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Date : 20000529


Dossier : T-1092-95


Ottawa (Ontario), le lundi 29 mai 2000

DEVANT : MONSIEUR LE JUGE GIBSON


ENTRE


KIRK MICHAEL MACNEIL



demandeur



et



SA MAJESTÉ LA REINE



défenderesse



ORDONNANCE


     Une requête ayant été présentée le 7 décembre 1999 pour le compte de la défenderesse, Sa Majesté la Reine, en vue de l"obtention :

1.      d"un jugement sommaire rejetant tout ou partie de la déclaration modifiée du demandeur;
2.      d"une ordonnance radiant tout ou partie de la déclaration modifiée du demandeur;
3.      des dépens de la requête et de l"action sur la base avocat-client;
4.      de toute autre réparation que cette cour estime indiquée.

IL EST PAR LES PRÉSENTES ORDONNÉ CE QUI SUIT :

     La requête est rejetée. Les dépens de la requête suivront l"issue de la cause.





                             Frederick E. Gibson                                      J.C.F.C.


Traduction certifiée conforme

Martine Brunet, LL.B.




Date : 20000529


Dossier : T-1092-95


ENTRE


KIRK MICHAEL MACNEIL



demandeur



et



SA MAJESTÉ LA REINE



défenderesse



MOTIFS DE L"ORDONNANCE


LE JUGE GIBSON

INTRODUCTION

[1]      Ces motifs découlent d"une demande présentée pour le compte de la défenderesse en vue de l"obtention d"un jugement sommaire rejetant tout ou partie de la déclaration modifiée du demandeur ou subsidiairement d"une ordonnance radiant tout ou partie de la déclaration modifiée du demandeur et adjugeant à la défenderesse les dépens de la requête et de l"action sur la base avocat-client. La demande de la défenderesse a été entendue devant moi à Toronto le 17 mai 2000. À la fin de l"audience, j"ai reporté ma décision et j"ai fait savoir que je rendrais des motifs et l"ordonnance y afférente.

HISTORIQUE

[2]      Par une déclaration modifiée qui a été déposée le 26 mai 1999, le demandeur sollicite des dommages-intérêts d"un montant élevé, des dommages-intérêts spéciaux pour les menues dépenses et la perte de revenu, des intérêts avant et après jugement ainsi que les dépens de l"action fondée sur les mesures prises par la Gendarmerie royale du Canada (la Gendarmerie) à la suite de sa démission, le 12 juillet 1991, lesquelles constitueraient censément une atteinte à la vie privée, un abus de confiance, une ingérence illicite dans ses affaires financières, un abus d"une charge publique et de la diffamation. Au moment de sa démission, le demandeur était membre du détachement, de Sicamous (Colombie-Britannique).

PRINCIPES APPLICABLES AUX DEMANDES DE JUGEMENT SOMMAIRE

[3]      Les demandes de jugement sommaire sont régies par les règles 213 à 219 des Règles de la Cour fédérale (1998)1. Après avoir signifié et déposé une défense et avant que l"heure, la date et le lieu de l"instruction soient fixés, le défendeur peut présenter une requête pour obtenir un jugement sommaire sur tout ou partie de la réclamation contenue dans la déclaration. Les principes régissant pareilles demandes sont bien établis et sont énoncés succinctement dans la décision Granville Shipping Co. c. Pegasus Lines Ltd.2. Ils peuvent être brièvement résumés comme suit : premièrement, les règles concernant les jugements sommaires sont destinées à permettre le règlement sommaire des affaires qui ne soulèvent aucune question sérieuse à instruire; deuxièmement, dans une demande de jugement sommaire, le critère applicable consiste à savoir si le succès de la demande est tellement douteux que celle-ci ne mérite pas d"être examinée plus à fond; troisièmement, chaque affaire doit être interprétée selon son propre contexte; quatrièmement, la pratique provinciale peut faciliter l"interprétation des règles de cette cour; cinquièmement, les questions de fait et les questions de droit peuvent être tranchées dans le cadre de la requête; sixièmement, un jugement sommaire ne peut pas être rendu si les faits nécessaires ne sont pas établis; septièmement, lorsqu"une question sérieuse est soulevée au sujet de la crédibilité, l"action devrait être instruite.

[4]      Dans l"arrêt Feoso Oil Ltd. c. " Sarla " (Le)3, la Cour d"appel fédérale a adopté le passage suivant de la décision Pizza Pizza Ltd. c. Gillespie4.

[TRADUCTION]
À mon avis, il existe une norme minimale moins exigeante établie par la nouvelle règle 20 et la jurisprudence qui se développe. Selon cette norme, la Cour doit, en examinant minutieusement le bien-fondé d"une instance, décider si l"affaire mérite d"être renvoyée à un juge qui l"instruira. Il ne fait aucun doute que l"affaire sera instruite s"il existe de véritables questions de crédibilité qui doivent absolument être tranchées pour qu"une décision sur les faits soit rendue. Hormis ces éléments, la règle prévoit maintenant que le juge chargé des requêtes aura accès à des témoignages rendus sous serment au moyen des affidavits et à d"autres documents exigés par la règle dans lesquels les parties présentent leur cause sous son meilleur jour. On s"attend donc que le juge chargé des requêtes soit en mesure d"évaluer la nature et la qualité de la preuve à l"appui d"une " question litigieuse "; le critère à appliquer ne consiste pas à savoir si la partie demanderesse n"a aucune chance d"avoir gain de cause à la suite de l"instruction; il s"agit plutôt de savoir si la Cour parvient à la conclusion que l"affaire est douteuse au point de ne pas mériter d"être examinée par le juge de faits lors d"une instruction ultérieure; le cas échéant, il faut épargner aux parties " les souffrances et les dépenses liées à une instruction longue et coûteuse après une attente indéterminée " [...]
                                     [renvoi omis]

[5]      Devant les tribunaux de l"Ontario du moins, le principe selon lequel il faut présenter sa cause sous son meilleur jour tel qu"il s"applique au défendeur dans une requête en jugement sommaire, semblerait avoir été assorti d"une condition dans l"arrêt Aguonie c. Galion Solid Waste Materials Inc.5, où Monsieur le juge Borins, qui siégeait à titre de juge ad hoc de la Cour d"appel, a dit ce qui suit au nom de la Cour, à la page 173 :

[TRADUCTION]
En statuant sur une requête en jugement sommaire, la cour n"évalue jamais la crédibilité, elle n"apprécie jamais la preuve et elle ne tire jamais de conclusion de fait. Le rôle de la Cour, qui est strictement délimité, consiste plutôt à apprécier la question préliminaire de savoir s"il existe, en ce qui concerne les faits substantiels, une véritable question litigieuse exigeant la tenue d"une instruction. L"évaluation de la crédibilité, l"appréciation de la preuve et la formulation d"inférences factuelles sont toutes des fonctions réservées à l"appréciation du juge des faits.

[6]      Dans des jugements récents, cette cour semblerait avoir adopté cette approche plus restrictive à l"égard des demandes de jugement sommaire, d"une façon qui limite la responsabilité qui incombe au défendeur dans pareille requête de présenter sa cause sous son meilleur jour, lorsqu"il existe des questions de crédibilité, d"appréciation de la preuve et de formulation d"inférences factuelles.

[7]      Enfin, cette cour a refusé de rendre un jugement sommaire en se fondant sur le fait qu"un délai de prescription est expiré dans les cas où la protection fournie par ce délai pourrait être perdue si la mauvaise foi telle que celle qui est ici alléguée était établie par la preuve6.

POSITION DES PARTIES

[8]      L"avocat de la défenderesse a soutenu qu"en répondant à la requête en jugement sommaire, le demandeur n"a pas " présenté sa cause sous son meilleur jour, " de sorte que les documents dont la Cour disposait ne révélaient l"existence d"aucune question sérieuse à instruire. L"avocat a en outre allégué que la preuve dont disposait la Cour dans cette requête ne montrait pas que le demandeur avait subi un préjudice en raison de quelque mesure prise par la Gendarmerie à la suite de sa démission et à l"égard des demandes d"emploi que le demandeur avait faites auprès d"autres services de police ainsi que du Service canadien du renseignement de sécurité; que le demandeur avait omis de plaider d"une façon régulière la réclamation relative à la diffamation7; que la réclamation relative à la diffamation était prescrite en vertu de l"alinéa 45(1)i ) de la Loi sur la prescription des actions8 de l"Ontario; que les éléments du critère qui s"applique au délit d"abus d"une charge publique ou à une action fautive du titulaire d"une charge publique, tel qu"il est énoncé dans la décision Alford c. Canada (Procureur général)9, n"ont tout simplement pas été établis d"après la preuve dont disposait la Cour; qu"il en va de même pour la réclamation fondée sur la présumée ingérence illicite auprès de relations d"affaires10; que la réclamation fondée sur l"abus de confiance n"a clairement pas été établie en ce sens que les documents dont disposait la Cour ne démontraient pas que les communications que la Gendarmerie aurait censément faites n"étaient pas dans l"intérêt public11; que le délit d"atteinte à la vie privée n"est tout simplement pas reconnu au Canada12; et enfin que le demandeur a tout simplement omis de présenter devant la Cour quelque élément de preuve au sujet de la limitation du préjudice qu"il aurait subi en raison des mesures prises par la Gendarmerie.

[9]      L"avocat du demandeur a soutenu que la demande de jugement sommaire n"a pas été présentée en temps opportun, même si elle l"a été dans le délai prévu par la règle 213(2) des Règles de la Cour fédérale (1998) .

[10]      En outre, l"avocat du demandeur a affirmé que la preuve présentée devant la Cour pour le compte de son client, indépendamment de la question de savoir si elle présente la cause de ce dernier sous son meilleur jour, démontrait clairement qu"il existait des questions de crédibilité, d"appréciation de la preuve et de formulation d"inférences factuelles, lesquelles sont toutes, selon l"arrêt Aguonie c. Galion Solid Waste Material Inc.13, des questions qui devraient être laissées à l"appréciation d"un juge des faits dans le cadre d"une instruction complète de l"action.

ANALYSE

[11]      Les documents mis à la disposition de la Cour dans cette demande de jugement sommaire révèlent clairement des convictions fermes qui sont presque diamétralement opposées au sujet de la légitimité de certaines mesures prises par des agents de la Gendarmerie à la suite de la démission du demandeur, lesquelles peuvent avoir sérieusement influé sur la possibilité pour le demandeur d"obtenir un autre emploi dans le domaine du maintien de l"ordre ou du renseignement de sécurité. Une enquête interne menée par la Gendarmerie et une deuxième enquête menée par la Commission des plaintes du public contre la Gendarmerie royale du Canada n"ont pas permis de régler les questions qui se posaient à la satisfaction du demandeur. Ce n"est qu"après la tenue de ces enquêtes que la présente action a été intentée.

[12]      La communication de documents au demandeur effectuée par la Gendarmerie comportait une procédure longue et ardue; le fait que le dossier du personnel du demandeur, au détachement de Sicamous de la Gendarmerie, a mystérieusement disparu a nui à la communication.

[13]      Je suis convaincu qu"il existe des questions de crédibilité, des questions d"appréciation de la preuve et des questions concernant la formulation d"inférences factuelles raisonnables qui ne peuvent pas être réglées d"une façon satisfaisante dans le cadre d"une demande telle que celle-ci. Bref, je suis convaincu, compte tenu de la preuve dont dispose la Cour, même si par cette preuve le demandeur ne présente pas sa cause sous son meilleur jour, qu"il est démontré qu"il existe des questions litigieuses en l"espèce, notamment la question de la prescription de la réclamation relative à la diffamation et, à cet égard, je me fonde sur l"arrêt Olympia Interiors Ltd. c. Canada14 de cette cour.

[14]      Par conséquent, la demande de jugement sommaire est rejetée.

[15]      Il reste à examiner la réparation subsidiaire demandée, à savoir la radiation de tout ou partie de la déclaration modifiée et, plus précisément, la réclamation relative à la diffamation.

[16]      Dans la décision Control Data Canada, Ltd. c. Senstar Corp.15, Monsieur le juge McNair a dit ce qui suit à la page 426 :

En fait, la période de près de quatre ans qu"elle a laissé s"écouler avant de présenter sa requête en radiation révèle une attitude tout à fait cavalière, sinon oppressive, de sa part. De toute façon, un acte de procédure ne sera radié sur une simple requête fondée sur l"alinéa 419(1)a ) des Règles que lorsqu"il est évident et incontestable que la cause soulevée par l"acte de procédure ne peut réussir. De plus, un acte de procédure ne devrait pas être radié lorsque l"autre partie a plaidé en réponse ou qu"une longue période de temps s"est écoulée entre la production de l"acte de procédure et la présentation de la requête en radiation [...]
                                     [renvois omis]

[17]      En l"espèce, la déclaration a été déposée le 26 mai 1995. La défenderesse a " plaidé en réponse ". Elle a consenti à une ordonnance, rendue le 19 avril 1999, prévoyant le dépôt d"une déclaration modifiée. La question de la nature inadéquate de l"acte de procédure, en ce qui concerne la réclamation relative à la diffamation, a alors été soulevée. La déclaration modifiée a été déposée le 26 mai 1999. Encore une fois, la défenderesse a plaidé en réponse au moyen d"une défense modifiée déposée le 22 septembre 1999. La requête dont la Cour est maintenant saisie, visant à la radiation de certaines parties de la déclaration modifiée, a uniquement été présentée le 7 décembre 1999, soit plus de quatre ans après le dépôt de la déclaration initiale, qui contenait une réclamation identique à celle dont la Cour est maintenant saisie à l"égard de la diffamation.

[18]      Je suis convaincu que les remarques que Monsieur le juge McNair a faites s"appliquent pleinement à la réparation demandée, à savoir la radiation de tout ou partie de la déclaration modifiée du demandeur. La partie de la requête en radiation dont la Cour est maintenant saisie " [...] révèle une attitude tout à fait cavalière, sinon oppressive [...] ". Cette partie de la requête sera également rejetée.

LES DÉPENS

[19]      Étant donné que le demandeur a eu gain de cause dans la présente demande, son avocat soutient que les dépens de la requête, dont le montant fixé par la Cour à l"égard des honoraires et des débours est fort élevé, devraient suivre l"issue de l"affaire, et ce, quel que soit le résultat de la présente instruction. Je crains que les documents dont dispose la Cour révèlent une attitude plutôt cavalière de la part du demandeur, lorsqu"il s"agit d"amener cette requête à l"audition et de produire devant la Cour des documents qui démontreraient une tentative sérieuse de présenter la cause sous son meilleur jour. Cela étant, les dépens de la présente requête suivront l"issue de la cause.

CONCLUSION

[20]      En résumé, la demande qui a été présentée pour le compte de la défenderesse est rejetée en entier. Les dépens de la requête suivront l"issue de la cause.





                             Frederick E. Gibson                                      J.C.F.C.


Ottawa (Ontario)

Le 29 mai 2000


Traduction certifiée conforme

Martine Brunet, LL.B.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


No DU DOSSIER :                  T-1092-95
INTITULÉ DE LA CAUSE :          Kirk Michael MacNeil c. Sa Majesté la Reine

LIEU DE L"AUDIENCE :              Toronto (Ontario)


DATE DE L"AUDIENCE :              le 17 mai 2000

MOTIFS DE L"ORDONNANCE DU JUGE GIBSON EN DATE DU 29 MAI 2000.


ONT COMPARU :

Joel Rochon                      pour le demandeur
Bryan McPhadden                  pour la défenderesse

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Rochon Genova                  pour le demandeur

Toronto (Ontario)

McPhadden, Samac, Merner, Darling      pour la défenderesse

Toronto (Ontario)


__________________

1      DORS/98-106.

2      [1996] 2 C.F. 853 (1re inst.).

3      [1995] 3 C.F. 68 à la p. 80 (C.A.).

4      (1990), 75 O.R. (2d) 225 aux p. 237-238 (Div. gén.).

5      (1998), 38 O.R. (3d) 161 (C.A. Ont.).

6      Voir : Olympia Interiors Ltd. c. Canada (1993), 66 F.T.R. 81 confirmé (1994), 170 N.R. 281 (C.A.F.).

7      Voir : Promatek Industries Ltd. c. Creative Micro Designs Inc. , (1989), 33 C.P.C. (2d) 272 aux p. 274 et 276 (C.S.O.).

8      L.R.O. 1990, ch. L-15.

9      (1997), 31 B.C.L.R. (3d) 228 à la p. 244 (C.S.C.-B.).

10      Voir : Whistler Cable Television Ltd. c. Ipec Canada Inc. [1992] B.C.J. no 2681 (Q.L.), (C.S.C.-B.).

11      Voir : Lion Laboratories Ltd. c. Evans et al. [1985] 1 Q.B. 526.

12      Voir : Bingo Enterprises Ltd. et al. c. Plaxton et al. (1986) 26 D.L.R. (4th) 604 à la p. 608 (C.A.M.).

13      Supra, note 5.

14      Supra, note 6.

15      (1988), 23 C.P.R. (3d) 421 (C.F. 1re inst.).

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