Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20030122

Dossier : T-822-01

Référence neutre : 2003 CFPI 61

ENTRE :

                                                          TRUDY KALKE

                                                                                                                        demanderesse

                                                                       et

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA,

L'HONORABLE DAVID COLLENETTE, MINISTRE DES TRANSPORTS,

MOHAMMED AKHTAR et WILLIAM J. NASH

défendeurs

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE ROULEAU

[1]                Par une ordonnance en date du 12 décembre 2002, M. le protonotaire Hargrave a adjugé à la demanderesse les dépens relatifs à la procédure de médiation qui a eu lieu dans la présente action, le montant de ces dépens étant fixé à 5 000 $, payable immédiatement.


[2]                Les défendeurs ont interjeté appel en vue de contester l'adjudication des dépens en faveur de la demanderesse en alléguant que le montant adjugé était excessif ou que l'adjudication était prématurée et, subsidiairement, qu'ils n'avaient pas eu la possibilité de débattre la question de l'adjudication des dépens le jour où l'audience a eu lieu devant le protonotaire.

[3]                La présente action découle d'un litige existant depuis longtemps entre la demanderesse, qui est propriétaire d'un navire, et le ministre des Transports, en ce qui concerne une présumée ordonnance de détention du navire appartenant à la demanderesse, lequel se rapportait à la sécurité et à d'autres lacunes décelées lors d'inspections effectuées en 1996 et en 1999.

[4]                Certains aspects de l'ordonnance de détention de 1999 ont été débattus dans le cadre d'un contrôle judiciaire devant M. le juge O'Keefe, de la Cour, mais il reste encore à régler un certain nombre d'autres questions.


[5]                La demanderesse avait engagé une action en dommages-intérêts devant la Cour au mois de mai 2001. À la suite de la décision rendue par le juge O'Keefe au mois d'août 2002, le protonotaire Hargrave, qui avait été désigné en vue de gérer l'instance, était d'avis que la médiation était la meilleure façon de régler un certain nombre de questions en litige et, avec le consentement des avocats, à la suite d'une conférence portant sur la gestion de l'instance, il a écrit aux parties, le 16 octobre 2002, pour les informer que la séance de médiation aurait lieu le 10 décembre conformément à l'article 387 des Règles de la Cour fédérale (1998), une journée complète devant être consacrée à la médiation. Voici ce que le protonotaire a dit : [TRADUCTION] « Chaque partie devrait faire en sorte qu'un client, ou un représentant le cas échéant, soit présent, et donner à celui-ci un nombre suffisant d'instructions pour rendre la médiation valable » . Dans la même lettre, le protonotaire disait que les mémoires relatifs à la médiation devaient être déposés au plus tard le 5 décembre, ces mémoires devant rester scellés dans le dossier du greffe; en outre, le protonotaire s'attendait à ce que la demanderesse mette à la disposition des défendeurs, au plus tard le 22 novembre, certains renseignements financiers sur lesquels étaient fondés les dommages-intérêts.

[6]                Le 3 décembre, une autre lettre a été envoyée aux avocats pour les informer que la séance de médiation aurait lieu le 12 décembre et qu'ils devaient déposer leurs mémoires scellés au plus tard le 9 décembre.

[7]                Le 9 décembre, la demanderesse a déposé une quantité considérable de factures et d'autres états se rapportant aux dommages-intérêts ainsi qu'un mémoire. De leur côté, les défendeurs ont déposé leur mémoire scellé le même jour.


[8]                Le protonotaire Hargrave, qui avait informé les parties que la réunion avait lieu aux fins de la médiation conformément à l'alinéa 387a) des Règles de la Cour fédérale, voulait que la séance donne lieu à des discussions destinées à permettre de trouver une solution au litige qui convienne à chacune des parties.

[9]                La demanderesse s'est présentée à Vancouver avec son client, qui était venu d'Edmonton, et l'avocat des défendeurs a amené un certain Monsieur Nash, qui représentait le ministère des Transports. Quelques minutes après le début de la séance, il est devenu évident que le protonotaire Hargrave faisait face à une situation difficile.

[10]            Dans les plaidoiries qu'elle a présentées en appel, la demanderesse a allégué que, lors de la séance de médiation, M. Nash avait immédiatement pris la position selon laquelle [TRADUCTION] « il ne paierait pas un sou » sans offrir de solution de rechange raisonnable pendant la séance. Le protonotaire Hargrave a donc rendu l' « ordonnance » et les « motifs d'ordonnance » suivants :

                                                                  ORDONNANCE

La présente ordonnance découle d'une séance de médiation qui, après que tous les intéressés eurent été convoqués, n'a pas pu avoir lieu parce que les représentants des défendeurs n'avaient pas reçu d'instructions les autorisant à modifier la position selon laquelle aucune responsabilité n'était assumée; par conséquent, il aurait été inutile de s'engager dans une procédure de médiation et la chose aurait été préjudiciable. La demanderesse aura droit, au titre des dépens, à un montant de 5 000 $ payable immédiatement.

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

[1]    La médiation est une procédure par laquelle une personne neutre impartiale aide les parties à isoler les questions litigieuses, de façon à élaborer différentes solutions de rechange, en examinant les points forts et les points faibles et, si la médiation porte fruit, à en arriver à un règlement à l'amiable conforme aux besoins de chaque partie. Pour que la procédure fonctionne bien, chaque partie doit accepter que sa preuve soit examinée d'une façon franche, complète et réaliste et elle doit être en mesure de modifier ses attentes au fur et à mesure que la médiation se déroule.


[2]    On ne saurait se présenter à une séance de médiation en prenant une position ferme, énoncée dans un mémoire, selon laquelle aucune responsabilité n'est assumée, et en outre sans avoir reçu d'instructions permettant d'en arriver à un compromis. Si la partie qui accepte bien longtemps à l'avance que l'on procède par médiation estime que sa position est irrévocable, elle doit informer l'autre partie et le médiateur qu'étant donné qu'il n'existe aucun point susceptible de faire l'objet d'une médiation, la médiation ne devrait pas avoir lieu.

[3]    En l'espèce, bien avant la séance de médiation, j'ai écrit aux avocats pour les informer de la procédure, en leur faisant notamment savoir que [TRADUCTION] « [c]haque partie devrait faire en sorte qu'un client, ou un représentant le cas échéant, soit présent, et donner à celui-ci un nombre suffisant d'instructions pour rendre la médiation valable » .

[4]    Au début de la séance, j'ai expliqué le but de la médiation, au profit de la demanderesse et des représentants des défendeurs. J'ai confirmé auprès de la demanderesse, comme il en est fait mention dans le mémoire préparé par son avocat, lequel portait en bonne partie sur des faits, vérifiés ou allégués par la demanderesse, qu'en se présentant à la séance, elle était prête à en arriver à un compromis. Toutefois, les représentants des défendeurs n'avaient pas reçu d'instructions les autorisant à changer de position, celle-ci étant énoncée dans le mémoire de l'avocat, lequel constituait dans une certaine mesure une plaidoirie écrite telle que celles qui sont normalement présentées dans le cadre d'un procès, à savoir que pour un certain nombre de raisons, factuelles et juridiques, aucune responsabilité n'était assumée et que « [...] les défendeurs sout[enaient] respectueusement que la déclaration dev[ait] être radiée en totalité ou en partie ou, subsidiairement, être rejetée avec dépens » . Comme je l'ai dit, les représentants des défendeurs n'avaient pas reçu d'instructions permettant de procéder à une médiation utile.

[5]    La médiation en pareilles circonstances constituerait une démarche dans laquelle la demanderesse serait l'artisan de son propre malheur puisque les défendeurs pourraient chercher à l'aveuglette sans courir le moindre risque à connaître les points faibles qui, selon la demanderesse, sont inhérents à sa preuve. Or, cela n'est pas acceptable dans le cadre d'une médiation, car on n'arrive à aucune solution au litige qui convienne à chaque partie. Pareille tactique, à savoir se présenter à une séance de médiation sans instructions utiles en espérant obtenir peut-être des renseignements, est à la fois vexatoire et abusive, et cela cause un préjudice à la partie adverse.

[6]    Procéder à une évaluation quelconque, à la place de la médiation, n'était pas une solution. Dans leurs mémoires, les avocats avaient adopté des approches fort différentes, notamment pour ce qui est du degré de communication de leur preuve et de la présence ou de l'absence d'arguments juridiques.


[7]    Étant donné que les défendeurs ont fait obstacle à la médiation, la demanderesse aura droit aux dépens. En fixant une somme globale appropriée, j'ai tenu compte du temps et de l'effort que l'avocat de la demanderesse a consacrés à l'affaire, du tarif B, du fait que la demanderesse, qui venait de l'Alberta, a été obligée de se déplacer ainsi que du paiement de dépens en tant que moyen de dissuasion ou en tant que pénalité. Dans l'article intitulé Towards a New World of Costs, figurant dans le volume 51 du Advocate, à la page 717, Gordon Turriff, signale que, dans les décisions récentes, on a eu tendance à considérer les dépens comme constituant sous un certain aspect une pénalité connue dont l'avocat peut tenir compte aux fins de la gestion d'un litige. Dans cet article, M. Turriff mentionne la décision Houweling Nurseries Ltd. c. Fisons Western Corporation (1988) 37 B.C.L.R. (2nd) 2, rendue par Madame le juge d'appel McLachlin (tel était alors son titre) et l'arrêt Fullerton c. District of Matsqui (1992) 74 B.C.L.R. (2nd) 311 (C.A.C.-B.).

[8]    Dans la décision Houweling, Madame le juge d'appel McLachlin, au nom de la Cour, a dit ce qui suit :

En matière contentieuse, les dépens servent non seulement à indemniser dans une mesure plus ou moins grande le plaideur qui a gain de cause, mais aussi à prévenir les actions ou les défenses frivoles. En déterminant le risque que comporte une action ou une défense particulière, les parties devraient être en mesure de prévoir avec un certain degré de précision la pénalité à laquelle elles feront face si elles sont déboutées (page 25).

À coup sûr, Madame le juge d'appel McLachlin a souligné que les dépens devraient être accordés dans des limites relativement modestes, soit une restriction appropriée. La question de savoir ce qui constitue une limite modeste dépend du temps et des circonstances.

[9]    Dans l'arrêt Fullerton, la Cour d'appel, aux pages 318 et 319, a souligné que des dépens spéciaux pourraient être adjugés lorsqu'un tribunal a exprimé sa désapprobation, le montant adjugé constituant plus qu'une simple indemnité et devenant une peine.

[10]    En l'espèce, si toutes les circonstances sont prises en considération, y compris celles dont il est ci-dessus fait mention, il convient d'accorder un montant de 5 000 $ au titre des dépens, payable immédiatement.

[11]            Dans l'appel ici en cause, l'avocat des défendeurs soutient que les dépens qui ont été adjugés étaient punitifs, qu'il n'a pas eu la possibilité de présenter des arguments sur la question des dépens et qu'il était essentiellement d'avis que la séance aurait dû être considérée comme une procédure d'évaluation. En outre, il a été soutenu que, s'il avait été mis au courant de l'intention du protonotaire, M. Nash aurait pu téléphoner à Ottawa pour obtenir des instructions additionnelles s'il croyait que la cause de la demanderesse était fondée et aurait peut-être envisagé le paiement d'une certaine indemnité au moyen de l'octroi de dommages-intérêts, en satisfaisant ainsi au but sous-tendant une séance de médiation.

[12]            Un examen sommaire du mémoire des défendeurs montre que le ministre défendeur a nié toute responsabilité avec véhémence au point de soutenir que la déclaration était dénuée de fondement et qu'elle devrait être rejetée.

[13]            L'examen des pièces et de l'ordonnance du protonotaire Hargrave révèle ce qui suit : sa lettre du 16 octobre montre d'une façon passablement claire que la séance du 10 décembre, qui a finalement eu lieu le 12 décembre 2002, était une séance de médiation; il a conclu que le mémoire des défendeurs ne faisait état d'aucune position constituant un compromis et que M. Nash n'avait pas fait savoir qu'il avait reçu des instructions lui permettant de déroger à cette position et qu'il avait donc conclu qu'il n'y avait rien qui puisse faire l'objet d'une médiation.

[14]            Il était également convaincu que la demanderesse était prête à accepter un compromis, mais que compte tenu de l'attitude des défendeurs, cela constituerait tout simplement une recherche à l'aveuglette qui serait uniquement profitable aux défendeurs et qui équivaudrait à une communication des points faibles de la preuve de la demanderesse sans que cette dernière tire de son côté parti de la communication, ce qui était inacceptable. Il a conclu que le fait de procéder à une évaluation plutôt que par médiation ne constituait pas une solution.


[15]            Il est de droit constant que la Cour peut uniquement examiner la décision discrétionnaire d'un protonotaire lorsque cette décision est clairement erronée, lorsque l'exercice du pouvoir discrétionnaire était fondé sur un mauvais principe ou sur une conclusion de fait erronée ou lorsque la décision soulève des questions essentielles à l'issue finale de l'affaire.

[16]            Je suis convaincu que les mêmes principes s'appliquent au pouvoir discrétionnaire du protonotaire tel qu'il se rapporte à l'adjudication des dépens.

[17]            De toute évidence, la décision du protonotaire n'influe pas sur l'issue finale de l'affaire. Je ne suis pas convaincu que la décision ait été fondée sur un principe erroné ou sur une mauvaise interprétation des faits.

[18]            Les défendeurs n'ont pas présenté de preuve de nature à me convaincre que, lorsque M. Nash s'est présenté à la séance de médiation, il voulait faire autre chose que nier le bien-fondé de la demande de la demanderesse ou qu'il avait reçu des instructions selon lesquelles il devait être prêt à modifier la position du ministre au moyen d'un compromis.


[19]            Le protonotaire Hargrave a-t-il excédé son pouvoir discrétionnaire en fixant le montant des dépens que les défendeurs devaient payer par suite de l'échec de la médiation? Un montant de 5 000 $ était-il excessif? L'article 400(3) des Règles énonce un certain nombre de facteurs dont la Cour devrait tenir compte dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire lorsqu'elle adjuge les dépens : le résultat, la charge de travail et la conduite d'une partie. Il a conclu que la conduite des défendeurs pouvait presque être qualifiée de vexatoire. Il doit avoir tenu compte du fait que la demanderesse elle-même était venue d'Edmonton pour assister à la séance et qu'une journée avait été mise de côté aux fins de la médiation. L'examen de ces faits me convainc que le montant adjugé n'était pas excessif.

[20]            L'avocat a soutenu qu'il devrait avoir la possibilité de présenter des arguments au sujet des dépens. Je ne connais aucune règle stricte voulant que la personne qui se prononce sur une affaire soit tenue d'entendre des observations sur pareille question. Les dépens ne sont qu'une question purement discrétionnaire qui est toujours laissée à l'appréciation du juge des faits. À mon avis, le protonotaire n'a pas violé quelque principe légalement obligatoire. Je ne suis pas convaincu que le montant adjugé soit excessif; puisque le protonotaire Hargrave est parfaitement libre d'exercer son pouvoir discrétionnaire à l'égard des faits, pourquoi ne devrait-il pas posséder le même pouvoir discrétionnaire à l'égard de l'adjudication des dépens?

[21]            À la fin de l'audience, on m'a fait savoir que le montant de 5 000 $ initialement adjugé au titre des dépens devait rester dans le compte en fiducie de l'avocat tant qu'il n'était pas statué sur l'appel; j'ai alors ordonné que le montant soit consigné à la Cour au profit de la demanderesse.

[22]            L'appel est rejeté.

                                                                                                  « P. Rouleau »              

                                                                                                                 Juge                     

Vancouver (C.-B.)

Le 22 janvier 2003

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                               COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                          SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                            AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                  T-822-01

INTITULÉ :                                 TRUDY KALKE c. SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA et autres

LIEU DE L'AUDIENCE :           Vancouver (C.-B.)

DATE DE L'AUDIENCE :         le 20 janvier 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                    Monsieur le juge Rouleau

DATE DES MOTIFS :                le 22 janvier 2003

COMPARUTIONS :

M. Roger S. Watts                          POUR LA DEMANDERESSE

M. Joseph Spears                            POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

McEwen, Schmitt & Co.                 POUR LA DEMANDERESSE

Vancouver (C.-B.)

J. Spears & Company                     POUR LES DÉFENDEURS

West Vancouver (C.-B.)


 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.