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     Date : 19980508

     Dossier : T-377-98

ENTRE :

     EARL HUGH GIESBRECHT,

     Demandeur,

     - et -

     SA MAJESTÉ LA REINE et

     LE COMITÉ RÉGIONAL DES TRANSFÈREMENTS DE LA SASKATCHEWAN

     et LE PÉNITENCIER DE LA SASKATCHEWAN,

     Défendeurs.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE ROTHSTEIN :

[1]      Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision par laquelle le Comité régional des transfèrements, agissant par l'entremise de l'administrateur régional, opérations dans la collectivité et dans les établissements, a approuvé le transfert involontaire du demandeur du pénitencier de la Saskatchewan à sécurité moyenne à l'établissement d'Edmonton à sécurité maximum. Le Comité régional des transfèrements a conclu, en se fondant sur des [Traduction] " renseignements dignes de foi ", que le demandeur avait participé à une tentative d'évasion.

[2]      Le demandeur a déposé un grief pour se plaindre de cette décision; il en a en plus demandé le contrôle judiciaire. Il faut trancher la question préliminaire de savoir si la procédure de grief prévue en vertu de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20, modifiée, constitue une autre voie de recours appropriée qui doit être épuisée avant toute demande de contrôle judiciaire. Voir Anderson c. Canada (Forces armées) (C.A.), [1997] 1 C.F. 273.

[3]      Le régime législatif de règlement des griefs concernant les détenus est établi par la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition et par le Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, DORS/92-620, modifiés. Les directives du Commissaire du Service correctionnel établissent aussi certaines règles. Les articles 90 et 91 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition prévoit :

         90. Est établie, conformément aux règlements d'application de l'alinéa 96u), une procédure de règlement juste et définitif des griefs des délinquants sur des questions relevant du commissaire.                 
         91. Tout délinquant doit, sans crainte de représailles, avoir libre accès à la procédure de règlements des griefs.                 

[4]      Le transfèrement des détenus relève de la compétence du commissaire par application de l'article 29 de la Loi :

         29. Le commissaire peut autoriser le transfèrement d'une personne condamnée ou transférée au pénitencier, soit à un autre pénitencier, conformément aux règlements pris en vertu de l'alinéa 96d), mais sous réserve de l'article 28, soit à un établissement correctionnel provincial ou un hôpital dans le cadre d'un accord conclu au titre du paragraphe 16(1), conformément aux règlements applicables.                 

[5]      Une procédure de grief détaillée est établie par les articles 74 à 82 du Règlement.

[6]      Le paragraphe 74(1) prévoit :

             74. (1) Lorsqu'il est insatisfait d'une action ou d'une décision de l'agent, le délinquant peut présenter une plainte au supérieur de cet agent, par écrit et de préférence sur une formule fournie par le Service.                 

En l'occurrence, l'agent qui a pris la décision relative au transfèrement en qualité de Comité régional des transfèrements est l'administrateur régional, opérations dans la collectivité et dans les établissements.

[7]      Selon le paragraphe 74(3), le grief doit être traité le plus rapidement possible.

             74. (3) Sous réserve des paragraphes (4) et (5), le supérieur doit examiner la plainte et fournir copie de sa décision au délinquant aussitôt que possible après que celui-ci a présenté sa plainte.                 

[8]      L'obligation de traiter rapidement les griefs se reflète dans les articles 74 à 82.

[9]      L'avocat de l'intimé a expliqué que la décision du Comité régional des transfèrements peut être portée en appel devant le sous-commissaire régional. En vertu de l'article 40 de la directive no 81 du commissaire, le sous-commissaire régional doit rendre sa décision dans les dix (10) jours ouvrables suivant la réception du grief. La décision du sous-commissaire régional peut à son tour être portée en appel devant le sous-commissaire principal en vertu de l'article 42 de la directive no 81 du commissaire.

[10]      À première vue, le régime législatif régissant les griefs constitue un autre voie de recours appropriée par rapport au contrôle judiciaire. Les griefs doivent être traités rapidement et les directives du commissaire fixent des délais. Rien ne laisse croire que ce processus est coûteux. Il est probablement même moins coûteux et plus simple qu'une procédure de contrôle judiciaire. Un détenu peut interjeter appel d'une décision sur le fond au moyen de la procédure de grief et un tribunal d'appel peut substituer sa décision à celle du tribunal dont la décision est contestée. Le contrôle judiciaire ne vise pas le fond de la décision et une issue favorable au détenu aurait simplement pour conséquence de renvoyer l'affaire pour que le tribunal dont la décision a été contestée en rende une nouvelle.

[11]      L'avocat du demandeur a soutenu que la procédure de grief ne constitue pas une autre voie de recours appropriée pour le demandeur en raison du paragraphe 81(1) du Règlement :

             81. (1) Lorsque le délinquant décide de prendre un recours judiciaire concernant sa plainte ou son grief, en plus de présenter une plainte ou un grief selon la procédure prévue dans le présent règlement, l'examen de la plainte ou du grief conformément au présent règlement est suspendu jusqu'à ce qu'une décision ait été rendue dans le recours judiciaire ou que le détenu s'en désiste.                 

L'avocat a fait valoir qu'après le dépôt de la demande de contrôle judiciaire, le grief déposé auprès du sous-commissaire régional devait être suspendu jusqu'à ce qu'une décision sur la demande de contrôle judiciaire soit rendue; selon lui, la procédure de grief ne constituait donc pas une autre voie de recours appropriée.

[12]      Dans l'affaire Hutton c. Canada (Chef d'état-major de la défense) (1997), 135 F.T.R. 123, j'ai conclu qu'une plainte déposée auprès de la Commission canadienne des droits de la personne emportait la suspension de la procédure interne de règlement des griefs des Forces armées, en raison d'une disposition semblable au paragraphe 81(1) du Règlement. Dans cette cause, j'ai conclu qu'en raison de la plainte déposée devant la Commission des droits de la personne, la procédure interne de règlement des griefs ne constituait pas une autre voie de recours appropriée par rapport au contrôle judiciaire parce que le dépôt de la plainte en matière de droits de la personne faisait obstacle à la procédure interne de règlement des griefs, alors que le contrôle judiciaire pouvait suivre son cours. Toutefois, l'affaire Hutton portait sur une situation exceptionnelle et j'ai exprimé ma préoccupation concernant la nécessité d'empêcher un demandeur de pouvoir jouer à sa guise avec l'obligation d'épuiser ses autres voies de recours appropriées avant de demander le contrôle judiciaire d'une décision.

[13]      En l'espèce, c'est le dépôt de la demande de contrôle judiciaire qui a empêché le grief de suivre son cours en raison du paragraphe 81(1). Toutefois, la Cour a une emprise sur la demande de contrôle judiciaire, alors qu'elle n'avait aucun pouvoir sur la procédure devant la Commission canadienne des droits de la personne dans l'affaire Hutton. Il serait anormal qu'un demandeur puisse, en déposant une demande de contrôle judiciaire, s'arroger le pouvoir de décider si une procédure de règlement de griefs constitue une autre voie de recours appropriée. C'est à la Cour qu'appartient cette décision. Le contrôle judiciaire est un recours discrétionnaire et la Cour ne peut être empêchée de décider qu'il existe une autre voie de recours appropriée simplement parce qu'un demandeur a déposé une demande de contrôle judiciaire. Le paragraphe 81(1) du Règlement ne vise pas à permettre de déroger au pouvoir discrétionnaire de la Cour à cet égard. Il s'agit simplement d'un sursis légal de la procédure de règlement des griefs lorsqu'une autre procédure est engagée afin d'éviter que plusieurs instances se déroulent en même temps relativement à la même affaire. Le paragraphe 81(1) ne fait pas obstacle à la procédure de règlement des griefs si la Cour conclut qu'il s'agit d'une autre voie de recours appropriée et qu'elle rejette la demande de contrôle judiciaire. L'argument du demandeur ne peut donc être retenu.

[14]      Aucun élément porté à l'attention de la Cour ne laisse croire que la procédure interne de règlement des griefs prévue par la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition et son règlement d'application ne constitue pas une autre voie de recours appropriée par rapport au contrôle judiciaire. La décision définitive rendue à l'issue de la procédure de règlement des griefs pourrait bien sûr faire l'objet d'une demande de contrôle judiciaire.

[15]      La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n'y aura pas d'adjudication des dépens.

[16]      L'avocat du demandeur a exprimé la crainte que le grief ne soit pas traité de façon expéditive. L'avocat du défendeur s'est engagé à aviser le défendeur que la Cour s'attend qu'il procède conformément à la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, à son règlement d'application et aux directives du Commissaire qui exigent que l'affaire soit traitée rapidement. Si le défendeur retarde indûment le déroulement de la procédure, le demandeur pourra demander à la Cour de lui délivrer un bref de mandamus.

                                         " Marshall Rothstein "

                                         J U G E

TORONTO (ONTARIO)

8 MAI 1998

Traduction certifiée conforme :

Laurier Parenteau, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     Avocats et avocats inscrits au dossier

NUMÉRO DU GREFFE :              T-377-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :          EARL HUGH GIESBRECHT

                         - et -

                         SA MAJESTÉ LA REINE, ET AUTRES

DATE DE L'AUDITION :              29 AVRIL 1998

LIEU DE L'AUDITION :              SASKATOON (SASKATCHEWAN)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE ROTHSTEIN

DATE DES MOTIFS :              8 MAI 1998

ONT COMPARU :                  M e Garth Bendig

                             pour le demandeur

                         M e Bruce Gibson

                             pour les défendeurs

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :      Me Garth Bendig

                         Pandila Morin

                         15, 15e Rue ouest

                         Prince Albert (Saskatchewan)

                         S6V 3P4

                             pour le demandeur

                         Ministère de la Justice

                         Bureau régional de Saskatoon

                         Édifice Churchill

                         229, 4e Avenue sud, 7e étage

                         Saskatoon (Saskatchewan)

                         S7K 4K3

                             pour les défendeurs     

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     Date : 19980508

     Dossier : T-377-98

Entre :

EARL HUGH GIESBRECHT,

     Demandeur,

- et -

SA MAJESTÉ LA REINE ET AUTRES,

     Défendeurs.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE


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