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Date : 20021126

Dossier : IMM-3861-00

Référence neutre : 2002 CFPI 2007

Ottawa (Ontario), le 26 novembre 2002

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BEAUDRY

ENTRE :

                       BELA ARNDORFER, NIKOLETTA KRISTINA HOLBIS,

BARBARA ZSANETT HOLBIS

                                                                                                                                      demandeurs

                                                                            et

                LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                         défendeur

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la CISR). La décision en question est en fait un avis délivré par la section du statut de réfugié (la SSR) au ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (le défendeur) en vue d'informer celui-ci que Bela Arndorfer (le demandeur), Nikoletta Krisztina Holbis (la demanderesse) et Barbara Zsanett Holbis (la demanderesse mineure, âgée de cinq ans) (conjointement les demandeurs) ont renoncé à leurs revendications.

LES POINTS LITIGIEUX

[2]                 Les points litigieux sont les suivants :

a)         Le paragraphe 33(1) des Règles de la Section du statut de réfugié est-il ultra vires de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (la Loi)? Dans la négative, viole-t-il les règles de justice naturelle?

b)         Les circonstances dans lesquelles l'avis de renonciation a été soumis par les demandeurs donnent-elles lieu à une conclusion de non est factum?

c)         Y a-t-il eu renonciation à l'égard de la revendication de la demanderesse mineure?

LES FAITS


[3]                 Le demandeur est arrivé au Canada le 10 juillet 1999. La demanderesse adulte et la demanderesse mineure sont arrivées le 30 août 1999. Les demandeurs ont déposé des Formulaires de renseignements personnels (les FRP) distincts. Le demandeur a signé le formulaire de la demanderesse mineure en sa qualité de beau-père. Ils ont soumis un exposé circonstancié écrit commun de leur situation à l'appui des renseignements donnés dans leurs FRP.

[4]                 L'audition des revendications des demandeurs devant la CISR devait avoir lieu le 27 juin 2000. Les demandeurs ont retenu les services de Peter Ivanyi (M. Ivanyi) à titre d'avocat pour les aider à préparer l'audience. Ils ont présenté à M. Ivanyi des documents qu'ils voulaient faire traduire du hongrois à l'anglais pour l'audience. Selon le demandeur, M. Ivanyi devait veiller à ce que son FRP soit traduit de l'anglais au hongrois, mais cela n'a jamais été fait.

[5]                 Le demandeur et la demanderesse adultes ont rencontré M. Ivanyi le 26 juin 2000 en vue de préparer l'audience. M. Ivanyi a demandé à ces demandeurs de signer un formulaire. Les demandeurs, qui ont de la difficulté à lire l'anglais, ont demandé ce qu'on leur demandait de signer. M. Ivanyi les a informés qu'il s'agissait simplement d'une formalité. Selon les demandeurs, le formulaire qu'on leur a demandé de signer, était intitulé : « Avis de renonciation à une revendication du statut de réfugié » .

[6]                 Le 26 juin 2000, au cours de l'après-midi, le demandeur a reçu un appel de M. Ivanyi qui disait que l'audience avait été ajournée et qu'il l'informerait de la nouvelle date de l'audience dès qu'elle serait fixée.

[7]                 Dans la demande qu'il a présentée en vue d'obtenir le statut d'intervenant, M. Ivanyi a déposé un affidavit dans lequel il énonçait les faits selon son point de vue.

[8]                 M. Ivanyi déclare avoir rencontré les deux demandeurs adultes plusieurs fois avant et après le dépôt de leurs FRP. Au cours de l'une de ces rencontres, ils devaient examiner les mesures d'interdiction de séjour conditionnelle prises par le défendeur à l'encontre de chacun des trois demandeurs. Cette rencontre a eu lieu le 5 novembre 1999. Selon M. Ivanyi, il y a eu au moins quatre autres rencontres entre le mois de novembre 1999 et le mois de juillet 2000, avec le demandeur seul ou avec les deux demandeurs adultes.

[9]                 M. Ivanyi note que les demandeurs voulaient faire ajourner l'audience du 27 juin 2000 parce qu'ils attendaient la traduction de documents du hongrois à l'anglais ainsi que l'arrivée d'un témoin de la Hongrie, celui-ci devant corroborer leurs revendications. M. Ivanyi a veillé à ce que les traductions soient prêtes pour l'audience qui devait avoir lieu.


[10]            Selon M. Ivanyi, c'est le demandeur qui a annoncé, lors de la rencontre du 26 juin 2000, qu'il voulait renoncer à sa revendication parce qu'il prévoyait se marier et présenter une demande de résidence permanente. La demanderesse a également exprimé une intention similaire. Les demandeurs adultes ont ensuite lu et signé un formulaire d'avis de renonciation, en assurant à M. Ivanyi qu'ils avaient lu et compris ce formulaire, qui était rédigé en anglais. Lorsqu'il a été contre-interrogé au sujet de son affidavit, M. Ivanyi a déclaré parler couramment le hongrois. De plus, lorsque la demanderesse a signé le formulaire de renonciation, elle l'a signé en son nom et au nom de sa fille mineure. Il ressortait clairement des discussions que la mère s'était arrêtée au cas de l'enfant (voir les pages 4 et 15 de l'affidavit Ivanyi).

[11]            M. Ivanyi nie avoir fait croire aux demandeurs que la signature des formulaires n'était qu'une formalité à accomplir avant l'audience, et affirme avoir appelé le demandeur le 26 juin, quelques heures après la rencontre.

LA DÉCISION ICI EN CAUSE

[12]            Dans la lettre qu'il a envoyée au ministre, le greffier de la CISR dit ce qui suit :

[TRADUCTION]

Revendications de :

Bela ARNDORFER [date de naissance et numéro d'identification omis]

Nikoletta Krisztina HOLBIS [date de naissance et numéro d'identification omis]

Barbara Zsanett HOLBIS [date de naissance et numéro d'identification omis]

J'avise par les présentes le ministre que les personnes susmentionnées ont RENONCÉ à leurs revendications au moyen d'un avis écrit qui a été déposé au greffe le 26 juin 2000. [Souligné dans l'original.]

HISTORIQUE PROCÉDURAL


[13]            La présente affaire se distingue par le nombre de mesures procédurales et par la diversité des mesures procédurales qui ont été prises entre la date de la présentation de la demande initiale et la date de l'audition au fond de la revendication ici en cause. Dans cette section, il sera question des démarches que les parties ont faites.

[14]            Le 7 juillet 2000, le défendeur a avisé le demandeur et la demanderesse adultes, dans des lettres distinctes, que la CISR l'avait informé du retrait de leur demande. Dans la lettre adressée au demandeur (une déclaration similaire a été faite à la demanderesse), un représentant du défendeur a fait mention comme suit des mesures d'interdiction de séjour conditionnelle :

[TRADUCTION] L'examen de votre dossier indique que vous avez fait l'objet d'une mesure d'interdiction de séjour conditionnelle le 4 novembre 1999 en attendant le résultat de votre revendication. La mesure d'interdiction de séjour a pris effet le 27 juin 2000, soit à la date de la lettre que la section du statut de réfugié vous a envoyée. Vous devez quitter le Canada et votre départ doit être attesté par des représentants de l'Immigration au plus tard le 3 août 2000.

[15]            Les demandeurs croyaient que cela équivalait à une mesure de renvoi et ils ont donc présenté une demande devant la Cour en vue d'obtenir un sursis à l'exécution de la mesure de renvoi. Leur dossier de requête, pour ce qui est de cette demande, a été déposé le 26 juillet 2000. Monsieur le juge Gibson a rendu une ordonnance le 31 juillet, dont le début est libellé comme suit :

[TRADUCTION] Étant donné qu'aucun « renvoi » ne doit avoir lieu le 3 août 2000 et que la Cour est convaincue que l'intérêt de la justice exige peut-être que les parties aient la possibilité d'envisager d'autres mesures et la présentation d'autres documents, la demande est ajournée pour une période indéfinie.


[16]            Le 2 août 2000, la Cour fédérale a demandé à la CISR de fournir des motifs à l'appui de sa décision. En réponse, la CISR a joint deux copies de l'avis de confirmation de la renonciation et a informé le greffe de la Cour que les demandeurs de statut avaient renoncé à leurs revendications de leur propre chef; il n'était donc pas nécessaire de fournir ces motifs.

[17]            Le 2 février 2001, Monsieur le juge Nadon (tel était alors son titre) a accordé aux demandeurs l'autorisation d'introduire une demande, la demande de contrôle judiciaire étant réputée avoir été présentée. L'ordonnance était rendue à condition que les demandeurs signifient une copie de leur dossier à M. Ivanyi et qu'ils renoncent à la protection du secret professionnel entre l'avocat et son client à l'égard de M. Ivanyi, de façon à permettre à ce dernier de répondre par affidavit si le défendeur le demandait.

[18]            L'ordonnance rendue par le juge Nadon (tel était alors son titre) fixait au 24 avril 2001 la date de l'audition de la demande de contrôle judiciaire. Le 3 avril 2001, M. Ivanyi a présenté une requête en vue d'obtenir une ordonnance, conformément à l'article 109 des Règles de la Cour fédérale (1998) (les Règles), l'autorisant à intervenir dans l'instance. Le 20 avril 2001, Monsieur le juge Lemieux a rendu une ordonnance autorisant M. Ivanyi à intervenir.

[19]            M. Ivanyi a été contre-interrogé le 15 mai 2001. Après l'ajournement, et après que des questions de compétence eurent été soulevées et qu'elles eurent été tranchées par Madame le juge Layden-Stevenson, la date du contrôle judiciaire a été fixée au 1er octobre 2002.


ARGUMENTS

Arguments des demandeurs

[20]            Les demandeurs soutiennent que le paragraphe 33(1) des Règles de la SSR est ultra vires de la Loi. Ils mentionnent les alinéas 32.1(6)a) et 32.1(6)b).

[21]            Les articles 33 et 34 des Règles sont ultra vires de la Loi s'ils sont interprétés de la façon dont le défendeur affirme qu'ils devraient l'être, c'est-à-dire qu'il est possible de renoncer officieusement à une revendication sans comparaître devant la SSR. L'article 69.1 prévoit que la section du statut peut, après avoir donné à l'intéressé la possibilité de se faire entendre, conclure au désistement.

[22]            Les demandeurs soutiennent subsidiairement que même si le paragraphe 33(1) des Règles est intra vires de la Loi, il viole les règles de justice naturelle. Ils mentionnent les décisions suivantes : Phillip c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 159 F.T.R. 49 (C.F. 1re inst.); Sabet c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 147 F.T.R. 291 (C.F. 1er inst.); Atwal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 157 F.T.R. 258 (C.F. 1re inst.) et Ou c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1999), 48 Imm. L.R. (2d) 131 (C.F. 1re inst.).

[23]            Le demandeur soutient que le paragraphe 33(1) des Règles n'a pas été appliqué de la façon appropriée. La Loi et les règles de justice naturelle exigent que les formulaires, y compris l'avis de renonciation à une revendication du statut de réfugié, soient traduits à l'intention des demandeurs de statut. Le tribunal est également tenu de veiller à ce que le formulaire provienne de fait du revendicateur, à ce que le revendicateur soit informé de la façon appropriée du contenu du formulaire et des conséquences que comporte la signature du formulaire et à ce que le formulaire soit traduit à l'intention du revendicateur. Or, dans ce cas-ci, le tribunal savait ou aurait dû savoir que les demandeurs avaient besoin d'un interprète-traducteur, étant donné que leurs FRP indiquaient qu'ils avaient besoin de services de traduction du hongrois à l'anglais.

[24]            Les demandeurs affirment qu'il n'y a jamais eu renonciation à la revendication de la demanderesse mineure puisqu'aucun avis de renonciation en son nom n'a été signé. Seuls le demandeur et la demanderesse adultes ont signé des formulaires d'avis de renonciation, et ni l'un ni l'autre de ces formulaires ne renfermait le nom de la demanderesse mineure. En fait, la question de savoir qui est autorisé à présenter des observations pour le compte de la demanderesse mineure a été soulevée lorsque M. Ivanyi a été contre-interrogé au sujet de son affidavit. La lettre de la CISR informant le ministre de la renonciation aux revendications des demandeurs comprenait le nom de la demanderesse mineure, même s'il n'y avait pas d'avis de renonciation en son nom. Cela constitue une erreur.

[25]            Les demandeurs n'ont jamais eu l'intention de renoncer à leurs revendications au Canada. Dans l'argumentation initiale qu'ils ont déposée le 26 juillet 2000, les demandeurs se fondent sur les affidavits du demandeur et de la demanderesse adultes à l'appui de l'allégation selon laquelle la renonciation aux revendications est non est factum. En d'autres termes, il ne s'agit pas d'un acte qu'ils ont sciemment et délibérément accompli. Ils ont été induits en erreur par M. Ivanyi et, si ce n'était des actes trompeurs commis par ce dernier, ils n'auraient pas signé les formulaires. C'est sur cette base qu'ils soulèvent l'argument non est factum, qui est habituellement invoqué dans les litiges de nature contractuelle. Les demandeurs soutiennent que la décision que la Cour d'appel a rendue dans l'affaire Stumf c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CAF 148, devrait s'appliquer en l'espèce et que le paragraphe 69(4) de la Loi n'a pas été observé.

Arguments du défendeur

[26]            Le défendeur soutient que la SSR peut à bon droit supposer que l'avocat agit pour les demandeurs et qu'elle peut à bon droit se fonder sur la déclaration que le demandeur et la demanderesse adultes ont faite dans leurs avis de renonciation, à savoir qu'ils comprenaient parfaitement bien le contenu de l'avis et qu'ils peuvent donc lire et comprendre l'anglais, même s'ils affirment ne pas avoir confiance en leur capacité de parler cette langue. M. Ivanyi parlait couramment le hongrois et a traduit le document de renonciation à l'intention des demandeurs.

[27]            Dans son contre-interrogatoire, M. Ivanyi confirme le fait que la mère lui a expliqué qu'elle représentait l'enfant mineure et qu'elle signait donc le document de renonciation pour le compte de celle-ci.

[28]            Les numéros de dossier des trois demandeurs sont indiqués sur le formulaire. On ne saurait donc pas dire que la SSR a commis une erreur en croyant que la demanderesse mineure renonçait également à sa revendication.

[29]            Quant aux effets des actions de l'avocat des demandeurs, le défendeur invoque la décision rendue par Monsieur le juge Pelletier (tel était alors son titre) dans l'affaire Nunez et autres c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), 189 F.T.R. 147 (C.F. 1re inst.). Dans cette décision-là, la Cour a rejeté une allégation de faute professionnelle grave avancée par les demandeurs qui n'avaient pas engagé de procédures de contrôle judiciaire.

[30]            Quant à l'argument non est factum, le défendeur mentionne l'arrêt Marvco Color Research Limited c. Harris, [1982] 2 R.C.S. 774. Dans cet arrêt, la Cour suprême du Canada s'inquiétait de ce que cette doctrine puisse faire du tort à des personnes innocentes, comme le défendeur et la SSR en l'espèce, et elle a dit que la négligence peut enlever à une partie qui a signé un document le droit de désavouer ce document.

[31]            En l'espèce, même si les allégations que les demandeurs ont faites à l'encontre de M. Ivanyi sont exactes, ce que M. Ivanyi nie, les demandeurs ont fait preuve de négligence en signant un formulaire de renonciation alors que la conduite de leur avocat ne leur plaisait pas.

[32]            Les demandeurs n'ont pas établi qu'ils ont renvoyé l'affaire ici en cause au Barreau du Haut-Canada, qui est l'organisme chargé de réglementer la profession juridique en Ontario.

Arguments de l'intervenant

[33]            La version de l'histoire présentée par M. Ivanyi est bien énoncée dans le dossier de la requête de celui-ci, à l'onglet I de l'annexe B du présent dossier. M. Ivanyi a rencontré le demandeur et la demanderesse adultes à plusieurs reprises avant et après le dépôt de leurs FRP. Le demandeur a appelé à son bureau à plusieurs reprises et s'est adressé en anglais; il a notamment appelé pour aviser le bureau de changements d'adresse et de numéro de téléphone et pour demander que ces changements soient communiqués aux représentants du défendeur.


[34]            M. Ivanyi affirme avoir préparé l'audience au cours des journées qui l'ont précédée, l'audience devant initialement avoir lieu le 27 juin 2000. Il fait remarquer que, contrairement aux assertions des demandeurs, les documents qui ont dû être traduits du hongrois à l'anglais avaient de fait été traduits le 27 juin. M. Ivanyi affirme avec insistance que la réunion du 26 juin 2000, qui est à l'origine d'un grand nombre des plaintes des demandeurs, a commencé à temps et qu'il a alors informé le demandeur que les questions de crédibilité et l'absence admise de crainte de persécution fondée sur un motif reconnu par la Convention faisaient obstacle au succès de la revendication.

[35]            Après avoir été informé des problèmes auxquels il faisait face, le demandeur a annoncé qu'il voulait renoncer à sa revendication parce qu'il prévoyait se marier et présenter une demande en vue de résider en permanence au Canada. Cette annonce ne semblait pas surprendre la demanderesse qui a en fait déclaré qu'elle ferait la même chose, mais qu'elle [TRADUCTION] « ne sortait pas beaucoup » (affidavit de M. Ivanyi, paragraphe 24) parce que le soin de son enfant prenait beaucoup de temps. Le demandeur a informé la demanderesse qu'il l'aiderait à rencontrer un partenaire.


[36]            Après une brève pause, le demandeur est retourné au bureau de M. Ivanyi. À ce moment-là, M. Ivanyi a mis au propre l'avis de renonciation, que les demandeurs adultes ont lu et signé. Les demandeurs ont assuré à M. Ivanyi qu'ils avaient compris le contenu du formulaire, qui était rédigé en anglais et qu'il avait traduit à leur intention, et qu'ils comprenaient les conséquences de la renonciation aux revendications, notamment en ce qui concerne leur départ éventuel du Canada. Étant donné que la traduction n'était pas nécessaire, la partie du formulaire qui devait être signée par l'interprète a été laissée en blanc.


DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

[37]            Le paragraphe 32.1(6) de la Loi sur l'immigration est ainsi libellé :


(6) La mesure de renvoi conditionnel ne devient exécutoire que si se réalise l'une ou l'autre des conditions suivantes :

(6) No conditional removal order made against a claimant is effective unless and until

a) le demandeur de statut renonce à sa revendication du statut de réfugié au sens de la Convention;

(a) the claimant withdraws the claim to be a Convention refugee;

a.1) sa revendication a été jugée irrecevable par l'agent principal, qui le lui a dûment notifié;

(a.1) the claimant is determined by a senior immigration officer not to be eligible to make a claim to be a Convention refugee and has been so notified;

b) son désistement a été constaté par la section du statut, qui le lui a dûment notifié;

(b) the claimant is declared by the Refugee Division to have abandoned the claim to be a Convention refugee and has been so notified;

c) la section du statut lui a refusé le statut de réfugié au sens de la Convention et lui a dûment notifié le refus ;

(c) the claimant is determined by the Refugee Division not to be a Convention refugee and has been so notified; or

d) il a été déterminé conformément au paragraphe 46.07(2) que le demandeur de statut n'avait pas le droit que confère le paragraphe 4(2.1) de demeurer au Canada et le demandeur en a été avisé. [je souligne]

(d) the claimant is determined pursuant to subsection 46.07(2) not to have a right under subsection 4(2.1) to remain in Canada and has been so notified. [emphasis added]


[38]            Le paragraphe 69.1(6) de la Loi sur l'immigration est ainsi libellé :


69.1 (6) La section du statut peut, après avoir donné à l'intéressé la possibilité de se faire entendre, conclure au désistement dans les cas suivants :

69.1 (6) Where a person who claims to be a Convention refugee

a) l'intéressé ne comparaît pas aux date, heure et lieu fixés pour l'audience;

(a) fails to appear at the time and place set by the Refugee Division for the hearing into the claim,

(b) l'intéressé omet de lui fournir les renseignements visés au paragraphe 46.03(2);

b) fails to provide the Refugee Division with the information referred to in subsection 46.03(2), or

c) elle estime qu'il y a défaut par ailleurs de sa part dans la poursuite de la revendication.

(c) in the opinion of the Division, is otherwise in default in the prosecution of the claim,


Si elle conclut au désistement, la section du statut en avise par écrit l'intéressé et le ministre.


[39]          Les articles 33 et 34 des Règles de la SSR sont ainsi libellés :


Renonciation ou retrait

33. (1) Une partie peut, de vive voix à l'audience ou par un avis écrit déposé au greffe, renoncer à une revendication ou retirer une demande.

Withdrawal

33. (1) A party may withdraw a claim or application either orally during a hearing or by notice in writing filed at the registry.

(2) Le greffier avise par écrit sans délai le ministre ou l'intéressé, selon le cas, de la renonciation ou du retrait visé au paragraphe (1).

(2) The registrar shall forthwith notify in writing the Minister or the person concerned, as the case may be, of any withdrawal of a claim or application.

Rétablissement

34. (1) La partie qui a renoncé à une revendication ou qui a retiré une demande peut en demander le rétablissement à la section du statut par voie de requête conformément aux paragraphes 28(2) à (8).

Reinstatement

34. (1) A party who has withdrawn a claim or application may, by motion made pursuant to subrules 28(2) to (8), apply to the Refugee Division for reinstatement of the claim or application.

(2) La demande de rétablissement est signifiée au ministre même dans le cas où il n'est pas une partie.

(2) The application for reinstatement shall be served on the Minister even where the Minister is not a party.

(3) La section du statut peut faire droit à la demande de rétablissement si elle est convaincue qu'il y a des motifs suffisants d'agir ainsi et que l'intérêt de la justice le justifie.

(3) The Refugee Division may grant the application for reinstatement of a claim or application if it is satisfied that there are sufficient reasons why the claim or application should be reinstated and that it is in the interests of justice to do so.


ANALYSE

[40]            Les questions qui ont été plaidées dans l'affaire ici en cause appartiennent à trois catégories : la mesure dans laquelle le paragraphe 33(1) des Règles et son application en l'espèce sont conformes aux principes de justice naturelle, les arguments non est factum avancés par les demandeurs et la renonciation à la revendication de la demanderesse mineure. L'argument non est factum sera d'abord examiné, étant donné qu'il détermine la mesure dans laquelle il faut ensuite analyser le paragraphe 33(1) des Règles pour trancher l'affaire; la renonciation à la revendication de la demanderesse mineure sera ensuite examinée.


Non est factum - Efficacité des avis de renonciation signés par les demandeurs

[41]            Dans l'arrêt Marvco, précité, la Cour suprême du Canada a statué que la personne qui fait preuve d'insouciance en signant un document ne peut pas invoquer l'argument non est factum à l'encontre des personnes qui se fondent en toute bonne foi sur ce document. La Cour a mentionné des décisions antérieures dans lesquelles l'argument non est factum est décrit comme étant une situation dans laquelle une personne a signé un document autre que celui qu'elle voulait signer au moment de la signature du document. L'insouciance, dans un cas où l'on aurait pu et où l'on aurait dû faire preuve d'une diligence raisonnable empêche une partie d'alléguer qu'elle a signé un document autre que celui qu'elle voulait signer.

[42]            La Cour a soulevé la question de principe selon laquelle permettre que l'argument non est factum soit plaidé dans un cas où une partie a été insouciante aurait essentiellement pour effet de faire subir à un tiers innocent un préjudice ou une perte qu'une diligence plus grande de la part des parties aurait pu empêcher. La Cour suprême a accueilli l'appel interjeté contre la décision de la Cour d'appel de l'Ontario et a rétabli la décision du tribunal de première instance, ce dernier ayant entre autres choses fait remarquer que les défendeurs qui plaidaient l'argument non est factum n'étaient pas des illettrés et qu'ils parlaient et comprenaient l'anglais.


[43]            Les considérations de principe liées aux questions de fiabilité et de sécurité sont dans une certaine mesure pertinentes dans l'affaire dont la Cour est ici saisie. Les avocats qui agissent pour les demandeurs de statut devraient être en mesure de se fonder sur les voeux exprimés par leurs clients, sous réserve de l'obligation de s'assurer que les clients qui ont une compréhension restreinte de l'anglais ou de la loi sont au courant des conséquences s'il est donné suite à leurs voeux.

[44]            De même, la CISR et le défendeur doivent être en mesure de se fonder sur ce qui leur est communiqué par les demandeurs de statut. Si la CISR et le ministre devaient s'imposer une période d'attente avant de prendre des mesures à la suite d'avis tels que l'avis de renonciation, ou s'imposer des mesures additionnelles simplement en vue de s'assurer que la déclaration du demandeur de statut est de fait sa réponse finale, cela ferait obstacle au processus de reconnaissance du statut de réfugié, ce qui aurait de son côté pour effet d'accroître l'arriéré déjà important des revendications.

[45]            Selon la preuve par affidavit présentée par M. Ivanyi, les demandeurs adultes étaient au courant des conséquences de la signature des formulaires d'avis de renonciation au moment où ils les ont signés. L'affidavit indique également qu'il y a lieu de croire que M. Ivanyi n'aurait pas présenté ces formulaires aux demandeurs si ceux-ci n'avaient pas exprimé l'intention de demander la résidence permanente, ce qui mettait fin au processus qu'ils avaient engagé à l'égard de leurs revendications.

[46]            Les déclarations de M. Ivanyi, qui ont été examinées au moyen d'un contre-interrogatoire, indiquent également que même s'ils maîtrisaient mal l'anglais, les demandeurs adultes comprenaient suffisamment cette langue pour être en mesure de comprendre ce qu'ils signaient. M. Ivanyi pouvait à bon droit se fonder sur la déclaration qu'ils avaient faite à leur avocat, à savoir qu'ils comprenaient l'anglais et comprenaient ce qu'ils signaient. Les appels téléphoniques que le demandeur avait faits en anglais au bureau de M. Ivanyi renforcent la conviction justifiée de M. Ivanyi, à savoir que ses clients connaissaient suffisamment l'anglais pour comprendre ce qu'ils signaient.


[47]            Les demandeurs adultes n'ont pas réussi à établir qu'ils pouvaient à bon droit plaider l'argument non est factum et ce, peu importe qu'ils aient signé les formulaires d'avis de renonciation par négligence ou qu'ils aient eu l'intention de mettre alors fin au processus de revendication et qu'ils aient ensuite changé d'idée. M. Ivanyi a demandé aux demandeurs s'ils comprenaient les formulaires de renonciation et ils ont répondu par l'affirmative. Lorsqu'ils ont signé les formulaires, les demandeurs ont donné suite à l'intention dont ils venaient de faire part à l'avocat. Ils ont amplement eu la possibilité de lire les formulaires et de demander de l'aide en ce qui concerne les mots et expressions qu'ils ne comprenaient pas, le cas échéant, avant d'apposer leur signature. S'ils avaient fait preuve de la diligence nécessaire, ils auraient également remarqué que les trois numéros d'identification, soit un numéro pour chaque demandeur de statut (y compris la demanderesse mineure), figuraient sur chaque formulaire. Il ne leur est pas maintenant loisible d'affirmer qu'ils ont signé un document autre que celui qu'ils voulaient signer.

[48]            Dans la décision Nunez, précitée, le juge Pelletier (tel était alors son titre) a dit que les allégations de faute professionnelle qu'une partie fait pour expliquer son omission de faire une démarche nécessaire ne seront pas admises sans explication de la part de l'avocat en cause. En l'espèce, nous avons à notre disposition les explications de la personne visée par les plaintes. Selon la preuve qu'il a fournie, M. Ivanyi se fondait sur ce qu'il croyait être les intentions de ses clients, compte tenu des déclarations que ceux-ci avaient faites ainsi que de leurs actions après qu'il eut veillé à leur expliquer les conséquences de ces actions. On ne saurait certes pas considérer qu'il y a eu inconduite de la part de M. Ivanyi.

[49]            Compte tenu de la doctrine non est factum, le défendeur peut à bon droit se fonder sur l'avis de renonciation. La SSR n'a commis aucune erreur de fait en avisant le défendeur de la renonciation. Les considérations de principe dont il a ci-dessus été question militent en faveur de pareille conclusion.


Le paragraphe 33(1) et la justice naturelle

[50]            Dans les décisions Phillip, Sabet, Atwal, et Ou, précitées, mentionnées par les demandeurs, la présente Cour a accueilli des demandes de contrôle judiciaire de décisions dans lesquelles la SSR avait statué que les revendications avaient fait l'objet d'un désistement, et ce, pour divers motifs, y compris la conduite de l'avocat. J'ai déjà conclu que les événements qui m'ont amené à ce stade dans ce cas-ci ne peuvent pas être attribués à une conduite irrégulière de la part de l'avocat. Dans la présente section de l'analyse, il sera plutôt question de la mesure dans laquelle on n'a pas fait preuve d'équité procédurale envers les demandeurs ici en cause et, plus précisément, on ne leur a pas accordé une audience équitable, pour des motifs semblables à ceux qui existaient dans les décisions mentionnées.

[51]            Il est possible de faire une distinction entre les décisions susmentionnées et la présente espèce compte tenu de la façon dont il a été mis fin aux revendications. Dans les décisions susmentionnées, les tribunaux en cause de la SSR ont conclu au désistement comme le paragraphe 69.1(6) de la Loi les autorise à le faire.

[52]            En l'espèce, je n'ai pas devant moi une décision de la SSR, rendue en vertu du paragraphe 69.1(6) de la Loi, selon laquelle il y avait eu désistement. En effet, la SSR s'est fondée sur des déclarations qui lui avaient volontairement été faites par les demandeurs, indiquant qu'ils voulaient renoncer à leurs revendications.

[53]            Le paragraphe 33(1) des Règles permet au demandeur de statut de renoncer à sa revendication de vive voix à l'audience ou par un avis écrit déposé au greffe. Lorsque ce droit est exercé, le paragraphe (2) de cette règle prévoit que le greffier de la SSR avise le ministre de la décision. L'emploi du mot « avise » figurant au paragraphe 33(2) des Règles indique que le greffier de la SSR ne prend pas une décision discrétionnaire lorsqu'il avise le ministre de la renonciation; le greffier est tenu de donner pareil avis.

[54]            En outre, en s'acquittant de l'obligation qui lui est imposée par le paragraphe 33(2) des Règles, le greffier ne fait en réalité que transmettre un message au ministre.

[55]            En l'espèce, le greffier était en possession d'un formulaire d'avis de renonciation, qui semblait avoir été dûment signé et qui ne contenait pas d'irrégularités.

[56]            L'article 33 des Règles ne porte pas atteinte au droit à l'équité procédurale reconnu aux demandeurs. En effet, les demandeurs choisissent de mettre prématurément fin aux procédures lorsqu'ils exercent le droit de renoncer à leurs revendications. Ils devraient comprendre que cet acte a notamment pour effet de rendre inutile une audience visant à permettre de statuer sur le bien-fondé de leurs revendications, étant donné que celles-ci ne sont plus pendantes. Ils ont consciemment choisi de suivre cette voie.

[57]            Dans leurs affidavits, les demandeurs se sont plaints qu'on n'avait pas communiqué avec eux pour confirmer qu'ils renonçaient à leurs revendications. Pareille plainte n'est pas justifiée. Comme il en a ci-dessus été fait mention, la SSR peut à bon droit se fonder sur les documents qu'elle reçoit, et elle peut à bon droit présumer que ces documents ont été signés de la façon appropriée. De plus, les audiences auxquelles les demandeurs ont droit en vertu du paragraphe 69.1(6) de la Loi n'ont pas à être tenues dans le cas d'une renonciation. Le demandeur qui, selon la SSR, s'est désisté a le droit, sur le plan de l'équité procédurale, de se faire entendre par l'organisme qui rend la décision relative à la revendication. Dans le cas d'une renonciation, le demandeur est celui qui prend la décision et qui exerce son droit de mettre fin à sa revendication.

Y a-t-il eu renonciation à la revendication de la demanderesse mineure?

[58]            Je suis convaincu que, dans ce cas-ci, on avait l'intention de renoncer à la revendication de l'enfant. Le beau-père a signé le formulaire de revendication de l'enfant. La mère a signé le FRP. L'exposé circonstancié est le même pour les trois revendications. Les trois revendications ont été présentées conjointement.

[59]            Les demandeurs sont ceux qui ont agi pour le compte de l'enfant et la demanderesse était la mère naturelle de cette dernière.

[60]            La lettre d'envoi et l'avis de renonciation indiquent les trois numéros d'identification des revendications. Je conclus donc que la Commission n'a pas commis d'erreur susceptible de révision.

[61]            Il importe également de faire une distinction entre la présente espèce et l'affaire Stumf, précitée. En effet, dans la décision Stumf, la SSR a conclu au désistement : les demandeurs de statut n'avaient pas déposé de FRP et n'avaient pas comparu à l'audience. En l'espèce, nous faisons face à une renonciation signée par les demandeurs pour le compte de la demanderesse mineure. Dans ces conditions, je suis d'avis que la SSR n'était pas tenue de désigner un représentant pour la demanderesse mineure.

[62]            Pour les motifs susmentionnés, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[63]            Le demandeur soumet la question ci-après énoncée aux fins de la certification :

[TRADUCTION] La SSR excède-t-elle sa compétence en déclarant et en avisant le ministre qu'un demandeur mineur a renoncé à sa revendication lorsqu'aucun représentant n'a été désigné par la section du statut?

[64]            Le défendeur affirme que cette question n'a pas de portée générale. En l'espèce, je ne suis pas convaincu que la question soulevée soit grave et de portée générale. Aucune question ne sera certifiée.


                                                              ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.                    La demande de contrôle judiciaire de la décision rendue par la Commission de l'immigration et du statut de réfugié est rejetée.

2.                    Aucune question ne sera certifiée.

                                                                                                                           « Michel Beaudry »            

                                                                                                                                                    Juge                        

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                              COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                       SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                           AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                                            

DOSSIER :                                                  IMM-3861-00

INTITULÉ :                                                 BELA ARNDORFER, NIKOLETTA KRISTINA HOLBIS, BARBARA ZSANETT HOLBIS

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                         Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                       le 1er octobre 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :        MONSIEUR LE JUGE BEAUDRY

DATE DES MOTIFS :                               le 26 novembre 2002

COMPARUTIONS :

M. Rocco Galati                                             POUR LE DEMANDEUR

Mme Catherine Vasilaros                                POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Rocco Galati                                             POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

M. Morris Rosenberg                                    POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)


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