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Date : 19990831


Dossier : T-2064-97



ENTRE :


TOYOTA JIDOSHA KABUSHIKI KAISHA

faisant aussi affaires sous le nom de TOYOTA MOTOR CORPORATION,

                                     Demanderesse,

-et-




LEXUS FOODS INC.,

                                         Défenderesse.



     MOTIFS DE L"ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE BLAIS.


[1]      Il s"agit d"un appel interjeté dans le cadre de l"article 56 de la Loi sur les marques de commerce contre une décision du registraire des marques de commerce datée du 22 juillet 1997, qui rejetait l"opposition formulée par la demanderesse à l"endroit de la demande d"enregistrement, numéro de série 703,830, de la marque LEXUS.



RAPPEL DES FAITS

[2]      La demanderesse est la propriétaire des marques déposées suivantes :
     LEXUS, no d"enregistrement TMA 377,407, accordée le 21 décembre 1990 pour être employée en liaison avec [TRADUCTION] " des automobiles, des pièces et des accessoires d"automobiles ";
     LEXUS, no d"enregistrement TMA 377,423, accordée le 21 décembre 1990, pour être employée en liaison avec [TRADUCTION] " la réparation et l"entretien d"automobiles, la location d"automobiles et la fourniture à d"autres de financement destiné à l"achat d"automobiles ";
     LEXUS & DESIGN, no d"enregistrement TMA 412,246, accordée le 14 mai 1993 pour être employée en liaison avec des pièces et des accessoires d"automobiles ainsi qu"une grande variété de biens de consommation.

[3]      Le 27 avril 1992, Lexus Foods inc., la défenderesse, a produit une demande d"enregistrement, numéro de série 703,830, pour la marque de commerce LEXUS qu"elle se proposait d"employer en liaison avec [TRADUCTION] " des fruits en conserve, des légumes en conserve, des jus de fruits et des jus de légumes ".
[4]      La demanderesse a produit une déclaration d"opposition le 10 février 1993 et une déclaration d"opposition modifiée le 3 septembre 1993.


DÉCISION DU REGISTRAIRE

[5]      Le registraire a conclu que la demanderesse n"avait pas réussi à fournir la preuve qu"elle possédait une marque célèbre. Il a conclu qu"il n"existait pas de risque de confusion entre les marques des parties parce qu"il n"y avait aucun lien entre les biens et services offerts par la demanderesse et les marchandises de la défenderesse et il a rejeté l"opposition de la demanderesse.

POINTS EN LITIGE

     La marque LEXUS de Toyota est-elle une marque célèbre?
     L"emploi de la marque LEXUS par la défenderesse risque-t-il de créer de la confusion?

OBSERVATIONS DE LA DEMANDERESSE

[6]      La demanderesse fait valoir que le registraire aurait pu conclure que l"emploi simultané de la même marque par deux entités différentes risquait de créer de la confusion s"il lui avait été présenté une preuve concernant les faits entourant l"adoption de la marque LEXUS par la demanderesse et une preuve étayant une conclusion selon laquelle la demanderesse était propriétaire d"une marque célèbre.
[7]      En outre, la demanderesse soutient que, compte tenu de la nouvelle preuve produite dans le présent appel, la demanderesse a effectivement fourni des faits suffisants pour justifier la présente Cour de conclure que la demanderesse est propriétaire d"une marque célèbre et qu"il y a donc risque de confusion.
[8]      La demanderesse prétend aussi qu"il ressort des résultats d"une enquête menée pour son compte peu de temps après la date de la décision du registraire afin de vérifier la perception que le public a du mot " lexus ", que, dès septembre 1997, une nette majorité du public canadien (58 %) associait la marque LEXUS à une voiture. Ces résultats indiquent clairement que la demanderesse est propriétaire d"une marque célèbre.

OBSERVATIONS DE LA DÉFENDERESSE

[9]      La défenderesse soutient que la marque de Toyota n"est employée au Canada que depuis 1990, ce qui ne précède que de deux ans la date à laquelle Lexus Foods a commencé à utiliser sa propre marque. La marque de Toyota n"a pas été employée assez longtemps pour se voir reconnaître le statut de marque célèbre. Plus particulièrement, si l"on compare avec la période pendant laquelle la marque de Lexus Foods a été en usage, la marque de Toyota n"a acquis de reconnaissance, le cas échéant, que parmi les acheteurs d"automobiles au Canada.
[10]      Selon la défenderesse, les enquêtes par associations libres sont considérées comme représentant une méthode peu fiable d"appréciation des schèmes de pensée et de la fidélité commerciale des consommateurs. C"est pourquoi, il ne faudrait accorder aucune importance à l"enquête menée par Mme Corbin. En outre, l"étude de Mme Corbin ne vérifie pas si un consommateur à qui l"on présente des fruits en conserve, des légumes en conserve, des jus de fruits ou des jus de légumes de la marque LEXUS, associe d"une façon ou d"une autre ces marchandises à Toyota.
[11]      La preuve supplémentaire présentée par Lexus Foods étaye l"opinion du registraire selon laquelle des commerçants de différents domaines faisant le commerce sous le nom de " lexus " ne créeraient pas de confusion chez les consommateurs canadiens étant donné que plusieurs commerçants autres que Toyota et Lexus Foods emploient déjà le nom " lexus ".
[12]      La distinction entre les marchandises de la demanderesse et celles de l"opposante est essentielle à la question de la confusion. Les marchandises de Toyota se distinguent de celles de Lexus Foods. Rien dans la preuve ne modifie la décision du registraire selon laquelle il n"existe pas de risque raisonnable de confusion entre les marques en litige.


ANALYSE

[13]      Le 4 décembre 1997, suivant une ordonnance du juge Hugessen, l"appelante a obtenu l"autorisation de produire les affidavits de Jefferey, Corbin et Yan. Le paragraphe 56(5) de la Loi sur les marques de commerce prévoit ce qui suit :

Additional evidence

56(5) On an appeal under subsection (1), evidence in addition to that adduced before the Registrar may be adduced and the Federal Court may exercise any discretion vested in the Registrar.

Preuve additionnelle

56(5) Lors de l"appel, il peut être apporté une preuve en plus de celle qui a été fournie devant le registraire, et le tribunal peut exercer toute discrétion dont le registraire est investi.


[14]      Ainsi, pour trancher le présent appel, la Cour sera guidée par les principes établis dans la jurisprudence suivant lesquels, elle doit faire preuve de prudence en examinant un appel interjeté contre une décision du registraire puisque, en règle générale, il est considéré comme un spécialiste des questions relatives aux marques de commerce1. Toutefois, comme une nouvelle preuve a été présentée, la présente Cour jouit d"une plus grande latitude face à la décision du registraire2.


La marque LEXUS de Toyota est-elle une marque célèbre?

[15]      Pour être considérée comme célèbre, une marque de commerce doit être généralement reconnue partout au Canada, par la plupart, sinon tous, les segments de la population3.
[16]      La demanderesse a produit l"affidavit de Ruth Corbin, qui a mené une enquête auprès des adultes canadiens pour déterminer à quoi, s"il y a lieu, le mot " Lexus " leur fait penser. Il ressort des résultats de son enquête que six adultes canadiens sur dix reconnaissent que le mot LEXUS leur fait penser à une voiture.
[17]      Selon les défenderesses, il ne faudrait pas prêter d"importance à l"affidavit de Mme Corbin parce que les enquêtes par associations libres sont considérées comme représentant une méthode peu fiable d"appréciation des schèmes de pensée et de la fidélité commerciale des consommateurs et parce qu"ils sont fortement critiqués au Canada et aux États-Unis lorsqu"ils servent de preuve de confusion.
[18]      Toutefois, à mon avis, les résultats de cette enquête suffisent en eux-mêmes à démontrer que la marque de commerce Lexus de Toyota peut être qualifiée de célèbre ou de notoirement connue selon les paramètres de la loi.
[19]      De plus, les affidavits de Jeffery, Pape, Imai et White établissent que la marque de commerce Lexus de la demanderesse s"est fait connaître grâce à une utilisation commerciale importante et une grande publicité avant le dépôt de la demande en question le 27 avril 1992.

L"emploi de la marque LEXUS par la défenderesse risque-t-elle de créer de la confusion?

[20]      Le paragraphe 6(5) de la Loi sur les marques de commerce expose les principales lignes directrices permettant de décider s"il existe ou non de la confusion. Ces cinq critères ne sont pas exhaustifs et il faut tenir compte de toutes les circonstances de l"espèce.

What to be considered

(5) In determining whether trade-marks or trade-names are confusing, the court or the Registrar, as the case may be, shall have regard to all the surrounding circumstances including

(a) the inherent distinctiveness of the trade-marks or trade-names and the extent to which they have become known;

(b) the length of time the trade-marks or trade-names have been in use;

(c) the nature of the wares, services or business;

(d) the nature of the trade; and

(e) the degree of resemblance between the trade-marks or trade-names in appearance or sound or in the ideas suggested by them.



Éléments d"appréciation

(5) En décidant si des marques de commerce ou des noms commerciaux créent de la confusion, le tribunal ou le registraire, selon le cas, tient compte de toutes les circonstances de l"espèce, y compris :

a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus;

b) la période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage;

c) le genre de marchandises, services ou entreprises;

d) la nature du commerce;

e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu"ils suggèrent.

[21]      Le registraire a déjà reconnu que les alinéas 6(5)a), b) et e) étaient favorables à la demanderesse, ce qui laisse à trancher les aliénas 6(5)c) et d), qui portent respectivement sur le genre de marchandises, services ou entreprises et la nature du commerce. Je ne vois aucune raison de me prononcer de nouveau sur ce que le registraire a estimé servir les intérêts de la demanderesse étant donné que la défenderesse n"a pas présenté de preuve contraire supplémentaire.
[22]      Il faut d"abord signaler que des mots inventés comme " Lexus " ont obtenu une protection plus étendue. En l"espèce, cette notion est renforcée par le fait que la Cour considère que la marque de commerce " Lexus " est notoirement connue.
[23]      La différence importante qui existe dans le genre de marchandises, à savoir des automobiles, pièces et accessoires d"automobiles, d"une part, et des jus de fruits, jus de légumes, fruits en conserve et légumes en conserve, d"autre part, permet-elle de conclure qu"il ne risquera pas d"y avoir confusion entre les deux marques?
[24]      J"estime que, pour répondre à cette question, qui constitue, selon moi, la question centrale du présent litige, il y a lieu d"examiner de près les circonstances de l"espèce à titre de considérations hautement pertinentes. Cette démarche indique aussi qu"il faut se montrer prudent en faisant des comparaisons avec d"autres affaires susceptibles d"être différentes en raison des circonstances qui leur sont propres.
[25]      Premièrement, la demanderesse a insisté sur le fait que la défenderesse a adopté la marque de la demanderesse dans son intégralité et n"a ajouté aucune partie distinctive à cette marque ni rien qui permettrait de distinguer sa marque de la marque de la demanderesse d"une façon ou d"une autre.
[26]      Deuxièmement, le vice-président de la défenderesse a reconnu qu"à l"époque où la défenderesse a adopté cette marque, il avait une connaissance personnelle de la marque de la demanderesse. Le vice-président de la défenderesse a admis aussi que ce nom avait été choisi parce qu"il représentait un symbole de qualité.
[27]      Le registraire a reconnu que le mot " Lexus " était inventé et que son caractère distinctif inhérent méritait une protection étendue. De plus, comme l"a décidé la Cour d"appel fédérale dans l"arrêt Miss Universe Inc. c. Bohna, [1995] 1 C.F. 614 :
Les facteurs énoncés aux alinéas 6(5)a) à e) n"ont pas à être interprétés comme ayant le même poids en toutes circonstances. Lorsque, par exemple, on compare une marque de commerce qui est forte et une marque de commerce projetée, les critères c ) et d), c"est-à-dire le genre de marchandises, services ou entreprises et la nature du commerce, ne sont pas particulièrement déterminants.
[28]      Les deux parties ont mentionné l"affaire Pink Panther4, mais je répète que la Cour doit se montrer prudente lorsqu"elle compare des affaires dont les circonstances diffèrent. L"affaire Pink Panther , notamment, ne portait pas sur un mot inventé sur lequel la demanderesse avait axé ses efforts promotionnels en ayant spécifiquement comme objectif d"attacher ce nom inventé à la voiture et d"évoquer une norme élevée de qualité.
[29]      De plus, le fait que, dans l"affaire Pink Panther , les prédécesseurs en titre de l"appelante aient employé les marques de commerce de celle-ci pendant plus de trente ans représente une importante différence avec la présente espèce. Il serait possible d"envisager qu"une marque de commerce qui jouit d"un début de célébrité mérite une protection encore plus étendue afin de préserver sa réputation en devenir.
[30]      En outre, je souscris encore à l"arrêt prononcé par la Cour d"appel dans l"affaire Miss Universe Inc. c. Bohna5 lorsque la Cour conclut que :
L"intimé était tenu de choisir un nom avec soin, de façon à éviter toute confusion - comme l"exige la définition de l"expression " marque de commerce projetée " à l"article 2 de la Loi - et de façon à ne pas donner l"impression qu"il avait l"intention de tirer profit d'une marque déjà célèbre.
[31]      De plus, l"admission faite par le vice-président de la défenderesse, selon laquelle ce nom a été choisi parce qu"il représentait un symbole de qualité, montre que les efforts promotionnels de la demanderesse avaient, dans une certaine mesure, porté fruits et pouvaient servir de levier appréciable dans la promotion de ses propres produits.


CONCLUSION

[32]      Par conséquent, les circonstances de l"espèce et la preuve produite fournissent suffisamment d"éléments pour conclure que, étant célèbre et constituée d"un mot inventé, la marque de commerce de la demanderesse devrait bénéficier d"une protection étendue. Ainsi, il faut accorder moins d"importance à la différence qui existe dans le genre de marchandises.
[33]      Pour ces motifs, je serais d"avis d"accueillir l"appel et d"ordonner au registraire des marques de commerce de rejeter la demande d"enregistrement, numéro de série 703,830, de la marque LEXUS présentée par la défenderesse. Le tout, avec dépens.






                         Pierre Blais

                         Juge

OTTAWA (ONTARIO)

le 31 août 1999



Traduction certifiée conforme


Gislaine Poitras, LL. L.


     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NUMÉRO DU GREFFE :              T-2064-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :          TOYOTA JIDOSHA KABUSHIKI KAISHA ata TOYOTA MOTOR CORPORATION c. LEXUS FOODS INC.

LIEU DE L"AUDIENCE              OTTAWA

DATE L"AUDIENCE :              LE 21 JUIN 1999

MOTIFS DE L"ORDONNANCE PRONONCÉS PAR MONSIEUR LE JUGE BLAIS, le 31 août 1999



ONT COMPARU :

NICOLA M. HUNT              POUR L"APPELANTE

SHEILA MANN ET              POUR L"INTIMÉE

ELIZABETH ELLIOT

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

NICOLA M. HUNT              POUR L"APPELANTE

OTTAWA (ONTARIO)

MACERA & JARZYNA              POUR L"INTIMÉE

OTTAWA (ONTARIO)

__________________

1      Benson & Hedges (Canada) Ltd. v. St.Regis Tobacco Corp. (1968), [1969] R.C.S. 192.

2      Choice Hotels International Inc. c. Hotels Confortel Inc. (1996), 67 C.P.R. (3d) 340, à la page 344 (C.F.1re inst.).

3      Jaguar Cars Ltd. v. Manufacture des Montres Jaguar S.A. (1997), 78 C.P.R. (3d) 548, à la page 555 (C.O.M.C.).

4      United Artists Corp. c. Pink Panther Beauty Corp., [1998] 3 C.F. 534.

5      [1995] 1 C.F. 614.

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