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     IMM-2254-96

     OTTAWA (ONTARIO), LE MARDI 16 SEPTEMBRE 1997

     DEVANT : LE JUGE EN CHEF ADJOINT

ENTRE

     MOHAMAD SADEGH GHORVEI,

     requérant,

     et

     LA MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     intimée.

     ORDONNANCE

     Une demande de contrôle judiciaire de la décision de la ministre ou de son fondé de pouvoir qui a été communiquée au requérant le 3 juillet 1996 ayant été présentée, les documents qui ont été produits ayant été lus, les avocats de toutes les parties ayant été entendus à Toronto (Ontario) le 10 décembre 1996 et le 27 janvier 1997 et pour les motifs prononcés en ce jour,

     IL EST PAR LES PRÉSENTES ORDONNÉ qu'il soit fait droit à la demande et que l'affaire soit déférée à la ministre pour détermination appropriée conformément aux présents motifs.

                             James A. Jerome

                                  J.C.A.

Traduction certifiée conforme :         
                         C. Delon, LL.L.

     IMM-2254-96

ENTRE

     MOHAMAD SADEGH GHORVEI,

     requérant,

     et

     LA MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     intimée.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE EN CHEF ADJOINT JEROME

     La présente demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la ministre ou son fondé de pouvoir a conclu que le requérant devait être renvoyé du Canada conformément à l'alinéa 53(1)d) de la Loi sur l'immigration, décision qui a été communiquée au requérant le 3 juillet 1996, a été entendue à Toronto (Ontario) le 10 décembre 1996 et le 27 janvier 1997. À la fin des plaidoiries, j'ai réservé ma décision et j'ai fait savoir que je prononcerais mes motifs par écrit.

     Le requérant, qui est citoyen iranien, s'est vu conférer le statut de réfugié au sens de la Convention par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (le HCNUR) après qu'il se fut enfui de l'Iran pour se rendre en Iraq. Il a obtenu le droit d'établissement au Canada le 25 janvier 1993.


     Avant la guerre Iran-Iraq, le requérant appuyait les Moudjahidin, qui est un mouvement politique prodémocratique en Iran. Lorsque l'Iraq a envahi l'Iran, le requérant s'est engagé dans l'armée; il a été blessé pendant qu'il se battait au front. Il a été blessé et n'a plus été en mesure de servir dans l'armée tant physiquement qu'émotionnellement. Il a demandé à être affecté ailleurs qu'au front, mais sa demande a été rejetée. Il a ensuite déserté; il voulait s'enfuir en Iraq, mais il a été arrêté avant de pouvoir quitter l'Iran. Le requérant a été détenu comme prisonnier pendant 23 mois, période pendant laquelle il a été torturé et battu à maintes reprises. À un moment donné, il a été battu si gravement qu'il a été obligé de subir une intervention chirurgicale qui a été effectuée dans un hôpital civil. Pendant sa convalescence, des amis et sa famille ont préparé son évasion. Le requérant s'est enfui en Iraq où le HCNUR a jugé qu'il était un réfugié au sens de la Convention. Le cas du requérant a été transmis aux autorités canadiennes, mais avant qu'on puisse faire quoi que ce soit à l'égard de son admission par le Canada, la région est devenu moins stable et la délégation du HCNUR s'est retirée en un lieu sûr. Le requérant s'est enfui en Jordanie, puis en Israël. Le gouvernement canadien a admis le requérant à titre de réfugié au sens de la Convention et lui a par la suite accordé le droit d'établissement, le 25 janvier 1993.

     Au Canada, le requérant a trouvé du travail comme opérateur de machinerie lourde. Il s'est blessé au dos pendant qu'il travaillait et quitté son emploi au bout de quelques mois seulement. Le requérant a pris divers médicaments pour essayer de combattre la douleur, mais il n'a rien pu trouver qui puisse atténuer son malaise. Un ami lui a recommandé d'essayer de l'héroïne; le requérant est vite devenu toxicomane. Afin de subvenir à ses besoins de toxicomane, le requérant a vendu de l'héroïne pour son ami. Il a été arrêté et accusé, mais il a par la suite été mis en liberté sous caution, le cautionnement ayant été fourni par son ami. Après sa mise en liberté, le requérant a rendu visite à son ami et il a par la suite été arrêté de nouveau et accusé une deuxième fois de possession et de trafic de stupéfiants. Le requérant a été condamné à une peine de quatre ans et demi pour les infractions qu'il avait commises et le juge qui a présidé l'audience a recommandé qu'il soit expulsé lorsqu'il serait mis en liberté. Le 4 mars 1996, la ministre a exprimé l'avis selon lequel le requérant constituait un danger pour le public conformément aux paragraphes 70(5) et 53(1) de la Loi sur l'immigration. Le 2 juillet 1996, le requérant a reçu une lettre de renvoi disant qu'il serait renvoyé en Iran.

     Le 3 juillet 1996, le requérant a présenté une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire de la décision que la ministre avait prise de l'expulser en Iran, demande dans laquelle les motifs suivants étaient invoqués :

     [TRADUCTION]         
     (1) l'agente d'immigration a commis une erreur parce qu'elle a omis d'observer les principes de justice naturelle et de justice fondamentale en limitant son pouvoir discrétionnaire;         
     (2) le renvoi du requérant du Canada en Iran viole le droit qu'il a d'être protégé contre tous traitements cruels et inusités en vertu de l'article 12 de la Charte des droits et libertés, en ce sens qu'en sa qualité de réfugié au sens de la Convention venant de l'Iran, du fait qu'il s'est converti au christianisme, ce qui est considéré comme une apostasie en Iran, du fait de son opposition politique en Iran et du fait qu'il est coupable de désertion et de défection en Iraq, et qu'il a eu des relations avec l'État d'Israël, qui est considéré comme un ennemi de l'Iran, il sera emprisonné et torturé, et il sera probablement tué à son retour en Iran;         
     (3) le renvoi du requérant du Canada en Iran viole le droit à la liberté et à la sécurité de sa personne, d'une façon qui n'est pas conforme aux principes de justice fondamentale reconnus par la Charte des droits et libertés en ce sens que la décision de le renvoyer en Iran a été prise en violation des principes de justice fondamentale.         

     Dans l'avis relatif de la question constitutionnelle que le requérant a donné, la question suivante était soulevée :

     [TRADUCTION]         
         1. Le requérant affirme que le droit d'être protégé contre tous traitements cruels et inusités qui lui est reconnu en vertu de l'article 12 de la Charte des droits et libertés est en cause par suite de la décision de le renvoyer en Iran. Il affirme en outre que le droit qui lui est reconnu en vertu de l'article 7 de la Charte des droits et libertés est en cause parce que son renvoi en Iran porterait atteinte au droit à la liberté et à la sécurité de sa personne, d'une façon qui n'est pas conforme aux principes de justice naturelle reconnus par la Charte des droits et libertés et que pareil renvoi viole les principes de justice naturelle et de justice fondamentale.         

     L'avis de la ministre a été exprimé conformément à l'alinéa d) du paragraphe 53(1), qui se lit comme suit :

         53. (1) Par dérogation aux paragraphes 52(2) et (3), la personne à qui le statut de réfugié au sens de la Convention a été reconnu aux termes de la présente loi ou des règlements, ou dont la revendication a été jugée irrecevable en application de l'alinéa 46.01(1)a), ne peut être renvoyée dans un pays où sa vie ou sa liberté seraient menacés du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques, sauf si, selon le cas :         
         a) elle appartient à l'une des catégories non admissibles visées à l'alinéa 19(1)c) ou au sous-alinéa 19(1)c.1)(i) et que, selon le ministre, elle constitue un danger pour le public au Canada;         
         b) elle appartient à l'une des catégories non admissibles visées aux alinéas 19(1)e), f), g), j), k) ou l) et que, selon le ministre, elle constitue un danger pour la sécurité du Canada;         
         c) elle relève du cas visé au sous-alinéa 27(1)a.1)(i) et que, selon le ministre, elle constitue un danger pour le public au Canada;         
         d) elle relève, pour toute infraction punissable aux termes d'une loi fédérale d'un emprisonnement maximal égal ou supérieur à dix ans, du cas visé à l'alinéa 27(1)d) et que, selon le ministre, elle constitue un danger pour le public au Canada.         

     L'argument du requérant selon lequel les droits qui lui sont garantis par les articles 7 et 12 de la Charte sont en cause compte tenu de son expulsion imminente est une question qui a été examinée dans un certain nombre de jugements rendus par la Section de première instance et par la Cour d'appel. Dans le jugement Bavi v. Canada (M.C.I.) (1996), 106 F.T.R. 153 (C.F. 1re inst.), le juge MacKay a conclu que ni l'article 7 ni l'article 12 n'avaient été violés dans le contexte du paragraphe 53(1) de la Loi sur l'immigration. Le juge MacKay a adopté le raisonnement qui a été fait dans un certain nombre d'arrêts de la Cour suprême du Canada et de la Cour d'appel fédérale notamment les arrêts Chiarelli c. Canada (MEI), [1992] 1 R.C.S. 711, Hoang v. Canada (M.E.I.), (1990), 12 Imm. L.R. (2d) 35 (C.A.F.) et Nguyen c. Canada (MEI), [1993] 1 C.F. 696 (C.A.F.).

     La mesure d'expulsion prévue à l'article 53 doit satisfaire à un critère à trois volets. Ce critère comprend l'avis exprimé par le ministre au sujet du "danger" que constitue une personne, la perpétration par la personne expulsée d'une infraction grave, et l'exigence selon laquelle l'infraction peut donner lieu à une peine d'au moins dix ans, montrant qu'il s'agit d'une infraction particulièrement grave. En général, le réfugié au sens de la Convention ne devrait pas être renvoyé dans un pays où il peut craindre d'être persécuté. Toutefois, conformément au paragraphe 53(1) de la Loi sur l'immigration , les réfugiés au sens de la Convention peuvent être expulsés dans un pays où ils peuvent être en danger. Le paragraphe 33(2) de la Convention de Genève sur les réfugiés permet pareille mesure. Les droits susmentionnés garantis par la Charte peuvent être en cause, mais dans des jugements antérieurs, il a été conclu qu'en pareil cas, les droits reconnus à la personne expulsée par les articles 7 et 12 de la Charte n'avaient pas été violés parce que ces genres d'expulsions étaient conformes aux principes de justice naturelle.

     Le requérant a en outre soutenu qu'en exprimant son avis, la ministre n'avait pas tenu compte de tous les éléments de preuve pertinents dont elle disposait et qu'elle avait fondé sa décision sur des éléments de preuve extrinsèques.

     Le document intitulé : "Criminal Backlog Review - Ministerial Opinion Report" (le rapport sur le "danger") rédigé par Mme Bonnie Maystrenko, agente d'immigration, faisait partie des éléments de preuve présentés à la Cour. Dans son rapport, qui sert habituellement de fondement à la décision du ministre, Mme Maystrenko recommande au ministre de considérer le requérant comme un "danger pour le public" canadien. La recommandation de l'agente est fondée sur deux prémisses, à savoir que la crainte de persécution du requérant n'est pas légitime et que le requérant a été déclaré coupable d'une infraction grave. L'agente a fondé ses conclusions selon lesquelles il n'y avait pas de "crainte de persécution" sur le Rapport conjoint des ambassades, qui contredisait les principales conclusions des dossiers d'information sur les pays sur lesquels se fonde normalement la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié. Le Rapport conjoint des ambassades a été établi par diverses ambassades, dont l'ambassade du Canada; la situation en Iran en ce qui concerne les droits de la personne y était décrite. Ce rapport contredit de nombreuses conclusions figurant dans les rapports types d'Amnistie internationale, des Nations Unies et du Département d'État des États-Unis. Dans le Rapport conjoint des ambassades, on concluait entre autres choses que les déserteurs et les personnes déclarées coupables d'infractions dans d'autres ressorts ne sont généralement pas assujetties à une forme de traitement dur lorsqu'elles retournent en Iran. Les autres dossiers d'information sur les pays disaient tous que toute activité antigouvernementale donne lieu à des peines extrêmes. Dans le rapport sur le "danger", il n'était pas fait mention de la désertion du requérant, qui s'était joint à l'ennemi, soit l'Iraq, de son activisme politique en Iran, ou du fait que le HCNUR avait conclu qu'il était un réfugié. La ministre a commis une erreur en ne tenant pas compte de ces facteurs, qui sont clairement pertinents dans ce type de détermination.

     En examinant les déclarations de culpabilité prononcées contre le requérant à l'égard des stupéfiants, l'agente d'immigration n'a pas parlé de la multitude de recommandations favorables et de programmes de réadaptation suivis montrant que le requérant avait non seulement réglé son problème de toxicomanie, mais aussi qu'il était devenu meilleur pendant qu'il était incarcéré. La ministre a un pouvoir discrétionnaire en ce qui concerne la façon dont elle évalue la preuve, mais le fait qu'elle n'a pas parlé de ces nouveaux éléments de preuve donne l'impression qu'il n'en a pas été tenu compte. À coup sûr, cette preuve contemporaine est également pertinente aux fins de la décision relative au danger que constitue le requérant.

     Dans le jugement Shayesteh v. Canada (M.C.I.), (1996), 112 F.T.R. 161, 34 Imm. L.R. (2d) 101 (C.F. 1re inst.), Monsieur le juge Gibson a conclu qu'un examen de l'avis exprimé par le ministre est possible en pareil cas. Dans le jugement Shayesteh, ci-dessus, où était en cause un Iranien que le HCNUR avait reconnu comme réfugié et qui devait être expulsé à cause d'un "avis selon lequel il constituait un danger" compte tenu des déclarations de culpabilité prononcées par suite de la perpétration d'infractions concernant des stupéfiants, la Cour a dit ceci :

     [...] la Cour a jugé que la validité des avis du Ministre constituait une grave question à décider. Au vu des pièces qui m'ont été présentées, notamment l'affidavit produit au nom de l'intimé, je suis persuadé que la validité de l'avis du Ministre constitue une question grave à décider. L'affidavit produit au nom de l'intimé prétendait prouver le fondement et, probablement, la pertinence du rapport préparé par un agent d'immigration, rapport qui, selon toute apparence, a servi de base à l'avis du Ministre. [...] Les notes annexées à l'affidavit renferment certaines observations de l'agent qui a préparé le rapport et font état de certains facteurs pris en considération. Je suis persuadé cependant qu'il faut se demander s'il a été tenu compte de tous les facteurs pertinents dans l'avis du Ministre et si tous les faits pertinents ont été étudiés.         

Dans cette affaire-là, le juge Gibson a ordonné un sursis à l'exécution de la mesure d'expulsion parce qu'une question grave devait faire l'objet d'un jugement. En l'espèce, il s'agit d'un contrôle judiciaire, mais les motifs du juge Gibson sont pertinents, étant donné que le rapport de l'agente d'immigration ne permet pas de savoir si elle a tenu compte d'éléments de preuve fort importants ou si elle s'est fondée sur des considérations non appropriées lorsqu'elle a fait sa recommandation à la ministre.

     Enfin, le requérant a soutenu que le Rapport conjoint des ambassades sur la situation en Iran constituait un élément de preuve extrinsèque (conformément au jugement Shah v. Canada (M.E.I.) (1994), 170 N.R. 238, 29 Imm. L.R. (2d) 82 (C.A.F)). Le requérant a soutenu que ce rapport spécial qui n'était pas publié annuellement ne pouvait pas constituer une [TRADUCTION] "autre preuve documentaire mise à la disposition du public". Je suis d'accord. (L'expression [TRADUCTION] "autre preuve documentaire mise à la disposition du public" est tirée de la lettre par laquelle le requérant était informé de la preuve qu'il devait réfuter.) Le rapport, pas nécessairement par sa nature, mais principalement à cause de son contenu, aurait à juste titre dû être communiqué au requérant. Tout avis réel du Rapport conjoint des ambassades aurait dû être donné au requérant non seulement parce qu'il semble être le seul rapport sur lequel se fonde l'agente d'immigration, mais, ce qui est encore plus important, parce qu'il contredit les conclusions des dossiers d'information sur les pays qui sont habituellement utilisés dans les affaires de ce genre. Cette cour a déjà jugé que la non-communication d'une preuve documentaire mise à la disposition du public n'équivaut pas à une violation des principes de justice naturelle. Toutefois, le document doit non seulement être mis à la disposition du public, mais il doit aussi être facilement disponible. Lorsque l'agent d'immigration se fonde fortement sur un élément de preuve qui n'est pas communément consulté, cet élément devrait être communiqué au requérant. En l'espèce, le requérant n'a pas été avisé d'une façon appropriée du Rapport conjoint des ambassades et il ne connaissait donc pas toute la preuve présentée contre lui.

     Pour ces motifs, il est fait droit à la demande et l'affaire est déférée à la ministre pour détermination appropriée conformément à ces motifs.

OTTAWA,

le 16 septembre 1997                  James A. Jerome

                                 J.C.A.

Traduction certifiée conforme :         
                         C. Delon, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                  IMM-2254-96

INTITULÉ DE LA CAUSE :          MOHAMAD SADEGH GHORVEI v. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE:              le 27 janvier 1997

MOTIFS DE L'ORDONNANCE du juge en chef adjoint en date du 16 septembre 1997

ONT COMPARU :

Barbara Jackman                              POUR LE REQUÉRANT

Vicki Russell

Kevin Lunney                              POUR L'INTIMÉE

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Vicki Russell                                  POUR LE REQUÉRANT

Toronto (Ontario)

George Thomson                              POUR L'INTIMÉE

Sous-procureur général du Canada

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