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Date : 20011220

Dossier : IMM-5452-01

Référence neutre : 2001 CFPI 1413

ENTRE :

BEVERLEY RYAN et CEASAR MACKENZIE NICHOLAS RYAN représenté

par sa tutrice à l'instance BEVERLEY RYAN

                                                                                               demandeurs

                                                    - et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                  défendeur

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE DAWSON

[1]                 Il s'agit de mes motifs d'ordonnance relativement à une requête présentée pour le compte des demandeurs en vue d'obtenir une ordonnance sursoyant à leur renvoi du Canada à Saint-Vincent.

  

[2]                 Mme Ryan est arrivée au Canada en 1992 avec un visa de visiteur. Dans l'affidavit présenté à l'appui de la requête en sursis, elle a déclaré sous serment ce qui suit : elle est une citoyenne de Saint-Vincent et de Trinité; elle a quitté Saint-Vincent quand elle n'avait qu'un an et demi; sa mère l'a alors amenée vivre à Trinité; elle a vécu à Trinité jusqu'à son départ pour le Canada; après l'expiration de son visa de visiteur, elle a décidé de rester au Canada pour améliorer son sort et celui de sa famille; plusieurs années plus tard, elle a revendiqué le statut de réfugié; elle a un fils de 19 ans qui vit à Trinité chez sa mère; elle envoie à son fils et à sa mère 100 $ par mois, qui ont besoin de cet argent; elle a un fils de quatre ans né au Canada, MacKenzie, qui est actuellement inscrit à la prématernelle; le père de MacKenzie et elle se sont séparés; si elle est renvoyée, elle n'aura pas d'autre choix que d'amener MacKenzie avec elle; elle n'a aucune famille à Saint-Vincent et si elle est renvoyée dans ce pays, elle n'aura aucun endroit pour vivre ou travailler; elle a informé un agent d'immigration qu'elle préférerait aller à Trinité où vit sa mère, mais celui-ci lui a dit qu'il s'en fichait et que comme elle était arrivée de Saint-Vincent elle serait renvoyée dans ce pays; elle a également une fille qui vit au Canada et qui est une citoyenne de Trinité; si elle est renvoyée, sa fille sera seule au Canada; et, en juillet 2001, une demande d'établissement fondée sur des raisons d'ordre humanitaire a été présentée pour son compte depuis le Canada.


[3]                 Le ministre a contesté la requête en sursis de Mme Ryan et, en opposition à la requête, il a déposé un affidavit signé par l'agent d'exécution de la mesure de renvoi prise contre les demandeurs. Dans cet affidavit, l'agent d'exécution a déclaré notamment ceci : on a refusé d'accorder à Mme Ryan le statut de réfugié; Mme Ryan a fondé sa revendication sur son appartenance au parti travailliste de Saint-Vincent et a dit à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié qu'elle n'avait pas vécu à Saint-Vincent depuis le printemps 1992; la Cour a rejeté une demande d'autorisation relative à la décision défavorable de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié; une demande à titre de demandeur non reconnu du statut de réfugié au Canada a été rejetée; par la suite, Mme Ryan ne s'est pas présentée aux fins de son renvoi prévu pour le 13 juillet 2001; la fille de Mme Ryan n'a aucun statut au Canada et, bien qu'elle soit toujours en liberté, elle fait l'objet d'un mandat d'arrestation; de l'avis de l'agent, les circonstances de la présente affaire ne justifient pas qu'il exerce favorablement son pouvoir discrétionnaire de différer le renvoi; l'agent nie que Mme Ryan lui ait dit qu'elle était une citoyenne de Trinité ou qu'elle lui ait demandé de la renvoyer à Trinité plutôt qu'à Saint-Vincent.

[4]                 Le critère applicable pour l'octroi d'un sursis d'exécution est bien connu. La demande sous-jacente doit soulever une question sérieuse à juger, il faut établir que les demandeurs subiront un préjudice irréparable si le sursis n'est pas accordé, et la prépondérance des inconvénients doit pencher en faveur des demandeurs.


[5]                 En l'espèce, je suis prête à accepter que constitue une question sérieuse la question de savoir si, lorsque l'intérêt de l'enfant est en cause, la justice fondamentale exige de se demander s'il existe une « meilleure » destination pour le renvoi.

[6]                 Malgré cela, je suis convaincue que les demandeurs n'ont pas établi qu'ils subiront un préjudice irréparable s'ils sont renvoyés du Canada. On prétend qu'il y aura un préjudice irréparable parce qu'en l'absence de sursis d'exécution, la demande de contrôle judiciaire sous-jacente deviendra théorique, Mme Ryan sera pour toujours séparée de sa fille au Canada, et MacKenzie, un citoyen canadien, sera obligé de quitter le Canada et son école, ce qui lui fera perdre la présente année scolaire.

[7]                 Je traiterai à tour de rôle chacune des allégations de préjudice irréparable.


[8]                 Dans certaines circonstances, la Cour a conclu que la perte de l'avantage de pouvoir présenter une demande de contrôle judiciaire constitue un préjudice irréparable, voir par exemple : Melo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. 403 (1re inst.). Cependant, à mon avis, on ne peut pas perdre de vue le caractère un peu particulier de la requête en sursis présentée à l'égard de la décision d'un agent de renvoi de ne pas différer le renvoi. De même que l'octroi du sursis en l'espèce donne à la demanderesse le résultat que l'agent du renvoi a refusé de lui donner avant que la demande soit jugée sur le fond, le refus du sursis permet l'exécution de l'ordonnance de renvoi contestée avant l'audition de la demande de contrôle judiciaire. Comme il n'y a que « deux possibilités » , il me semble qu'il faut établir davantage que le caractère théorique de la demande pour qu'il y ait un préjudice irréparable. Sinon, il y aura de toute évidence un préjudice irréparable chaque fois que la validité d'une décision de ne pas différer le renvoi sera en cause.

[9]                 En ce qui concerne la séparation d'avec sa fille, Mme Ryan n'a pas mentionné dans son affidavit que sa fille n'a aucun statut juridique au Canada et fait l'objet d'un mandat d'arrestation. Dans ces circonstances, il n'est pas logique de prétendre qu'on devrait permettre à Mme Ryan de rester au Canada pour qu'elle soit près de sa fille.

[10]            Quant à l'effet du renvoi sur MacKenzie, la situation de celui-ci doit être examinée dans le contexte des faits de la présente affaire. La perte d'une année scolaire peut dans certains cas établir l'existence d'un préjudice irréparable. Ce n'est pas le cas en l'espèce : MacKenzie a commencé la prématernelle en septembre et les seuls éléments de preuve soumis indiquent qu'il aime son école, ses enseignants et les autres enfants, et qu'il se débrouille bien.

[11]            De même, il n'y a aucune preuve selon laquelle les demandeurs seront en danger s'ils sont renvoyés à Saint-Vincent.


[12]            En cherchant à convaincre l'agent du renvoi de différer le renvoi, l'avocat n'a pas signalé l'existence d'éléments de preuve d'un préjudice autre que ce qui est nécessairement accessoire à l'expulsion. Comme le juge Pelletier l'a noté dans Melo, précité, et je suis d'accord avec lui, l'expulsion est accompagnée de séparations forcées et de coeurs brisés. Pour que l'expression « préjudice irréparable » conserve un peu de sens, elle doit correspondre à un préjudice au-delà de ce qui est inhérent à la notion même d'expulsion. Un tel préjudice n'a pas été établi en l'espèce et je suis donc convaincue que les demandeurs n'ont pas établi l'existence d'un préjudice irréparable.

[13]            Comme les demandeurs n'ont pas réussi à établir l'existence d'un préjudice irréparable et que le critère à trois volets applicable à l'octroi d'un sursis est de nature conjonctive, la requête en sursis doit être rejetée pour ce motif. Cependant, compte tenu des faits particuliers de l'espèce, je désire également faire des observations sur l'exigence relative à la prépondérance des probabilités.


[14]            Dans Membreno-Garcia c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 3 C.F. 306 (1re inst.), le juge Reed a affirmé, au paragraphe 18, que d'après la prépondérance des inconvénients, il faut se demander à quel point le fait d'accorder des sursis risque de devenir une pratique qui contrecarre l'application efficace de la législation en matière d'immigration. Pour reprendre les termes utilisés par le juge Reed « [i]l y va de l'intérêt public d'avoir un régime qui fonctionne de façon efficace, rapide et équitable, et qui, dans la mesure du possible, ne se prête pas aux abus. Tel est, à mon avis, l'intérêt public qu'il faut soupeser par rapport au préjudice que pourrait éventuellement subir le requérant si un sursis n'était pas accordé » .

[15]            Selon moi, le corollaire nécessaire de cette affirmation est que la Cour doit faire attention de ne pas sanctionner des pratiques abusives.

[16]            En l'espèce, Mme Ryan a demandé un sursis de la nature d'un redressement en equity. Mme Ryan a fait sous serment des déclarations contraires à celles faites sous serment devant la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la SSR). Notamment, alors que Mme Ryan a affirmé sous serment dans la présente instance qu'elle avait quitté Saint-Vincent quand elle avait un an et demi, soit aux alentours de 1962, la SSR a déclaré dans ses motifs que la preuve dont elle était saisie indiquait que Mme Ryan avait été engagée au sein du parti travailliste de Saint-Vincent et qu'après avoir été attaquée en février 1992, elle avait quitté ce pays pour se rendre au Canada. Cet écart de 30 ans est crucial quant à la présente requête en sursis fondée sur le fait que la demanderesse n'a aucun lien avec Saint-Vincent.


[17]            En outre, Mme Ryan a prétendu que la séparation d'avec sa fille au Canada lui causerait un préjudice irréparable sans révéler que cette dernière n'avait aucun statut au pays.

[18]            Les personnes qui demandent à la Cour un redressement en equity doivent eux-mêmes agir selon les règles de l'equity conformément à la maxime selon laquelle ceux qui recherchent l'équité doivent agir avec équité au sens populaire de ce qui est juste et équitable, ce qui signifie notamment qu'il faut produire une preuve complète, honnête et sincère.

[19]            Dans le cas inhabituel où on donne un témoignage sous serment contraire au témoignage sous serment produit antérieurement, il faut donc notamment fournir une explication justifiant la divergence. C'est particulièrement le cas lorsque, comme en l'espèce, le témoignage se rapporte à un élément central de la requête en sursis.

[20]            En conséquence, pour prétendre qu'elle subira un préjudice en étant renvoyée dans un pays qu'elle a quitté à l'âge d'un an et demi, si effectivement c'est le cas, Mme Ryan était tenue d'expliquer pourquoi elle a soutenu devant la SSR qu'elle avait quitté Saint-Vincent une trentaine d'années plus tard.


[21]            Pour les motifs qui précèdent, j'ai conclu que les faits de l'espèce n'établissaient pas que les demandeurs subiront un préjudice irréparable s'ils sont renvoyés. Compte tenu de l'intérêt de MacKenzie, qui doit être examiné indépendamment de la conduite de sa mère, je fonde ma décision sur la conclusion que j'ai tirée relativement au volet du préjudice irréparable. La requête en sursis a donc été rejetée.

     « Eleanor R. Dawson »

Juge

Ottawa (Ontario)

Le 20 décembre 2001

  

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

  

NO DU GREFFE :                                              IMM-5452-01

INTITULÉ :                                                        Beverley Ryan et autre c. MCI

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER SANS COMPARUTION DES PARTIES

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE DE MADAME LE JUGE DAWSON

DATE DES MOTIFS :                                    Le 20 décembre 2001

  

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Ronald Poulton                                                     POUR LA DEMANDERESSE

Kareena R. Wilding                                                           POUR LE DÉFENDEUR

  

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mamann & Associates                                        POUR LA DEMANDERESSE

Toronto (Ontario)

M. Morris Rosenberg                                                        POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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