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Date : 19990813


Dossier : IMM-131-99


ENTRE :



AMEER KHAIROODIN,


demandeur,



et



LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION,


défendeur.



MOTIFS D"ORDONNANCE

(Exposés à l"audience à Toronto (Ontario),

le mardi 10 août 1999, modifiés)


LE JUGE ROTHSTEIN


[1]      Il s"agit d"une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle un agent des visas a rejeté la demande de résidence permanente au Canada que le demandeur a présentée en se fondant sur des motifs d"ordre humanitaire. Le demandeur dit que l"agent des visas a commis une erreur lorsqu"il a omis de tenir compte d"éléments de preuve établissant qu"il dépendait, sur les plans financier, physique et affectif, de sa famille au Canada, et lorsqu"il a conclu qu"à l"époque où ils ont immigré au Canada en provenance de Guyane, les membres de sa famille l"avaient sciemment laissé en Guyane.

[2]      La norme de contrôle qu"il convient d"appliquer fait l"objet d"une question préliminaire. Le défendeur a soutenu que la norme applicable dans la présente affaire doit être celle de la décision manifestement déraisonnable vu qu"il ne s"agit pas d"une demande de résidence permanente présentée en sol canadien, la conséquence d"une telle demande étant qu"en cas de rejet, le demandeur est expulsé du Canada, ce qui constitue une conséquence plus grave que le seul fait de se voir nier le droit d"entrer au pays. Dans l"arrêt Baker c. Ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration1, le juge l"Heureux-Dubé a déterminé que la norme de contrôle applicable aux décisions fondées sur le paragraphe 114(2) de la Loi sur l"immigration2 et l"art. 2.1 du Règlement3 était celle de la décision raisonnable simpliciter. Au paragraphe 57, elle dit :

J"examine maintenant l"application de la démarche pragmatique et fonctionnelle pour déterminer la norme de contrôle appropriée à l"égard de décisions rendues en vertu du par. 114(2) et de l"art. 2.1 du règlement, et les facteurs à considérer mis en évidence dans l"arrêt Pushpanathan , précité.

[3]      Voici les facteurs dont elle a tenu compte pour conclure que la norme de contrôle applicable était celle de la décision raisonnable simpliciter : l"absence d"une clause privative, l"expertise du décideur, l"objectif du paragraphe 114(2) et celui de la Loi sur l"immigration dans son ensemble, le fait que le paragraphe 114(2) est une disposition de dispense et que la décision avait une incidence sur les droits et intérêts d"un individu, et la nature fortement discrétionnaire d"une décision fondée sur des motifs d"ordre humanitaire. Tous ces facteurs interviennent dans les décisions de cette nature. Ces considérations laissent entendre que les demandes fondées sur des motifs d"ordre humanitaire en vertu du paragraphe 114(2) sont assujetties à la norme de contrôle de la décision raisonnable simpliciter dans tous les cas.

[4]      Par contre, une analyse pragmatique et fonctionnelle en fonction du contexte laisse entendre que la gravité des questions en cause pourrait avoir une incidence sur la norme de contrôle applicable. Il est plus probable que le rejet d"une demande fondée sur des motifs d"ordre humanitaire présentée en sol canadien ait des conséquences défavorables, comparativement au rejet d"une telle demande présentée depuis l"étranger. Sur ce fondement, on peut penser que la norme de contrôle applicable dans de tels cas est plus exigeante que celle de la décision raisonnable simpliciter , soit celle de la décision manifestement déraisonnable.

[5]      Compte tenu de la conclusion que je tire dans la présente affaire, soit que la décision de l"agent des visas satisfait au critère de la décision raisonnable, je peux trancher l"affaire sur le fondement que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable simpliciter . Il reviendra à la Cour de déterminer dans une autre affaire s"il convient d"appliquer une norme de contrôle plus exigeante aux demandes fondées sur des motifs d"ordre humanitaire présentée depuis l"étranger.

[6]      Traitant la présente affaire sur le fondement que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable simpliciter, la Cour examinera les motifs étayant la décision faisant l"objet du présent contrôle, la question de savoir si des éléments de preuve fondent la décision, et la logique du processus en vertu duquel on cherche à tirer les conclusions à partir de la preuve du dossier; voir Baker , précité4.

[7]      En l"espèce, les membres de la famille du demandeur ont présenté des demandes de résidence permanente au Canada. En vertu de la loi en vigueur à l"époque, soit en mai 1995, des visas ont été accordés aux parents et aux frères et soeurs du demandeur mais non à ce dernier, vu qu"il était inadmissible pour des raisons de santé. Les parents du demandeur ont signé une déclaration selon laquelle ils retiraient le nom de ce dernier de la demande de résidence permanente. Le demandeur a présenté sa demande fondée sur des motifs d"ordre humanitaire en mai 1998.

[8]      Dans sa décision, l"agent des visas a reconnu que les parents et les frères et soeurs du demandeur se trouvaient déjà au Canada et qu"ils souhaitaient ardemment que ce dernier vienne vivre avec eux. Cependant, l"agent des visas a noté que la famille avait laissé le demandeur en Guyane [TRADUCTION] " sciemment et de leur gré ". Le demandeur avait toujours des parents en Guyane, et l"agent des visas a conclu qu"il était en mesure d"y vivre de façon normale, qu"il y occupait un emploi rémunérateur, et qu"il pouvait subvenir à ses propres besoins. L"agent des visas a souligné qu"aucun élément de preuve n"a été produit en vue d"établir que le demandeur dépendait, sur les plans financier, physique ou affectif, des membres de sa famille qui se trouvaient au Canada. La demande fondée sur des motifs d"ordre humanitaire a été rejetée.

[9]      Le demandeur dit que sa famille ne l"a pas laissé en Guyane sciemment. Cependant, ses parents ont signé une déclaration de retrait et ils ont décidé de venir au Canada, sans lui, accompagnés de leurs autres enfants. Le demandeur dit que ses parents n"ont pas vraiment compris la nature de la déclaration de retrait et qu"ils ont demandé pourquoi le demandeur n"avait pas reçu de visa. Quoi qu"il en soit, il n"en demeure pas moins que les membres de la famille du demandeur sont venus au Canada sans lui. Même s"ils auraient manifestement préférés que ce dernier les accompagne au Canada, ils ont décidé, après que le demandeur a été déclaré inadmissible, de le laisser en Guyane. Je ne peux conclure que l"agent des visas a commis une erreur lorsqu"il a conclu que les membres de la famille du demandeur ont laissé celui-ci en Guyane de leur gré.

[10]      Le demandeur n"a identifié aucun élément de preuve dont l"agent des visas n"aurait pas tenu compte pour ce qui est de sa dépendance financière, physique ou affective sur les membres de sa famille se trouvant au Canada.

[11]      Des motifs permettent d"étayer les conclusions de l"agent des visas. D"abord, la décision est fondée sur la preuve. Ensuite, les conclusions que l"agent des visas a tirées à partir de la preuve ne sont pas illogiques. Pour ces motifs, on ne saurait dire que la décision de l"agent des visas est déraisonnable.

[12]      En outre, l"agent des visas n"a pas négligé de tenir compte des intérêts des membres de la famille du demandeur; il les a plutôt soupesés en fonction de la décision de la famille de laisser le demandeur en Guyane et de chercher, sans lui, à obtenir le droit de s"établir au Canada. Je ne peux conclure que l"agent des visas n"a pas tenu compte de valeurs d"ordre humanitaire en prenant sa décision ni qu"il a minimisé de tels facteurs. Comme l"a souligné le juge L"Heureux-Dubé dans l"arrêt Baker5, précité, il s"agit d"une décision qui relève du pouvoir discrétionnaire de l"agent des visas et, pourvu qu"il examine les facteurs pertinents et en tienne compte, il peut toujours rejeter une demande fondée sur des motifs d"ordre humanitaire.

[13]      Enfin, bien que l"alinéa 3c ) de la Loi sur l"immigration énonce un objectif de la Loi, qui consiste à faciliter la réunion, au Canada, de citoyens et de résidents permanents canadiens et de proches parents qui vivent à l"étranger, les décisions prises en vertu du paragraphe 114(2) de la Loi sont toujours de nature discrétionnaire. En l"espèce, j"estime que l"agent des visas n"a commis aucune erreur en exerçant son pouvoir discrétionnaire.


[14]      La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Une caution de 1 000 $ pour les dépens a été versée à la Cour pour le compte du demandeur. Des dépens sont adjugés en faveur du défendeur, et une ordonnance de paiement au défendeur de la somme de 1 000 $, en plus des intérêts courus, sera rendue.

                                     " Marshall Rothstein "

                                         JUGE


TORONTO (ONTARIO)

Le 13 août 1999.




Traduction certifiée conforme


Bernard Olivier ,B.A., LL.B.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA


Avocats inscrits au dossier


NO DU GREFFE :                      IMM-131-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :              AMEER KHAIROODIN

                             - c. -

                             LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ                              ET DE L"IMMIGRATION

DATE DE L"AUDIENCE :                  LE LUNDI 9 AOÛT 1999

LIEU DE L"AUDIENCE :                  TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L"ORDONNANCE EXPOSÉS PAR LE JUGE ROTHSTEIN

EN DATE DU :                      VENDREDI 13 AOÛT 1999

ONT COMPARU :                      Hart A. Kaminker

                                 Pour le demandeur

                             Kevin Lunney

                                 Pour le défendeur


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :          Mamann & Associates

                             Barristers & Solicitors

                             212, rue King ouest

                             pièce 410

                             Toront (Ontario)

                             M5H 1K5

                                 Pour le demandeur

                             M. Morris Rosenberg

                             Sous-procureur général du Canada

                                 Pour le défendeur

COUR FÉDÉRALE DU CANADA


Date : 19990813


Dossier : IMM-131-99


ENTRE :



AMEER KHAIROODIN,


demandeur,



et



LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION,


défendeur.





MOTIFS D"ORDONNANCE



__________________

1      [1999] J.C.S. no 39. Voir le paragraphe des motifs du juge L"Heureux-Dubé.

2      L.R.C. (1985), ch. I-2.

3      Règlement sur l"immigration de 1978, DORS/78-172, modifié par DORS/93-94.

4      Au paragraphe 63, citant le juge Iacobucci dans Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc. , [1997] 1 R.C.S. 748.

     Voir au paragraphe 75.

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