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     T-2755-96

Ottawa (Ontario), le lundi 10 novembre 1997

En présence de monsieur le juge Gibson

ENTRE :

     ALPHONSE LAMEMAN

     ET GABE GLADUE,

     requérants,

     et

     GEORGE CARDINAL, EMILE CARDINAL,

     GABE CARDINAL ET GEORGE GLADU,

     intimés.

     VU la requête introductive d'instance présentée au nom de Alphonse Lameman et Gabe Gladue le 18 décembre 1996, visant à obtenir :

1.      Une ordonnance infirmant la décision rendue par l'intimé George Cardinal aux alentours du 1er décembre 1996 ou à cette date, portant annulation de l'élection tenue à la Première nation de Beaver Lake le 27 novembre 1996; ordonnant que les intimés Emile Cardinal, Gabe Cardinal et George Gladu soient reconduits dans leurs fonctions de chef et de conseillers de la Première nation de Beaver Lake en attendant les résultats d'une nouvelle élection et fixant la date de cette élection au 8 janvier 1997 et celle d'une assemblée de présentation, au 16 décembre 1996.

2.      Une déclaration portant que l'élection du 27 novembre 1996 par laquelle Alphonse Lameman a été élu chef de la Première nation de Beaver Lake et Gabe Gladue et Rosaire Bugle l'ont été en qualité de conseillers de la Première nation de Beaver Lake, était une élection valide.

3.      Une injonction interdisant la tenue de toute assemblée de présentation ou élection générale à la Première nation de Beaver Lake jusqu'à ce que la demande de contrôle judiciaire soit entendue.

4.      Tout autre redressement que la Cour juge équitable.

     ORDONNANCE

     La requête est accueillie en partie. La décision que l'intimé, George Cardinal, a rendue le ou vers le 1er décembre 1996, telle que détaillée au premier paragraphe du préambule de la présente ordonnance, est infirmée; l'appel à l'égard de l'élection à l'origine de ladite décision est renvoyé une nouvelle fois à l'agent des appels en ce qui concerne l'élection du chef et des conseillers de la Première nation de Beaver Lake le 27 novembre 1996, aux fins de nouvelle enquête et de nouvelle décision conformément à la Loi électorale de la tribu de Beaver Lake, au Règlement sur la coutume électorale de Beaver Lake (Beaver Lake Customary Election Regulations) et aux motifs de la présente ordonnance.

     L'intimé, George Cardinal, a droit aux frais et dépens engagés en l'espèce qui lui seront versés sur les fonds de la Première nation de Beaver Lake et sur la base procureur-client. Les frais et dépens des autres parties à la cause ne font pas l'objet d'une ordonnance.

     FREDERICK E. GIBSON

     Juge

Traduction certifiée conforme     

                                     François Blais, LL.L.

     T-2755-96

ENTRE :

     ALPHONSE LAMEMAN

     ET GABE GLADUE,

     requérants,

     et

     GEORGE CARDINAL, EMILE CARDINAL,

     GABE CARDINAL ET GEORGE GLADU,

     intimés.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON

         Les présents motifs font suite à une demande de contrôle judiciaire d'une décision de l'intimé George Cardinal (l'agent des appels) portant annulation de l'élection tenue le 27 novembre 1996 à la Première nation de Beaver Lake; ordonnant que le chef et les conseillers en poste au moment de l'élection, soit les intimés Emile Cardinal, Gabe Cardinal et George Gladu, soient reconduits dans leurs fonctions de chef et de conseillers de la Première nation de Beaver Lake en attendant les résultats d'une nouvelle élection et fixant la date de cette élection au 8 janvier 1997 et celle d'une assemblée de présentation, au 16 décembre 1996. La décision objet de contrôle est datée du 1er décembre 1996. Les requérants sont le chef ainsi qu'un conseiller de la bande prétendument élus lors du scrutin tenu le 27 novembre 1996 à la Première nation de Beaver Lake.

         Dans leur requête introductive d'instance, les requérants demandent les mesures de redressement suivantes :

     [TRADUCTION]         
     Une ordonnance infirmant la décision rendue par l'intimé, George Cardinal le ou vers le 1er décembre 1996, portant annulation de l'élection tenue à la Première nation de Beaver Lake le 27 novembre 1996, ordonnant que les intimés Emile Cardinal, Gabe Cardinal et George Gladu, soient reconduits dans leurs fonctions de chef et de conseillers de la Première nation de Beaver Lake en attendant les résultats d'une nouvelle élection et fixant la date de cette élection au 8 janvier 1997 et celle d'une assemblée de présentation, au 16 décembre 1996.         
     Une déclaration portant que l'élection du 27 novembre 1996 par laquelle Alphonse Lameman a été élu chef de la Première nation de Beaver Lake et Gabe Gladue et Rosaire Bugle l'ont été en qualité de conseillers de la Première nation de Beaver Lake, était une élection valide.         
     Une injonction interdisant la tenue de toute assemblée de présentation ou élection générale à la Première nation de Beaver Lake jusqu'à ce que la demande de contrôle judiciaire soit entendue.         
     Tout autre redressement que la Cour juge équitable.         

EXPOSÉ DES FAITS

Le décret du conseil CP 3692 du 6 août 1952 prévoyait, qu'à partir du 15 août 1952, le conseil de la Première nation de Beaver Lake comprenant un chef et des conseillers, devrait être choisi par voie d'élection tenue conformément à la Loi sur les Indiens1. Le 29 mai 1986, ce décret a été annulé pour faciliter le choix du chef et des conseillers de la Première nation de Beaver Lake selon la coutume de cette tribu, reflétant ainsi le consensus des électeurs de la Première nation qui ont participé à une assemblée tenue le 4 décembre 1984. Le peuple de la Première nation a édicté la Loi électorale de la tribu de Beaver Lake en application de laquelle, le chef et le conseil d'alors ont adopté le Règlement sur la coutume électorale de Beaver Lake (Beaver Lake Customary Election Regulations) à titre de complément à la loi électorale de la tribu.

         Le 29 octobre 1996, dans une autre affaire portée devant la Cour au sujet du gouvernement de la Première nation de Beaver Lake,2 le juge Campbell a, sur consentement, rendu une ordonnance mettant fin à ce litige. Il dit en partie ce qui suit :

     [TRADUCTION]         
     LA COUR STATUE ET ORDONNE :         
     1.      La décision de démettre les requérants [y compris le requérant Alphonse Lameman] de leurs fonctions respectives de chef et de conseillers de la Première nation de Beaver Lake est infirmée par les présentes;         
     2.      Le chef et le conseil actuels de la Première nation de Beaver Lake convoqueront une assemblée générale de la bande pour le 31 octobre 1996 au plus tard, en vue de déposer et de faire adopter une motion visant à tenir une élection au sein de la bande;         
     3.      L'assemblée de présentation préparatoire à cette élection générale aura lieu deux semaines après l'assemblée générale de la bande objet du paragraphe 2 ci-dessus;         
     4.      L'élection aura lieu deux semaines après l'assemblée de présentation objet du paragraphe 3 ci-dessus;         

     ...

         Le 13 novembre 1996, une assemblée de présentation s'est déroulée conformément à l'ordonnance de M. le juge Campbell. Le requérant Alphonse Lameman et l'intimé Gabe Cardinal figuraient parmi les candidats désignés au poste de chef et le requérant Gabe Gladue, parmi les mises en candidature pour les deux postes de conseiller. L'intimé George Cardinal a été choisi comme agent des appels, Helen Bull l'a été à titre de présidente d'élection et Jim Ruller en tant que directeur du scrutin.

         L'élection ayant dûment eu lieu le 27 novembre, le requérant Alphonse Lameman a été élu chef et le requérant Gabe Gladue ainsi que Rosaire Bugle, l'ont été à titre de conseillers.

         En ce qui concerne les appels à l'égard de l'élection, la Loi électorale de la Tribu de Beaver Lake porte ce qui suit :

     [TRADUCTION]         
     XI.      Le membre de la tribu chargé des appels à l'égard de l'élection peut annuler l'élection du chef et du conseil s'il est convaincu après enquête,         
     a)      qu'il y a eu manoeuvre corruptrice en rapport avec une élection, ou         
     b)      qu'une personne présentée comme candidat à une élection était inéligible.         

                                     [non souligné dans le texte]

         Les dispositions pertinentes du Règlement sur la coutume électorale de Beaver Lake énoncent ce qui suit :

     [TRADUCTION]         
     RÈGLEMENT CONCERNANT LES APPELS À L'ÉGARD DE L'ÉLECTION         
     1.      Un mois au moins avant une élection au sein de la tribu, le chef et le conseil choisiront un "membre de la tribu chargé des appels à l'égard de l'élection", tel que prévu à l'article 11 de la Loi électorale de la tribu de Beaver Lake.         
     2.      Toute personne inscrite sur la liste électorale peut contester une élection en invoquant la Loi électorale de la tribu.         
     3.      Les appels à l'égard d'une élection doivent être soumis par écrit au membre de la tribu chargé des appels au plus tard dans les dix jours ouvrables suivant l'élection et indiquer les raisons motivant l'appel.         
     4.      La décision du membre de la tribu chargé des appels à l'égard de tout appel sera soumise par écrit à l'appelant(e) dans un délai de deux semaines suivant la présentation de l'appel.         

         Par lettre du 28 novembre 1996, trois personnes ont présenté à l'agent en question un appel à l'égard de l'élection du 27 novembre. L'agent des appels a reçu cette lettre, semble-t-il, le 29 novembre. Personne n'a contesté devant moi l'aptitude des appelants à interjeter appel. Voici la teneur de la lettre en question :

     [TRADUCTION]         
     Nous soussignés, demandons par la présente à interjeter appel du fait de plusieurs contradictions constatées dans le processus électoral. Celles que nous avons énumérées ci-après étaient les plus flagrantes et les plus nuisibles aux candidats pour diverses raisons.         
     1.      La liste électorale n'a pas été convenablement établie, car des électeurs y ont été ajoutés sans que des affidavits ou déclarations n'aient été rédigés et signés par eux, ce qui les rendait inaptes à voter. On en dénombrait 14 environ, ce qui aurait appréciablement influé sur le résultat pour justifier la tenue d'une nouvelle élection.         
         L'article (14) des procédures régissant le scrutin prévoit ce qui suit : "À la demande de tout candidat ou de son représentant ou d'un électeur quelconque, toute personne qui se présente pour voter à une élection peut être requise de prêter serment ou de faire une affirmation en la forme prescrite quant au droit de vote." Cette procédure n'a pas été suivie. L'après-midi du 26 novembre 1996, des instructions ont été données, dans le bureau des administrateurs de la bande, au directeur du scrutin (Jim Ruller) et à l'agent des appels (George Cardinal) portant que les électeurs ajoutés à la liste devaient fournir un affidavit ou une affirmation. Cette demande a été remise par l'administrateur (Ben Nornberg) aux destinataires précités, au nom de la bande.         
     2.      En revoyant la partie du règlement relative au scrutin, on peut lire ce qui suit à l'article (12) : "Tout électeur qui se trouve à l'intérieur du bureau de vote à l'heure fixée pour la clôture du scrutin, a droit de voter avant la fermeture du scrutin." Trois personnes se trouvaient alors dans les locaux et n'ont pas été autorisées à voter. À la demande expresse d'Alphonse Lameman qui a demandé à la présidente d'élection de procéder à la fermeture du scrutin, le directeur du scrutin a annoncé cette fermeture; cependant, les trois personnes qui, à ce moment-là, discutaient la question avec la présidente d'élection n'ont pas été autorisées à voter. Encore une fois, le résultat aurait été différent. Pour ces raisons, nous demandons une nouvelle élection.         
     3.      Le paragraphe (6) relatif au scrutin énonce ceci : "Lorsqu'un votant est dans l'isoloir pour marquer son bulletin de vote, aucune autre personne ne doit, sauf dans les cas prévus au paragraphe (7), être admise dans le même isoloir ni ne doit être dans une position qui lui permettrait de voir comment le votant marque son bulletin de vote." Cette disposition a été enfreinte lorsque Alice Mountain est entrée dans l'isoloir pour s'entretenir avec Sylvia Sharon Gladue au sujet du vote. Irvin Conrad Gladue lui a alors demandé de sortir de là, mais son bulletin n'a pas été annulé comme il se devait. Une autre raison de tenir une nouvelle élection.         
     4.      Une électrice au statut incertain jusqu'ici du nom de Roxann Joeanne Boucher a été admise à voter, encore une fois à la demande d'Alphonse Lameman en l'absence d'affidavit ou d'affirmation. Encore une raison supplémentaire de demander une nouvelle élection.         
     Chacune des questions soulevées dans le présent appel suffit à justifier une nouvelle élection. C'est pourquoi, Rosaire Bugle qui a remporté le plus grand nombre de voix et Ernst Cardinal et Percy Albert Thompson à qui il a respectivement manqué une et sept voix pour être élus, demandent la tenue d'une nouvelle élection aussitôt que possible. Le résultat du présent scrutin eut été différent si ces irrégularités n'avaient pas eu lieu. Nous disons donc en toute conscience que la Première nation de Beaver Lake n'est pas convenablement représentée par cette élection.         
     Nous espérons recevoir la vraie réponse à cette requête, soit la tenue d'une nouvelle élection.         

         L'agent des appels, George Cardinal, qui est l'un des intimés, a étudié l'appel et, dans un affidavit déposé à ce sujet, a déclaré en partie ce qui suit :

     [TRADUCTION]         
     ...         
     5.      Les membres de la Première nation m'ont demandé, en ma qualité d'agent des appels, d'être présent, comme je l'ai été, depuis 9 heures et jusqu'à 19 heures, au seul bureau de vote de la réserve no 131 de Beaver Lake, le 27 novembre 1996.         

     ...

     7.      Le vendredi 29 novembre 1996, j'ai reçu une lettre en date du même jour que j'ai acceptée en tant qu'appel interjeté de certains pratiques ou événements que les appelants ont qualifiés de manoeuvres corruptrices lesquelles, d'après eux, ont eu lieu le jour de l'élection.         
     8.      Dès réception de cette lettre d'appel, j'ai étudié le Règlement sur la coutume électorale de la Première nation de Beaver Lake et noté que l'article XI prévoit que, sur réception d'un appel, je devais conduire une enquête et établir si, à mon avis, une ou plusieurs manoeuvres corruptrices ont eu lieu au cours de l'élection et s'il fallait annuler celle-ci.         
     9.      En examinant la lettre d'appel, j'ai réfléchi à ce que j'avais entendu et vu durant la journée passée au bureau de vote et j'en ai conclu que ce que j'avais entendu et vu était clair et sans équivoque.         
     10.      Du fait que je me trouvais au bureau de vote et voyais et entendais directement et clairement ce qui se passait, je n'ai pas cru nécessaire d'ouvrir une enquête ou d'interroger un candidat ou un scrutateur quelconque. C'est pourquoi, je n'ai pas jugé utile de faire circuler ou d'afficher un avis de l'appel interjeté.         
     11.      Après mûre réflexion, j'ai conclu également que les intérêts des membres pouvaient être sauvegardés, ou qu'ils le seraient, sans besoin de donner avis de cet appel à un candidat ou de conduire une enquête ou d'interroger un candidat quelconque ou un scrutateur. J'ai cru plutôt qu'il me fallait simplement, dans le cadre de mon enquête sur les questions soulevées dans l'appel, confirmer ce que j'ai vu durant l'élection et, d'autre part, m'assurer que les irrégularités que j'ai observées à cette occasion et qui font partie du dispositif de l'appel, avaient vraiment eu lieu.         
     12.      Le temps passé au bureau de vote m'a permis de constater plusieurs irrégularités que j'ai dûment notées, plus particulièrement le fait que durant la matinée, M. Alphonse Lameman s'est approché de la table où Jim Ruller, Helen Bull et moi-même étions assis et m'a remis ainsi qu'à Jim Ruller une liste comportant 11 noms qu'il a demandé d'ajouter à la liste électorale. Jim Ruller a dit qu'on pouvait le faire. J'ai répondu que cela était possible à condition que les affirmations ou affidavits réglementaires soient faits sous serment. Alphonse Lameman a déclaré qu'il s'agissait de membres et point n'était besoin qu'ils signent les affirmations ou affidavits réglementaires "... il faudrait qu'ils puissent voter". Plus tard, M. Alphonse Lameman est venu avec une nouvelle liste comprenant de trois à cinq noms qui ne figuraient pas sur la liste électorale, en disant "... ces gens-là votent... Je peux garantir leur qualité de membres..." Sur quoi Helen Bull a demandé d'avoir leurs noms. Après avoir accédé à la demande de M. Alphonse Lameman et ajouté les noms de ces personnes à la liste électorale, Helen Bull a donné à chacune d'elles un bulletin de vote à mesure qu'elles se présentaient. J'ai noté qu'aucune des personnes que Alphonse Lameman a demandé d'ajouter à la liste électorale n'a signé une affirmation ou un affidavit attestant sa qualité d'électeur membre de la Première nation de Beaver Lake afin de participer à l'élection.         
     13.      Le matin du 27 novembre 1996 et au bureau de vote, M. Cliff Cardinal en tant que représentant du candidat Gabe Cardinal ainsi que ce dernier ont demandé que toutes les personnes autorisées à voter dont le nom n'apparaissait pas sur la liste électorale soient requises d'attester par affidavit sous serment leur qualité d'électeur. J'ai confirmé que j'informerais Jim Ruller de cette demande, ce que j'ai fait.         
     14.      En début d'après-midi, mon attention a été attirée par un isoloir où une dame d'un certain âge du nom de Alice Mountain, comme je l'ai identifiée plus tard, posait sa main sur l'épaule d'une femme plus jeune qui, debout dans l'isoloir, paraissait agitée. Les gens qui se trouvaient là ayant protesté contre la présence de Mme Mountain à proximité de l'isoloir, celle-ci s'en est allée. Jim Ruller m'a déclaré que Mme Mountain essayait de pousser Mme Gladue à voter pour les candidats qu'elle jugeait appropriés.         
     15.      En concluant cette enquête que je croyais nécessaire soit pour appuyer mes observations, soit pour avoir des détails que je n'ai pas obtenus durant l'élection, j'ai eu la confirmation qu'aucune des 16 ou 17 personnes pour qui M. Lameman a demandé l'autorisation de voter, ni aucune de celles dont le nom n'apparaissait pas initialement sur la liste électorale approuvée par les membres, n'a signé l'affirmation ou l'affidavit réglementaire que Cliff Cardinal et Gabe Cardinal réclamaient et comme l'exigeait alors le paragraphe 14 du Règlement sur la procédure de scrutin adoptée en application de la coutume électorale de la Première nation de Beaver Lake.         
     16.      En outre, et à la fin de mon enquête, j'ai eu connaissance, et je crois vraiment, qu'au moment où Sylvia Gladue déposait son bulletin de vote, Mme Mountain a placé sa main sur l'épaule de la jeune femme en lui tenant des propos visant à infléchir son choix, contrevenant ainsi au paragraphe 6 du Règlement concernant le caractère secret du vote.         
     17.      Au cours de mon enquête, je me suis entretenu avec le caporal Russ Langston du Détachement du lac La Biche de la GRC, lequel a constaté que les trois femmes sont entrées dans le bureau de vote vers 18 heures et qu'après avoir demandé à un certain nombre de personnes où se procurer les bulletins de vote, elles se sont rendues à la table où Helen Bull était assise pour recevoir leurs bulletins.         
     18.      Au cours de mon enquête, j'ai parlé avec Helen Bull au sujet des trois femmes à qui on a refusé un bulletin de vote ou le droit de voter. Elle m'a dit, et je le crois vraiment, qu'aussitôt après que Jim Ruller a déclaré que le scrutin allait prendre fin, trois femmes se sont dirigées vers elle en demandant à voter. Comme elle s'apprêtait à leur demander leur nom et à leur tendre un bulletin, elle a entendu un homme annoncer à voix haute : "... l'élection est terminée. Ces femmes ne peuvent pas voter."         
     19.      Le jour de l'élection, j'avais vu ces trois femmes aborder Helen Bull. Comme elles passaient devant M. Alphonse Lameman, celui-ci s'est rapidement déplacé là où Helen Bull était assise en disant à haute voix : "... l'élection est terminée, ces dames ne peuvent pas voter." J'ai vu Helen Bull lancer un regard à Jim Ruller qui a alors annoncé : "Le scrutin est fermé." Helen Bull a informé les trois femmes qu'elles ne seraient pas autorisées à voter vu qu'il était déjà trop tard. J'ai noté, à la suite de ces discussions, qu'il était à peine passé 18 heures. Considérant la distance séparant l'entrée du bureau de la table où Helen Bull était assise, le moment de l'annonce et l'arrivée des trois femmes devant Helen Bull, j'ai conclu que celles-ci devaient nécessairement se trouver dans les locaux avant 18 heures, comme l'exige le paragraphe 2(14) du Règlement.         
     20.      Au cours de la journée d'élection, M. Lameman a, à plusieurs occasions, abordé Jim Ruller ou Helen Bull ou moi-même pour demander que certaines choses soient faites pour certaines personnes. J'ai remarqué que chaque fois, Jim Ruller ou Helen Bull semblaient accéder à ses demandes comme s'ils se croyaient obligés ou contraints d'accepter sa décision.         
     21.      La seule question qu'il fallait, à mon avis, préciser était le moment où les trois femmes sont entrées au bureau de vote, compte tenu du paragraphe 2(14) régissant le scrutin, lequel fait partie de la procédure relative à la coutume électorale.         
     22.      J'ai formé l'opinion que les manoeuvres corruptrices que j'ai constatées ont probablement influé sur l'issue de l'élection du fait qu'un petit nombre de voix seulement séparaient un candidat élu d'un autre qui ne l'était pas, ce qui, très certainement, s'est traduit par une élection qui n'était pas équitable. C'est pourquoi, j'ai accueilli l'appel et ordonné que l'élection soit annulée conformément à la Partie XI de la procédure régissant la coutume électorale de la Première nation de Beaver Lake, décision dont copie, m'ayant été soumise, est annexée à mon affidavit en tant que pièce "D".         
     23.      En me fondant sur ce que j'ai vu et entendu et sur les renseignements recueillis au cours de mon enquête, j'ai conclu que les événements objet de plainte par les appelants se sont effectivement produits. J'ai également conclu qu'un ou plusieurs points dont se plaignaient les appelants, considérant qu'ils ont eu lieu au bureau de vote, ont pu influer sur la décision d'un ou plusieurs électeurs et j'estime, par conséquent, qu'il s'agissait de manoeuvres corruptrices.         

         Le 1er décembre 1996, l'agent des appels a rendu la décision objet du présent contrôle. En voici la teneur :

     [TRADUCTION]         
     Chers candidats et chères candidates         
     Je vous informe que le 29 novembre 1996, j'ai été saisi d'un appel interjeté conformément à la Partie XI de la Loi électorale de la tribu de Beaver Lake, sur laquelle s'est fondée la présente décision. Basée sur l'enquête que j'ai menée, la décision finale est la suivante.         
         1.      L'article (14) disposant que "à la demande de tout candidat ou de son représentant ou d'un électeur quelconque, toute personne qui se présente pour voter à une élection peut être requise de prêter serment ou de faire une affirmation en la forme prescrite quant à son droit de vote" n'a pas été respecté et l'appel est, par conséquent, valide.         
         2.      L'article (12) dit ce qui suit : "tout électeur qui se trouve à l'intérieur du bureau de vote à l'heure fixée pour la clôture du scrutin, a droit de voter avant la fermeture du scrutin." Trois femmes qui se trouvaient sur les lieux au moment de la fermeture du scrutin n'ont pas été autorisées à voter. L'appel est donc valide.         
         3.      L'article (6) relatif au mode de voter précise que : "lorsqu'un votant est dans l'isoloir pour marquer son bulletin de vote, aucune autre personne ne doit, sauf dans les cas prévus au paragraphe (7), être admise dans le même isoloir ni ne doit être dans une position qui lui permettrait de voir comment le votant marque son bulletin de vote." Cette disposition a été enfreinte au regard de Sylvia Sharon Gladue. L'appel est donc valide également sur ce point.         
     Aux termes du paragraphe XIa), il y a eu manoeuvres corruptrices en rapport avec cette élection. Pour ces motifs, UNE NOUVELLE ASSEMBLÉE DE PRÉSENTATION ET UNE NOUVELLE ÉLECTION auront lieu. Une liste électorale appropriée sera immédiatement établie à partir de la liste des membres. L'assemblée de présentation aura lieu le 16 décembre 1996 et l'élection, le 8 janvier 1997.         
     L'ÉLECTION DU 27 NOVEMBRE 1996 A ÉTÉ ANNULÉE.3         

         La présente demande de contrôle judiciaire en a découlé.

         Suite à une demande de redressement par voie d'ordonnance interlocutoire datée du 27 décembre 1996, M. le juge Campbell a rendu l'ordonnance suivante :

     [TRADUCTION]         
     JE CONCLUS QUE :         
     Une décision de George Cardinal, prise en sa qualité de membre de la tribu responsable, en vertu de l'article XI de la Loi électorale de la Tribu de Beaver Lake, est une décision d'un office fédéral, conseil, bureau, commission ou autre organisme aux termes du par. 18.1(2) de la Loi sur la Cour fédérale.         

     ET ORDONNE PAR LES PRÉSENTES :

     1)      Il est interdit à chaque requérant et intimé... de faire quoi que ce soit en vue de déclencher ou de favoriser une élection, d'y occuper des fonctions officielles ou, de quelque manière que ce soit, de conduire une élection au poste de chef ou de conseiller de la Première nation de Beaver Lake, ou d'y participer, jusqu'à nouvelle ordonnance de la Cour.         
     2)      Il est interdit à Jim Ruller et à Helen Bull, en tant que directeurs du scrutin de la Première nation de Beaver Lake, de faire quoi que ce soit pour déclencher ou favoriser une élection, y occuper des fonctions officielles ou de quelque manière que ce soit, conduire une élection au poste de chef ou de conseiller de la Première nation de Beaver Lake, ou d'y participer, jusqu'à nouvelle ordonnance de la Cour.         

     ET DÉCLARE PAR LES PRÉSENTES QUE :

     Le chef et les conseillers élus le 27 novembre 1996 sont habilités à exercer les pouvoirs et fonctions qui leur sont respectivement attribués.         

         L'ordonnance de M. le juge Campbell a fait l'objet d'un appel4 qui, à la date d'audition de la présente demande, n'a pas été instruit.

QUESTIONS EN LITIGE

         La question de compétence de la Cour dans cette affaire a été soulevée dans la demande au dossier présentée au nom de l'intimé George Cardinal. Elle consiste à savoir si l'agent des appels, en formant la décision qu'il a prise, a agi en tant que "office fédéral, conseil, bureau, commission ou autre organisme" tel que défini à l'article 2 de la Loi sur la Cour fédérale5. Ce point semblerait effectivement tranché, sous réserve d'appel, par l'ordonnance du juge Campbell datée du 27 décembre 1996 citée ci-dessus6. Comme de raison, la question n'a pas été débattue devant moi.

         L'avocat des requérants a fait valoir, devant moi, que, dans le cadre de son "enquête", l'agent des appels n'a pas observé un principe de justice naturelle, ni l'équité dans la procédure ni toute autre procédure exigée par la loi; qu'il a commis une erreur de droit en décidant comme il l'a fait ou bien s'est fondé en cela sur une conclusion factuelle erronée tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans égard aux documents et pièces soumis.

         Au cours de l'audience, la Cour a dit aux parties sa crainte que l'agent des appels ait outrepassé ses compétences en ordonnant la tenue d'une nouvelle assemblée de présentation et d'une nouvelle élection et en réintégrant, dans l'intervalle, le chef et les conseillers de la Première nation dans les fonctions qu'ils occupaient jusqu'à l'élection du 27 novembre 1996. Que cette question fut d'actualité ressort de l'ordonnance de M. le juge Campbell en date du 27 décembre 1996.

         Enfin, l'avocat des requérants a insisté pour dire que si je décidais en faveur de ses clients, je ne devrais pas renvoyer une nouvelle fois la question pour enquête, mais plutôt décider comme aurait dû le faire l'agent des appels. L'avocat des intimés a contesté mon pouvoir de substituer ma décision à celle de l'agent des appels.

POSITION DES PARTIES ET ANALYSE

         L'avocat des requérants a allégué que l'agent des appels, dans l'enquête limitée qu'il a conduite, comme il ressort des paragraphes de son affidavit cité plus tôt, ne s'est pas acquitté du devoir d'équité dans la procédure que la loi lui impose. En fait, a-t-il dit, l'agent des appels n'a tout simplement pas conduit l'enquête que la Loi électorale de la tribu de Beaver Lake exigeait qu'il fît.

         L'avocat des intimés a signalé que ni la Loi, ni le Règlement sur la coutume électorale de Beaver Lake, ne renferment une indication quelconque sur la portée de l'enquête qu'un agent des appels est appelé à conduire et, vu que cet agent était présent au seul bureau de vote tout le temps que celui-ci était ouvert, le souvenir qu'il conserve de ses observations et leur confirmation par le biais des consultations limitées qu'il a tenues après réception de l'appel, constituaient une enquête suffisante au sens de la Loi électorale de la tribu de Beaver Lake. Le fait que cette Loi ne prévoie rien de plus qu'une enquête limitée comme celle que l'agent des appels a menée en l'espèce, se reflétait, a-t-il insisté, dans l'exigence, faite dans le Règlement en matière d'appels à l'égard d'une élection, prescrivant qu'une décision relative à un appel soit envoyée par écrit à l'auteur ou aux auteurs de l'appel dans un délai de deux semaines après le dépôt de l'appel. Ainsi, une enquête de portée plus large était effectivement écartée, surtout dans des cas, comme celui-ci, où l'agent des appels demeurait à l'extérieur des terres de la Première nation et qu'il remplissait d'autres fonctions.

         Dans Cardinal c. Directeur de l'Institution Kent7, monsieur le juge LeDain, au nom de la Cour, a rédigé ce qui suit à la page 653 :

         Cette Cour a confirmé que, à titre de principe général de common law, une obligation de respecter l'équité dans la procédure incombe à tout organisme public qui rend des décisions administratives qui ne sont pas de nature législative et qui touchent les droits, privilèges ou biens d'une personne : ... [références omises]                 

Qu'un agent des appels dûment nommé dans le cadre de l'élection du chef et des conseillers d'une première nation soit "un organisme public" au sens de la citation ci-dessus, ne fait, j'en suis convaincu, aucun doute. La décision de l'agent des appels objet du présent contrôle, est à tout le moins une "décision administrative". Elle n'est certainement pas de nature "législative" et, aussi certainement, "ne touche pas les droits, privilèges ou biens d'une personne" ni, en fait, de beaucoup d'autres. Je conclus ainsi que l'agent des appels est tenu au devoir d'équité dans la procédure au cours de l'enquête découlant de l'appel à lui soumis.

         Dans l'affaire Shah c. le ministre de l'Emploi et de l'Immigration8, monsieur le juge Hugessen a déclaré ce qui suit :

     [TRADUCTION]         
     Dire que la substance du devoir d'équité varie au gré des circonstances, est un lieu commun.         

Je suis persuadé que seul un devoir d'équité minimale est requis dans les circonstances entourant le présent cas. L'équité minimale s'accorde avec la procédure et les délais légalement impartis à l'agent des appels pour qu'il remplisse ses fonctions. Pareille procédure sommaire et des délais serrés sont compatibles avec l'objectif consistant à réduire au minimum la période d'incertitude et de paralysie du gouvernement conséquente à une élection faisant l'objet d'appel. Ainsi, je ne peux conclure que le devoir d'équité au regard d'un appel comme celui-ci s'étendrait à l'obligation de tenir une audience publique. Je conclus, toutefois, qu'à tout le moins, l'agent des appels était tenu d'informer ceux et celles qui sont les plus touchés par l'appel, c'est-à-dire les candidats et les fonctionnaires, du dépôt de l'appel et de ses motifs et de leur donner l'occasion, aussi limitée fût-elle, de présenter des observations à ce sujet. En l'espèce, l'agent des appels est loin d'avoir rempli dans son enquête ce devoir d'équité minimale. Dans ces circonstances alors et à ce seul motif, je suis convaincu que la présente demande de contrôle judiciaire doit être accueillie.

         La preuve qui m'a été présentée révèle une différence d'opinion appréciable sur ce qui s'est passé au bureau de vote lors de l'élection du chef et des conseillers de la Première nation de Beaver Lake, le 27 novembre 1996. Elle indique également que les fonctionnaires préposés à l'élection auraient eu beaucoup de difficultés à [TRADUCTION] "assermenter ou à obtenir une affirmation en la forme prescrite quant au droit de vote", comme l'exige apparemment le Règlement sur la coutume électorale de Beaver Lake à l'égard de certains électeurs, du fait qu'aucune forme de serment ou d'affirmation n'a jamais été effectivement "prescrite". Cela dit, il est indiscutable que cette preuve révèle que des manoeuvres "douteuses" ont eu lieu au bureau de vote le jour du scrutin. Je ne vois aucune raison de conclure que, d'après les éléments de preuve, la décision de l'agent des appels voulant que ces manoeuvres fussent, d'après la Loi électorale de la tribu de Beaver Lake, de nature "corruptrice en rapport avec une élection", constituait une erreur de droit ou se fondait sur une conclusion factuelle absurde, arbitraire ou sans égard à la preuve fournie. De même, je ne trouve aucun fondement légal concevable me permettant de substituer une décision différente à celle de l'agent des appels, même si j'avais compétence pour le faire.9

         Comme on l'a déjà dit dans le présent exposé, la Cour, en instruisant cette affaire, s'est inquiétée de l'ampleur de la réparation consentie par l'agent des appels dans sa décision objet de ce contrôle. Non seulement a-t-il déclaré qu'il y a eu des manoeuvres corruptrices en rapport avec l'élection et annulé celle-ci, mais il a ordonné qu'une nouvelle élection ait lieu et, dans l'intervalle, a fait savoir, dans un document complémentaire intitulé "Avis de présentation et d'élection", daté du 2 décembre 1996, que le chef et les conseillers qui étaient en fonction jusqu'à l'élection, demeureraient à leurs postes.10

         La Loi électorale de la tribu de Beaver Lake autorise clairement l'agent des appels à annuler une élection [TRADUCTION] "si, à la suite d'une enquête, il est persuadé qu'il y a eu manoeuvres corruptrices en rapport avec l'élection...". Toutefois la loi est muette quant au droit de cet agent à ordonner une nouvelle élection et à maintenir en fonction le chef et le conseil précédemment élus. Après lecture attentive de la Loi électorale de la tribu de Beaver Lake et du Règlement y afférent, je dois conclure que ces pouvoirs appartiennent exclusivement aux membres de la Première nation eux-mêmes. J'en déduis donc que l'agent des appels n'avait pas compétence, ou bien qu'il a outrepassé sa compétence, en ordonnant la tenue d'une nouvelle élection et en décidant que le chef et les conseillers en poste au moment de l'élection du 27 novembre 1996 continueront d'exercer leurs fonctions jusqu'à l'issue de la nouvelle élection. Également relativement à ce moyen, je conclus que la demande de contrôle judiciaire doit être accueillie.

CONCLUSION

         En raison de ce qui précède, la présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie. La décision de l'agent des appels, objet de contrôle, sera annulée et l'appel relatif à l'élection du chef et des conseillers de la Première nation de Beaver Lake, le 27 novembre 1996, sera renvoyé à l'agent des appels aux fins de nouvelles enquête et décision conformément à la Loi électorale de la tribu de Beaver Lake, du Règlement sur la coutume électorale de Beaver Lake et des présents motifs.

         L'intimé George Cardinal aura droit aux frais et dépens relatifs à ces procédures sur la base procureur-client, payables sur les fonds de la Première nation de Beaver Lake. Aucune ordonnance ne sera rendue au regard des dépens des autres parties à cette cause.

QUESTIONS SUPPLÉMENTAIRES

         Suite à l'audition de la présente demande de contrôle judiciaire à Edmonton, le 21 octobre 1997, à laquelle certains membres de la Première nation de Beaver Lake ont assisté, j'ai indiqué à l'avocat et à l'assistance quelle serait la teneur de ma décision advenant que les circonstances en exigeaient une. J'ai émis l'opinion qu'il serait largement préférable, dans l'intérêt des membres de la Première nation, qu'ils tranchent eux-mêmes les questions en litige au lieu de s'en remettre à la Cour dont la décision, de par sa nature, ne résoudra pas les difficultés sous-jacentes que connaît la Première nation de Beaver Lake quant à son mode de gouvernement. J'ai informé l'avocat et l'assistance que je resterais à Edmonton le reste de la journée de l'audience et tout le lendemain pour consultation, au cas où celle-ci se révélerait utile.

         Bien que l'avocat de l'agent des appels ait informé la Cour qu'une consultation était souhaitée, il a été impossible de prendre les dispositions voulues pour cela. Finalement, la consultation a eu lieu le mardi de la semaine suivante par voie d'une téléconférence au cours de laquelle tous les avocats ont appuyé l'idée que les présents motifs énoncent une procédure régissant la nouvelle enquête et la nouvelle décision concernant l'appel à l'égard de l'élection. La Cour a trouvé que l'avocat était optimiste quant à la possibilité de parvenir à une entente sur une procédure appropriée et de lui soumettre une proposition dans un délai assez court. Une procédure convenue a été adressée à la Cour le mercredi 5 novembre. Elle est jointe au présent exposé des motifs dont elle fait partie intégrante en tant qu'annexe A pour les besoins de mon ordonnance en l'espèce, bien que je ne sois nullement l'auteur de la proposition.

         L'avocat des intimés Emile Cardinal, Gabe Cardinal et George Gladu a soulevé devant moi deux questions. En premier lieu, a-t-il signalé, et comme il ressort en partie des documents qui m'ont été soumis, il lui semble que l'un des conseillers élus le 27 novembre 1996, M. Rosaire Bugle, avait été effectivement empêché d'exercer les fonctions et attributions de son poste de conseiller, suite à l'ordonnance du juge Campbell en date du 27 décembre 1996. Cela voulait implicitement dire que cette exclusion a eu lieu sur les instances des demandeurs aux présentes, c'est-à-dire le chef et l'autre conseiller élus le 27 novembre 1996. On me dit en outre que M. Bugle n'a pas reçu ses appointements de conseiller depuis le chèque qui lui a été remis aux alentours du 28 avril 1997, ou à cette date.

         On m'a également informé que certains membres de la Première nation présents à la Cour, et qui sont apparemment des employés de la Première nation, ont été avisés qu'ils perdraient leur emploi au cas où ils iraient suivre l'instruction du procès au tribunal.

         Comme de raison, ni l'une ni l'autre de ces questions ne me sont soumises dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire. Par ailleurs, si les allégations sont vraies (et j'avais devant moi des déclarations faites sous serment à l'égard tout au moins des affirmations de Rosaire Bugle), elles reflètent les difficultés bien regrettables qui entourent la conduite des affaires de la Première nation. Je ne prends pas position à l'égard de ces allégations puisque je n'en suis pas, à juste titre saisi. Je ne peux toutefois m'empêcher d'exprimer mon inquiétude si elles sont effectivement justifiées. Je vais plus loin en ce qui concerne les allégations concernant Rosaire Bugle. J'attire l'attention de tous les membres de la Première nation à la partie de l'ordonnance de M. le juge Campbell portant que le chef et les conseillers élus le 27 novembre 1996, ce qui comprendrait Rosaire Bugle [TRADUCTION] "... sont habilités à exercer les pouvoirs et attributions de leurs fonctions respectives." J'espère sincèrement que rien n'est actuellement entrepris qui soit de nature à enfreindre cet aspect d'une ordonnance de la Cour.

     FREDERICK E. GIBSON

     Juge

Ottawa (Ontario)

Le 10 novembre 1997

Traduction certifiée conforme     

                                     François Blais, LL.L.


     ANNEXE "A" À L'EXPOSÉ DES MOTIFS DE L'ORDONNANCE DANS LA CAUSE

     ALPHONSE LAMEMAN

     ET GABE GLADUE,

     requérants,

     et

     GEORGE CARDINAL, EMILE CARDINAL,

     GABE CARDINAL ET GEORGE GLADU,

     intimés.

On s'attend que la conduite des affaires de la Première nation de Beaver Lake soit éventuellement sujette à réglementation si l'appel interjeté par Rosaire Bugle et al. à l'égard de l'élection fait l'objet d'enquête ou de nouvelle enquête par l'agent des appels suivant le mode ou la procédure ci-après :

1.      Une copie de l'appel interjeté par Rosaire Bugle et al. à l'égard de l'élection sera affichée aux bureaux administratifs de la tribu dans les 24 heures suivant réception, par le conseiller juridique, du jugement rendu par M. le juge Gibson, destiné à la Cour fédérale d'Edmonton (Jour du jugement);
2.      Tout électeur de la Première nation de Beaver Lake habilité à participer à l'élection du 27 novembre 1996, ou tout fonctionnaire préposé à cette élection, ou toute personne agissant pour le compte d'un tel électeur ou fonctionnaire, pourra adresser des observations écrites à l'agent des appels nommément, au plus tard à 16 h 30 le quatrième jour suivant le jour du jugement et déposer lesdites observations à l'étude de Mes Ackroyd, Piasta, Roth & Day, 1500, 10665 avenue Jasper, Edmonton (Alberta) T5J 3S9, ou bien aux locaux administratifs de la tribu, réserve de Beaver Lake, avant 13 heures le quatrième jour suivant le jour du jugement, telles observations écrites devant être livrées le lendemain par service de messagerie à l'agent des appels à l'étude Ackroyd, Piasta, Roth & Day à Edmonton, par la Première nation de Beaver Lake. Un comité de surveillance des appels, composé de Rosaire Bugle et d'un représentant des requérants contrôlera l'enregistrement de toutes les observations déposées à l'immeuble administratif de la Tribu de Beaver Lake et en assurera la conservation et la livraison à un service de messagerie aux fins de transport jusqu'à l'étude Ackroyd, Piasta, Roth & Day.
3.      Le cinquième jour suivant le jour du jugement, tout électeur ou fonctionnaire préposé à l'élection, ou son avocat, peut obtenir de l'agent des appels une copie d'un exposé ou de tous les exposés en question.
4.      Tout électeur ou fonctionnaire préposé à l'élection à la Première nation de Beaver Lake ou son procureur peut alors répliquer à l'un ou l'autre desdits exposés, cette réplique devant être livrée le neuvième jour, avant 16 h 30, à l'agent des appels nommément, à l'étude Ackroyd, Piasta, Roth & Day, 1500, 10655, avenue Jasper, Edmonton (Alberta) T5J 3S9, ou bien déposer des observations écrites à l'immeuble administratif de la tribu, réserve de Beaver Lake, avant 13 heures le neuvième jour suivant le jour du jugement, telles observations écrites devant être livrées le lendemain par service de messagerie à l'agent des appels à l'étude Ackroyd, Piasta, Roth & Day, par la Première nation de Beaver Lake.
5.      L'agent des appels affichera sa décision et en mettra des copies à la disposition de tous les fonctionnaires préposés à l'élection ainsi qu'à l'immeuble administratif de la tribu, le 14e jour suivant le jour du jugement.
6.      Avis de la procédure proposée ci-dessus sera affiché à la réserve de Beaver Lake aussitôt après le jour du jugement. Une ébauche de cet avis est annexée.*

7.      Les frais et dépens engagés par l'agent des appels seront à la charge de la Première nation de Beaver Lake.

Aux fins des présentes directives, les fonctionnaires préposés à l'élection comprendront le directeur du scrutin, le président d'élection, l'agent des appels, l'interprète et les scrutateurs.

* L'ébauche du texte n'a pas été fournie à la Cour.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     Avocats et procureurs inscrits au dossier

No DU GREFFE :              T-2755-96

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Alphonse Lameman et al. c. George Cardinal et al.

LIEU DE L'AUDIENCE :          Edmonton (Alberta)

DATE DE L'AUDIENCE :      21 octobre 1997

MOTIFS DE L'ORDONNANCE      par monsieur le juge Gibson

EN DATE DU              10 novembre 1997

ONT COMPARU :

M. Ronald E. Johnson                      pour les requérants
M. Dennis B. Roth                          pour l'intimé - George Cardinal
Mme Priscilla E. Kennedy                      pour les intimés - Emile Cardinal,
                                 Gabe Cardinal et George Gladu

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Roddick Peck & Johnson

Edmonton (Alberta)                          pour les requérants

Ackroyd, Piasta, Roth & Day

Edmonton (Alberta)                          pour l'intimé - George Cardinal

Parlee, McLaws

Edmonton (Alberta)                          pour les intimés - Emile Cardinal,
                                 Gabe Cardinal et George Gladu
__________________

1      L.R.C. (1985), ch. I-5, modifié.

2      No du greffe : T-20-96.

3      La présente citation est tirée d'un document joint à l'affidavit de George Cardinal, l'agent des appels, document fait sous serment le 20 décembre 1996 et formant partie du dossier de la demande soumise aux noms de George Cardinal, Emile Cardinal, Gabe Cardinal et George Gladu. Une autre version annexée à l'affidavit fait sous serment par Alphonse Lameman, le 6 décembre 1996 et qui forme partie du dossier de la demande soumise aux noms des requérants, comprend une deuxième page datée du 2 décembre 1996 avec pour titre "Avis de présentation et d'élection" énonçant ce qui suit : "EN ATTENDANT QUE LA NOUVELLE ÉLECTION AIT EU LIEU, LE CHEF EMILE CARDINAL ET LES CONSEILLERS GABE CARDINAL ET GEORGE GLADU DEMEURENT EN POSTE."

4      Voir nos du greffe A-9-97 et A-374-97.

5      L.R.C. (1985), ch. F-7, modifiée.

6      Dans le même ordre d'idées, voir Frank c. Bottle et al. (1993), 65 F.T.R. 89, p. 94 et 95.

7      [1985] 2 R.C.S. 643 (non cité à l'audience).

8      (1994), 170 N.R. 238 (C.A.F.), (non cité à l'audience).

9      Voir : paragraphe 18.1(3) de la Loi sur la Cour fédérale; Orelian c. Canada [1992] 1 C.F. 592, p. 607 (C.A.); Thibaudeau c. M.R.N. [1994] 2 C.F. 189, p. 224 (C.A.) (décision infirmée : [1995] 2 R.C.S. 627, pour d'autres motifs); Xie c. M.E.I. (1994), 75 F.T.R. 125; et Jencan c. Canada (1997), 215 N.R. 352 (C.A.).

10      Supra note 3.

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