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                                                                                                                                           T-2491-95

 

OTTAWA (ONTARIO), le lundi 10 mars 1997

 

EN PRÉSENCE du juge Allan Lutfy

 

ENTRE :

 

                                                   SKYDOME CORPORATION,

 

                                                                                                                                            appelante,

 

                                                                          - et -

 

 

                                       TORONTO HEART INDUSTRIES LTD., et

                            LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE,

 

                                                                                                                                                intimés.

 

 

                                                                   JUGEMENT

 

 

            À la suite d'un appel interjeté sous le régime de l'article 56 de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13, d'une décision du registraire des marques de commerce rendue le 28 septembre 1995 et rejetant la demande d'enregistrement de la marque de commerce WHERE THE WORLD COMES TO PLAY de l'appelante à l'égard de certaines marchandises.

 

LA COUR STATUE QUE :

            1.L'appel est accueilli.

            2.La décision du registraire des marques de commerce rendue le 28 septembre 1995 est annulée à l'égard des marchandises pour lesquelles l'enregistrement a été refusé.   L'affaire est renvoyée au registraire pour qu'il rende une nouvelle décision faisant intégralement droit à la demande d'enregistrement de la marque de commerce WHERE THE WORLD COMES TO PLAY produite sous le numéro 593 961.

            3.Il n'y a aucune adjudication des dépens.

 

                                                                                   Allan Lutfy                              

                                                            Juge      

 

 

Traduction certifiée conforme                                                                        

                                                            Raymond Trempe, B.C.L.


 

 

                                                                                                                               T-2491-95

 

                                         COUR FÉDÉRALE DU CANADA

 

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

 

AFFAIRE INTÉRESSANT la demande d'enregistrement no 593 961 de la marque de commerce WHERE THE WORLD COMES TO PLAY produite le 22 octobre 1987, SkyDome Corporation (auparavant Stadium Acquisition Inc.  et cessionnaire de Stadium Corporation of Ontario Limited)

 

 

ENTRE :

 

                                             SKYDOME CORPORATION,

 

                                                                                                                                appelante,

 

 

                                                                    - et -

 

 

 

                                 TORONTO HEART INDUSTRIES LTD., et

                      LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE,

 

                                                                                                                                    intimés.

 

 

                                                 MOTIFS DU JUGEMENT

 

 

 

LE JUGE LUTFY:

 

            Le présent appel a été interjeté sous le régime de l'article 56 de la Loi sur les marques de commerce[1] (la «Loi») d'une décision du registraire des marques de commerce (le «registraire») rendue le 28 septembre 1995 et rejetant la demande d'enregistrement de la marque de commerce WHERE THE WORLD COMES TO PLAY de l'appelante à l'égard de certaines marchandises.

 

            La demande d'enregistrement de la marque de commerce WHERE THE WORLD COMES TO PLAY a été produite le 22 octobre 1987.  Elle était fondée sur l'emploi projeté au Canada à l’égard d'une longue liste de marchandises incluant divers jouets, jeux, aliments, boissons, accessoires pour jeunes enfants, articles de sport, matériels récréatifs, vêtements, articles chaussants, fournitures, bagages, articles de voyage, souvenirs et bijoux, de même que des services liés à l'exploitation d'un stade, d'un complexe de divertissement, d'un hôtel et d'un restaurant.  La demande a été publiée dans le Journal des marques de commerce, le 18 juillet 1990.

 

            Le 14 août 1990, dans sa déclaration d'opposition, l'intimée Toronto Heart Industries Ltd. («l'intimée») a fait valoir que la marque de commerce projetée n'était pas enregistrable en vertu de l'alinéa 12(1)d) de la Loi parce qu'elle créait de la confusion avec sa propre marque de commerce déposée TORONTO COME TO PLAY.  La marque de commerce de l'intimée porte sur des marchandises comprenant des souvenirs, des T‑shirts, des porte‑clefs, des macarons, des règles et des chandails légers.  L'intimée n'a produit aucune preuve ni observation écrite à l'appui de son opposition devant le registraire.  L'appelante a produit un affidavit qui a été jugé inadmissible, et une argumentation écrite.

 

            Le registraire a ainsi motivé son refus d'enregistrer l'expression WHERE THE WORLD COMES TO PLAY pour risque de confusion :

 

                [TRADUCTION] En ce qui a trait à l'alinéa 6(5)a) de la Loi, la marque TORONTO COME TO PLAY de l'opposante suggère que les marchandises de l'opposante ont un lien avec Toronto.  Ainsi, même si la marque de l'opposante a un caractère distinctif inhérent, elle ne constitue pas une marque solide.  Comme l'opposante n’a produit aucune preuve, force m'est de conclure que sa marque n'était pas du tout connue au Canada. 

 

 

                La marque WHERE THE WORLD COMES TO PLAY de la requérante semble faire référence à un type de complexe de divertissement décrit dans l'énoncé des services de la requérante, lequel inclut un stade, un hôtel, un restaurant et un centre de culture physique.  La marque est donc intrinsèquement faible lorsqu'elle est employée en liaison avec les services de la requérante.  Toutefois, la marque n'est pas évocatrice à l’égard des marchandises projetées et elle est donc intrinsèquement solide lorsqu'elle est employée en liaison avec ces marchandises.  L'affidavit de Lauriola comporte des éléments de preuve par ouï-dire inadmissibles.  Par conséquent, la requérante n'a pas prouvé quelque utilisation de sa marque.  Force m'est donc de conclure que la marque de la requérante n'est pas du tout connue au Canada. 

 

...

 

                Quant à l'alinéa 6(5)e) de la loi, j'estime qu'il existe un certain degré de ressemblance à tous égards entre les marques en cause.  Même si l'une fait référence au monde et l'autre à Toronto, elles comprennent toutes deux la proposition «COME(S) TO PLAY».  Les deux marques suggèrent l'idée de venir à un endroit ou à une attraction touristique à des fins de loisirs ou de divertissement.  Si en fait la marque de la requérante est liée au stade SkyDome à Toronto, cela soulignerait la ressemblance dans les idées que les deux marques suggèrent.

 

                En appliquant le critère de la confusion, j'ai tenu compte du fait qu'il s'agit d'une question de première impression et de souvenir imparfaitDans la mesure où les marchandises des parties sont semblables, je conclus que les marques créent de la confusion étant donné qu'elles ont un certain degré de ressemblance.  Pour le reste, je conclus que les marques ne créent pas de confusion.

 

 

            Le 27 novembre 1995, l'appelante a interjeté appel de cette décision.  L'appelante et l'intimée ont produit de nouveaux éléments de preuve devant la Cour.  L'intimée a produit des observations écrites, mais elle a choisi de ne pas comparaître lors de l'audition de l'appel.  Le registraire n'a pas participé au présent appel.

 

            La nouvelle preuve de l'appelante établit que sa marque de commerce WHERE THE WORLD COMES TO PLAY a été employée dans la publicité pour le stade SkyDome.  L'appelante prétend avoir acquis une réputation au Canada avec cette marque.  La marque a été employée en liaison avec le stade SkyDome depuis la fin de l'année 1988 ou le début de l'année 1989.  L'appelante n'a en outre connaissance d'aucun incident de confusion au Canada par suite de l'emploi simultané des deux marques de commerce sur le marché canadien.

 

            Le témoin déposant pour l'intimée établit l'emploi de la marque de commerce TORONTO COME TO PLAY depuis octobre 1987 par des ventes à plusieurs détaillants à l'échelle nationale et à d'autres magasins locaux.

 

            En vertu du paragraphe 56(5) de la Loi, cette preuve additionnelle importante permet à la Cour d'exercer toute discrétion dont le registraire est investi.  L'appel est par conséquent traité comme un procès de novo[2].

 

            Dans l'arrêt Miss Universe Inc.[3], le juge Décary a expliqué certains principes au sujet de la probabilité de confusion entre des marques de commerce :

 

Pour décider si l'emploi d'une marque de commerce ou d'un nom commercial cause de la confusion avec une autre marque de commerce ou un autre nom commercial, la Cour doit se demander si, comme première impression dans l'esprit d'une personne ordinaire ayant un vague souvenir de l'autre marque ou de l'autre nom, l'emploi des deux marques ou des deux noms, dans la même région et de la même façon, est susceptible de donner l'impression que les services reliés à ces marques ou à ces noms sont fournis par la même personne, que ces services appartiennent ou non à la même catégorie générale.

 

En décidant s'il y a vraisemblance de confusion, la Cour doit tenir compte de toutes les circonstances, y compris celles visées au paragraphe 6(5) précité.

 

Il appartient toujours à celui qui demande à enregistrer une marque de commerce d'établir que, selon la prépondérance des probabilités, il n'y a aucune probabilité de confusion avec une autre marque de commerce déjà employée et enregistrée.

 

Plus la marque est solide, plus grande est l'étendue de la protection qui devrait lui être accordée et plus il sera difficile au requérant de se décharger de l'obligation qui lui incombe.

[références omises]

 

 

            Toutes les circonstances énumérées au paragraphe 6(5) de la Loi doivent être examinées lorsqu'il s'agit de déterminer si la marque de commerce proposée est susceptible de créer de la confusion. Les facteurs énumérés ne méritent toutefois pas d’être interprétés sur un pied d’égalité dans toutes les circonstances[4].  En effet, le degré de ressemblance entre les marques de commerce dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu'elles suggèrent constitue souvent le facteur le plus important[5].

 

            En outre, la marque de commerce doit être examinée comme un tout et ne pas être scindée[6].  Ce principe a été résumé dans les termes suivants par Madame le juge Desjardins, dans l'arrêt Park Avenue Furniture Corp.[7] :

 

Je suis d'accord avec l'appelante pour dire que les marques doivent être examinées dans leur ensemble.  Sur ce point précis, voici ce que déclare H.G. Fox (H.G. Fox, op. cit., aux pages 167 à 169) :

 

[TRADUCTION] «...  Pour appliquer ces critères, le premier principe à invoquer est celui selon lequel les marques doivent être examinées dans leur ensemble et non en tant qu'éléments distincts.  Il faut analyser l'idée qu'évoque chaque marque, c'est-à-dire l'impression nette qu'elle laisse globalement dans l'esprit.  C'est la marque en son entier qu'il faut examiner pour en arriver ensuite à une décision sur la question de savoir si cette marque est susceptible de créer de la confusion avec une marque déjà enregistrée [...] Le véritable critère est celui de savoir si l'ensemble de la marque dont on projette l'enregistrement risque de causer une erreur, de tromper ou de créer de la confusion dans l'esprit des personnes habituées à la marque de commerce existante.  C'est la combinaison des marques dans leur ensemble qu'il faut examiner, et c'est leur effet ou idée générale qu'il faut comparer.

 

...

 

En l'espèce, ce sur quoi le juge de première instance devait se prononcer, c'était sur le risque de confusion entre les marques Posture-Beauty et Babybeauty prises dans leur ensemble.  Il a commis une erreur en scindant la marque de commerce et en accordant une forte protection commerciale au mot Beauty.

 

            Dans la présente espèce, les deux marques possèdent peu de caractère distinctif inhérent.  La marque de l'intimée n'est pas solide et elle ne peut commander une vaste étendue de protection.  Par conséquent, même des différences mineures entre les marques des parties devraient permettre de les distinguer[8].

 

            La marque WHERE THE WORLD COMES TO PLAY de l'appelante est employée en liaison avec des marchandises et des services associés au stade SkyDome.  Les marchandises de l'intimée ont été distribuées à des détaillants bien connus.  La prétention de l'appelante selon laquelle le stade SkyDome a acquis une réputation à l'échelle du Canada n'établit pas nécessairement que sa marque se soit mérité une renommée plus grande que la marque de l'intimée.

 

            Il n'y a aucune différence importante en ce qui a trait à la période pendant laquelle les deux marques de commerce ont été en usage.  Même s'il y a chevauchement en ce qui a trait au genre de marchandises des parties, la liste des marchandises de l'appelante couvre une plus vaste gamme de produits.  Il y a aussi un certain chevauchement quant à la nature du commerce des parties. 

 

            À mon avis, prises dans leur totalité, les marques de commerce sont différentes l'une de l'autre dans le son et dans la présentation, même si les mots «COME(S) TO PLAY» sont communs aux deux.  Les marques sont assez différentes dans leur apparence ou dans la façon dont elles sont présentées.  La marque de l'appelante est employée comme une phrase complète, tandis que la marque de l'intimée est séparée en deux parties.  De plus, on peut accentuer davantage les premiers mots des marques[9].    Dans ce cas, il n'y a aucune ressemblance entre le premier mot de chaque marque et il est très improbable que le consommateur ordinaire puisse les confondre quant au son ou à la présentation.  Pour la première impression du point de vue du consommateur ordinaire, les marques de commerce sont suffisamment différentes et, partant, il serait très improbable qu'elles puissent être confondues lorsqu'elles sont employées dans la même région.  Même si les deux marques suggèrent l'idée de se joindre à du monde pour des fins récréatives, lorsque chaque marque est examinée comme un tout et que tous les facteurs sont pris en considération, il est improbable qu'il y ait confusion entre elles.  En outre, on n'a présenté aucune preuve établissant qu'il y a eu confusion entre les marques durant les quelques années où elles ont toutes deux été en usage[10].

                       

            Pour ces motifs, la décision rendue par le registraire le 28 septembre 1995 sera annulée à l'égard des marchandises pour lesquelles l'enregistrement a été refusé.   L'affaire sera renvoyée au registraire pour qu'il rende une nouvelle décision faisant droit à la demande d'enregistrement de la marque de commerce WHERE THE WORLD COMES TO PLAY produite sous le numéro 593 961 à l'égard de toutes les marchandises et de tous les services énumérés dans la demande.

 

            L'appelante n'a demandé aucune adjudication des dépens.

 

 

 

 

 

 

 

                                                                                   Allan Lutfy                       

                                                            Juge      

Ottawa (Ontario)

le 10 mars 1997       

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme                                                              

                                                            Raymond Trempe, B.C.L.

 

 


                                           COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                       SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

 

                       AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

NO DU GREFFE : T-2491-95

 

 

INTITULÉ DE LA CAUSE : SKYDOME CORPORATION c. TORONTO HEART INDUSTRIES LTD ET AL.

 

LIEU DE L'AUDIENCE :Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L'AUDIENCE :Le 17 février 1997

 

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE M. LE JUGE LUTFY

 

 

DATE :Le 10 mars 1997

 

 

 

ONT COMPARU :

 

 

Me David Reive

                                                            POUR L'APPELANTE

 

 

PersonnePOUR L'INTIMÉE

 

 

 

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

Fasken Campbell Godfrey

Avocats

Toronto (Ontario) POUR L'APPELANTE

 

 

Smart & Biggar

Avocats

Toronto (Ontario) POUR L'INTIMÉE

 



     [1]L.R..C. (1985), c. T-13.

     [2]Sim & McBurney c. Belvedere International Inc. (1993), 53 C.P.R. (3d) 522, à la p.528 (C.F. 1re inst.); Bally Schuhfabriken AG/Bally's Shoe Factories Ltd.  c. Big Blue Jeans Ltd. (1992), 41 C.P.R. (3d) 205, à la p. 209 (C.F. 1re inst.); McDonald's Corp.  c. Coffee Hut Stores Ltd. (1994), 76 F.T.R. 281, à la p. 288 (C.F. 1re inst.).  Selon le paragraphe 56(5) de la Loi, «... il peut être apporté une preuve en plus de celle qui a été fournie devant le registraire, et le tribunal peut exercer toute discrétion dont le registraire est investi.»

     [3]Miss Universe Inc.  c. Bohna, [1995] 1 C.F. 614, 58 C.P.R. (3d) 581 (C.A.F.), à la p. 621 (C.F.).

     [4]Ibid.,  à la p. 624.

     [5]United Artists Corp.  c.  Pink Panther Beauty Corp. (1996), 111 F.T.R. 241, à la p. 255, avis d'appel déposé le 1er mai 1996, numéro du greffe A-365-96; Effem Foods Ltd. c. Export/Import Clic Inc. (1993), 53 C.P.R. (3d) 200, à la p. 203 (C.F. 1re inst.);  Beverly Bedding & Upholstery Co. c. Regal Bedding Ltd (1980), 110 D.L.R. (3d) 189, à la p. 193 (C.F. 1re inst.), conf. à (1982), 133 D.L.R. (3d) 255 (C.A.F.).

     [6]Ultravite Laboratories Ltd. v. Whitehall Laboratories Ltd., [1965] R.C.S. 734, à la p. 737; Oshawa Group Ltd.  c. Creative Resources Co. Ltd. (1982), 46 N.R. 426, à la p. 433 (C.A.F.).

     [7]Park Avenue Furniture Corp. c. Wickes/Simmons Bedding Ltd. (1991), 37 C.P.R. (3d) 413, 130 N.R. 223, (C.A.F.), aux pages 426 et 427 (C.P.R.).

     [8]Supra, note 3 à la p. 622; Kellogg Salada Canada Inc. c. Maximum Nutrition Ltd. (1992), 43 C.P.R. (3d) 349, à la p. 359 (C.A.F.).

     [9]Conde Nast Publications Inc. c. Union des Editions modernes (1979), 46 C.P.R. (2d) 183, à la p. 188 (C.F. 1re inst.); Choice Hotels International Inc.  c. Hotels Confortel Inc. (1996), 112 F.T.R. 39, à la p. 49, avis d'appel produit le 3 avril 1996 sous le numéro du greffe A-284-96.

     [10]Toutefois, le fait que deux marques de commerce aient coexisté pendant quelque temps sans qu'il y ait confusion n'est pas concluant en soi en ce qui a trait à l'absence de confusion.  Voir Mr. Submarine Ltd.  c. Amandista Investments Ltd., [1988] 3 C.F. 91 (C.A.F.).

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