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Date : 19980403


Dossier : IMM-2327-97


ENTRE :


KHADIJEH SHAHPARI et

MONA AGHA-AMIRI (représentée par son tuteur à l"instance),


requérantes,


et


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION,


intimé.



MOTIFS D"ORDONNANCE


LE JUGE ROTHSTEIN

[1]      La question soulevée dans la présente demande de contrôle judiciaire est de savoir si la section E de l"article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés (la Convention) s"applique aux requérantes. Dans l"affirmative, la Convention ne s"applique pas à elles. L"article E prévoit :

E.      Cette Convention ne sera pas applicable à une personne considérée par les autorités compétentes du pays dans lequel cette personne a établi sa résidence comme ayant les droits et les obligations attachés à la possession de la nationalité de ce pays1.

[2]      Les requérantes, une mère et sa fille, étaient citoyennes de l"Iran. En 1984, elles ont déménagé en France. En 1991, après avoir vécu en France pendant sept ans, soit la période de résidence temporaire requise, la mère a reçu le statut de résidente permanente et obtenu une " carte de résidente ". La carte était valide pour une période de dix ans, soit jusqu"en 2001. Au moment de l"audition, la fille avait 15 ans et son nom figurait sur la carte de sa mère. En 1993, les requérantes sont rentrées en Iran. En 1994, elles sont retournées en France. En août 1994, elles sont arrivées au Canada et environ un mois plus tard, elle ont présenté une demande visant à obtenir le statut de réfugiées. Lorsqu"elles ont quitté la France en août 1994, elles ont reçu des visas d"" aller et retour ".

[3]      Leur demande a été entendue le 9 mai 1997. Les visas d"" aller et retour " étaient alors expirés. La mère requérante prétend qu"à cette époque, elle avait déjà détruit son passeport iranien et sa " carte de résidente " française. Pour cette raison, soutient-elle, elle n"a pas le droit de rentrer en France, droit qui découle de la possession de la nationalité française, et l"exclusion prévue à la section E de l"article premier ne s"applique pas à elle.

[4]      Les parties conviennent - et je partage cet avis - que le moment pertinent auquel on doit se demander si la requérante avait le droit de rentrer en France est le moment de la tenue de l"audition devant la formation. Voir l"arrêt Mahdi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration) (1995), 32 Imm. L.R. (2d) 1 (C.A.F.), à la p. 12; Wassiq c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration) (1996), 33 Imm. L.R. (2d) 238.

[5]      Compte tenu de la preuve dont elle disposait, la formation a conclu que la mère requérante était détentrice d"une carte de résidente " sans restriction " qui était renouvelable en 2001, et qu"à ce titre, elle et sa fille avaient le droit de sortir de France et d"y rentrer. Par conséquent, la formation a conclu que la section E de l"article premier s"appliquait aux requérantes et qu"elles n"étaient donc pas visées par la définition de réfugié au sens de la Convention.

[6]      Les parties ont débattu une question litigieuse, savoir si le fardeau de la preuve incombe au requérant ou à l"intimé dans les cas d"exclusion en vertu de la section E de l"article premier. Dans la décision Ramirez c. Le ministre de l"Emploi et de l"Immigration, [1992] 2 C.F. 306, la Cour d"appel fédérale a dit, à la page 314 :

     La question de savoir qui assume le fardeau de la preuve n"est pas en litige. Les deux parties s"entendent sur le fait que c"est à la partie qui invoque l"existence de raisons sérieuses de penser que des infractions internationales ont été commises qu"il incombe de les prouver, c"est-à-dire l"intimé. En plus d"éviter aux demandeurs d"avoir à prouver un élément négatif, cette attribution du fardeau est également conforme à l"alinéa 19(1)j ) de la Loi, qui impose au gouvernement la charge de démontrer qu"il a des motifs raisonnables d"exclure les demandeurs. Pour toutes ces raisons, la procédure appliquée au Canada exige que le gouvernement assume la charge de la preuve et que la norme de preuve soit moindre que la prépondérance des probabilités.

Je ne vois aucune raison de ne pas appliquer un tel raisonnement aux exclusions en vertu de la section E de l"article premier. En effet, dans la présente affaire, l"intimé a agi comme s"il lui incombait de prouver que l"exclusion s"appliquait. L"intimé a avisé au préalable les requérantes que la question serait soulevée et il a présenté des éléments de preuve se rapportant à leur droit de rentrer en France.

[7]      Ces éléments de preuve ont été obtenus auprès de la Direction générale de la documentation, de l"information et des recherches de la C.I.S.R. En voici les passages pertinents :

[TRADUCTION]
     [...] Il existe en France deux types de " cartes de résident " à l"intention des ressortissants étrangers : la carte sans restriction et la carte temporaire. La carte temporaire demeure valide pendant un an, alors que la carte sans restriction est valide pendant dix ans. La carte de résident peut être renouvelée par la préfecture, laquelle fait partie du Ministère de l"Intérieur.
     [...] La seule obligation consiste à éviter d"enfreindre la loi, la personne pouvant perdre le statut de résidente si elle commet un acte illégal. [...]
     Le titulaire d"une carte sans restriction qui désire sortir de France doit obtenir un " visa d"aller et retour ". Un tel visa permet à son titulaire de quitter la France pour une période de trois, six ou douze mois, et il peut être renouvelé. Le titulaire d"un tel visa qui se trouve hors de France pendant plus de trois années consécutives doit demander une nouvelle carte de résident.
[...]
     Lors d"une entrevue téléphonique, un représentant de l"Ambassade de la France à Ottawa a dit à un représentant de la DGDIR que les consulats et ambassades de France n"ont pas le mandat de renouveler les visas d"aller et retour (3 février 1995). Il a également dit que ces visas étaient délivrés par les préfectures locale, au nom du Ministère de l"Intérieur.

[8]      Il ressort de la preuve présentée par l"intimé que les cartes de résidentes des requérantes étaient valides au moment de l"audition, que la seule obligation qui incombait au titulaire d"une telle carte était de [TRADUCTION] " éviter d"enfreindre la loi " (aucune preuve en l"espèce n"établissait que les requérantes n"avaient pas rempli cette obligation), et que si le titulaire d"une carte de résident se trouvait hors de France depuis plus de trois années, il devait demander une nouvelle carte. Au moment de l"audition, les requérantes ne se trouvaient pas à l"extérieur de la France depuis plus de trois années consécutives. Le visa d"aller et retour, lequel peut être renouvelé, permet à son titulaire de quitter la France pour une période maximale d"une année. Compte tenu de cette preuve, la formation a conclu que les requérantes pouvaient rentrer en France.

[9]      Le fait que la requérante n"ait pas renouvelé son visa de sortie avant qu"il n"expire ne saurait lui profiter. Compte tenu de la preuve dont elle disposait, la formation pouvait raisonnablement conclure que le visa pouvait être renouvelé. Il ressort de la preuve que le titulaire d"une carte de résident peut, s"il se trouve hors de France pendant plus de trois années, demander une nouvelle carte. On doit forcément en conclure que le visa d"aller et retour auquel le titulaire d"une carte sans restriction a droit peut lui aussi être renouvelé, ou encore que le titulaire d"une telle carte peut, dans de telles circonstances, obtenir un nouveau visa d"aller et retour.

[10]      Les requérantes ont présenté, au soutien de leur prétention, une preuve selon laquelle, d"une part, les consulats et ambassades de France n"ont pas le mandat de renouveler les visas d"aller et retour et, d"autre part, de tels visas doivent être délivrés par les préfectures locales. Or, une telle preuve laisse entendre, tout au plus, que la procédure exige que des demandes soient présentées non à un consulat ou à une ambassade de France, mais plutôt à une préfecture locale, en France même.

[11]      Par ailleurs, les requérantes ne tirent aucun avantage du fait que la requérante ait détruit sa carte de résidente. À tout le moins, la présentation par l"intimé d"une preuve prima facie établissant que la section E de l"article premier s"appliquait entraînait un déplacement du fardeau de la preuve, la requérante devant alors expliquer la raison pour laquelle elle ne pouvait obtenir une nouvelle carte après avoir détruit la carte qu"elle avait en sa possession2. Or, la requérante n"a fourni aucune explication sur ce point.

[12]      Les requérantes se fondent sur la décision Wassiq, précitée. Cependant, les faits de cette affaire sont très différents de ceux de l"espèce. Dans cette affaire, des éléments de preuve établissaient que les requérants avaient été avisés par le gouvernement allemand qu"ils ne pouvaient rentrer au pays. En l"espèce, les requérantes n"ont pas présenté de tels éléments de preuve. La présentation par l"intimé d"une preuve prima facie permettant à la formation de conclure que les requérantes pouvaient rentrer en France entraînait un déplacement du fardeau de la preuve, les requérantes devant alors expliquer la raison pour laquelle elle ne le pouvaient pas. Or, les requérantes ne se sont pas acquittées de ce fardeau.

[13]      Je profite de l"occasion pour répéter ce que j"ai dit dans la décision Wassiq , précitée, à propos du shopping de lieu d'asile, étant donné que ces remarques s"appliquent à ce que les requérantes ont tenté de faire en l"espèce. À la page 241 de Wassiq , j"ai dit :

Je fais remarquer que si, en raison de leur absence de l'Allemagne et de leur séjour au Canada, les requérants ont effectivement le droit de renoncer à la protection de l'Allemagne et à demander celle du Canada, il s'agit là d'une anomalie. En substance, cela donne le droit aux réfugiés au sens de la Convention le droit d'émigrer où ils veulent sans se conformer aux conditions habituelles, uniquement en raison de leur renonciation unilatérale à la protection qui leur a tout d'abord été accordée par le premier pays d'asile. En fait, cela signifie qu'ils peuvent "faire du shopping de lieu d'asile" parmi les pays signataires de la Convention de Genève et "resquiller" dans les listes d'attente ordinaires pour immigrer dans le pays de leur choix. Si tel est le cas, les requérants, qui ont résidé en Allemagne pendant dix ans, peuvent simplement abandonner l'Allemagne et adopter le Canada. Ils auraient alors un droit d'émigration au Canada supérieur à celui des simples nationaux allemands. Ce n'est ni équitable ni logique.

[14]      La Cour applique le droit aux faits de chaque espèce. Cependant, les anomalies législatives ou les " échappatoires " du type de celles soulevées dans la décision Wassiq ne seront pas interprétées de façon libérale, ce qui serait à l"avantage des revendicateurs du statut de réfugié au sens de la Convention qui font du shopping de lieu d"asile. Les requérantes devraient également avoir à l"esprit que les gestes qu"elles posent elles-mêmes en vue d"être incapables de rentrer dans un pays leur ayant déjà reconnu le statut de réfugié au sens de la Convention peuvent fort bien démontrer qu"elles n"ont pas de crainte subjective d"être persécutées dans leur pays d"origine, duquel elles prétendent fuir.

[15]      La demande est rejetée. Les avocats méritent des félicitations pour les arguments clairs et succincts qu"ils ont présentés. L"ordonnance ne sera rendue que dans sept jours afin de permettre à l"une ou l"autre des parties de soumettre une question à certifier.



" Marshall Rothstein "

                                             juge

Toronto (Ontario)

Le 3 avril 1998.









Traduction certifiée conforme


Bernard Olivier, LL.B.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA


Avocats et procureurs inscrits au dossier

    

NO DU GREFFE :                  IMM-2327-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :          KHADIJEH SHAHPARI et

                         MONA AGHA-AMIRI (représentée par son tuteur          à l"instance)

                         et

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE                          L"IMMIGRATION

DATE DE L"AUDIENCE :              LE 1ER AVRIL 1998
LIEU DE L"AUDIENCE :              TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L"ORDONNANCE PAR :      LE JUGE ROTHSTEIN

EN DATE DU :                  3 AVRIL 1998

ONT COMPARU :

                         Toni Schweitzer

                             pour les requérantes


                         Brian Frimeth

                             pour l"intimé

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

                         Toni Schweitzer

                         281, avenue Eglinton est

                         Toronto (Ontario)

                         M4P 1L3

                             pour les requérantes

                         George Thomson

                         Sous-procureur général du Canada

                             pour l"intimé

COUR FÉDÉRALE DU CANADA



Date : 19980403


Dossier : IMM-2327-97


Entre :


KHADIJEH SHAHPARI ET AL.,

     requérantes,

et


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L"IMMIGRATION,

     intimé.






MOTIFS DE L"ORDONNANCE





__________________

1      La définition de réfugié au sens de la Convention qui se trouve au paragraphe 2(1) de la Loi sur l"immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, modifiée, exclut les personnes soustraites à l'application de la Convention par les sections E ou F de l'article premier de celle-ci. Le texte de ces sections est reproduit à l'annexe de la Loi sur l"immigration.

2      Je doute fort que le fait qu"une requérante ait délibérément détruit sa carte de résidente constitue une réponse acceptable à un argument dans lequel l"intimé invoque la section E de l"article premier. Cependant, je n"ai pas à trancher cette question.

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