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     Date : 19980220

     T-1100-97

OTTAWA (ONTARIO), LE 20 FÉVRIER 1998

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE RICHARD


E n t r e :

     ELI LILLY AND COMPANY et

     ELI LILLY CANADA INC.,

     demanderesses,


     et


     APOTEX INC.,

     défenderesse.

     ORDONNANCE

     VU la requête présentée par les demanderesses en vue d'obtenir :

     1.      Une ordonnance radiant les passages suivants de la défense et demande reconventionnelle au motif que les passages en question ne révèlent aucune cause raisonnable de défense au sens de l'alinéa 419(1)a) des Règles de la Cour fédérale;

         a)      le passage suivant de l'alinéa 10a) : [TRADUCTION] " et comprend les composés que le présumé inventeur n'a pas fabriqué ou mis à l'essai et ne pouvait pas fabriquer ou mettre à l'essai en tant qu'antagoniste de récepteur H2 avant le dépôt de la demande canadienne 387,139 ";
         b)      le paragraphe 10(1);
         c)      le paragraphe 11 et l'intitulé qui figure immédiatement avant le paragraphe 11.

     2.      Une ordonnance radiant l'expression [TRADUCTION] " toute publication, y compris [...] " qui se trouve à l'alinéa 10f) de la défense et demande reconventionnelle, chaque occurrence du mot " publications " et chaque occurrence des mots [TRADUCTION] " y compris " à l'alinéa 10g) de la défense et demande reconventionnelle, et chaque occurrence des mots [TRADUCTION] " et de toute publication " aux alinéas 10h) et 10i) de la défense et demande reconventionnelle au motif que les passages précités de la défense et demande reconventionnelle :

         a)      ne révèlent aucune cause raisonnable de défense au sens de l'alinéa 419(1)a) des Règles de la Cour fédérale;
         b)      sont futiles ou vexatoires au sens de l'alinéa 419(1)c) des Règles de la Cour fédérale;
         c)      peuvent causer préjudice, gêner ou retarder l'instruction équitable de l'action au sens de l'alinéa 419(1)d) des Règles de la Cour fédérale;
         d)      constituent un emploi abusif des procédures de la Cour au sens de l'alinéa 419(1)f) des Règles de la Cour fédérale;
     3.      Les dépens des demanderesses dans la présente requête;
     4.      Toute autre réparation que la Cour jugera bon d'accorder :
     LA COUR ORDONNE :

     1)      QUE les passages suivants de la défense et de la demande reconventionnelle soient radiées, et que la défense soit modifiée en conséquence :

         a)      le passage suivant de l'alinéa 10a) : [TRADUCTION] " et comprend les composés que le présumé inventeur n'a pas fabriqué ou mis à l'essai et ne pouvait pas fabriquer ou mettre à l'essai en tant qu'antagoniste de récepteur H2 avant le dépôt de la demande canadienne 387,139 ";
         b)      le paragraphe 10(1);
         c)      le paragraphe 11 et l'intitulé qui figure immédiatement avant le paragraphe 11;

     2.      QUE soient radiés, de consentement, l'expression[TRADUCTION] " toute publication, y compris [...] " qui se trouve à l'alinéa 10f) de la défense et demande reconventionnelle, chaque occurrence du mot " publications " et chaque occurrence des mots [TRADUCTION] " y compris " à l'alinéa 10g) de la défense et demande reconventionnelle, et chaque occurrence des mots [TRADUCTION] " et de toute publication " aux alinéas 10h) et 10i) de la défense et demande reconventionnelle ET AUTORISE la défenderesse à modifier sa défense et demande reconventionnelle au plus tard le 6 mars 1998;

     3)      ADJUGE aux demanderesses les dépens de la présente requête.

    

                                         Juge



Traduction certifiée conforme


Martine Guay, LL. L.





     Date : 19980220

     T-1100-97

E n t r e :

     ELI LILLY AND COMPANY et

     ELI LILLY CANADA INC.,

     demanderesses,

     et

     APOTEX INC.,

     défenderesse.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE RICHARD

GENÈSE DE L'INSTANCE

[1]      Dans la déclaration qu'elles ont déposée le 23 mai 1997 et qu'elles ont modifiée le 14 juillet 1997, les demanderesses allèguent que les revendications 1, 2, 4, 5, 6 et 8 des lettres patentes canadiennes no 1,166,248 ont été contrefaites par suite de la fabrication, de la vente et de l'offre en vente de capsules de nizatidine par la défenderesse.

[2]      Dans la défense et demande reconventionnelle qu'elle a déposée le 4 septembre 1997, la défenderesse admet que le brevet '248 a été délivré à la demanderesse Eli Lilly and Company le 24 avril 1984 et que M. Richard P. Pioch y est désigné comme inventeur, mais elle nie avoir contrefait le brevet en question et affirme que le brevet et chacune des revendications en litige sont invalides.

NATURE DE L'INSTANCE

[3]      Les demanderesses ont présenté une requête en vue d'obtenir une ordonnance radiant les passages suivants de la défense et demande reconventionnelle au motif que les passages en question ne révèlent aucune cause raisonnable de défense au sens de l'alinéa 419(1)a) des Règles de la Cour fédérale :

     a)      le passage suivant de l'alinéa 10a) : [TRADUCTION] " et comprend les composés que le présumé inventeur n'a pas fabriqué ou mis à l'essai et ne pouvait pas fabriquer ou mettre à l'essai en tant qu'antagoniste de récepteur H2 avant le dépôt de la demande canadienne 387,139 ";
     b)      le paragraphe 10(1);
     c)      le paragraphe 11 et l'intitulé qui figure immédiatement avant le paragraphe 11.

[4]      L'alinéa 10a) est ainsi libellé :

     [TRADUCTION]
     10. En ce qui concerne les droits que les demanderesses prétendent posséder et qui sont énoncés aux paragraphes 4 à 13 de leur déclaration modifiée, Apotex affirme que le brevet 248 est invalide, nul, inopposable et inopérant et que chacune des revendications 1, 2, 4, 5, 6 et 8 est également invalide, nulle, inopposable et inopérante pour les motifs suivants :
         a) Le brevet '248 dans son ensemble, et les revendications 1, 2, 5 et 6 en particulier, visent une catégorie de dérivés de thiazole désignés sous le nom de formule 1 (dans laquelle R1, R2, R3, R5, Z, Q, B, m et n sont définis dans le brevet). Le brevet '248 et les revendications 1, 2, 5 et 6 ont une portée trop large, revendiquent plus que ce qui a été inventé " si tant est qu'une invention a été réalisée, ce qui est nié " et comprennent des composés que le présumé inventeur n'a pas fabriqués ou mis à l'essai et qu'il ne pouvait pas fabriquer ou mettre à l'essai en tant qu'antagonistes de récepteur H2 avant le dépôt de la demande canadienne 387,139. La catégorie de composés comprend au moins des centaines de millions de composés. Le brevet '248 ne cite que 20 exemples de composés; ce nombre est insuffisant pour justifier la portée de la prétendue divulgation et des revendications 1, 2, 5 et 6. Par conséquent, le brevet '248 et les revendications 1, 2, 5 et 6 ne constituent pas une invention au sens de la Loi sur les brevets.

[5]      Le paragraphe 10(1) est ainsi libellé :

     Les demanderesses n'ont pas réussi, lors de l'instruction de la demande de brevet canadien no 387,139, à démontrer au Bureau canadien des brevets qu'avant sa présumée invention, M. Richard P. Pioch connaissait parfaitement la ranitidine et les substituts particuliers de la ranitidine et d'autres antagonistes de récepteurs H2 et que différents noyaux hétérocycliques, dont le thiazole, comme le démontre notamment le brevet américain 3,950,333, particulièrement sa colonne 1, pouvaient être utilisés dans les antagonistes de récepteur H2. En n'appelant pas l'attention du Bureau des brevets sur ces faits, le breveté n'a pas respecté ses obligations en obtenant la délivrance irrégulière du brevet '248 lors de l'instruction ex parte de ses demandes de brevet devant le Bureau canadien des brevets en ne divulguant pas à ce dernier tous les faits essentiels lui permettant de décider s'il y avait effectivement eu une invention. Le brevet '248 est par conséquent invalide, nul et de nul effet et ne constitue pas une invention au sens de la Loi sur les brevets.

[6]      Le paragraphe 11 est ainsi libellé :

     [TRADUCTION]
     En raison des faits articulés au paragraphe 10(l), Apotex soutient que les demanderesses sont irrecevables à lui opposer le brevet '248.


[7]      Voici les moyens invoqués au soutien de la requête :

     [TRADUCTION]
     Il est évident et incontestable que l'affirmation [TRADUCTION] " et comprend les composés que le présumé inventeur n'a pas fabriqué ou mis à l'essai et ne pouvait pas fabriquer ou mettre à l'essai en tant qu'antagoniste de récepteur H2 avant le dépôt de la demande canadienne 387,139 " contenue à l'alinéa 10a) de la défense et demande reconventionnelle devrait être radiée au motif qu'elle ne révèle aucune cause raisonnable de défense.
     La question de savoir si les revendications en litige englobent des composés que l'inventeur n'a pas effectivement fabriqués ou mis à l'essai n'a aucun rapport avec la validité du brevet en litige ou avec toute autre question en litige dans la présente instance.
     Il est évident et incontestable que les paragraphes 10(1) et 11 de la défense et demande reconventionnelle devraient également être radiés au motif qu'ils ne révèlent aucune cause raisonnable de défense.
     Le paragraphe 10(1) repose sur l'hypothèse que les demanderesses étaient tenues d'informer le Bureau canadien des brevets du présumé état antérieur de la technique lors de l'instruction de leur demande de brevet. Or, aucune obligation de ce genre n'existe en droit canadien. De fait, le tribunal ne peut contrôler la procédure suivie par le Bureau des brevets et les allégations faites par le requérant lors de l'instruction de sa demande de brevet n'ont aucune incidence sur la validité du brevet en litige ou sur toute autre question en litige.
     Le paragraphe 11 de la défense et demande reconventionnelle et l'intitulé qui le coiffe dépendent du paragraphe 10(1) et devraient en conséquence être radiés pour les mêmes raisons.

PRINCIPES APPLICABLES


[8]      L'alinéa 419(1)a) dispose :

     419.(1) La Cour pourra, à tout stade d'une action, ordonner la radiation de tout ou partie d'une plaidoirie avec ou sans permission d'amendement, au motif
     a) qu'elle ne révèle aucune cause raisonnable d'action ou de défense, selon le cas;

     [...]

     et elle peut ordonner que l'action soit suspendue ou rejetée ou qu'un jugement soit enregistré en conséquence.

[9]      Le paragraphe 419(2) dispose :

     (2) Aucune preuve n'est admissible sur une demande aux termes de l'alinéa (1)a).

[10]      La Cour ne radie un acte de procédure que dans les cas évidents et manifestent qui ne soulèvent aucun doute1.

[11]      Le principe suivant lequel les faits essentiels articulés dans un acte de procédure doivent être tenus pour avérés lorsqu'il s'agit de décider si l'acte de procédure en question révèle ou non une cause raisonnable d'action ou de défense, selon le cas, n'exige pas que les allégations qui sont fondées sur des hypothèses ou des suppositions soient considérées comme vraies2.

ANALYSE

L'alinéa 10a)

[12]      Les demanderesses ne contestent pas le bien-fondé de l'allégation de la défenderesse suivant laquelle le brevet '248 et les revendications en litige ont une portée trop large et que la catégorie de composés visée renferme au moins des centaines de millions de composés, et que le brevet '248 ne cite que 20 exemples de composés et que ce nombre est insuffisant pour justifier la portée de la présumée divulgation et des revendications et qu'en conséquence, le brevet et les revendications en litige ne constituent pas une invention au sens de la Loi sur les brevets. Les demanderesses contestent plutôt la partie de la défense dans laquelle la défenderesse allègue que l'inventeur n'a pas fabriqué ou mis à l'essai tous les composés ou qu'il ne pouvait pas les fabriquer ou les mettre à l'essai avant le dépôt de la demande de brevet canadien.

[13]      Il convient de remarquer que les demanderesses ne contestent pas le bien-fondé de l'allégation de la défenderesse suivant laquelle l'invention revendiquée vise des composés qui ne peuvent pas être fabriqués ou qui ne sont d'aucune utilité, ou encore que l'efficacité ou l'utilité de l'invention revendiquée ne sont pas pleinement révélés dans le brevet '248.

[14]      À mon avis, la présente affaire doit être jugée selon les principes posés par le juge Pigeon dans l'arrêt Monsanto3. Il s'agissait d'un appel d'une décision par laquelle le commissaire aux brevets avait rejeté deux revendications de produits dans le cadre d'une demande de brevet portant sur de nouveaux composés chimiques utiles pour la production de caoutchouc vulcanisé. La première revendication a été rejetée au motif que sa portée était plus large que ce qui était prévu dans l'exposé de l'invention, étant donné qu'elle allait au-delà d'une prévisibilité raisonnable. L'autre revendication a été rejetée parce qu'elle visait 126 espèces alors qu'il avait été démontré que seulement trois d'entre elles avaient été mises à l'essai.

[15]      Le juge Pigeon a déclaré, à la page 179 :


     Dans la présente espèce, la Commission, malgré l'absence totale de preuve que la prédiction n'est pas valable, rejette les revendications et en définitive les limite au champ d'utilité prouvée plutôt que de les accueillir dans la mesure de l'utilité prédite. À mon avis, cela est contraire à l'article 42 de la Loi sur les brevets.
     En vertu de cet article, le commissaire doit refuser le brevet quand il " s'est assuré que le demandeur n'est pas fondé en droit " à l'obtenir. Ce qu'il a dit en l'espèce en approuvant la décision de la Commission est en fait " je ne suis pas assuré que vous y avez droit ". À mon avis, le commissaire ne peut refuser un brevet parce qu'un inventeur n'en a pas testé tous les usages revendiqués. C'est ce qu'il a fait ici en refusant d'accueillir les revendications 9 et 16 dans la mesure où elles vont au-delà de ce qui a été testé et prouvé avant le dépôt de la demande. Si les inventeurs ont revendiqué plus que ce qu'ils ont inventé et inclus des substances dépourvues d'utilité, leurs revendications pourront être contestées. Pour l'instant, une telle preuve n'existe pas et il n'y a aucune preuve que la prédiction d'utilité pour chaque composé mentionné n'est pas valable et raisonnable.

[16]      Le juge Pigeon a cité l'extrait suivant de la décision du juge Graham dans l'affaire Olin Mathieson4 :

     [TRADUCTION]
     Où donc doit-on tracer la ligne entre une revendication qui va au-delà de l'objet et une qui coïncide avec lui ? À mon avis, sir Lionel a correctement tracé cette ligne lorsqu'il a fort utilement déclaré, dans les termes cités plus haut, que cela dépend s'il est possible de faire une prédiction valable. S'il est possible pour le breveté de faire une prédiction valable et de formuler une revendication qui ne dépasse pas les limites à l'intérieur desquelles la prédiction demeure valable, il en a alors le droit. Bien sûr, en agissant ainsi il prend le risque qu'un défendeur soit en mesure de démontrer que sa prédiction n'est pas valable ou que certains corps compris dans les termes qu'il a utilisés sont inutiles ou anciens ou évidents ou qu'une promesse quelconque qu'il a faite dans son mémoire descriptif est fausse sous un aspect important; mais, si, devant une contestation, il échappe à ce risque, sa revendication ne va pas au-delà de l'objet révélé par la divulgation, elle est honnêtement fondée sur celle-ci sous cet aspect et elle est valide.

[17]      Le juge Pigeon a ajouté, à la page 176 :

     Si j'ai cité de nouveau le passage cité par la Commission, c'est que je suis d'avis que la dernière phrase est importante parce qu'elle indique clairement ce que l'on entend par " prédiction valable ". Il ne peut s'agir d'une certitude puisqu'elle n'exclut pas tout risque qu'une partie du domaine visé puisse se révéler inutile. Le critère formulé par le juge Graham me paraît donc présenter seulement deux motifs possibles pour rejeter des revendications comme celles en litige.
     1. Il y a preuve de l'inutilité d'une partie du domaine visé;
     2. Ce n'est pas une prédiction valable.

[18]      Le fait que l'inventeur n'a pas mis à l'essai et prouvé toutes les applications revendiquées de son brevet ne constitue pas un motif d'invalidité.

[19]      Si l'inventeur a revendiqué plus que ce qu'il a inventé et que sa revendication englobe des substances inutiles, ses revendications peuvent être contestées. Pour que cette contestation réussisse, il faut qu'elle soit appuyée par des éléments de preuve démontrant l'inutilité des substances en question.

[20]      La revendication peut également être déclarée invalide au motif qu'elle ne constitue pas une prédiction valable.

[21]      L'avocat de la défenderesse cite une décision postérieure de la Cour suprême, l'arrêt Hoechst5, et en particulier un passage tiré de la page 194, où la Cour reprend les propos de l'avocat, qui qualifiait les brevets d'[TRADUCTION] " hypothèse non prouvée et non vérifiée dans un champ inexploré ". La Cour a toutefois confirmé l'invalidité du brevet au motif que sa portée était trop large.

[22]      Il est toujours loisible à la défenderesse d'invoquer cet argument si le moyen qu'elle tire de l'absence de mise à l'essai est rejeté, étant donné qu'il lui restera toujours les moyens fondés sur la portée trop vaste de la revendication et sur l'inutilité.

[23]      En conséquence, le passage suivant de l'alinéa 10a) : [TRADUCTION] " et comprend les composés que le présumé inventeur n'a pas fabriqué ou mis à l'essai et ne pouvait pas fabriquer ou mettre à l'essai en tant qu'antagoniste de récepteur H2 avant le dépôt de la demande canadienne 387,139 " est radié.

Alinéa 10l) et paragraphe 11

[24]      La défenderesse allègue que les demanderesses n'ont pas divulgué au Bureau canadien des brevets certaines présumées techniques antérieures lors de l'instruction de leur demande de brevet. Le brevet no 3,950,333 des États-Unis, que l'alinéa 10(l) mentionne expressément, fait partie de la technique antérieure que la défenderesse a invoquée à l'alinéa 10i) de sa défense.

[25]      La défenderesse invoque le paragraphe 53(1) de la Loi sur les brevets à l'appui de ce moyen. Ce paragraphe prévoit que le brevet est nul si la pétition du demandeur relative au brevet renferme une allégation importante qui n'est pas conforme à la vérité, ou si le mémoire descriptif et les dessins contiennent plus ou moins que ce qui est nécessaire pour démontrer ce qu'ils sont censés démontrer et si l'omission ou la surcharge est délibérément faite dans le but d'induire en erreur.

[26]      Le président de la Cour de l'Échiquier du Canada a expressément examiné cette question dans l'affaire Lovell6.

[27]      Dans cette affaire, il était allégué que le demandeur du brevet en litige avait, lors de l'instruction de sa demande de brevet devant le Bureau canadien des brevets, fait des allégations importantes qui n'étaient pas conformes à la vérité et qui avaient été délibérément faites dans le but d'induire en erreur. Il était allégué que le demandeur n'avait pas informé l'examinateur canadien que certaines revendications avaient été rejetées par le bureau des brevets des États-Unis. Même si la question immédiate qui était soumise à la Cour était celle de savoir si les dossiers de demande de brevet étaient inadmissibles, la conclusion et les motifs exposés par le président Thorson pour rejeter ce moyen s'appliquent également au cas qui nous occupe.

     [TRADUCTION]
     Il existe une réponse péremptoire à l'argument de l'avocat. Le paragraphe 53(1) [abr. et remp. par 1947, ch. 23, art. 16] de la Loi de 1935 sur les brevets, 1935 (can.), ch. 32, qui était en vigueur au moment où les brevets en litige ont été octroyés et délivrés le 5 février 1952, disposait :
         53.(1) Le brevet sera nul si la pétition ou la déclaration du demandeur, relative à ce brevet, contient quelque allégation importante qui ne soit pas conforme à la vérité, ou si le mémoire descriptif et les dessins contiennent plus ou moins qu'il n'est nécessaire pour démontrer ce qu'ils sont censés démontrer, et si la lacune ou la surcharge est délibérement pratiquée pour induire en erreur.

     Cette disposition a été reprise au paragraphe 55(1) de la Loi sur les brevets, S.R.C. 1952, ch. 203. Sous le régime de ce paragraphe, une preuve tendant à démontrer que la demande de brevet renferme une allégation importante qui n'est pas conforme à la vérité serait de toute évidence admissible, mais il n'y a rien dans la Loi sur les brevets qui prévoit qu'une allégation qui n'est pas conforme à la vérité, même si elle équivaut à une fausse déclaration, et qui a été faite lors de l'instruction de la demande de brevet devant le Bureau canadien des brevets ait quelque incidence que ce soit sur la validité du brevet. Une fois qu'il a été délivré, le brevet bénéficie de la présomption de validité contenue à l'article 47 [maintenant art. 48] de la Loi, dont voici le libellé :
         47. Tout brevet accordé conformément à la présente loi doit être délivré sous la signature du commissaire et le sceau du Bureau des brevets. Le brevet soit porter à sa face la date à laquelle il a été accordé et délivré, et il est par la suite prima facie valide et acquis au titulaire et à ses représentants légaux pour la période y mentionnée [...]

     Qui plus est, chacun des brevets en litige renferme un préambule qui précise que le requérant Walter Lee Kauffmann II [TRADUCTION] " s'est conformé aux exigences de la Loi sur les brevets ". La Cour suprême du Canada s'est penchée sur les incidences d'un tel préambule dans l'affaire Fada Radio Ltd. v. C.G.E. Co. , [1927] 3 D.L.R. 922, à la page 925, [1927] R.C.S. 520, à la page 524, où le juge en chef Anglin, qui rendait le jugement de la Cour, a déclaré : [TRADUCTION] " Le préambule du brevet qui précise que le demandeur [...] "s'est conformé aux exigences de la Loi sur les brevets " peut, en l'absence de fraude, être opposé à l'appelant. "
     À mon avis, même si les faits allégués au paragraphe 30 des précisions modifiées sur l'opposition étaient vrais, ils n'auraient aucune incidence sur la validité du brevet. Ils ne pourraient pas avoir plus d'incidences sur sa validité qu'une fausse déclaration faite au cours des débats parlementaires aurait sur la validité ou la signification d'une loi adoptée par le Parlement.
     En conséquence, comme les faits mentionnés ne sauraient, même s'ils sont vrais, avoir d'incidence sur le brevet, l'admission des dossiers de demande de brevet dans le but de permettre à l'avocat d'établir la véracité de ces faits ne pourrait justifier l'argument de l'avocat. Ils étaient donc inadmissibles pour le but visé7.

[28]      L'avocat de la défenderesse cite une décision plus récente, le jugement Rothmans8 à l'appui de son argument que, dans cette décision, le juge Rouleau a donné une interprétation plus large au paragraphe 53(1) de la Loi sur les brevets. Dans cette affaire, le juge Rouleau examinait une allégation non conforme à la vérité qui était faite dans l'exposé de l'invention.

[29]      À l'alinéa 10l) de sa défense, la défenderesse n'affirme pas que la pétition elle-même renferme des allégations qui ne sont pas conformes à la vérité, mais plutôt que le requérant a dissimulé des renseignements pertinents à l'examinateur canadien lors de l'instruction de la demande. À mon avis, la décision rendue par le président Thorson dans l'affaire Lovell tranche cette question.

[30]      Le paragraphe 11 dépend entièrement de l'alinéa 10l).

[31]      En conséquence, l'alinéa 10l) et le paragraphe 11 sont radiés.

CONCLUSION

[32]      La requête est accueillie pour ce qui est des alinéas 10a) et 10l) et du paragraphe 11.

[33]      La défense est modifiée en conséquence.

[34]      Les dépens de la présente requête sont adjugés aux demanderesses.


    

                                         Juge

Ottawa (Ontario)

Le 20 février 1998.



Traduction certifiée conforme



Martine Guay, LL. L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER


No DU GREFFE :              T-1100-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :      ELI LILLY AND COMPANY ET AL. c. APOTEX

LIEU DE L'AUDIENCE :          OTTAWA

DATE DE L'AUDIENCE :          17 FÉVRIER 1998


MOTIFS DU JUGEMENT PRONONCÉS PAR LE JUGE RICHARD LE 20 FÉVRIER 1998



ONT COMPARU :


JAMES MILLS                      POUR LES DEMANDERESSES

ANDREW BRODKIN                  POUR LA DÉFENDERESSE


PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

GOWLINGS, STRATHY & HENDERSON      POUR LES DEMANDERESSES

OTTAWA


GOODMAN, PHILLIPS & VINEBERG          POUR LA DÉFENDERESSE

TORONTO

__________________

1      Canada (P.G.) c. Inuit Tapirisat of Canada, [1980] 2 R.C.S. 735; Operation Dismantle Inc. c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 441 et Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 959.

2      Operation Dismantle, à la page 455.

3      Monsanto Co. c. Commissaire aux brevets, [1979] 42 C.P.R. (2d) 161; [1979] 1 R.C.S. 1109, à la page 1117; (1979) 42 C.P.R. (2d) 161, à la page 175.

4      Olin Mathieson Chemical Corp. et al. c. Biorex Laboratories Ltd. et al., [1970] R.P.C. 157, à la page 193.

5      Hoechst Pharmaceuticals of Canada Limited et al. c. Gilbert & Company et al., [1966] R.C.S. 189 (C. de l'Éch.).

6      Lovell Manufacturing Co. c. Beatty Bros. Ltd., (1962), 41 C.P.R. 18.

7      Supra, note 6, aux pages 40 et 41.

8      Rothmans, Benson & Hedges Inc. c. Imperial Tobacco Ltd./Ltée, (1991), 35 C.P.R. (3d) 417 (C.F. 1re inst.).

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