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Date : 20000726


Dossier : IMM-5912-99

ENTRE:     

     PETR GAVRYUSHENKO

     Partie demanderesse

     - et -


     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

     ET DE L"IMMIGRATION

    

     Partie défenderesse

     MOTIFS DE L"ORDONNANCE

LE JUGE EN CHEF ADJOINT

[1]      Le demandeur, un citoyen de la Russie, s"attaque à une décision de la Section du statut qui refuse de lui accorder le statut de réfugié au sens de la Convention. Le demandeur invoque une crainte bien fondée de persécution en raison de ses opinions politiques contre la guerre menée par la Russie en Tchétchénie et de son appartenance à un groupe social particulier qui s"oppose aux organisations fascistes qui s"expriment en Russie.

[2]      Le demandeur allègue, en particulier, trois actes de persécution qu"il prétend avoir été commis en 1995, 1997 et 1999. Le tribunal conclut que la version du demandeur est invraisemblable.

[3]      Suite à mon étude de la transcription et de la décision qui fait l"objet de cette demande de contrôle judiciaire, je suis satisfait que le tribunal ne s"est pas exprimé en termes clairs et non équivoques afin de justifier sa conclusion que le témoignage du demandeur n"est pas digne de foi : Hilo c. Ministre de l"Emploi et de l"Immigration (1991), 130 N.R. 236 (C.A.) et Okyere-Akosah c. Canada (Ministre de l"Emploi et de l"Immigration) (1992), 157 N.R. 387 (C.A.). En conséquence, cette Cour doit intervenir. Je m"explique.

[4]      Au début de son analyse de la cause, le tribunal juge bon de qualifier le témoignage du demandeur en ces termes:

     Le tribunal apprécie la candeur avec laquelle le revendicateur a témoigné, mais il estime que ce dernier n"a pas établi qu"il avait une crainte bien fondée de persécution en cas de retour dans son pays. [Je souligne]


[5]      Après avoir analysé les trois actes de persécution soulevés par le demandeur, le tribunal conclut comme suit:

     Le revendicateur n"est pas un homme politique, il n"est membre d"aucun parti politique et n"a mené aucune campagne politique ou idéologique contre lesdits nationalistes. Dans ces circonstances, le tribunal ne croit pas que le revendicateur serait ciblé simplement à cause des conversations alléguées.
     Le tribunal est d"avis que le revendicateur s"est inventé de toutes pièces une histoire de persécution par des fascistes de l"UNR qu"il n"a jamais vécue. [Je souligne]

[6]      D"une part, le tribunal exprime son appréciation pour " la candeur avec laquelle le revendicateur a témoigné " et d"autre part, plus loin dans ses motifs, il conclut que " le revendicateur s"est inventé de toutes pièces une histoire de persécution ". J"ai tenu compte de l"argument du défendeur à l"effet que le tribunal avait à l"esprit les convictions sincères du demandeur contre la guerre en Tchétchénie lorsqu"il se référait à sa candeur. Si tel était le cas, le tribunal aurait dû le dire clairement.

[7]      De plus, le tribunal ne fait aucune référence dans ses motifs à la preuve soumise par le demandeur d"une série d"événements, reliés selon lui à sa crainte de persécution, qui ont eu lieu après son arrivée au Canada en mars 1999. Entre autres, le demandeur a déposé des certificats concernant les blessures corporelles subies en mai 1999 par la famille qui l"a hébergé suite aux incidents de persécution en 1997, les blessures de sa fille suite à l"agression sexuelle qu"elle a subie en août 1999 et l"incendie de sa résidence le 27 août 1999.

[8]      Si le tribunal a cru que ses documents étaient falsifiés, il devait le dire et pouvait difficilement conclure que le témoignage du demandeur était candide. D"autre part, si le tribunal n"a pas mis en doute la véracité des informations divulguées dans ses documents, il devait expliquer en termes claires et non équivoques son refus d"accepter le lien entre ces événements, que le demandeur prétend avoir eu lieu après son arrivée au Canada, et les actes de persécution antérieurs dont il se plaint.

[9]      Finalement, le tribunal s"est interrogé concernant le défaut du demandeur de ne pas revendiquer le statut de réfugié aux États-Unis durant les trois semaines immédiatement avant son arrivée au Canada, pendant que le bateau sur lequel il se trouvait était amarré au port de la Nouvelle Orléans. En invoquant un jugement de cette Cour dans l"affaire Ilie c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration) (1994), 88 F.T.R. 220, le tribunal a conclu " qu"un revendicateur devrait profiter de la première occasion où il se trouve dans un pays signataire de la Convention ou du Protocole de 1967 pour revendiquer le statut de réfugié ".

[10]      À mon avis , le tribunal aurait mieux interprété la décision dans l"affaire Ilie en se référant aux commentaires du professeur Hathaway dans The Law of Refugee Status (Toronto: Butterworths, 1991) à la page 46:

     [Traduction]
     En vertu de la Convention, le réfugié n"est pas tenu de demander la protection du pays le plus proche de son pays d"origine, ou même du premier État dans lequel il s"enfuit. Il n"est pas nécessaire non plus que le demandeur de statut quitte son pays de premier asile et se rende directement dans le pays où il a l"intention de demander une protection durable.

[11]      Voici comment s"explique mon collègue le juge MacKay dans l"affaire Ilie au paragraphe 15:

     [Traduction]
     Enfin, à mon avis, le tribunal était fondé à tenir compte de l"omission de la demanderesse de revendiquer le statut de réfugié dans d"autres pays au cours de son voyage en Europe de juillet 1992 à janvier 1993, et à examiner comment la preuve de la demanderesse devait être appréciée eu égard à cette omission.


Le fait qu"une personne ne saisit pas la première occasion pour revendiquer le statut de réfugié dans un pays signataire peut être un facteur pertinent dans l"appréciation de sa crédibilité, sans constituer pour autant une renonciation à son droit de le réclamer dans un autre pays.

[11]      Il n"appartient pas à cette Cour, dans les circonstances de cette instance, de statuer quant à la crédibilité du demandeur. Sans tirer de conclusion quant à la véracité de la preuve du demandeur, je suis convaincu que son droit à des motifs clairs et non équivoques en ce qui concerne sa crédibilité n"a pas été respecté par le tribunal. En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de la Section du statut est annulée et l"affaire est renvoyée devant une formation de la Section du statut différemment constituée pour une nouvelle audition. Il n"y a pas ici matière à certifier une question sérieuse de portée générale.


     " Allan Lutfy "

     J.C.A.

Ottawa, Ontario

le 26 juillet 2000



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