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Date : 20041007

Dossier : IMM-6816-03

Référence : 2004 CF 1382

Montréal (Québec), le 7 octobre 2004

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE JOHANNE GAUTHIER

ENTRE :

                                                    PRATHARSAN NAGULESAN

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                M. Nagulesan, un Tamoul de 32 ans du Nord du Sri Lanka, vise à obtenir le contrôle judiciaire de la décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) qui a rejeté sa demande présentée dans le cadre des articles 96 et 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR).

[2]                Le demandeur conteste de nombreuses conclusions de la SPR en ce qui concerne son manque de crédibilité, l'existence d'une possibilité de refuge intérieur et l'absence de crainte subjective de sa part. Il soutient également que la SPR a manqué à son devoir d'équité en ne tenant pas compte des éléments de preuve additionnels déposés après l'audience mais avant que la décision ait été rendue. Je ne traiterai que de ce dernier argument, car je crois que l'omission de la part de la SPR de tenir compte de cette documentation constitue une erreur susceptible de révision justifiant l'annulation de la décision.

[3]                Les faits pertinents à cette question sont simples. Le 5 août 2003, quelques jours après son audience, le demandeur a livré à la SPR une lettre adressée au commissaire présidant son audience, laquelle mentionnait qu'il désirait déposer des éléments de preuve additionnels afin de corroborer son témoignage concernant sa présence au Sri Lanka après 1987 ainsi que le décès de son père et de ses deux frères. Les éléments de preuve proposés étaient joints à la lettre, laquelle mentionne également que ces documents additionnels sont importants du fait que le commissaire avait demandé une telle preuve corroborante au cours de l'audience.

[4]                La copie de cette lettre jointe comme pièce à l'affidavit du demandeur porte clairement le timbre de réception de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié pour le 5 août. Il est admis qu'en date du 5 août, la décision n'avait pas été rendue et que le commissaire présidant l'audience n'était pas dessaisi.

[5]                Pour des raisons inexpliquées, la lettre et les documents qui y sont joints ne se trouvent pas dans la copie certifiée du dossier du tribunal et la SPR n'en fait pas du tout mention dans sa décision. Elle analyse toutefois en profondeur le fait que le demandeur ait omis de déposer des éléments de preuve établissant qu'il avait continué à vivre au Sri Lanka après 1987, de même que des éléments de preuve corroborant le décès de son père et de ses deux frères, et comment il en a résulté des effets néfastes sur sa crédibilité.

[6]                Le défendeur affirme que rien dans la preuve n'indique que le décideur a vu ces documents. Il fait valoir que le demandeur avait l'obligation d'obtenir la confirmation que le commissaire qui a présidé l'audience avait bien reçu ces documents avant de rendre sa décision. Ayant omis de ce faire, il ne peut alléguer un manquement au devoir d'équité. À l'appui de sa position, le défendeur fait référence à quatre décisions de la Cour, à savoir : Avci c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CFPI 1274, [2002] A.C.F. no 1748; Vairavanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1996), 34 Imm. L.R. (2d) 307, [1996] A.C.F. no 1025; Ahmad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 1740, et Arulanandam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 988.


[7]                La Cour d'appel fédérale a renversé la décision de la présente Cour dans l'affaire Avci, [2003] A.C.F. no 1424, même si elle a statué que la Cour avait raison en concluant que la SPR n'était pas dessaisie lorsque les nouveaux éléments de preuve ont été déposés. En effet, malgré les conclusions initiales de la Cour en sa faveur sur ces questions, le ministre avait concédé que, si la SPR n'était pas dessaisie, elle avait manqué à son devoir d'équité lorsqu'elle a omis d'examiner les documents présentés par M. Avci ou d'y faire référence dans ses motifs, ces documents étant suffisamment importants à l'égard des questions en litige pour justifier un tel examen. La Cour d'appel mentionne qu'elle n'est pas en désaccord avec cette concession et, sur ce fondement, elle a annulé la décision de la SPR.

[8]                Dans la décision Vairavanathan, précitée, la décision faisant l'objet du contrôle judiciaire a été annulée parce que le décideur n'avait pas tenu compte des éléments de preuve présentés par le demandeur bien avant que la décision ait été rendue. Le défendeur invoque en particulier le fait que la juge ait noté dans sa décision que, lorsqu'une partie présente après l'audience des documents additionnels, lesquels n'avaient pas été demandés par le décideur, le conseil est tenu d'obtenir une confirmation des membres pertinents du tribunal que les observations additionnelles ont réellement été reçues et qu'elle attendait des conseils qu'ils obtiennent une telle confirmation à l'avenir.


[9]                Dans la décision Ahmad, précitée, il y avait des éléments de preuve selon lesquels des observations et des documents additionnels avaient été télécopiés au décideur mais rien ne prouvait qu'il les avait bien reçus. La Cour conclut que le document présenté après l'audience ne s'est jamais rendu jusqu'au décideur et elle affirme qu' « [a]u moins, l'avocate aurait dû s'assurer que la télécopie, dont elle n'a reçu de la Commission aucun accusé de réception, avait en fait été reçue » . [Non souligné dans l'original.]

[10]            Dans la décision Arulanandam, précitée, le juge Gibson devait traiter d'une autre situation où les observations additionnelles alléguées ne faisaient pas partie du dossier certifié et où il n'y avait aucun élément de preuve pour prouver qu'elles avaient été réellement reçues par le défendeur. Dans les circonstances, la Cour a conclu qu'elle devait présumer qu'elles n'avaient pas été reçues et que, par conséquent, aucune erreur n'avait été commise du fait de l'omission d'examiner ces observations.

[11]            En l'espèce, le demandeur a eu la confirmation que la SPR avait reçu ces documents qui avaient été livrés par messager. Je ne puis être d'accord avec le défendeur selon lequel, ayant fait cela, le demandeur était également tenu d'obtenir une autre confirmation que ces documents, correctement déposés auprès de la SPR, avaient vraiment été remis au commissaire qui avait entendu sa demande. Le dossier a été correctement identifié et correctement déposé auprès de la SPR. Il peut être souhaitable que le conseil fasse le suivi afin de veiller à ce qu'il n'y ait pas de délais administratifs inacceptables dans l'acheminement de la documentation, mais l'omission de ce faire ne peut influer sensiblement sur les droits du demandeur.

[12]            Bien que les parties n'aient pas explicitement abordé ce point, l'existence d'une obligation constante d'examiner les éléments de preuve soumis par le demandeur jusqu'à ce que la SPR soit dessaisie est implicite dans l'analyse de l'argument présenté par le demandeur.

[13]            Cette obligation a été examinée récemment par le juge Rouleau. Dans la décision Vinda c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 797, il a déclaré :

19 Dans l'arrêt Nadarajah[1] [...], la Cour d'appel a statué que la Commission est assujettie à une obligation constante d'examiner les éléments de preuve présentés par le demandeur jusqu'à ce qu'elle soit dessaisie. Le défendeur conteste cette proposition en soutenant que la règle de droit a changé depuis l'arrêt Tambwe-Lubemba[2] [...]. À mon avis, l'extrait que le défendeur invoque est cité hors contexte. Dans l'arrêt Tambwe-Lubemba, les demandeurs ont soutenu que le tribunal qui a entendu leurs revendications aurait dû tenir compte des renseignements que le centre de documentation de la Section du statut de réfugié a reçus après l'audience, mais avant le prononcé de la décision. La Cour a statué que le tribunal n'était pas tenu de prendre en compte les renseignements qui n'avaient pas été portés à la connaissance des membres et que les revendicateurs n'ont pas présentés.

[Renvois ajoutés.]

[Non souligné dans l'original.]

[14]            Le juge a ensuite conclu que, en négligeant de reconnaître ou de commenter les éléments de preuve additionnels présentés par le demandeur, la SPR ne s'est pas acquittée de son obligation et elle a agi de façon inéquitable.

[15]            Lorsqu'elle a adopté ses nouvelles règles (DORS/2002-228), la SPR a précisément traité de cette question à l'article 37, lequel établit de nouveaux paramètres. Cet article se lit ainsi :

37(1) Documents supplémentaires après l'audience - Pour transmettre après l'audience, un document à la Section pour qu'elle l'admette en preuve, la partie en fait la demande à la Section.

37(1) Additional documents after the hearing has ended - A party who wants to provide a document as evidence after a hearing must make an application to the Division.

(2) Forme de la demande - La partie fait sa demande selon la règle 44 et y joint une copie du document, mais elle n'a pas à y joindre d'affidavit ou de déclaration solennelle.

(2) Written application - The party must attach a copy of the document to the application. The application must be made under rule 44, but the party is not required to give evidence in an affidavit or statutory declaration.

(3) Éléments à considérer - Pour statuer sur la demande, la Section prend en considération tout élément pertinent et examine notamment :

a) la pertinence et la valeur probante du document;

b) toute preuve nouvelle qu'il apporte;

c) si la partie aurait pu, en faisant des efforts raisonnables, le transmettre selon la règle 29.

[Non souligné dans l'original.]

(3) Factors - In deciding the application, the Division must consider any relevant factors, including:

(a) the document's relevance and probative value;

(b) any new evidence it brings to the proceedings; and

(c) whether the party, with reasonable effort, could have provided the document as required by rule 29.

[16]            Conformément à l'article 44, une demande est normalement faite par écrit, elle mentionne la décision que la partie recherche de la part de la SPR et elle énonce les raisons pour lesquelles la SPR devrait rendre cette décision. Elle devrait également mentionner si l'autre partie, le cas échéant (ce n'était pas le cas), consent à la demande, dans le cas où on connaît l'opinion de cette autre partie.

[17]            Dans les circonstances particulières de l'espèce, je suis convaincue que la lettre du 5 août du demandeur satisfait à l'exigence de l'article 37. Cela signifie que la SPR devait traiter la demande du demandeur. Elle pouvait tout simplement mentionner dans sa décision que, ayant examiné la lettre, elle a décidé de ne pas tenir compte des éléments de preuve en raison des facteurs énumérés au paragraphe 37(3) ou elle pouvait accepter de prendre en compte les nouveaux éléments de preuve et en traiter dans sa décision. La SPR n'a tout simplement pas traité de cette question. On ne peut ignorer un manquement à l'équité procédurale que s'il n'y a aucun doute que cela n'a eu aucun effet important sur la décision. Ce n'est pas le cas en l'espèce et je dois annuler la décision.

[18]            Les parties n'ont pas présenté de question pour la certification et la Cour convient que la présente affaire ne soulève aucune question devant être certifiée.

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la présente demande soit accueillie et que la décision de la SPR soit annulée. L'affaire fera l'objet d'un nouvel examen de la part d'un tribunal différemment constitué.

                                                                            _ Johanne Gauthier _                

                                                                                                     Juge                              

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                            IMM-6816-03

INTITULÉ :                                           PRATHARSAN NAGULESAN

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 5 OCTOBRE 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    LA JUGE GAUTHIER

DATE DES MOTIFS :                                   LE 7 OCTOBRE 2004

COMPARUTIONS :

Diane Nancy Doray                                 POUR LE DEMANDEUR

Michel Pépin                                            POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Diane Nancy Doray                                 POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)

Morris Rosenberg                                    POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)



[1] Nadarajah c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 151 N.R. 383 (C.A.F.) et

Nadarajah c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 2 C.F. 394

[2] Tambwe-Lubemba c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), 264 N.R. 382 (C.A.F.)


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