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Date : 08091998


Dossier : IMM-4932-97

OTTAWA (ONTARIO), LE 8 SEPTEMBRE 1998.

EN PRÉSENCE DE : MONSIEUR LE JUGE DUBÉ

ENTRE :


YASPAL SINGH KALOTI,


demandeur,


et


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION,


défendeur.


ORDONNANCE

Une question de portée générale mérite d"être certifiée et je la formulerais de la façon suivante :

Un demandeur peut-il demander de nouveau l"admission au Canada de sa conjointe en tant que membre de la catégorie des parents en vertu du paragraphe 4(3) du Règlement sur l"immigration au motif que la situation a changé, lorsque la première demande qu"il a présentée a été rejetée sur le fondement que sa conjointe s"était mariée principalement dans le but d'obtenir l'admission au Canada et non dans l'intention de vivre en permanence avec lui?

La demande de contrôle judiciaire est rejetée.


juge

Traduction certifiée conforme

Bernard Olivier, LL.B.


Date : 08091998


Dossier : IMM-4932-97

ENTRE :


YASPAL SINGH KALOTI,


demandeur,


et


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION,


défendeur.


MOTIFS DE L"ORDONNANCE

LE JUGE DUBÉ

[1]      Le demandeur cherche à faire annuler la décision, datée du 17 octobre 1997, par laquelle la section d"appel de la Commission de l"immigration et du statut de réfugié (la section d"appel) a rejeté l"appel qu"il avait interjeté, au motif que la chose avait déjà été jugée.

[2]      Le 26 août 1990, le demandeur a déposé un engagement d"aide en vue de parrainer la demande de résidence permanente de sa fiancée, qu"il a par la suite épousée en Inde, en février 1993. Le 28 mai 1993, l"agent des visas a rejeté sa demande, conformément au paragraphe 4(3) du Règlement sur l"immigration, au motif que le mariage n"était pas authentique et que les deux personnes en cause s"étaient mariées principalement à des fins d"admission au Canada. Le demandeur a interjeté appel de la décision de l"agent des visas devant la section d"appel, qui a confirmé cette dernière et rejeté l"appel pour manque de compétence, vu que la conjointe du demandeur n"appartenait pas à la catégorie des parents en vertu du paragraphe 4(3) du Règlement1.

[3]      En 1996, le demandeur a parrainé une nouvelle demande de résidence permanente déposée par sa conjointe, demande qui a été rejetée par un agent des visas. Cette décision a été à l"origine d"une deuxième décision de la section d"appel, laquelle est contestée en l"espèce.

[4]      La principale question en litige est de savoir si la section d"appel n"avait pas la compétence voulue en raison du principe de res judicata , étant donné que le deuxième appel opposait les mêmes parties et présentait les mêmes questions litigieuses que celui dont elle était déjà saisie.

[5]      Dans la décision Horbas2, le juge Strayer, alors juge de première instance, a dit :

                 Le paragraphe 4(3) du Règlement sur l"immigration de 1978 prévoit que l"agent des visas doit tenir compte de deux critères: il doit se demander premièrement si le conjoint s"est marié principalement dans le but d"obtenir l"admission au Canada, et deuxièmement si le conjoint parrainé a l"intention de vivre en permanence avec son conjoint. [...] L"application de ces critères soulève, il faut le reconnaître, d"épineuses questions de fait, d"autant plus qu"elle implique l"appréciation de l"intention du conjoint parrainé.                 

[6]      Il a ajouté :

                 Il ne faut pas perdre de vue que ce paragraphe ne peut servir de fondement au rejet d"une telle demande que si le conjoint parrainé s"est marié principalement dans le but d"immigrer et s"il n"a pas l"intention de vivre en permanence avec son conjoint.                 

[7]      Il s"ensuit que les deux critères doivent être appliqués à l"intention du conjoint au moment où il s"est marié. Le demandeur soutient que les questions soulevées dans le premier appel ne se posaient pas dans le deuxième, étant donné que la situation avait changé et que la question était maintenant de savoir si sa conjointe appartenait à la catégorie des parents à l"époque où la deuxième demande a été déposée. Il prétend que la section d"appel aurait dû se demander si l"intention de sa conjointe avait changé depuis que le premier appel avait été interjeté.

[8]      À mon avis, le sens évident du paragraphe 4(3) du Règlement ne peut être un " critère allant de l"avant ", comme l"a soutenu le demandeur. Le critère est de savoir si le conjoint visé " s"est marié principalement dans le but d'obtenir l'admission au Canada [...] et non dans l'intention de vivre en permanence avec son conjoint ". Manifestement, les deux critères s"appliquent à l"intention du conjoint au moment où il s"est marié. L"affaire avait donc déjà qualité de chose jugée et la section d"appel ne pouvait en être saisie de nouveau.

[9]      À l"audition, j"ai demandé aux deux parties de faire des observations et de déposer des résultats de recherche sur la question de savoir si le principe de res judicata s"appliquait en droit public.

[10]      L"avocate du demandeur a soutenu que l"application de ce principe n"était pas une règle absolue, mais qu"elle dépendait de la nature du tribunal prenant la décision visée et du contexte de la loi en vertu de laquelle celui-ci agissait. Elle a renvoyé au Canadian Encyclopedic Digest, qui mentionne que [TRADUCTION] " la mesure dans laquelle l"exception de chose jugée s"applique au processus administratif est incertaine "3. Plus loin, le Digest mentionne que [TRADUCTION] " lorsqu"un tribunal ou un organisme a le pouvoir d"entendre une nouvelle demande, il n"est pas lié par sa décision initiale ". Elle a également renvoyé à l"article du professeur Ganz intitulé Estoppel and Res Judicata in Administrative Law , selon lequel [TRADUCTION] " il existe très peu de jurisprudence sur la question de savoir si le principe de res judicata , qui s"applique aux décisions rendues par des tribunaux ordinaires, s"applique aussi aux organismes administratifs ". Enfin, elle a renvoyé à l"arrêt Grillas c. MMI4, dans lequel il a été statué que la Commission d"appel de l"immigration, l"ancêtre de l"actuelle Section d"appel de l"immigration, avait le pouvoir de reprendre une décision déjà rendue sur le fondement qu"elle avait une compétence " d"équité " qui se prolongeait dans le temps, et qu"elle pouvait donc connaître d"éléments de preuve supplémentaires, malgré le fait que ses décisions étaient considérées définitives.

[11]      Par ailleurs, l"avocat du défendeur a renvoyé à l"arrêt O"Brien c. Canada (P.G.) (1993)5 de la Cour d"appel fédérale, qui a confirmé que le principe de res judicata s"appliquait en droit public. Dans cette affaire, la question était de savoir si le principe de res judicata empêchait un comité d"appel de la Commission de la fonction publique de réexaminer les questions qu"il avait lui-même tranchées dans le cadre d"un appel antérieur. Le juge Décary a écrit (à la p. 316) : " Cette Cour a implicitement étendu l"applicabilité du principe de l"autorité de la chose jugée, élaboré dans le contexte de procédures judiciaires, aux procédures tenues devant les tribunaux administratifs établis par la loi ". Il a conclu :

                 À ce que je vois, le raisonnement fondamental de ces décisions est qu"un comité d"appel n"a pas compétence, à l"occasion d"un second appel d"un processus de sélection, pour connaître à nouveau des allégations qu"il a explicitement ou implicitement rejetées dans sa décision sur le premier appel, c"est-à-dire que le principe de l"autorité de la chose jugée s"applique aux décisions des comités d"appel.                 
                 [Non souligné dans l"original.]                 

[12]      En conséquence, je dois conclure qu"en général, le principe de res judicata s"applique en droit public. Autrement, les demandeurs pourraient présenter de nouveau la même demande ad infinitum et ad nauseam, ce qui constituerait un recours abusif aux tribunaux administratifs. Cependant, cela n"empêcherait pas un demandeur de déposer une deuxième demande fondée sur un changement de situation pourvu que, bien entendu, un tel changement soit pertinent à l"égard de l"affaire à trancher.

[13]      Encore une fois, en l"espèce, le sens évident du paragraphe 4(3) du Règlement sur l"immigration est clairement centré sur l"intention du conjoint au moment où il s"est marié, ce qui constitue une situation qu"un changement ultérieur des intentions de ce conjoint ne saurait modifier. En conséquence, c"est à bon droit qu"il a été jugé que la conjointe du demandeur n"appartenait pas à la catégorie des parents et que l"affaire avait qualité de chose jugée. Il ne n"ensuit pas cependant que cette dernière ne peut chercher à être admise au Canada en invoquant d"autres dispositions de la Loi sur l"immigration.

[14]      À mon avis, une question de portée générale mérite d"être certifiée et je la formulerais de la façon suivante :

                 Un demandeur peut-il demander de nouveau l"admission au Canada de sa conjointe en tant que membre de la catégorie des parents en vertu du paragraphe 4(3) du Règlement sur l"immigration au motif que la situation a changé, lorsque la première demande qu"il a présentée a été rejetée sur le fondement que sa conjointe s"était mariée principalement dans le but d'obtenir l'admission au Canada et non dans l'intention de vivre en permanence avec lui?                 

[15]      La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

O T T A W A (Ontario)

Le 8 septembre 1998.


juge

Traduction certifiée conforme

Bernard Olivier, LL.B.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

    

NO DU GREFFE :                          IMM-4932-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :                  YASPAL SINGH KALOTI c. MCI

LIEU DE L"AUDIENCE :                      Toronto (Ontario)

DATE DE L"AUDIENCE :                      le mercredi 13 juillet 1998

MOTIFS DE L"ORDONNANCE EXPOSÉS PAR :      Monsieur le juge Dubé

EN DATE DU :                          8 septembre 1998

ONT COMPARU :

Mme Carole Simone Dahan                          POUR LE DEMANDEUR

M. Kevin Lunney                              POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Green and Spiegel                              POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

__________________

1      4(3) La catégorie des parents ne comprend pas le conjoint qui s'est marié principalement dans le but d'obtenir l'admission au Canada à titre de parent et non dans l'intention de vivre en permanence avec son conjoint.

2      Horbas c. M.E.I., [1985] 2 C.F. 359.

3      vol. 1, 3rd ed., à la p. 274, par. 171.

4      [1972] R.C.S. 577.

5      153 N.R. 313.

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