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Date : 20040811

Dossier : T-1839-03

Référence : 2004 CF 1113

Toronto (Ontario), le 11 août 2004

Présent :          Monsieur le juge Blais

ENTRE :

                                                             CLÉMENT ZANTH

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                                           PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                             

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'un contrôle judiciaire, en vertu de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, d'une décision rendue le 11 septembre 2003 par le président du tribunal disciplinaire de l'établissement Donnaconna. Dans cette décision, le président du tribunal a trouvé M. Clément Zanth (demandeur) coupable de l'infraction disciplinaire prévue au paragraphe 40 (h) de la Loi sur le Système correctionnel et la mise en liberté sous condition, 1992, ch. 20 (Loi).


FAITS

[2]                Le demandeur était détenu au pénitencier de Donnaconna lorsque, le 11 avril 2003, est survenue une bagarre dans la salle commune. La preuve montre que le demandeur et un autre détenu, M. Guindon, ont échangé des coups pendant un court laps de temps. Les gardes ont réagi rapidement, en faisant retentir une sirène, en libérant un gaz dans la salle où se trouvaient les deux détenus, et en abaissant les grilles pour contenir les détenus alors sortis de leur cellule. Dès l'intervention des gardes, le demandeur est retourné de lui-même à sa cellule; l'autre participant est resté dans la salle et a dû être menotté. La preuve montre également que le demandeur saignait abondamment en quittant la salle, et qu'il a été traité le même soir, d'abord à l'infirmerie, puis à un hôpital extérieur, pour des lacérations dans le dos, sur la nuque, dans le cou et dans le visage (13 lacérations d'après le rapport dressé par l'infirmière le soir de l'incident, certaines nécessitant des points de suture).


[3]                Deux gardes et deux détenus ont témoigné au sujet des événements, ainsi que le demandeur et l'infirmière. Un des gardes dit avoir vu entrer le demandeur dans la salle commune où se trouvait M. Guindon, seul. Le demandeur se serait dirigé vers M. Guindon, et en quelques secondes, la bagarre aurait éclaté. Le deuxième garde n'a pas vu le début de l'altercation. Les deux gardes étaient postés dans la salle d'observation, au-dessus de la salle commune. Le deuxième garde surveillait autre chose; son collègue a attiré son attention sur la bagarre. Le deuxième garde ne se rappelle plus s'il y avait d'autres détenus dans la salle commune pendant l'altercation.

[4]                La version des détenus est assez différente. D'après eux, un autre détenu était assis à une table dans la salle. Juste avant l'altercation, le demandeur s'est dirigé vers le réfrigérateur pour y prendre des légumes. Il revenait vers la table où était l'autre détenu avec les légumes quant M. Guindon l'a attaqué d'en arrière. Le demandeur s'est alors retourné pour riposter.

[5]                Le demandeur ajoute à ce récit qu'il s'est d'abord adressé à M. Guindon, qui était au fond de la salle, puis s'est dirigé vers le réfrigérateur pour les légumes.

[6]                Les deux gardes ont vu les deux détenus qui se battaient face à face. Ils n'ont pas vu l'attaque d'en arrière. Ils confirment avoir vu du sang sur le demandeur alors qu'il quittait la salle.

[7]                M. Guindon avait déjà eu une dispute avec un autre détenu plus tôt. L'agent Laurent a témoigné qu'on le guettait parce que les gardes sentaient qu'une bagarre aller éclater.

[8]                L'accusation disciplinaire portée contre le demandeur était rédigée comme suit : « Le précité est rapporté pour s'être impliqué dans une bagarre avec un co-détenu dans une salle commune du pavillon « H » » .


DÉCISION DU TRIBUNAL DISCIPLINAIRE

[9]                À l'audience disciplinaire, le demandeur a soulevé la légitime défense. Le président du tribunal disciplinaire n'en a pas traité. La décision du président est reproduite ici :

L'agent Laurent a bien précisé qu'il n'avait pas la vue bloquée et qu'il avait une vue sur l'événement qui s'est déroulé. Il n'y avait pas de détenu vis-à-vis la fenêtre de la salle commune. Quant à la défense présentée par monsieur Zanth, effectivement, il y a des témoins qui sont venus témoigner à l'effet que Zanth avait été agressé. Asselin [détenu] l'a mentionné, Latouche [détenu] l'a mentionné.

Quant au détenu Zanth, il dit que lui, effectivement, il s'était adressé au détenu Guindon mais qu'il est allé chercher des fruits. Effectivement, c'est des fruits ou des légumes dans le frigo.

[L'assesseur interjette : Des légumes].

C'est des légumes, oui, dans le frigo et qu'il s'est rendu à la table de Latouche. Je doute fort de la défense présentée et j'accorde beaucoup plus de crédibilité aux témoignages de l'agent Laurent et de l'agent Beaulé et, surtout lorsque l'agent Laurent dit que la bagarre a éclaté instantanément. J'ai de la misère à croire que le détenu Zanth a eu le temps d'aller au frigo et puis de se rendre à la table du détenu Latouche.

Alors, compte tenu que j'accorde beaucoup plus de crédibilité aux témoignages présentés par l'établissement, alors, dans les circonstances, je déclare le détenu Zanth coupable.

           

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[10]            Loi sur le Système correctionnel et la mise en liberté sous condition, 1992, ch. 20 :


40. Est coupable d'une infraction disciplinaire le détenu qui :

(...)

h) se livre ou menace de se livrer à des voies de fait ou prend part à un combat;

43. (3) La personne chargée de l'audition ne peut prononcer la culpabilité que si elle est convaincue hors de tout doute raisonnable, sur la foi de la preuve présentée, que le détenu a bien commis l'infraction reprochée.

40. An inmate commits a disciplinary offence who

(...)

(h) fights with, assaults or threatens to assault another person;

43. (3) The person conducting the hearing shall not find the inmate guilty unless satisfied beyond a reasonable doubt, based on the evidence presented at the hearing, that the inmate committed the disciplinary offence in question.


[11]            Code criminel , L.R. 1985, ch. C-46 :


34. (1) Toute personne illégalement attaquée sans provocation de sa part est fondée à employer la force qui est nécessaire pour repousser l'attaque si, en ce faisant, elle n'a pas l'intention de causer la mort ni des lésions corporelles graves.

                                                                               

34. (1) Every one who is unlawfully assaulted without having provoked the assault is justified in repelling force by force if the force he uses is not intended to cause death or grievous bodily harm and is no more than is necessary to enable him to defend himself.


QUESTIONS EN LITIGE

[12]            Le demandeur soulève deux questions aux fins du présent contrôle judiciaire :

1)        Le président du tribunal disciplinaire a-t-il erré en droit sur la question du doute raisonnable en ne l'appliquant pas à la défense de légitime défense?

2)          Le président du tribunal disciplinaire a-t-il erré en droit sur la question du doute raisonnable en présence de versions contradictoires en choisissant la version des témoins du service correctionnel parce qu'il la trouvait plus crédible sans se demander si la version du demandeur soulevait un doute raisonnable?

ANALYSE

[13]            Le président du tribunal, dans cette affaire, a commis deux erreurs de droit fondamentales; l'une relative au doute raisonnable, l'autre relative au moyen de défense.


Doute raisonnable quant à la crédibilité

[14]            Le Procureur général du Canada (défendeur), dans son mémoire, a admis d'emblée que le président avait fait erreur quant à la charge de persuasion qui incombait au poursuivant, c'est-à-dire le Service correctionnel du Canada (SCC), et qu'il avait commis une erreur de droit en court-circuitant l'analyse sur le doute raisonnable « à laquelle il devait se prêter impérativement selon les prescriptions de la Cour suprême » .

[15]            La Loi prévoit au paragraphe 43(3) que :

La personne chargée de l'audition ne peut prononcer la culpabilité que si elle est convaincue hors de tout doute raisonnable, sur la foi de la preuve présentée, que le détenu a bien commis l'infraction reprochée.


[16]            Dans l'arrêt R. c. W. (D.) [D.W.], [1991] 1 R.C.S. 742, la Cour suprême du Canada a clairement indiqué que d'exprimer le doute raisonnable en termes de crédibilité est une erreur de droit. Dans cette affaire, une accusation d'agression sexuelle, le juge avait instruit le jury en termes appropriés sur la charge de persuasion qui incombait à la Couronne, et donné une bonne explication de l'expression « hors de tout doute raisonnable » . Toutefois, dans un exposé supplémentaire, fait à la demande de la Couronne, le juge a expliqué aux jurés qu'ils devaient décider, entre l'accusé et la victime, qui était le plus crédible des deux. La Cour suprême a bien insisté sur le fait que le principe du doute raisonnable ne doit pas être confondu avec la crédibilité. Il est possible, de dire la Cour suprême, d'accorder moins de crédibilité à l'accusé tout en ayant encore un doute raisonnable. Dans un tel cas, il faut l'acquitter. Aux paragraphes 26 à 28, le juge Cory, qui écrit pour la majorité, précise en quoi consiste l'erreur et comment la corriger :

¶ 26       Il est manifeste que le juge du procès a commis une erreur dans son exposé supplémentaire. Il est incorrect d'indiquer aux jurés, dans une affaire criminelle que, pour arriver à un verdict, ils doivent décider s'il ajoutent foi à la preuve de la défense ou à celle de la poursuite. Énoncer cette alternative aux jurés écarte une troisième option possible, celle que les jurés, sans croire l'accusé et après avoir tenu compte de la déposition de l'accusé dans le contexte de l'ensemble de la preuve, puissent encore avoir un doute raisonnable quant à la culpabilité de l'accusé.

¶ 27       Dans une affaire où la crédibilité est importante, le juge du procès doit dire au jury que la règle du doute raisonnable s'applique à cette question. Le juge doit dire aux jurés qu'il n'est pas nécessaire qu'ils ajoutent fermement foi à la déposition de l'un ou l'autre témoin ou qu'il rejettent entièrement cette déposition. Plus précisément, le juge doit dire aux jurés qu'ils sont tenus d'acquitter l'accusé dans deux cas. Premièrement, s'ils croient l'accusé. Deuxièmement, s'ils n'ajoutent pas foi à la déposition de l'accusé, mais ont un doute raisonnable sur sa culpabilité après avoir examiné la déposition de l'accusé dans le contexte de l'ensemble de la preuve. Voir R. v. Challice (1979), 45 C.C.C. (2d) 546 (C.A. Ont.), confirmé par R. c. Morin, précité, à la p. 357.

¶ 28       Idéalement, il faudrait donner des directives adéquates sur le sujet de la crédibilité non seulement dans l'exposé principal mais dans tout exposé supplémentaire. Le juge du procès pourrait donner des directives au jury au sujet de la crédibilité selon le modèle suivant:

Premièrement, si vous croyez la déposition de l'accusé, manifestement vous devez prononcer l'acquittement.

Deuxièmement, si vous ne croyez pas le témoignage de l'accusé, mais si vous avez un doute raisonnable, vous devez prononcer l'acquittement.

Troisièmement, même si vous n'avez pas de doute à la suite de la déposition de l'accusé, vous devez vous demander si, en vertu de la preuve que vous acceptez, vous êtes convaincus hors de tout doute raisonnable par la preuve de la culpabilité de l'accusé.

Si on utilisait cette formule, on éviterait l'erreur qu'on trouve trop souvent dans les exposés supplémentaires. L'obligation du ministère public de prouver la culpabilité de l'accusé hors de tout doute raisonnable est fondamentale dans notre système de droit criminel. Il faudrait prendre tous les moyens possibles pour éviter de commettre des erreurs dans les directives au jury sur ce principe fondamental.

[17]            Il est clair dans la présente affaire que le président du tribunal ne s'est pas conformé à ce modèle. Il accorde plus de crédibilité aux agents, et c'est la fin de son analyse. Il ne se pose pas la question de savoir si la preuve a été faite hors de tout doute raisonnable.

[18]            La Cour d'appel fédérale, dans l'affaire Ayotte c. Canada (Procureur général), [2003] A.C.F. no 1699 (C.A.), a rendu un arrêt dans un contexte disciplinaire où elle a jugé que le fait de fonder la décision sur un motif de crédibilité, plutôt que sur l'analyse du doute raisonnable, constituait une erreur de droit :

¶ 22       En outre, le président du tribunal disciplinaire s'est mal instruit en droit dans cette affaire où la crédibilité était importante puisque toute la preuve reposait sur deux témoignages contradictoires. Même s'il ne croyait pas le témoignage de l'appelant, il devait l'acquitter s'il subsistait un doute raisonnable quant à sa culpabilité. Même s'il ne croyait pas la déposition de l'appelant, il devait l'examiner dans le contexte de l'ensemble de la preuve et des inférences raisonnables qu'il pouvait tirer de tous et de chacun des éléments de preuve. Mais, au terme de cet examen, il devait l'acquitter s'il n'était pas convaincu hors de tout doute raisonnable de sa culpabilité. La lecture de la transcription des débats indique clairement que le président du tribunal disciplinaire n'a pas fait cet exercice. Il s'est contenté de faire une équation inappropriée entre culpabilité et absence de crédibilité de l'appelant, altérant ainsi la norme de preuve prévue par la Loi pour fonder un verdict de culpabilité.

Doute raisonnable quant à la légitime défense

[19]            Si le défendeur admet cette première erreur de droit, il prétend néanmoins que la décision du président du tribunal est fondée, car la version non contredite des voies de fait infligées par le demandeur faisait « du débat proposé par le demandeur via ce contrôle judiciaire, un faux débat issue d'un paralogisme » .

[20]            En effet, de poursuivre le défendeur, le demandeur avait reconnu avoir infligé des coups à M. Guindon. Je cite le passage du mémoire :

Fait étonnant s'il en est un, compte tenu de la position du demandeur, selon sa propre version, une fois que le détenu Guindon se serait livré à une attaque sur lui, celui-ci avoua :

« (...)

Là, je me suis reviré (sic), c'est là que j'ai commencé à me battre puis je l'ai frappé.

(...) »


La version du demandeur exclut donc toute possibilité qu'elle s'inscrive dans le cadre d'une quelconque défense de sa personne;

Au contraire, il devient manifeste que le demandeur à un certain moment a été l'assaillant, de son propre aveu;

[21]            Le raisonnement semble être le suivant : puisqu'il a asséné des coups, il ne peut invoquer la légitime défense. Il y a là totale méprise sur le sens de « légitime défense » . La légitime défense n'est pas une négation des coups portés, ni même de l'intention de porter des coups, mais bien une justification. Citons à ce propos une récente décision de la Cour suprême, R. c. Kerr , [2004] A.C.S. no 39, qui précise le sens qu'il convient de donner à « légitime défense » :

¶ 28       Il est intéressant de noter que, sur le plan conceptuel, la légitime défense n'est pas un moyen de défense "intentionnel" au sens du droit pénal. L'intention de la personne attaquée est d'agresser l'assaillant; sa motivation, de se protéger ou d'assurer sa survie. En d'autres termes, la légitime défense n'annule pas la mens rea de l'agression, mais permet plutôt à l'accusé d'échapper à la responsabilité criminelle parce que son mobile est acceptable.

[22]            Le président du tribunal a tout simplement écarté l'idée de légitime défense, malgré la preuve non contredite de coups portés dans le dos du demandeur avec un objet coupant.

[23]            La défense de légitime défense est définie au paragraphe 34(1) du Code criminel. La Cour suprême du Canada, dans l'arrêt R. c. Hebert, [1996] 2 R.C.S. 272, précise comment il faut comprendre la défense, dans le contexte d'un procès devant jury. La charge de la preuve pour le poursuivant demeure la même dans le contexte de l'audience disciplinaire, aux termes de l'arrêt Ayotte. La Cour suprême s'exprime ainsi dans l'arrêt Hebert aux paragraphes 23- 24 sur la légitime défense aux termes du paragraphe 34 (1) du Code criminel :


Le jury doit en fait être convaincu que chaque élément du moyen de défense existe. Ainsi, pour que le moyen de défense soit accepté, le jury doit avoir un doute raisonnable quant à l'existence de tous les éléments du moyen de défense. C'est-à-dire (i) l'accusé a été attaqué illégalement; (ii) l'accusé n'a pas provoqué l'attaque; (iii) l'accusé a employé la force sans intention de causer la mort ni des lésions corporelles graves; et (iv) l'accusé n'a employé que la force nécessaire pour repousser l'attaque. Le juge du procès a eu raison de dire que la défense ne réussirait que si un doute raisonnable était soulevé à l'égard de tous ces éléments.

(...) Le ministère public n'est pas tenu de prouver hors de tout doute raisonnable que la conduite de l'appelant n'est compatible avec aucun des éléments du moyen de défense. Il suffit que le ministère public puisse prouver hors de tout doute raisonnable que l'un ou l'autre des quatre éléments énumérés n'a pas été établi.    

[24]            Encore faut-il que le poursuivant prouve hors de tout doute raisonnable qu'un des quatre éléments énumérés n'a pas été établi. En l'espèce, le demandeur a soulevé un doute à l'égard des quatre éléments. Il prétend avoir été attaqué par en arrière; il est effectivement blessé grièvement dans le dos. Il soutient ne pas avoir provoqué l'attaque; les gardes ont parlé du fait que M. Guindon était sous surveillance, car on craignait qu'il ne provoque un incident. Rien n'indique que le demandeur ait eu l'intention de causer la mort ou des lésions corporelles graves. Enfin, le demandeur a cessé de se battre dès que l'alarme a été donnée.

[25]            Or, le poursuivant n'a pas fait la preuve hors de tout doute raisonnable qu'un de ces éléments n'étaient pas établis. Le défendeur se contente de dire que le demandeur s'est battu, qu'il a donc commis l'infraction, sans jamais considérer sérieusement la légitime défense.

Conclusion


[26]            Dans l'arrêt Ayotte, précité, le juge Létourneau, au nom de la Cour d'appel fédérale, a clairement reconnu aux personnes accusées d'une infraction disciplinaire aux termes de la Loi les mêmes garanties procédurales que dans le cadre d'un procès ordinaire pour ce qui est des moyens de défense. Le juge Létourneau a reconnu les particularités du monde carcéral, où les autorités doivent bénéficier d'une certaine souplesse pour assurer le maintien de l'ordre. Il n'en reste pas moins, aux dires de la Cour d'appel, que ceux qui sont accusés d'une infraction disciplinaire ont droit à l'équité procédurale :

¶ 11       En somme, le processus disciplinaire en milieu carcéral requiert souplesse et efficacité, mais une souplesse et une efficacité qui doivent être poursuivies et atteintes dans le respect de l'équité procédurale et des dispositions impératives de la loi.

[27]            Dans l'arrêt Ayotte, précité, l'analyse du doute raisonnable n'a pas été faite par le président du tribunal selon les préceptes de la Cour suprême. Il s'agissait, selon la Cour d'appel, d'une erreur fatale :

¶ 16       Cette obligation pour le décideur d'être convaincu hors de tout doute raisonnable de la culpabilité de l'accusé ainsi que la charge imposée au dénonciateur ou au poursuivant de fournir une telle preuve sont inextricablement liées à la présomption d'innocence : R. c. Lifchus, [1997] 3 R.C.S. 320, au paragraphe 13. "Il s'agit de l'une des principales mesures de protection visant à éviter qu'un innocent soit déclaré coupable" : ibidem. Le défaut de comprendre et de bien appliquer cette norme de preuve porte une atteinte irréparable à l'équité du procès ou de l'audition.

[28]            Par ailleurs, de poursuivre le juge Létourneau, le fait de priver l'accusé de son moyen de défense principal est une atteinte à l'équité procédurale :

¶ 19       Le président du tribunal ne pouvait, sans compromettre l'équité procédurale et manquer à son obligation de tenir une audition complète, ignorer le seul véritable moyen de défense soulevé par l'appelant. Pour reprendre les propos du juge Denault dans Hendrickson, précité, ou du juge Addy dans Blanchard, précité, il devait examiner "both sides of the question". Il pouvait rejeter le moyen de défense avancé par l'appelant, mais il ne pouvait l'ignorer compte tenu de la preuve soumise.

¶ 20       De même, il pouvait soupeser et apprécier la preuve fournie par l'appelant au soutien de sa défense, mais il ne pouvait pas l'ignorer : Canada (Procureure générale) c. Primard, [2003] A.C.F. no. 1400; Maki c. La Commission de l'assurance-emploi du Canada et al., [1998] A.C.F. no. 1129; Boucher c. Canada (Procureur général), [1996] A.C.F. no. 1378; Lépine c. Canada (Commission de l'emploi et de l'immigration), [1990] A.C.F. no. 131; Rancourt c. Canada (Commission de l'emploi et de l'immigration), [1996] A.C.F. no. 1429.

[29]            Bien que les faits de la présente instance soient relativement clairs, et que la décision qui s'impose paraisse assez évidente, je tiens à répéter ce que j'ai mentionné à l'audience : « Je suis conscient de la problématique et du contexte des événements, comme celui qui est l'objet de la présente instance, et de leurs conséquences sur la gestion des établissements carcéraux » .

[30]            Il demeure important que les gestionnaires des établissements carcéraux puissent avoir les moyens de contrôler les situations où la vie des détenus et employés est menacée.

[31]            Les gestionnaires doivent pouvoir réagir rapidement aux situations de conflits, surtout lorsqu'une altercation dégénère pour devenir une bataille, une bagarre ou une rixe qui implique deux ou plusieurs détenus.

[32]            Malheureusement, quel que soit le nombre ou la qualité des règlements en vigueur, rien ne pourra empêcher un détenu de s'en prendre à un autre lorsque deux ou plusieurs personnes sont dans la même pièce.

[33]            Les autorités en place doivent avoir les moyens d'intervenir rapidement et efficacement. C'est ce qu'elles ont fait, à mon avis, dans le cas qui nous occupe.

[34]            Cependant, une fois l'événement sous contrôle, l'imposition de sanctions disciplinaires demeure un moyen parmi d'autres pour régler les situations à moyen et à long termes.


[35]            Les détenus, quelle que soit la gravité de leurs fautes, ont le droit d'être entendus et de faire valoir leurs droits. Le droit à la légitime défense est présent depuis longtemps, et je pense, est là pour rester.

[36]            Ce droit ne peut pas être utilisé à tout venant. Il est déjà encadré par le Code criminel et par de nombreuses décisions des tribunaux.

[37]            Si la Cour, dans la présente décision, en arrive à la conclusion que ce motif de légitime défense n'a pas été considéré et analysé sérieusement par le président du tribunal, ce serait une erreur de croire que la présente décision ouvre la porte à une nouvelle approche jurisprudentielle, et que dorénavant, les détenus pourraient s'autoriser à s'impliquer davantage dans des altercations violentes et des bagarres dans les établissements, en croyant que de soulever le motif de légitime défense sera suffisant pour justifier leur implication dans des bagarres.

[38]            La valeur des dispositions des infractions disciplinaires prévues au paragraphe 40(h) de la Loi demeure et « prendre part à un combat » est toujours une infraction disciplinaire.

[39]            Les faits du présent dossier démontrent que le seul moyen de défense soulevé par le demandeur était la légitime défense, que le tribunal était tenu de l'examiner, et qu'il ne l'a pas fait.


[40]            En l'espèce, il est clair que le président du tribunal n'a pas tenu compte de la nécessité d'être convaincu hors de tout doute raisonnable, et qu'il n'a pas considéré sérieusement le seul moyen de défense soulevé par le demandeur. Pour ces motifs, je suis d'avis d'accueillir la demande de contrôle judiciaire et de renvoyer l'affaire à une nouvelle formation du tribunal.

                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que

-            la demande de contrôle judiciaire soit accueillie;

-          l'affaire soit renvoyée à une nouvelle formation du tribunal pour audition à la lumière de la présente ordonnance.

   "Pierre Blais"

                                                                        

                                   juge


COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                                             

DOSSIER :                                        T-1839-03

INTITULÉ :                                       CLÉMENT ZANTH c. PGC

LIEU DE L'AUDIENCE :                Montréal

DATE DE L'AUDIENCE :               04 Août 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE : M. Le juge Blais

DATE :                                              11 août 2004

COMPARUTIONS :

Me Daniel Royer                                                                       POUR LE DEMANDEUR

Me Martin Lamontagne                                                             POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Daniel Royer                                                                       POUR LE DEMANDEUR

LABELLE, BOUDRAULT, CÔTÉ et ASS.

Montréal, Québec

Morris Rosenberg                                                                      POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


                         COUR FÉDÉRALE

                                                          Date: 20040811

                                                    Dossier: T-1839-03

ENTRE:                                                                     

CLÉMENT ZANTH

                                                                  demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


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