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     Date : 19981120

     Dossier : IMM-826-98

Entre

     KALARANJANI THARMALINGAM,

     demanderesse,

     - et -

     LA MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défenderesse

     MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge GIBSON

[1]      Les présents motifs se rapportent à un recours en contrôle judiciaire introduit contre la décision d'un agent d'immigration principal qui a rejeté la demande de droit d'établissement, que la demanderesse avait faite à l'intérieur du Canada en se réclamant de raisons humanitaires au sens du paragraphe 114(2) de la Loi sur l'immigration1.

[2]      Cette décision était notifiée par lettre en date du 6 février 1998, et on peut en lire la teneur dans le passage suivant :

     [TRADUCTION]

     Nous avons examiné avec soin et sympathie votre demande et votre cas personnel. Nous avons cependant jugé qu'il n'y a pas de raisons humanitaires suffisamment impérieuses pour justifier une dispense des dispositions normales de la loi.         

[3]      Ces " dispositions normales de la loi " sont exprimées au paragraphe 9(1) de la Loi sur l'immigration , qui prévoit entre autres que la personne qui veut immigrer au Canada doit faire la demande et obtenir le visa à l'extérieur du pays.

[4]      L'avocat de la demanderesse soutient que l'agent d'immigration principal a commis une erreur susceptible de contrôle judiciaire à deux égards : en premier lieu, il s'est fondé sur des " preuves extrinsèques " qui n'étaient pas communiquées à la demanderesse et auxquelles celle-ci n'a pas pu répondre et, en second lieu, il a lui-même limité l'exercice de son pouvoir discrétionnaire dans la décision entreprise, faute de se conformer aux lignes directrices sur la façon d'instruire les demandes comme celle en instance.

[5]      Par les motifs infra, je conclus qu'il y a lieu de faire droit au recours en contrôle judiciaire.

[6]      Il est maintenant de droit constant que l'obligation d'équité à laquelle est tenue la défenderesse en cas de demande de réexamen pour raisons humanitaires est minimale. Dans Shah c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration)2, le juge Hugessen a fait l'observation suivante :

     Il est bien établi que la teneur de l'obligation d'agir équitablement varie selon les circonstances. En l'espèce, nous sommes tous d'avis que la teneur de cette obligation était minimale.         

[7]      Cette conclusion a été tirée dans une cause qui s'apparente à l'affaire en instance. Le juge Hugessen a défini ensuite l'élément résiduel de l'obligation d'équité qui demeure applicable dans les cas du genre :

     Si elle entend se fonder sur des éléments de preuve extrinsèques qui ne lui sont pas fournis par le requérant, elle doit bien sûr lui donner l'occasion d'y répondre.         

[8]      La nature de ce qui constitue un élément de preuve extrinsèque est maintenant raisonnablement bien définie3. La demanderesse a été informée des documents que l'agent d'immigration principal avait pris en considération pour parvenir à sa décision, documents qu'elle ne lui avait pas produits. Certains de ces documents, qui n'étaient pas communiqués à la demanderesse dans le cours de l'instruction de sa demande ou dans le cadre de ce recours en contrôle judiciaire, pourraient bien être des preuves extrinsèques. Il y avait une lettre d'une ambassade des États-Unis datée du 6 mars 1997 mais sans autre précision, un accord réciproque de renvoi des étrangers non résidents en date du 25 avril 1996, et un document intitulé " Preliminary Survey of Medical and Psychosocial Services for Victims of Human Rights Violations - Sri Lanka: Family Rehabilitation Centre providing Medical, Psychological and Social Services - Amnesty International " et daté du 5 janvier 1994.

[9]      L'ordonnance portant autorisation d'introduire ce recours en contrôle judiciaire faisait obligation à " l'office fédéral " de communiquer copie de son dossier aux parties et au greffe de la Cour, au 23 septembre 1998 au plus tard s'il ne l'avait pas déjà fait. L'" office fédéral ", en l'occurrence la défenderesse représentée par l'agent d'immigration principal, ne s'est pas conformée à cette ordonnance de la Cour. Par suite, l'avocat de la demanderesse et la Cour n'ont pu que conjecturer sur la nature des documents pris en considération supra .

[10]      L'avocat de la défenderesse soutient que la demanderesse ne s'est tout simplement pas acquittée de la charge qui lui incombe de prouver que les documents supra constituent des éléments de preuve extrinsèques. Cette conclusion revient essentiellement à dire que la défenderesse devrait tirer profit de son non-observation de l'ordonnance de la Cour puisqu'il est à présumer, et dans ces circonstances je suis enclin à accepter pareille présomption contre la défenderesse, qu'un dossier de l'office fédéral permettrait de savoir si les documents susmentionnés sont ou non des preuves extrinsèques.

[11]      Je ne peux accepter cette conclusion de l'avocat de la défenderesse. Une partie ne saurait tirer profit de son non-observation d'une ordonnance de la Cour. Tout en reconnaissant que la charge de la preuve dans un recours comme celui qui nous intéresse en l'espèce est un " lourd fardeau "4, je conclus qu'elle n'est pas rigoureuse au point d'obliger la demanderesse à prouver la nature, extrinsèque ou autre, des documents pris en considération par l'agent d'immigration principal et que la défenderesse n'a pas produits devant la Cour, au mépris de son ordonnance à cet effet.

[12]      Par ces motifs, comme indiqué supra, la Cour fait droit au recours en contrôle judiciaire, annule la décision de l'agent d'immigration principal et renvoie à la défenderesse l'affaire pour instruction par un autre agent. La demanderesse aura 60 jours à compter de la date de mon ordonnance pour déposer des conclusions, nouvelles ou complémentaires, et il sera loisible à la défenderesse de prendre en considération, outre lesdites conclusions, tout autre document selon qu'elle l'estime indiqué eu égard aux circonstances.

[13]      Ni l'un ni l'autre avocat n'a recommandé la certification d'une question. Aucune question ne sera donc certifiée. La Cour ne prononce pas sur les frais et dépens.

     Signé : Frederick E. Gibson

     ________________________________

     Juge

Toronto (Ontario),

le 20 novembre 1998

Traduction certifiée conforme,

Laurier Parenteau, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER No :              IMM-826-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Kalaranjani Tharmalingam

                     c.

                     La ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

DATE DE L'AUDIENCE :      Mardi 17 novembre 1998

LIEU DE L'AUDIENCE :          Toronto (Ontario)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE GIBSON

LE :                      Vendredi 20 novembre 1998

ONT COMPARU :

M. Yehuda Levinson                  pour la demanderesse

M. Brian Frimeth                  pour la défenderesse

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Levinson & Associates              pour la demanderesse

Avocats

212 rue King ouest, Bureau 410

Toronto (Ontario)

M5H 1K5

Morris Rosenberg                  pour la défenderesse

Sous-procureur général du Canada

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     Date : 19981120

     Dossier : IMM-826-98

Entre

KALARANJANI THARMALINGAM,

     demanderesse,

     - et -

LA MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION,

     défenderesse

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE


__________________

1      L.R.C. (1985), ch. I-2.

2      (1994), 29 Imm. L.R. (2d) 82, page 83 (C.A.F.).

3      Voir Dasent c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1996), 193 N.R. 303 (C.A.F.), et Mancia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 3 C.F. 461 (C.A.).

4      Voir Shah, note 2 supra.

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