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Date : 20050223

Dossiers : T-1013-04

T-1014-04

T-1015-04

T-1016-04

Référence : 2005 CF 280

ENTRE :

                                                             SHELDON BLANK

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                                                  LE MINISTRE DE LA JUSTICE

                                                                                                                                           défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE KELEN

[1]                La présente décision concerne une requête présentée par le défendeur en vue de déposer auprès de la Cour des affidavits confidentiels visant quatre demandes de contrôle judiciaire (T-1013-04, T-1014-04, T-1015-04 et T-1016-04).


LE CONTEXTE

[2]                En février et en mai 2000, le demandeur, Sheldon Blank, a soumis au Bureau de l'accès à l'information et à la protection des renseignements personnels du ministère de la Justice des demandes qui visaient à obtenir des communications et des dossiers le concernant et qui concernaient sa compagnie, Gateway Industries. Le défendeur a refusé de communiquer certains des documents réclamés par le demandeur au motif qu'ils étaient protégés par le secret professionnel qui lie l'avocat à son client et que leur communication pouvait donc être refusée en vertu de l'article 23 de la Loi sur l'accès à l'information, L.R.C. 1985, ch. A-1 (la Loi sur l'accès).

[3]                En juillet 2000, le demandeur a porté plainte auprès du Commissariat à l'information au sujet des exceptions invoquées par le défendeur. Conformément aux articles 30 et 37 de la Loi sur l'accès, le Commissaire à l'information a ouvert une enquête sur le bien-fondé du refus de communiquer les documents et il a adressé au défendeur une recommandation non contraignante à ce sujet. Au cours de cette enquête, un certain nombre de communications ont été échangées entre le Commissaire à l'information et les fonctionnaires du ministère de la Justice.

[4]                Le demandeur a ensuite exercé, en vertu de l'article 41 de la Loi sur l'accès, quatre recours en révision judiciaire de la décision du défendeur de refuser de lui communiquer certains dossiers ou extraits de dossiers.

[5]                En juillet 2004, le défendeur a présenté une requête en vue d'être autorisé, en vertu des articles 151 et 152 des Règles de la Cour fédérale (1998), à déposer les affidavits confidentiels de Kerri Clark et d'Helen Ryan dans le cadre des instances en contrôle judiciaire. Les affidavits confidentiels proposés renfermaient des documents pour lesquels le défendeur revendiquait un privilège ainsi que des communications échangées avec le Commissaire à l'information au cours de son enquête. J'ai instruit la requête le 13 septembre 2004 à Winnipeg. J'ai alors suspendu l'audience pour donner au défendeur le temps nécessaire pour produire un affidavit révisé tenant compte de l'arrêt Blank c. Canada (2004), 244 D.L.R. (4th) 80 de la Cour d'appel. Au paragraphe 66 de cet arrêt, la Cour d'appel a expliqué que, lorsqu'une demande est présentée en vertu de la Loi sur l'accès en vue d'obtenir un document protégé, le gouvernement doit prélever de ce document et communiquer les renseignements généraux de nature descriptive, notamment la description du document, le nom, le titre et l'adresse de la personne visée par la communication, les conclusions de celle-ci et la signature.

[6]                Le défendeur a par la suite déposé les affidavits d'Amanda Cloutier et de Shelley Emmerson qui sont censés contenir des listes descriptives des documents retenus par le défendeur conformément à l'arrêt Blank, précité, de la Cour d'appel. Les deux autres affidavits comprennent aussi des documents à l'égard desquels le défendeur ne revendique plus de privilège.

[7]                Le demandeur a ensuite présenté une requête en vue d'obtenir des éclaircissements au sujet de mon ordonnance du 13 septembre 2004. La requête a été instruite par téléconférence le 25 novembre 2004. Il a alors été convenu qu'il fallait résoudre deux questions au sujet des affidavits révisés :

1.          Les documents se rapportant aux communications échangées avec le Commissaire à l'information lors de son enquête peuvent-ils être déposés à titre confidentiel ou doivent-ils être rendus publics?

2.          Les documents protégés dont il est question dans les affidavits révisés ont-ils été prélevés et identifiés conformément au paragraphe 66 de l'arrêt Blank, précité, de la Cour d'appel?

[8]                Il a en outre été convenu que ces questions et la requête sous-jacente visant à obtenir l'autorisation de déposer des affidavits confidentiels pouvaient être jugées sur dossier. J'ai eu l'occasion d'examiner les observations écrites des parties. Voici mes conclusions en ce qui concerne les questions à résoudre.

Première question

Les documents se rapportant aux communications échangées avec le Commissaire à l'information lors de son enquête peuvent-ils être déposés à titre confidentiel ou doivent-ils être rendus publics?


[9]                Le défendeur souhaite intégrer à son affidavit confidentiel des documents se rapportant aux communications échangées entre le ministère de la Justice et le Commissaire à l'information au cours de l'enquête de ce dernier. Le défendeur affirme que ces documents sont pertinents parce qu'une des questions soulevées par le demandeur est la mesure dans laquelle le défendeur a suivi les recommandations du Commissaire à l'information.

[10]            Le défendeur soutient que les documents devraient être déposés à titre confidentiel auprès de la Cour parce que l'article 35 de la Loi sur l'accès prévoit que les enquêtes menées sur les plaintes par le Commissaire à l'information sont secrètes. Voici le texte intégral de cet article :


35. (1) Les enquêtes menées sur les plaintes par le Commissaire à l'information sont secrètes.

35. (1) Every investigation of a complaint under this Act by the Information Commissioner shall be conducted in private.

(2) Au cours de l'enquête, les personnes suivantes doivent avoir la possibilité de présenter leurs observations au Commissaire à l'information, nul n'ayant toutefois le droit absolu d'être présent lorsqu'une autre personne présente des observations au Commissaire à l'information, ni d'en recevoir communication ou de faire des commentaires à leur sujet :

a) la personne qui a déposé la plainte;

b) le responsable de l'institution fédérale concernée;

c) le tiers visé au paragraphe 27(1), si le Commissaire à l'information a l'intention de recommander, en vertu du paragraphe 37(1), la communication d'un document visé au paragraphe 27(1).

[Non souligné dans l'original.]

(2) In the course of an investigation of a complaint under this Act by the Information Commissioner, a reasonable opportunity to make representations shall be given to

(a) the person who made the complaint,

(b) the head of the government institution concerned, and

(c) where the Information Commissioner intends to recommend under subsection 37(1) that a record or a part thereof be disclosed that contains or that the Information Commissioner has reason to believe might contain

(i) trade secrets of a third party,

(ii) information described in paragraph 20(1)(b) that was supplied by a third party, or

(iii) information the disclosure of which the Information Commissioner could reasonably foresee might effect a result described in paragraph 20(1)(c) or (d) in respect of a third party,

the third party, if the third party can reasonably be located,

but no one is entitled as of right to be present during, to have access to or to comment on representations made to the Commissioner by any other person.

[Emphasis added.]


[11]            Dans l'arrêt Rubin c. Canada, [1994] 2 C.F. 707, conf. par [1996] 1 R.C.S. 6, la Cour d'appel a confirmé que les observations faites au Commissaire à l'information au cours de son enquête demeuraient confidentielles, tant au cours de l'enquête qu'après que celle-ci est terminée. Ainsi, dans cette affaire, il n'était pas nécessaire de divulguer au plaignant les observations faites au Commissaire.

[12]            Le demandeur ne s'oppose pas à la décision Rubin, précitée, mais il soutient qu'elle ne s'applique pas au cas qui nous occupe. Il fait valoir que, bien qu'il soit interdit au Commissaire de divulguer la teneur des observations qui lui ont été faites au cours de son enquête, il n'y a rien qui empêche le défendeur, en tant qu'auteur des observations, de renoncer à la confidentialité et de rendre les documents publics. Bien qu'on ne puisse contraindre le défendeur à produire les documents, dès lors qu'il choisit de se fonder sur les documents en question dans le cadre d'une instance judiciaire, il devrait être tenu de le faire publiquement.

[13]            En réponse, le défendeur rappelle que c'est le demandeur qui a soulevé la question du respect des recommandations du Commissaire à l'information. Comme le défendeur cherche tout simplement à répondre à ces allégations et à se défendre, il ne devrait pas être forcé de renoncer à la confidentialité. Qui plus est, parce que M. Blank n'est pas représenté par un avocat et qu'il n'est assujetti à aucune obligation professionnelle, il ne serait pas approprié de lui communiquer les documents avec un engagement de confidentialité.

[14]            Eu égard aux circonstances de l'espèce, je suis d'avis que le défendeur devrait être autorisé à déposer sous le sceau du secret les documents se rapportant à l'enquête du Commissaire à l'information. J'en arrive à cette conclusion pour des raisons. Premièrement, la Loi sur l'accès crée la présomption générale que les observations adressées au Commissaire à l'information doivent être gardées secrètes. Cette mesure incite les ministères qui font l'objet d'une enquête du Commissaire à l'information à communiquer à ce dernier les renseignements de façon franche et complète dans le cadre de l'enquête. En second lieu, il ne s'agit pas d'un cas dans lequel le défendeur cherche à déposer des renseignements confidentiels pour étayer une allégation qu'il a formulée ou pour obtenir une réparation. Le défendeur se défend tout simplement contre une allégation avancée par le demandeur. Il se sert des documents comme d'un bouclier et non comme d'une épée.

[15]            La raison pour laquelle le défendeur est autorisé à déposer des documents à titre confidentiel à ce moment-ci est qu'on veut s'assurer que le juge qui instruira la demande ait les documents en main. C'est lui qui sera le mieux placé pour décider s'il y a lieu d'accorder une exception pour permettre à M. Blank de consulter les documents en tout ou en partie. Il se peut que M. Blank doive engager un avocat autorisé par la loi à recevoir des renseignements confidentiels et qu'il doive souscrire les engagements nécessaires. Si M. Blank choisit d'être représenté, son avocat aura accès aux documents confidentiels en question.


Seconde question

Les documents protégés dont il est question dans les affidavits révisés ont-ils été prélevés et identifiés conformément au paragraphe 66 de l'arrêt Blank, précité, de la Cour d'appel?

[16]            L'audience a été ajournée le 13 septembre 2004 pour donner au défendeur le temps nécessaire pour déposer des affidavits conformes à l'arrêt Blank, précité. Le 25 octobre 2004, le juge Décary a suspendu l'exécution de l'arrêt Blank, précité, jusqu'à ce que la Cour suprême du Canada ait rendu sa décision sur la demande d'autorisation de pourvoi. Bien que la décision ait été suspendue, je fais mien le paragraphe 66, que je considère comme l'énoncé exact de l'état du droit lors de la téléconférence du 25 novembre 2004. Par conséquent, les listes descriptives soumises par le défendeur doivent quand même remplir les conditions exposées dans l'arrêt Blank, précité, au sujet du prélèvement d'extraits.


[17]            Dans son mémoire, M. Blank a indiqué les documents qui, à son avis, n'avaient pas été dûment prélevés ou qui n'étaient pas suffisamment descriptifs. Son argumentation est axée en grande partie sur la description des lignes portant la mention « objet » . Après avoir examiné attentivement les affidavits confidentiels et les listes descriptives contenues dans les affidavits publics d'Amanda Cloutier et de Shelley Emmerson, je suis convaincu que les documents protégés ont été prélevés conformément aux directives contenues au paragraphe 66 de l'arrêt Blank, précité. Dans certains cas, l'objet indiqué par le défendeur dans les listes descriptives est de caractère très général. Il s'agit toutefois des lignes de mention « objet » utilisées dans les documents dont le caractère confidentiel est revendiqué. Dans d'autres cas, la mention « objet » a été retranchée parce que le défendeur estime qu'il s'agit d'un renseignement privilégié. Il n'appartient pas à la Cour à ce stade-ci de déterminer s'il y a lieu de divulguer les lignes où l'objet est mentionné ou tout autre renseignement que le défendeur a refusé de communiquer. Le juge qui instruira la demande décidera quels renseignements sont protégés et ont été régulièrement retenus lorsqu'il statuera sur le fond de la demande.

[18]            M. Blank affirme aussi que la liste descriptive contenue dans l'affidavit de Shelley Emmerson (T-1014-04) ne fait pas la distinction requise entre le privilège relatif au litige et celui du secret professionnel de l'avocat, contrairement à ce que j'exigeais dans mon ordonnance du 13 septembre 2004. Le défendeur a accepté de fournir une ventilation des types de privilèges revendiqués en vertu de l'article 23 de la Loi sur l'accès comme il l'a fait dans les affidavits d'Amanda Cloutier.

[19]            La requête sera donc accueillie et le défendeur sera autorisé à déposer les affidavits confidentiels de Kerri Clark, d'Helen Ryan et d'Amanda Cloutier. Le défendeur devra par ailleurs fournir, en ce qui concerne le dossier T-1014-04, une liste révisée avec une ventilation des types de privilèges revendiqués en vertu de l'article 23 de la Loi sur l'accès.

_ Michael A. Kelen _                                                                                               _______________________________

Juge

OTTAWA (Ontario)

Le 23 février 2005

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIERS :                                             T-1013-04, T-1014-04, T-1015-04, T1016-04

INTITULÉ :                                              SHELDON BLANK

c.

LE MINISTRE DE LA JUSTICE

LIEU DE L'AUDIENCE :                        OTTAWA (ONTARIO) (par téléconférence)

DATE DE L'AUDIENCE :                      LE 25 NOVEMBRE 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :         LE JUGE KELEN

DATE DES MOTIFS :                             LE 23 FÉVRIER 2005

COMPARUTIONS :

Sheldon Blank                                             LE DEMANDEUR, POUR SON PROPRE COMPTE

Christopher Rupar

Jessica Cogan                                              POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

LE DEMANDEUR, POUR SON PROPRE COMPTE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada              POUR LE DÉFENDEUR


                         COUR FÉDÉRALE

                                                         Date : 20050223

                                                 Dossiers : T-1013-04

                                                                   T-1014-04

                                                                   T-1015-04

                                                                   T-1016-04

ENTRE :

SHELDON BLANK

                                                                  demandeur

et

MINISTRE DE LA JUSTICE

                                                                   défendeur

                                                                                   

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

                                                                                   

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