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Date : 19971223


Dossier : T-2472-97

OTTAWA (ONTARIO), LE 23 DÉCEMBRE 1997

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE J.E. DUBÉ

ENTRE :

     SCANDIA SHIPPING AGENCIES INC.,

     demanderesse,

     - et -


LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES AUTRES PERSONNES AYANT UN DROIT SUR LES SOUTES ET LE FRET DU NAVIRE

" ALAM VERACRUZ "

- et -

PACNAV S.A.,


défendeurs.


ORDONNANCE

     L'appel interjeté de la décision du protonotaire en date du 5 décembre 1997 est rejeté avec dépens.

" J.E. DUBÉ "


Juge

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau


Date : 19971223


Dossier : T-2472-97

ENTRE :

     SCANDIA SHIPPING AGENCIES INC.,

     demanderesse,

     - et -


LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES AUTRES PERSONNES AYANT UN DROIT SUR LES SOUTES ET LE FRET DU NAVIRE

" ALAM VERACRUZ "

     - et -

     PACNAV S.A.,

     défendeurs.


MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE DUBÉ :


[1]      La demanderesse (Scandia) sollicite de la Cour une ordonnance annulant l'ordonnance du protonotaire, en date du 5 décembre 1997, radiant son action in rem et annulant la saisie des soutes et du fret du navire " Alam Veracruz ", le navire des défendeurs (Pacnav).


[2]      Il est affirmé, à l'appui de cet appel, que le protonotaire a commis une erreur de droit en décidant que la compétence in rem de la Cour ne pouvait pas s'exercer à l'encontre des biens de Pacnav (tels les soutes et le fret) lorsque ces biens n'ont aucun lien direct avec la cause d'action. Scandia affirme également que le protonotaire a commis une erreur de droit en ne prononçant pas de sursis à l'exécution de son ordonnance, rendant par là même illusoire tout appel susceptible d'être interjeté. À l'audience, Scandia a renoncé à ce second motif d'appel qui n'avait plus de raison d'être.


[3]      Dans l'action en question, engagée le 14 novembre 1997, Scandia réclame la somme de 493 000 $ à Pacnav, reprochant à celle-ci d'avoir mis fin à la relation commerciale qui l'unissait à Scandia. Pacnav exploite un service de transports maritimes couvrant l'Amérique du Nord et l'Amérique du Sud, et Scandia travaillait avec Pacnav en tant qu'agent et courtier. D'après Scandia, au cours de la période de douze mois commençant le 25 août 1997, elle aurait reçu de Pacnav au moins 300 000 $ É.-U. en commissions. Scandia a fait saisir les soutes se trouvant à bord du navire " Alam Veracruz " ainsi que le fret dû à Pacnav par James Richarson International Limited pour ce navire.


[4]      Les parties reconnaissent que l'action ne se fonde aucunement sur un droit que Scandia pourrait faire valoir sur les soutes ou le fret au titre d'une traversée maritime donnée. L'action est uniquement fondée sur la rupture présumée d'un contrat de courtage maritime.


[5]      Dans son analyse du dossier, le protonotaire a confirmé que l'accord entre les parties était une question de droit maritime et relevait donc de la compétence ratione materiae de la Cour comme le prévoit le paragraphe 22(1) de la Loi sur la Cour fédérale (la Loi). Il a cependant estimé que l'action ne révélait aucune cause raisonnable d'action in rem aux termes du paragraphe 43(2) de la Loi. Ces deux dispositions prévoient que :

         22. (1) La Section de première instance a compétence concurrente, en première instance, dans les cas - opposant notamment des administrés - où une demande de réparation ou un recours est présentée en vertu du droit maritime canadien ou d'une loi fédérale concernant la navigation ou la marine marchande, sauf attribution expresse contraire de cette compétence.         
         ...         
         43. (2) Sous réserve du paragraphe (3), la Cour peut, aux termes de l'article 22, avoir compétence en matière réelle dans toute action portant sur un navire, un aéronef ou d'autres biens [visés par l'action], ou sur le produit de leur vente consigné au tribunal.         
         (non souligné dans l'original)         

[6]      Le protonotaire a estimé qu'il convient de faire une lecture conjointe de ces deux dispositions et que, par conséquent, aucune action in rem ne peut être engagée à l'encontre d'un bien de Pacnav si l'action ne porte pas effectivement sur ce bien. Les deux paragraphes essentiels de son analyse sont les suivants :

         [14] Il m'appert que les paragraphes 22(1) et 43(2) de la Loi doivent se lire en corrélation l'un avec l'autre et que conséquemment, aux fins du paragraphe 43(2), une action réelle ne peut être dirigée contre tout bien d'un défendeur mais doit se limiter à tel bien sur lequel se fonde l'action. Ce sont, incidemment, les seuls articles de la Loi qui importe [sic], selon moi, de considérer pour répondre à l'attaque de la défenderesse.         
         [15] Pour conclure qu'une action se fonde sur un bien, il doit apparaître dans les faits une connexité certaine entre le bien saisi et la cause d'action (voir, entre autres, sur ce point les arrêts Industrie Chimique Italia Centrale SÉP.A. v. Ship "Choko Star" et al. (1987), 10 F.T.R. 258 et Joint Stock Society Oceangeotechnology v. Ship 1201 et al. (1994), 72 F.T.R. 211).         

[7]      L'avocat de Scandia a cité l'arrêt Heinrich Bjorn, arrêt de la Cour d'appel d'Angleterre remontant à 18851, selon lequel tout bien meuble appartenant au défendeur et se trouvant dans les limites du royaume, qu'il s'agisse du navire en question ou de tout autre bien appartenant au défendeur, peut être saisi et [traduction] " il n'est pas nécessaire que la saisie vise le navire en question; elle peut viser tout autre bien appartenant au défendeur et se trouvant dans les limites du royaume". Mais, même si cela constituait le droit applicable en Angleterre à l'époque, cela ne correspond pas au droit maritime canadien contemporain. Le paragraphe 43(2) de la Loi prévoit clairement qu'en matière réelle la compétence de la Cour s'étend à tout bien visé par l'action. Sans cela, toute action in rem pourrait aboutir à une injonction Mareva.

[8]      Sur ce point, la jurisprudence canadienne contemporaine est très nette. Dans l'affaire Joint Stock Society " Oceangeotechnology " c. Le navire " 1201 " et autres2, le juge Teitelbaum a déclaré, à la page 9 du jugement :

         Je ne suis pas en désaccord avec les défendeurs en ce qui concerne cette prétention. Je suis d'accord moi aussi pour dire qu'une action in rem ne peut être intentée que s'il existe un " lien " avec le navire défendeur.         

[9]      Dans l'affaire Westview Sable Fish c. Le navire " Neekis "3, le juge Rouleau a conclu que le demandeur ne pouvait pas engager une action in rem au titre de cages à poisson perdues du fait de la négligence des personnes se trouvant à bord du navire défendeur. Il a estimé que le navire n'avait subi aucun dommage, du fait d'une collision ou d'un incident de navigation, susceptible de fonder une action in rem.

[10]      Notons également que l'arrêt Bjorn4, rendu par la Cour d'appel d'Angleterre en 1885, a été infirmé par cette même Cour en 1936 par l'arrêt Beldis5. Ce deuxième arrêt a conclu que la remarque du juge dans l'affaire Bjorn constituait une remarque incidente et que, en Cour d'amirauté, la procédure in rem ne permet pas de saisir un navire ou un autre bien appartenant à un défendeur si ce navire ou ce bien n'ont rien à voir avec la cause d'action. S'il est vrai que l'arrêt Beldis, rendu en 1935, est postérieur à la date, en l'occurrence 1934, à laquelle le droit maritime canadien a adopté le droit maritime anglais, cela ne veut pas dire, cependant, que la remarque incidente qui figure dans la décision de 1885 en question, qui était mal fondée, subsiste dans le droit maritime canadien contemporain compte tenu du paragraphe 43(2) de la Loi.

[11]      Par conséquent, l'appel interjeté de l'ordonnance rendue par le protonotaire le 5 décembre 1997, est rejeté avec dépens.


" J.E. DUBÉ "


Juge

OTTAWA (ONTARIO)

Le 23 décembre 1997

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NUMÉRO DU GREFFE :      T-2472-97
INTITULÉ :                  Scandia Shipping Agencies Inc. c. Les propriétaires et toute autre personne ayant un droit sur le soutes et le fret du navire " Alam Veracruz " et Pacnav S.A.
LIEU DE L'AUDIENCE :          Montréal (Québec)
DATE DE L'AUDIENCE :      le 15 décembre 1997


MOTIFS DE L'ORDONNANCE

DE L'HONORABLE JUGE DUBÉ

EN DATE DU 23 DÉCEMBRE 1997


ONT COMPARU :

Mes Edouard Baudry et François Touchette          pour la demanderesse
Me George J. Pollack                  pour les défendeurs

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Lavery, de Billy (Montréal, Québec)          pour la demanderesse

Sproule, Castonguay, Pollack

(Montréal, Québec)                      pour les défendeurs
__________________

1      The Heinrich Bjorn, (1885) 10 P. 44 (C.A.).

2      [1994] 72 F.T.R. 211 (F.C.T.D.).

3      (1996) 31 D.L.R. (4th) 709 (Première inst.).

4      supra, note 1.

5      (1936) P. 51.

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