Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20040714

Dossier : IMM-141-04

Référence : 2004 CF 989

Vancouver (Colombie-Britannique), le 14 juillet 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BEAUDRY

ENTRE :

                                                             CHEN XUN LIANG

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire qui vise une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), dont les motifs sont datés du 17 décembre 2003. Dans cette décision, la Commission a prononcé le désistement de la demande d'asile présentée par le demandeur conformément à la règle 58(2) des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002-228 (les Règles).


LA QUESTION EN LITIGE

[2]                Je vais analyser une seule question, qui va déterminer l'issue de la cause. La Commission a-t-elle agi de façon déraisonnable lorsqu'elle a prononcé le désistement de la demande d'asile du demandeur?

[3]                Pour les motifs qui suivent, je réponds à cette question par l'affirmative et fais donc droit à la demande.

LE CONTEXTE


[4]                Pour des raisons de commodité, je vais reproduire les faits tels qu'ils sont exposés dans la décision de la Commission, en ajoutant quelques précisions en cas de besoin. Le demandeur est arrivé au Canada par bateau le 26 août 2003 et il a présenté une demande d'asile le 15 octobre 2003. Un agent principal de l'immigration a déterminé que le demandeur était admissible; il a émis une mesure d'interdiction de séjour conditionnelle et renvoyé son cas à la Commission le 21 octobre 2003. Selon l'avis de renvoi, le demandeur n'a reçu un Formulaire de renseignements personnels (FRP) en main propre que le 21 octobre 2003. Le demandeur soutient toutefois, par l'intermédiaire de son conseil, qu'on ne lui a en fait remis une copie du FRP que le lendemain, soit le 22 octobre 2003. Si l'on prend la date du 22 octobre, le FRP dûment rempli aurait dû être remis à la Commission le 19 novembre 2003 au plus tard.

[5]                Le 31 octobre 2003, la Commission de Vancouver a reçu par télécopieur une lettre du conseil du demandeur demandant la prorogation pour une durée indéterminée du délai accordé au demandeur pour transmettre son FRP dûment rempli. Le conseil n'avait été retenu que depuis peu et n'avait pas reçu de réponse à sa demande de « communication » de certains documents que la Commission avait sans doute reçus de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC), demande qui était présentée dans la même lettre. Le 13 novembre 2003, la Commission a écrit au conseil pour l'informer que sa demande de prorogation du délai de transmission du FRP avait été refusée. À l'époque, la Commission n'avait aucun document de CIC concernant le demandeur. Cependant, le 13 novembre 2003, la Commission a écrit à CIC pour lui demander de transmettre sans délai les « renseignements ministériels » conformément à une note de service sur les opérations de CIC IP95-10, IMM 750-00038, datée du 12 juin 1995.

[6]                Le 14 novembre 2003, le conseil a fait parvenir par télécopieur une lettre à la Commission qui faisait état du fait que sa demande précédente de prorogation de délai de transmission du FRP dûment rempli avait été refusée. Le conseil faisait également remarquer qu'il n'avait pas en sa possession les documents de CIC demandés et demandait une prorogation du délai de transmission du FRP jusqu'à « cinq jours après la date à laquelle notre bureau prendra possession des notes prises au point d'entrée de CIC, des déclarations, etc. »


[7]                Dans une lettre datée du 19 novembre 2003, la Commission a informé le conseil que sa demande de prorogation du 14 novembre 2003 avait été refusée. Le 21 novembre 2003, le conseil a encore une fois écrit à la Commission pour l'informer que le demandeur avait rempli son FRP et qu'il ne le ferait parvenir à la Commission que lorsqu'il aurait reçu les renseignements « appropriés » de CIC.

[8]                Les 20 et 25 novembre 2003, la Commission a reçu de CIC les documents concernant le demandeur, qui ont été transmis au conseil du demandeur le même jour. Je note que le conseil du demandeur affirme avoir reçu les documents le 27 novembre 2003.

[9]                Le 3 décembre 2003, la Commission a reçu le FRP rempli du demandeur.

[10]            Le 9 décembre 2003, le demandeur et son conseil ont comparu à l'audience de désistement.

LA DÉCISION ATTAQUÉE

[11]            Dans ses motifs datés du 17 décembre 2003, la Commission commence par écrire que [traduction] « le demandeur n'a pas réussi à expliquer de manière satisfaisante le retard mis à transmettre son FRP et il n'existe aucun autre facteur pertinent qui permette d'établir que le demandeur ne s'est pas désisté » . Voici d'autres passages pertinents :


Je reconnais qu'il est possible que le demandeur ait été prêt à poursuivre sa demande le jour de l'audience sur le désistement. En revanche, je ne considère pas que la transmission du Formulaire de renseignements personnels dûment rempli six jours avant l'audience sur le désistement et la présence du demandeur lors de l'audience sur le désistement soit suffisant pour établir que le demandeur ne s'est pas désisté. [...] Après le rejet de la deuxième demande, le demandeur avait encore plusieurs jours pour transmettre son FRP dûment rempli dans le délai prescrit, mais il ne l'a pas fait. [...]

Le demandeur était représenté par un conseil qui a de l'expérience et qui agissait sur les instructions du demandeur. Il ressort clairement de la lettre du conseil du 21 novembre 2003 que la décision de ne pas transmettre le FRP a été prise en pleine connaissance des conséquences possibles. Le fait que le conseil ait précisé dans sa lettre que le demandeur n'avait pas l'intention de se désister ne peut, à mon avis, mettre le demandeur à l'abri des conséquences de ses actions délibérées. Si l'on devait tolérer ce genre de chose, cela reviendrait à dire que l'on tolère que les demandeurs et leurs conseils établissent leurs propres règles de procédure. Le fait d'exiger que les demandeurs exposent leur cas dans un délai prescrit n'a rien, en soi, d'injuste, même s'ils doivent le faire sans avoir eu l'avantage de prendre connaissance des documents de CIC.

La Commission conclut :

Le demandeur ne s'est pas conformé au paragraphe 6(1) des Règles de la Section de l'immigration et de la protection des réfugiés et il n'a pas pu expliquer de manière satisfaisante pourquoi il avait transmis son FRP après l'expiration du délai prescrit. Le fait qu'il ait précisé qu'il n'avait pas l'intention de se désister, dans les circonstances particulières de l'espèce, n'est pas suffisant pour ne pas conclure au désistement de la demande. Le désistement de la demande est donc prononcé, conformément à l'article 58.

ANALYSE

[12]            Conformément à la règle 58(2) des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002-228 (les Règles), la Commission peut prononcer le désistement d'une demande après avoir donné au demandeur la possibilité de fournir des explications. La disposition clé est la règle 58(3). Elle énonce les facteurs dont la Commission doit tenir compte pour prononcer le désistement d'une demande :



58(3) Pour décider si elle prononce le désistement, la Section prend en considération les explications données par le demandeur d'asile à l'audience et tout autre élément pertinent, notamment le fait que le demandeur d'asile est prêt à commencer ou à poursuivre l'affaire.

58(3) The Division must consider, in deciding if the claim should be declared abandoned, the explanations given by the claimant at the hearing and any other relevant information, including the fact that the claimant is ready to start or continue the proceedings.


[13]            Quant à la norme de contrôle applicable à une instance en désistement, c'est le caractère raisonnable simpliciter de la décision (Ahamad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] 3 C.F. 109 (1re inst.), aux paragraphes 27 et 28).

[14]            En l'espèce, c'est le dépôt tardif du FRP du demandeur qui a déclenché l'instance en désistement. La règle 6(1) énonce que le FRP « doit être reçu par la Section au plus tard 28 jours suivant la date à laquelle le demandeur d'asile reçoit le formulaire » . La directive 5 du président intitulée Directives concernant la transmission du FRP et le désistement pour défaut de transmission du FRP à la Section de la protection des réfugiés énonce que « le fait que le demandeur n'ait pas reçu les notes prises au point d'entrée ne constitue pas un motif valable de lui accorder une prorogation du délai de transmission du FRP. » Il convient néanmoins de souligner que les directives ne sont que des directives et que ce sont les facteurs énoncés dans la règle 58(3) que la Commission doit prendre en compte pour prononcer le désistement.


[15]            Je note que la Commission ne se réfère expressément à la règle 58(3) ni dans ses motifs, ni dans sa conclusion, même si sa phrase introductive, à savoir [traduction] « le demandeur n'a pas réussi à expliquer de manière satisfaisante le retard mis à transmettre son FRP et il n'existe aucun autre facteur pertinent qui permette d'établir que le demandeur ne s'est pas désisté » , fait allusion à la formulation que l'on retrouve dans la Règle.

[16]            Je vais maintenant examiner les faits et le raisonnement de la Commission à la lumière des facteurs énumérés par la règle 58(3). Tout d'abord, la Commission doit prendre en considération les explications données par le demandeur dans le but d'éviter que soit prononcé le désistement. Le demandeur a demandé la communication des documents de CIC dès le début du processus (au moins le 31 octobre 2003, ayant obtenu le FRP le 22 octobre 2003 et la date de remise étant le 19 novembre 2003) et il a clairement indiqué qu'il avait l'intention de communiquer son FRP le plus tôt possible, dès qu'il aurait reçu ces documents. Il est tout à fait normal que le conseil d'un demandeur souhaite avoir en main tous les documents pertinents avant de déposer le FRP, de façon à fournir des renseignements aussi complets et détaillés que possible plutôt que d'avoir à modifier le FRP par la suite et à justifier pourquoi les renseignements n'ont pas été inscrits dans le FRP dès le départ.


[17]            Ensuite, la Commission doit prendre en compte « tout autre élément pertinent, notamment le fait que le demandeur d'asile est prêt à commencer ou à poursuivre l'affaire » . La Commission n'a pas tenu compte d'un élément tout à fait pertinent, à savoir le fait que la réponse qu'a donnée la Commission à la deuxième demande de prorogation du délai faite le 14 novembre 2003 a été remise au demandeur dans une lettre datée du 19 novembre 2003. Le 19 novembre était la date à laquelle le FRP devait être remis. Il est par conséquent évident que le demandeur qui attendait de savoir si la prorogation serait accordée ou non, n'a pas eu le temps de respecter la décision de la Commission -- la réponse de la Commission n'ayant été donnée qu'à la date de remise du FRP, celui-ci ne pouvait pas être remis à cette même date. Sur cette question, la Commission déclare « après le rejet de la deuxième demande, le demandeur avait encore plusieurs jours pour transmettre son FRP dûment rempli dans le délai prescrit, mais il ne l'a pas fait » (page 5 de la décision). Je ne peux comprendre comment la Commission a pu en arriver à cette conclusion. Je conclus que refuser une demande de prorogation de délai le jour même de la date de remise du document, alors que l'avocat avait présenté cette demande cinq jours plus tôt constitue une violation des principes fondamentaux de la procédure et entraîne donc l'annulation de la décision.

[18]            Je vais néanmoins poursuivre l'examen de l'expression « tout autre élément pertinent, notamment le fait que le demandeur d'asile est prêt à commencer ou à poursuivre l'affaire » . Le FRP rempli a effectivement été reçu par la Commission avant l'audience de désistement. Il convient de noter que le conseil du demandeur a reçu les documents de CIC le 27 novembre 2003 et qu'il a donc remis le FRP quelques jours plus tard seulement. Il faut également tenir compte du fait que le conseil et le demandeur étaient tous deux présents à l'audience sur le désistement. Ces éléments indiquent clairement que le demandeur était prêt à commencer ou à poursuivre l'affaire.

[19]            Dans Ahamad, précité, au paragraphe 32, le juge Lemieux a déclaré :

Il ressort de décisions que notre Cour a rendues dans le cadre d'examens de décisions de la SSR statuant que l'intéressé s'était désisté de sa revendication que le critère à appliquer ou la question à poser est de savoir si la conduite du revendicateur du statut de réfugié constitue une expression de l'intention de cette personne de ne pas souhaiter poursuivre sa revendication avec diligence ou de ne pas s'intéresser à sa revendication; cette appréciation doit être faite dans le contexte de l'obligation d'un revendicateur qui viole un des éléments du paragraphe 69.1(6), qui prévoit l'obligation de fournir une excuse raisonnable (Perez c. Canada (Solliciteur général) (1994), 93 F.T.R. 256 (C.F. 1re inst.), le juge Joyal; Izauierdo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 1669 (1re inst.) (QL), le juge Rouleau; Ressam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1996), 110 F.T.R. 50 (C.F. 1re inst.), le juge Pinard; Alegria-Ramos c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1999), 164 F.T.R. 150 (C.F. 1re inst.), le juge Dubé). (Non souligné dans l'original.)

Je conclus que la décision qu'a prise la Commission de prononcer le désistement était déraisonnable. Tout d'abord, il y a le fait évident que le refus de la demande de prorogation du délai a été signifié à la date à laquelle le formulaire devait être remis. Je conclus également que le conseil du demandeur a fait preuve de diligence dans cette affaire. Enfin, l'examen général des facteurs énoncés dans la règle 58(3) ne peut que m'amener à conclure dans cette affaire que la Commission a pris une décision déraisonnable lorsqu'elle a prononcé le désistement de la demande du demandeur.

[20]            La présente demande est accueillie. L'affaire est renvoyée à un comité différemment constitué pour que celui-ci procède à une nouvelle audition conformément à la présente ordonnance.

[21]            Les parties avaient la possibilité de soulever une question grave de portée générale et ne l'ont pas fait. Aucune question ne sera certifiée.

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie. L'affaire est renvoyée à un comité différemment constitué pour que celui-ci procède à une nouvelle audition conformément à la présente ordonnance. Aucune question grave d'importance générale n'est certifiée.

                                                                              _ Michel Beaudry _            

                                                                                                     Juge                         

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                            IMM-141-04

INTITULÉ :                                           CHEN XUN LIANG c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                     VANCOUVER (C.-B.)

DATE DE L'AUDIENCE :                   LE 13 JUILLET 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                           LE JUGE BEAUDRY

DATE DES MOTIFS :                          LE 14 JUILLET 2004

COMPARUTIONS :

Christopher Elgin                                                                       POUR LE DEMANDEUR

Caroline Christiaens                                                                   POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Elgin, Cannon & Associates                                                       POUR LE DEMANDEUR

Vancouver (C.-B.)

Morris Rosenberg                                                                      POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.