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Date: 19991223


Dossier: T-1048-98


ENTRE :

     GILBERTE PAQUIN

     Demanderesse

     - et -

     LOUISE CÔTÉ


- et -


LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES LES AUTRES PERSONNES AYANT UN DROIT SUR LE NAVIRE ALLEY CAT 1


- et -


LE NAVIRE ALLEY CAT 1

     Défendeurs


     MOTIFS DE L"ORDONNANCE


LE JUGE LEMIEUX :


LES ACTES DE PROCÉDURE



[1]      Il s"agit d"une requête pour jugement sommaire faite en vertu des règles 213 et suivantes des Règles de la Cour fédérale, 1998 , contre les défendeurs au motif que la défense déposée au dossier ne soulève aucune véritable question litigieuse à l"encontre de la déclaration de la demanderesse.

[2]      Le 22 mai 1998, la demanderesse a déposé une déclaration au dossier de cette Cour afin de faire déclarer la défenderesse, Louise Côté, en défaut de respecter les termes de la convention de prêt, signée en date du 11 février 1998, ladite convention étant garantie par une hypothèque conventionnelle maritime pour un montant de 80 000,00$. La demanderesse demande également, dans sa déclaration de condamner cette dernière au paiement de la somme de 50 000,00$ (sic) en capital, intérêts et frais en plus de l"indemnité additionnelle prévue par la loi.

[3]      En outre, la demanderesse requière de cette Cour de condamner le navire défendeur en vertu de l"action réelle en matière d"amirauté, au paiement de la somme de 80 000,00$ en capital, intérêts et frais dans l"éventualité où les propriétaires et toutes les autres personnes ayant un droit sur le navire ALLEY CAT I faisaient défaut de payer la somme obtenue par jugement en capital, intérêts et frais afin que soit vendu, par vente judiciaire ledit navire.

LES FAITS


[4]      En date du 11 février 1998, la demanderesse, Gilberte Paquin consentait un prêt d"une valeur de 80 000, 00$ à la défenderesse, Louise Côté, par convention de prêt passée devant notaire. Un billet à terme est annexé à ladite convention indiquant ce qui suit:

     Je, soussigné, Louise Côté, demeurant au 2190, Principale, Sainte-Julie (Québec) J3E 3H3, reconnaît devoir la somme de quatre-vingt mille dollars (80000,00$) à Gilberte Paquin, pour prêt d"autant que la créancière lui a consenti, dont quittance. Ce prêt sera remboursable dans un an des présentes, sauf s"il est renouvelé, et portera intérêt au taux de neuf pour cent (9.0%) l"an, calculé et payable mensuellement le onze de chaque mois à compter du onze mars prochain (11 mars 1998). À compter du onze octobre mil neuf cent quatre-vingt-dix-huit (1998), le capital de ce prêt pourra être payé par anticipation, en tout ou en partie, moyennant un préavis de trente (30) jours et un dédit d"intérêts équivalent à deux cent cinquante dollars (250,00$) pour chaque mois de prépaiement. Ce prêt ne doit servir qu"à l"achat d"équipements photographiques et/ou de photocopies. Le renouvellement de ce prêt sera sujet aux frais et conditions qu"imposera alors le créancier.

[5]      Par cette convention de prêt, la défenderesse affectait et hypothéquait en garantie, en faveur de la demanderesse, certains biens meubles décrits dans ladite convention jusqu'à concurrence de la somme empruntée.

[6]      Toujours en date du 11 février 1998, la défenderesse consentit une convention hypothécaire maritime de second rang sur son navire ALLEY CAT I à la demanderesse afin de garantir ledit prêt de 80 000,00$ signé à cette même date.

[7]      Selon la preuve au dossier, cette hypothèque maritime est constituée de deux (2) documents, une convention hypothécaire notariée portant le numéro trois mille cent douze (3112) des minutes du notaire instrumentant signée par la demanderesse, Gilberte Paquin, la défenderesse, Louise Côté et le notaire instrumentant, Me Yvan Barabé et un formulaire d"hypothèque No.7, signé par la défenderesse Louise Côté et le notaire instrumentant, enregistré au Bureau d"Immatriculation des Navires le 13 février 1998.

[8]      Par ailleurs, la demanderesse soutient que la défenderesse est en défaut de payer les intérêts mensuels dus sur la somme prêtée. En conséquence, la demanderesse exige le paiement immédiat de la totalité de sa créance tel que le prévoit les termes de la convention de prêt notariée signée le 11 février 1998.

[9]      En effet, la demanderesse soumet qu"eu égard aux termes de la convention de prêt notariée signée le 11 février 1998, la défenderesse est en défaut de rencontrer les obligations de paiement mensuel par le seul écoulement du temps, sans préavis ni mise en demeure de la part de la demanderesse.

[10]      En réponse aux prétentions de la demanderesse, la défenderesse, Louise Côté, soumet qu"aucune hypothèque conventionnelle valable n"a été consentie sur le navire ALLEY CAT I, au motif que la convention hypothécaire notariée datée du 11 février 1998 ne prévoit pas le montant de l"hypothèque, tel que requis par les règles de droit contenues au Code civil du Québec (ci-après: "C.c.Q.").

[11]      Par ailleurs, les défendeurs soumettent qu"ils n"ont jamais été informés de la valeur possible d"une hypothèque pouvant grever le navire ALLEY CAT I.

[12]      Lors de son interrogatoire, dont les notes sténographiques ont été déposées au dossier de la Cour, la défenderesse, Louise Côté indique avoir signé le formulaire d"hypothèque No.7 alors que son contenu était en blanc ou incomplet et n"avoir jamais eu de copie. De plus, elle indique ne pas avoir été informée du montant de l"hypothèque maritime.

[13]      En conclusion, les défendeurs soutiennent qu"il n"existe aucune hypothèque conventionnelle grevant le navire ALLEY CAT I en faveur de la demanderesse.

[14]      La demanderesse soutient en réplique aux arguments des défendeurs que ces derniers sont mal fondés en faits et en droit puisque l"hypothèque consentie sur le navire ALLEY CAT I est régie par la Loi sur la marine marchande du Canada ( ci-après la "loi") dont les règles de droit diffèrent de celles prévues au C.c.Q. et qu"en tout état de cause, la défenderesse Louise Côté a signé, devant notaire, le formulaire d"hypothèque No. 7 prescrit par la loi qui indique clairement la somme prêtée en contrepartie de la création de cette hypothèque soit la somme de 80 000,00$ et qu"en ces circonstances, l"hypothèque maritime consentie par la défenderesse, en date du 11 février 1998, est absolument valide.

ANALYSE


[15]      En vertu de l"article 22(2)c) de la Loi sur la Cour fédérale , L.R.C. (1985), ch. F-7, la Cour fédérale du Canada, Division de première instance, a juridiction en matière d"hypothèque grevant tout ou partie d"un navire ou sa cargaison. L"article se lit comme suit:


22. (2) Il demeure entendu que, sans préjudice de la portée générale du paragraphe (1), la Section de première instance a compétence dans les cas suivants_:

c) une demande relative à un prêt à la grosse ou à une hypothèque, un privilège ou une sûreté maritimes grevant tout ou partie d'un navire ou sa cargaison;


22. (2) Without limiting the generality of subsection (1), it is hereby declared for greater certainty that the Trial Division has jurisdiction with respect to any one or more of the following:

(c) any claim in respect of a mortgage or hypothecation of, or charge on, a ship or any part interest therein or any charge in the nature of bottomry or respondentia for which a ship or part interest therein or cargo was made security;

[16]      Les Règles 214, 216 et 218 des Règles de la Cour fédérale, 1998 prévoient ce qui suit quant aux jugements sommaires:


214. (1) A party may bring a motion for summary judgment in an action by serving and filing a notice of motion and motion record at least 20 days before the day set out in the notice for the hearing of the motion.

(2) A party served with a motion for summary judgment shall serve and file a respondent's motion record not later than 10 days before the day set out in the notice of motion for the hearing of the motion.


214. (1) Toute partie peut présenter une requête pour obtenir un jugement sommaire dans une action en signifiant et en déposant un avis de requête et un dossier de requête au moins 20 jours avant la date de l'audition de la requête indiquée dans l'avis.

(2) La partie qui reçoit signification d'une requête en jugement sommaire signifie et dépose un dossier de réponse au moins 10 jours avant la date de l'audition de la requête indiquée dans l'avis de requête.

216. (1) Lorsque, par suite d'une requête en jugement sommaire, la Cour est convaincue qu'il n'existe pas de véritable question litigieuse quant à une déclaration ou à une défense, elle rend un jugement sommaire en conséquence.

(2) Lorsque, par suite d'une requête en jugement sommaire, la Cour est convaincue que la seule véritable question litigieuse est :

a) le montant auquel le requérant a droit, elle peut ordonner l'instruction de la question ou rendre un jugement sommaire assorti d'un renvoi pour détermination du montant conformément à la règle 153;

b) un point de droit, elle peut statuer sur celui-ci et rendre un jugement sommaire en conséquence.

(3) Lorsque, par suite d'une requête en jugement sommaire, la Cour conclut qu'il existe une véritable question litigieuse à l'égard d'une déclaration ou d'une défense, elle peut néanmoins rendre un jugement sommaire en faveur d'une partie, soit sur une question particulière, soit de façon générale, si elle parvient à partir de l'ensemble de la preuve à dégager les faits nécessaires pour trancher les questions de fait et de droit.

(4) Lorsque la requête en jugement sommaire est rejetée en tout ou en partie, la Cour peut ordonner que l'action ou les questions litigieuses qui ne sont pas tranchées par le jugement sommaire soient instruites de la manière habituelle ou elle peut ordonner la tenue d'une instance à gestion spéciale.

216. (1) Where on a motion for summary judgment the Court is satisfied that there is no genuine issue for trial with respect to a claim or defence, the Court shall grant summary judgment accordingly.

(2) Where on a motion for summary judgment the Court is satisfied that the only genuine issue is

(a) the amount to which the moving party is entitled, the Court may order a trial of that issue or grant summary judgment with a reference under rule 153 to determine the amount; or

(b) a question of law, the Court may determine the question and grant summary judgment accordingly

(3) Where on a motion for summary judgment the Court decides that there is a genuine issue with respect to a claim or defence, the Court may nevertheless grant summary judgment in favour of any party, either on an issue or generally, if the Court is able on the whole of the evidence to find the facts necessary to decide the questions of fact and law.

(4) Where a motion for summary judgment is dismissed in whole or in part, the Court may order the action, or the issues in the action not disposed of by summary judgment, to proceed to trial in the usual way or order that the action be conducted as a specially managed proceeding.


218. Lorsqu'un jugement sommaire est refusé ou n'est accordé qu'en partie, la Cour peut, par ordonnance, préciser les faits substantiels qui ne sont pas en litige et déterminer les questions qui doivent être instruites, ainsi que :

a) ordonner la consignation à la Cour d'une somme d'argent représentant la totalité ou une partie de la réclamation;

b) ordonner la remise d'un cautionnement pour dépens;

c) limiter la nature et l'étendue de l'interrogatoire préalable aux questions non visées par les affidavits déposés à l'appui de la requête en jugement sommaire, ou limiter la nature et l'étendue de tout contre-interrogatoire s'y rapportant, et permettre l'utilisation de ces affidavits lors de l'interrogatoire à l'instruction de la même manière qu'à l'interrogatoire préalable.

218. Where summary judgment is refused or is granted only in part, the Court may make an order specifying which material facts are not in dispute and defining the issues to be tried, including an order

(a) for payment into court of all or part of the claim;

(b) for security for costs; or

(c) limiting the nature and scope of the examination for discovery to matters not covered by the affidavits filed on the motion for summary judgment or by any cross-examination on them and providing for their use at trial in the same manner as an examination for discovery.

[17]      Par ailleurs, cette Cour détermina le test applicable quant à l"obtention d"un jugement par voie sommaire dans le cadre des anciennes règles. Dans Granville Shipping Co.c. Pegasus Lines Ltd. S.A. , [1996] 2 F.C. 853, (1ière inst.), madame la juge Tremblay-Lamer relate les principes applicables tel qu"élaborés par cette Cour [pages 859-860]::

         J'ai examiné toute la jurisprudence se rapportant aux jugements sommaires et je résume les principes généraux en conséquence :
         1. ces dispositions ont pour but d'autoriser la Cour à se prononcer par voie sommaire sur les affaires qu'elle n'estime pas nécessaire d'instruire parce qu'elles ne soulèvent aucune question sérieuse à instruire (Old Fish Market Restaurants c. 1000357 Ontario Inc. et autre;
         2. il n'existe pas de critère absolu (Feoso Oil Limited c. Sarla (Le), mais le juge Stone J.C.A. semble avoir fait siens les motifs prononcés par le juge Henry dans le jugement Pizza Pizza Ltd. c. Gillespie. Il ne s'agit pas de savoir si une partie a des chances d'obtenir gain de cause au procès, mais plutôt de déterminer si le succès de la demande est tellement douteux que celle-ci ne mérite pas d'être examinée par le juge des faits dans le cadre d'un éventuel procès;
         3. chaque affaire devrait être interprétée dans le contexte qui est le sien (Blyth et Feoso);
         4. les règles de pratique provinciales (spécialement la Règle 20 des Règles de procédure civile de l'Ontario) peuvent faciliter l'interprétation (Feoso et Collie).
         5. saisie d'une requête en jugement sommaire, notre Cour peut trancher des questions de fait et des questions de droit si les éléments portés à sa connaissance lui permettent de le faire (ce principe est plus large que celui qui est posé à la Règle 20 des Règles de procédure civile de l'Ontario) (Patrick).
         6. le tribunal ne peut pas rendre le jugement sommaire demandé si l'ensemble de la preuve ne comporte pas les faits nécessaires pour lui permettre de trancher les questions de fait ou s'il estime injuste de trancher ces questions dans le cadre de la requête en jugement sommaire (Pallman et Sears);
         7. lorsqu'une question sérieuse est soulevée au sujet de la crédibilité, le tribunal devrait instruire l'affaire, parce que les parties devraient être contre-interrogées devant le juge du procès (Forde et Sears). L'existence d'une apparente contradiction de preuves n'empêche pas en soi le tribunal de prononcer un jugement sommaire; le tribunal doit "se pencher de près" sur le fond de l'affaire et décider s'il y a des questions de crédibilité à trancher (Stokes ).

[18]      Tel que je l"ai mentionné précédemment, les défendeurs contestent non seulement la validité de l"hypothèque maritime datée du 11 février 1998 mais également la nature des règles de droits applicables au cas en l"espèce.


[19]      Il ne fait aucun doute que compte tenu des arguments présentés devant moi à l"audition que les deux questions soulevées par les défendeurs constituent des questions sérieuses. Néanmoins, et particulièrement en ce qui a trait à la validité de ladite hypothèque maritime, il appert qu"une telle question nécessite une analyse détaillée des faits or, je constate que les faits, tels que présentés par la demanderesse dans ses actes de procédures et lors de l"audition de cette présente requête font l"objet de contestation par les défendeurs.

[20]      En effet, les défendeurs nient, outre la validité de ladite hypothèque maritime, l"interprétation faite par la demanderesse des termes de la convention de prêt et du billet à terme, datés du 11 février 1998, l"interaction entre les deux (2) conventions soit la convention de prêt et la convention hypothécaire et particulièrement si la défenderesse, Louise Côté, est véritablement en défaut de payer les intérêts mensuels dus sur la somme prêtée de 80 000,00$.

[21]      Toutefois, je constate que les défendeurs n'ont déposé aucun dossier de réponse contrairement à ce qui est exigé au paragraphe 2 de la Règle 214 des Règles de la Cour fédérale, 1998. Ainsi, les seuls arguments soulevés par les défendeurs ont été faits par l'entremise de leur défense déposée au dossier de la Cour en date du 26 juin 1998, appuyée par l'interrogatoire de Louise Côté.

[22]      En matière de jugement sommaire, il n"est pas approprié que cette Cour tranche un litige quant aux questions de faits et de droit soulevées lorsqu"il y a insuffisance ou contestation des faits. Le juge Teitelbaum résume cette règle de la façon suivante dans Homelife Realty Services Inc. c. Sears Canada Inc. et Sears Roebuck and Co. (16 janvier 1996), T-1069-95 (C.F. 1re inst.):

     [...] La règle 432.3(4) dispose donc que le juge ne doit pas rendre un jugement sommaire lorsque l'ensemble de la preuve ne comporte pas les faits nécessaires, car il serait injuste de le faire. Je suis d'avis aussi qu'il ne convient de rendre un tel jugement que dans des circonstances où les faits sont clairs.

[23]      Ainsi, suivant la jurisprudence de notre Cour et la Règle 216 des Règles de pratique de la Cour fédérale, 1998, j"en conclus que les faits au dossier sont insuffisants pour me permettre de trancher l"ensemble des questions de faits et de droit soulevées.

[24]      Toutefois, bien que je refuse de répondre à la question de la validité de l"hypothèque maritime datée du 11 février 1998, c"est-à-dire la convention hypothécaire et le formulaire d'hypothèque No. 7, je conclus qu"il m"est possible de répondre à la question de la nature du droit applicable dans le cadre du présent litige.

[25]      La question de l"étendue du droit maritime canadien fut l"objet de nombreux débats devant la Cour suprême du Canada et encore récemment, dans l"arrêt Succession Ordon c. Grail , [1998] 3 R.C.S. 437, les juges Iacobucci et Major établissaient le test applicable quant à la détermination de l"étendue du champ d"application des règles de droit maritime canadien:

     Dans sa jurisprudence récente en matière de droit maritime, notre Cour a formulé, sous une forme ou une autre, tous les principes pertinents pour répondre à cette question. Nous croyons utile de rassembler et de synthétiser ces principes pour en tirer un critère qui pourra être appliqué chaque fois qu'une partie cherchera à se prévaloir d'une loi provinciale dans le cadre d'une action pour négligence fondée sur le droit maritime. Ce critère comporte quatre volets.

         a) Premier volet: détermination de la question en litige

     73 Le premier volet vise à déterminer si la question précise en litige dans une action relève de la compétence législative fédérale exclusive sur la navigation et les expéditions par eau en vertu du par. 91(10) de la Loi constitutionnelle de 1867. S'agit-il véritablement d'une question relevant des règles relatives à la négligence du droit maritime canadien? Comme le juge McIntyre l'a dit dans l'arrêt ITO, précité, à la p. 774, et comme le juge Iacobucci l'a répété dans l'arrêt Monk Corp., précité, à la p. 795, il faut déterminer si les faits d'une affaire donnée soulève une question maritime ou d'amirauté, ou plutôt une question qui constitue, de par son caractère véritable, une matière d'une nature locale mettant en cause la propriété et les droits civils ou toute autre question qui relève essentiellement de la compétence exclusive de la province en vertu de l'art. 92 de la Loi constitutionnelle de 1867. À cette fin, le critère applicable est de se demander si la question examinée dans une instance donnée est entièrement liée aux affaires maritimes au point de constituer légitimement du droit maritime canadien qui relève de la compétence législative fédérale. Ainsi qu'il ressort clairement de la jurisprudence récente de notre Cour sur ce point, la réponse à cette question passe par l'examen du contexte factuel de la demande.

         b) Deuxième volet: examen des sources du droit maritime
     74      Une fois que le tribunal a conclu que la question en litige relève légitimement des règles relatives à la négligence du droit maritime canadien, le deuxième volet du critère vise à déterminer s'il est nécessaire pour la partie qui cherche à invoquer la loi provinciale dans le cadre d'une action pour négligence en matière maritime de le faire. Cela signifie qu'avant de se lancer dans une analyse constitutionnelle de l'applicabilité d'une loi provinciale qui pourrait fort bien se révéler inutile, le tribunal doit examiner s'il existe en droit maritime canadien une règle analogue à la disposition législative dont la partie cherche à se prévaloir. Il pourrait s'agir d'une règle du droit maritime fédéral identique à la disposition provinciale (par exemple, une cause d'action pour les personnes à charge d'une personne qui a été tuée), ou encore d'une disposition ou d'une règle qui envisage la même question que la disposition provinciale, mais de façon différente (par exemple, les principes de common law qui sont applicables au mandat et qui ont été incorporés au droit maritime canadien traitent du mandat d'une autre manière que les principes énoncés dans le Code civil du Québec, L.Q. 1991, ch. 64). Évidemment, lorsque le droit maritime canadien traite différemment d'une question visée par la loi provinciale dont on demande l'application, il pourrait être malgré tout nécessaire d'effectuer une analyse constitutionnelle si la partie se prévalant de la loi provinciale plaide l'application simultanée des lois fédérale et provinciale.
     75      Quoi qu'il en soit, il est important de passer en revue toutes les sources pertinentes de droit maritime canadien pour déterminer si une question a déjà été abordée. Ces sources sont à la fois législatives et non législatives, nationales et internationales, de common law et civilistes: Chartwell, précité, aux pp. 695 à 697. Comme l'a dit le juge McIntyre dans l'arrêt ITO, précité, à la p. 774, le contenu du droit maritime canadien est défini en termes généraux à l'art. 2 de la Loi sur la Cour fédérale, englobant toute demande en matière maritime et d'amirauté. Les sources du droit maritime canadien comprennent, mais sans s'y restreindre, à la fois les règles et principes spéciaux applicables en matière d'amirauté ainsi que les règles et principes puisés dans la common law et appliqués aux affaires d'amirauté, tels qu'ils étaient appliqués en 1934 en Angleterre par la Haute Cour en sa compétence d'amirauté, et qui ont été modifiés par le Parlement canadien et se sont développés jusqu'à ce jour au gré de la jurisprudence. Les sources du droit maritime canadien ont à plusieurs reprises récemment fait l'objet d'interprétation par notre Cour: voir ITO, Chartwell, Whitbread, Monk Corp., Bow Valley Husky, et Porto Seguro, précités. Les parties doivent examiner toutes les sources du droit maritime canadien avant de chercher à se prévaloir plutôt d'une loi provinciale, et les tribunaux devraient hésiter à se lancer dans une analyse de l'applicabilité constitutionnelle sans avoir tout d'abord tranché cette question préliminaire.

         c) Troisième volet: examen de la possibilité de réforme

     76      Le troisième volet, qui s'applique si les sources existantes du droit maritime canadien ne contiennent pas de règle analogue à la disposition qu'on cherche à invoquer, est lui aussi préalable à l'analyse constitutionnelle. Le tribunal doit déterminer s'il convient de modifier une règle non législative du droit maritime canadien en respectant les principes de réforme du droit par les tribunaux qui ont été élaborés par notre Cour dans les arrêts Watkins c. Olafson, [1989] 2 R.C.S. 750, et R. c. Salituro, [1991] 3 R.C.S. 654, de même que dans l'arrêt Bow Valley Husky, précité, et dans le présent pourvoi. Le tribunal doit procéder à cette étape de l'analyse que les parties soulèvent ou non la question de la possibilité pour le tribunal de modifier le droit maritime existant.
     77      Cette forme d'analyse préalable à l'analyse constitutionnelle a été adoptée et suivie par le juge McLachlin, s'exprimant au nom de la Cour sur cette question, dans l'arrêt Bow Valley Husky, précité. Dans cette affaire, les demanderesses voulaient se prévaloir de la Contributory Negligence Act, R.S.N. 1990, ch. C-33, de Terre-Neuve dans le cadre d'une action pour négligence en matière maritime. Elles ont invoqué au soutien de leur argument l'arrêt de notre Cour Stein, précité, où, comme nous l'avons vu, le juge Ritchie a autorisé les demanderesses dans une action pour négligence en matière maritime à se prévaloir de la Contributory Negligence Act de la Colombie-Britannique. Dans l'arrêt Bow Valley Husky, le juge McLachlin a motivé de la manière suivante, à la p. 1260, son refus de reconnaître aux demanderesses le droit d'invoquer la loi provinciale:
         Les demanderesses prétendent qu'il ressort de l'arrêt de notre Cour Stein c. Le navire "Kathy K", [1976] 2 R.C.S. 802, que des lois provinciales peuvent s'appliquer à des affaires maritimes en l'absence de règles de droit fédéral. À supposer que ce soit le cas, cela n'aide pas la cause des demanderesses. Suivant le point de vue que j'adopte, il n'existe pas de "vide" qui justifierait l'application du droit provincial. Bien que le gouvernement fédéral n'ait pas adopté de loi concernant la négligence contributive en matière de délits maritimes, les principes de common law incorporés dans le droit maritime canadien restent applicables en l'absence de législation fédérale. La question n'est pas de savoir s'il existe des règles de droit maritime fédérales sur la question en litige, mais plutôt de savoir ce que dicte ce droit.
     Le juge McLachlin a ensuite conclu que le droit maritime canadien comprenait la fin de non-recevoir tirée de la négligence contributive qui empêche l'indemnisation des demandeurs et qui a été héritée du droit maritime anglais. Elle a ensuite examiné s'il convenait, compte tenu du critère élaboré par notre Cour relativement à la réforme du droit par les tribunaux, d'éliminer la fin de non-recevoir pour y substituer un régime de partage de la responsabilité selon la faute, et elle a répondu par l'affirmative à cette question.
     78      Nous signalons que, tel qu'il a été élaboré, le critère permettant la réforme du droit par les tribunaux qui a été appliqué par le juge McLachlin dans l'arrêt Bow Valley Husky, précité, ainsi que dans l'arrêt Porto Seguro, précité, est un critère de common law ayant un objectif national. À notre avis, ce critère de common law doit être adapté conformément à la nature et aux sources du droit maritime en tant qu'ensemble de règles de droit internationales chaque fois que les tribunaux examinent s'il y a lieu de modifier le droit maritime canadien. Les éléments essentiels du critère permettant la réforme de la common law par les tribunaux ont été exposés par le juge Iacobucci au nom de notre Cour dans l'arrêt Salituro, précité, à la p. 670:
         Les juges peuvent et doivent adapter la common law aux changements qui se produisent dans le tissu social, moral et économique du pays. Ils ne doivent pas s'empresser de perpétuer des règles dont le fondement social a depuis longtemps disparu. D'importantes contraintes pèsent cependant sur le pouvoir des tribunaux de changer le droit. Comme le juge McLachlin l'a souligné dans l'arrêt Watkins, précité, en régime de démocratie constitutionnelle comme le nôtre, c'est le législateur et non les tribunaux qui assume, quant à la réforme du droit, la responsabilité principale; et tout changement qui risquerait d'entraîner des conséquences complexes devrait, aussi nécessaire ou souhaitable soit-il, être laissé au législateur. Le pouvoir judiciaire doit limiter son intervention aux changements progressifs nécessaires pour que la common law suive l'évolution et le dynamisme de la société.
     79      Lorsqu'il applique le cadre d'analyse exposé ci-dessus dans un contexte de droit maritime, le tribunal doit s'assurer de tenir compte non seulement du tissu social, moral et économique de la société canadienne, mais aussi du tissu de la collectivité internationale plus large que constituent les États maritimes et notamment de l'opportunité d'uniformiser les règles appliquées par les différentes autorités législatives aux affaires relevant du droit maritime. De même, en appréciant si une modification du droit maritime canadien aurait des retombées complexes, le tribunal doit examiner non seulement les retombées au Canada, mais aussi les effets de ce changement sur les obligations qui incombent au Canada en vertu de traités, sur ses relations internationales de même que sur l'état du droit maritime international. Il est essentiel que le critère permettant la réforme du droit maritime canadien par les tribunaux respecte le caractère sui generis de cet ensemble de règles de droit.

         d) Quatrième volet: analyse constitutionnelle

     80 Le quatrième volet, le cas échéant, est une analyse constitutionnelle visant à déterminer si une disposition législative provinciale donnée s'applique dans le cadre d'une action fondée sur le droit maritime. L'applicabilité du droit provincial ne devrait être analysée que lorsqu'il est impossible de trancher la question sur le fondement de motifs non constitutionnels, comme on l'a vu plus haut.

     [...]


[26]      En ce qui a trait au premier volet du test établi par la Cour suprême du Canada, soit la détermination de la question en litige, il appert des transactions effectuées dans le cadre du présent litige que la convention de prêt relève des pouvoirs accordés aux provinces en vertu de l"article 92(16) de la Loi constitutionnelle de 1867 , soit des affaires de nature purement locale affectant la propriété et les droits civils et que le billet à terme relève des pouvoirs attribués au Parlement fédéral par l"article 91(18) de la Loi constitutionnelle de 1867 .

[27]      Néanmoins, il demeure que l"objet grevé par l"hypothèque maritime datée du 11 février 1998, est un navire sujet aux règles applicables en matière d"amirauté et de droit maritime canadien et relève de la compétence de la Cour fédérale du Canada, division de première instance selon la Loi. La Cour suprême du Canada exprime clairement dans Succession Ordon, précité , les origines du droit maritime canadien et l"importance d"assurer son uniformité:

     71      À la suite de l'arrêt Stein, la jurisprudence de notre Cour portant sur le droit maritime a pris une nouvelle orientation et ce, à partir plus particulièrement de l'arrêt ITO, précité, suivi par les arrêts Chartwell, Whitbread, précités, Monk Corp. c. Island Fertilizers Ltd., [1991] 1 R.C.S. 779, Bow Valley Husky (Bermuda) Ltd. c. Saint John Shipbuilding Ltd., [1997] 3 R.C.S. 1210, et Porto Seguro Companhia De Seguros Gerais c. Belcan S.A., [1997] 3 R.C.S. 1278. Ces arrêts énoncent un certain nombre de principes et de thèmes fondamentaux relativement aux sources et au contenu du droit maritime canadien, au rôle du droit provincial par rapport à celui-ci, et à la possibilité d'une évolution graduelle du droit maritime. Dans la mesure où ils sont pertinents quant aux pourvois interjetés en l'espèce, ces principes et thèmes généraux peuvent se résumer comme suit:
         1. L'expression "droit maritime canadien" définie à l'art. 2 de la Loi sur la Cour fédérale désigne un vaste ensemble de règles de droit fédérales régissant toutes les demandes concernant des questions maritimes et d'amirauté. Le droit maritime canadien ne se restreint pas au droit anglais applicable en matière d'amirauté au moment où celui-ci a été adopté en droit canadien en 1934. Au contraire, le terme "maritime" doit être interprété dans le contexte moderne du commerce et des expéditions par eau; on doit considérer que l'étendue du droit maritime canadien n'est limitée que par le partage constitutionnel des compétences établi par la Loi constitutionnelle de 1867 . Le critère permettant d'établir si la question examinée relève du droit maritime exige de conclure que cette question est entièrement liée aux affaires maritimes au point de constituer légitimement du droit maritime canadien qui relève de la compétence législative fédérale: ITO, précité, à la p. 774; Monk Corp., précité, à la p. 795.
         2. Le droit maritime canadien est uniforme partout au Canada, et ce n'est pas le droit de quelque province canadienne. Tous les principes qu'il comprend constituent du droit fédéral et non une application accessoire du droit provincial: ITO, précité, aux pp. 779 et 782; Chartwell, précité, à la p. 696.
         3. Le contenu du droit maritime canadien sur le fond doit être déterminé en fonction de son héritage. Il comprend, mais sans s'y restreindre, l'ensemble des règles de droit appliquées en 1934 en Angleterre par la Haute Cour en sa compétence d'amirauté, qui ont été modifiées par le Parlement canadien et se sont développées jusqu'à ce jour au gré des précédents judiciaires: ITO, précité, aux pp. 771 et 776; Chartwell, précité, aux pp. 695 et 696.
         4. Le droit maritime anglais qui a été incorporé au droit maritime canadien en 1934 était un amalgame de principes dérivant en grande partie à la fois de la common law et de la tradition civiliste. Il englobait à la fois les règles et principes spéciaux applicables en matière d'amirauté ainsi que les règles et principes puisés dans la common law et appliqués aux affaires d'amirauté. Bien que la plupart des règles de droit maritime canadien concernant la responsabilité délictuelle, les contrats, le mandat et le dépôt trouvent leur source dans la common law anglaise, il peut être avantageux, dans le cas de certaines questions relevant proprement du droit maritime, de prendre en considération les expériences d'autres pays et notamment, compte tenu des origines de la compétence en matière d'amirauté, celle des civilistes: ITO, précité, à la p. 776; Chartwell, précité, aux pp. 695 à 697.
         5. L'existence de règles de droit maritime uniformes est nécessaire en pratique à cause de la nature même des activités relatives à la navigation et aux expéditions par eau, telles qu'elles sont exercées au Canada. Bon nombre des règles de droit maritime sont le produit de conventions internationales et les droits et obligations juridiques de ceux qui se livrent à la navigation et aux expéditions par eau ne devraient pas changer de façon arbitraire suivant l'endroit où ils se trouvent. La nécessité de règles juridiques uniformes est particulièrement pressante dans le domaine de la responsabilité délictuelle pour abordages et autres accidents de navigation: Whitbread, précité, aux pp. 1294 et 1295; Bow Valley Husky, précité, aux pp. 1259 et 1260.
         6. Dans les cas où le Parlement n'a pas adopté de dispositions législatives pour régir une question de droit maritime, les principes non législatifs qui ont été incorporés au droit maritime canadien et formulés par les tribunaux canadiens restent applicables, et il faudrait recourir à ces principes avant d'examiner s'il y a lieu d'appliquer le droit provincial à la solution d'un point litigieux dans une action en matière maritime: ITO, précité, aux pp. 781 et 782; Bow Valley Husky, précité, à la p. 1260.
         7. Le droit maritime canadien n'est ni statique ni figé. Les principes généraux formulés par notre Cour relativement à la réforme du droit par les tribunaux s'appliquent à la réforme du droit maritime canadien, permettant ainsi l'évolution du droit lorsque les critères applicables sont respectés: ITO, précité, à la p. 774; Bow Valley Husky, précité, aux pp. 1261 à 1268; Porto Seguro, précité, aux pp. 1292 à 1300.

[28]      Certes, bien que l"hypothèque maritime semble accessoire à la convention de prêt et au billet à terme, il en demeure pas moins que les règles du droit maritime canadien trouve application et ce, en raison de l"objet même de ladite hypothèque.

[29]      Toutefois, ayant conclu que ce sont les règles du droit maritime canadien qui s"appliquent au présent dossier, cette conclusion n"exclut nullement la possibilité que le droit maritime canadien ait adopté certaines règles du droit provincial afin de nourrir le droit maritime canadien. Ainsi, c"est dans le cadre du deuxième volet du test établi par la Cour suprême du Canada dans Succession Ordon, précité , qu"il revient à cette Cour de faire l"examen des sources du droit maritime.

[30]      La demanderesse m"a soumis que les règles de droit applicables en matière d"hypothèque maritime sont contenues aux articles 45 à 54 de la Loi sur la marine marchande du Canada

[31]      Toutefois, je ne peux conclure de facto que lesdits articles de la Loi sur la marine marchande du Canada constituent l"ensemble des règles de droit applicable en matière d"hypothèque maritime, ceci étant confirmé par les commentaires des juges Iacobucci et Major dans Succession Ordon, précité lorsque ces derniers rappellent les origines disparates du droit maritime canadien, l"étendue de la Common Law fédérale en matière de droit maritime et de la possibilité, dans certaines circonstances précises, d"y intégrer certaines règles de droit provincial. Ainsi, les parties ne m"ayant fait aucune démonstration lors de l"audition de la présente requête des règles de droit applicables au présent cas, je me vois donc, une fois de plus, dans l"obligation de renvoyer cette question au juge devant entendre le présent litige au fond.



CONCLUSION

[32]      Pour ces motifs, la présente requête pour l"obtention d"un jugement sommaire est rejetée sans frais.


     "François Lemieux"

     ____________________________

                                         Juge


Ottawa (Ontario)

le 23 décembre 1999

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