclaré :

[paragr. 7] ... la décision du ministre de supprimer rétroactivement les droits d'appel du requérant devant la section d'appel de l'immigration ne porte pas atteinte aux droits du requérant qui lui sont garantis par la Charte. Il a été statué à plusieurs reprises qu'il n'y a pas de droit d'appel garanti par la Constitution. La question a été correctement énoncée par le juge La Forest, de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Kourtessis c. M.R.N. [1993] 2 R.C.S. 53, à la page 70, où il conclut dans les termes suivants :

Toutefois, il demeure qu'il n'existe pas de droit d'appel sur une question sauf si le législateur compétent l'a prévu.

(Voir également Chiarelli c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 R.C.S. 711.)


[38]            J'ai examiné la jurisprudence applicable et je ne vois aucun élément qui justifierait de s'écarter de cette jurisprudence constante. Je conclus, par conséquent, que les droits protégés par l'article 7 de la Charte ne sont pas en jeu en l'espèce.

CONCLUSION

[39]            Compte tenu de ce qui précède, je conclus qu'il ne peut être fait droit à la présente demande de contrôle judiciaire. Les parties ont convenu de demander la certification de deux questions :

1.          Le mot « sursis » utilisé à l'article 196 de la LIPR envisage-t-il un sursis qui a été accordé en vertu de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 par suite de l'application de l'alinéa 49(1)b)?

2.          L'article 7 de la Charte trouve-t-il application d'après les faits de l'espèce et, dans l'affirmative, le rejet de l'appel du demandeur a-t-il entraîné une violation des principes de justice fondamentale?

[40]            J'ai examiné ces deux questions ainsi que les documents fournis par les parties, notamment l'arrêt Medovarski, précité. Pour ce qui est de la seconde question, je n'ai aucune hésitation à conclure que cette question n'est pas de portée générale et ne sera donc pas certifiée.

[41]            J'ai examiné la première question à la lumière de Medovarski, précitée. Dans cette décision, le juge Snider a déclaré :

[paragr. 48] Par conséquent, je conclus que le mot « sursis » utilisé à l'article 196 de la LIPR envisage un sursis qui a été accordé du fait de l'alinéa 49(1)b) de l'ancienne Loi. Ma décision en l'espèce ne décide pas de la question de savoir si le législateur pourrait, par des modifications législatives, supprimer le droit d'appel de la demanderesse et d'autres personnes se trouvant dans sa situation; elle indique seulement que le législateur n'a pas pris cette décision à l'égard de la demanderesse.

[Non souligné dans l'original]


[42]            Étant donné que l'interprétation qui a été faite de l'article 196 dans Medovarski, précité, est différente de celle qui nous préoccupe ici, j'estime qu'en l'espèce le législateur avait le pouvoir de supprimer le droit d'appel du demandeur.

[43]            Par conséquent, la première question n'est pas une question de portée générale.

                                           ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

          1.        La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

          2.        Aucune question n'est certifiée.

                                                                                          « Pierre Blais »             

                                                                                                             Juge                       

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                 IMM-4535-02

INTITULÉ :              Moseyab Nazari Nokhodchari c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Vancouver (C.-B.)

DATE DE L'AUDIENCE :                              le 5 juin 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                      Monsieur le juge Blais

DATE DES MOTIFS :                                     le 26 juin 2003

COMPARUTIONS :

Robert J. Kincaid                                           POUR LE DEMANDEUR

Sandra Weafer                                               POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Robert J. Kincaid Law Corporation                    POUR LE DEMANDEUR

Vancouver (C.-B.)

Ministère de la Justice                                    POUR LE DÉFENDEUR

Vancouver (C.-B)


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