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Date : 20041124

Dossier : T-940-04

Référence : 2004 CF 1650

Ottawa (Ontario), le mercredi 24 novembre 2004

EN PRÉSENCE DE Me MIREILLE TABIB, PROTONOTAIRE

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

et

                                                          GEORGINA SASVARI

                                                                                                                                  défenderesse

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LA PROTONOTAIRE TABIB


[1]          Je suis saisie, dans le cadre de deux affaires distinctes (dossiers T-932-04 et T-940-04), de requêtes présentées par la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) pour obtenir l'autorisation d'intervenir dans des demandes de contrôle judiciaire de ses décisions. Bien que ces deux demandes ne soient pas réunies ou jointes, aient des demandeurs différents et portent sur des décisions distinctes de la Commission, les questions sur lesquelles cette dernière souhaite intervenir sont les mêmes, et j'ai conclu, après examen des pièces produites dans les deux requêtes, que toutes deux doivent être rejetées pour les mêmes raisons. Le présent exposé des motifs s'applique donc à ces deux requêtes à la fois.

[2]          Les demandes de contrôle judiciaire considérées ont pour objet les décisions rendues par la Commission sur des plaintes déposées par la même personne, soit la défenderesse, Georgina Sasvari, contre Transports Canada - dans le dossier T-940-04 - et contre l'Office des transports du Canada (l'OTC) - dans le dossier T-932-04.

[3]          L'OTC et Transports Canada avaient déposé devant la Commission des contestations préliminaires comme quoi ils ne pouvaient à bon droit être mis en cause par Mme Sasvari et que les plaintes de cette dernière constituaient un abus de procédure ou étaient irrecevables en vertu des principes de la chose jugée ou de la préclusion pour question déjà tranchée, au motif que la Commission avait déjà instruit une plainte contre Air Transat au sujet du même incident. La Commission, dans des décisions au libellé identique, a statué que les deux plaintes relevaient de sa compétence et que l'OTC aussi bien que Transports Canada y était mis en cause à bon droit. Ce sont ces décisions qui font l'objet des demandes de contrôle judiciaire portées devant la Cour.

[4]          Les deux avis de demande formulent différemment les motifs de contrôle, mais la Commission présente de la même manière dans ses deux requêtes les questions soulevées par les demandes et sur lesquelles elle souhaite intervenir, soit dans les termes suivants :

      [traduction]

i)      la compétence de la Commission pour connaître de la plainte en droits de la personne déposée contre [le demandeur] en tant que défendeur approprié;


ii)     la compétence de la Commission pour conclure à l'absence de fondement des exceptions de préclusion ou d'abus de procédure soulevées par le demandeur;

iii)    la compétence de la Commission pour examiner la plainte sous le régime de l'article 41 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H-6 (la Loi).   

La demande de contrôle judiciaire considérée, formée par la personne visée par la plainte contre la décision rendue par la Commission sous le régime du paragraphe 41(1) de la Loi, soulève en outre la question du caractère prématuré de cette demande.

[5]          La Commission a produit à l'appui de ses requêtes les affidavits de Maria Stokes, qui ne font que présenter en preuve documentaire les dossiers des procédures d'examen des plaintes par la Commission, sans autres observations ou explications. Il convient de noter ici que les pièces annexées aux affidavits de Mme Stoke font déjà partie du dossier de la Cour, y ayant été versées par les parties elles-mêmes. Dans chacune de ses deux requêtes, la Commission formule ensuite, sans les étayer plus solidement, les arguments suivants :

[traduction]

      La demande considérée soulève des questions de compétence [soit celles exposées plus haut].

La Cour a déjà reconnu que la Commission peut intervenir pour présenter des observations sur des questions de droit, entre autres dans le but de défendre sa compétence.

Ce n'est pas dans le but de défendre sa décision que la Commission demande l'autorisation d'intervenir.


La Commission apportera aux débats un point de vue qui lui est propre, différent de ceux des parties.

À la page 1016 de l'arrêt C.A.I.M.A.W. c. Paccar of Canada Ltd, [1989] 2 R.C.S. 983, la Cour suprême du Canada reconnaît que le tribunal administratif est le mieux placé pour attirer l'attention de la cour sur les considérations, enracinées dans ses connaissances spéciales, « qui peuvent rendre raisonnable ce qui autrement paraîtrait déraisonnable » .

[6]          La Commission ne formule pas le ou les points de droit que soulève chaque question de « compétence » , ne dit pas si et en quoi ces points de droit se rapportent vraiment à sa compétence plutôt qu'au bien-fondé de sa décision, ni ne précise le fond des arguments qu'elle prévoit d'invoquer et en quoi ils diffèrent de ceux que les parties ont avancés ou qu'on peut prévoir qu'elles avanceront, de telle sorte que son intervention ferait bénéficier la Cour d'un point de vue particulier ou de connaissances spéciales que les parties ne pourraient ou ne voudraient pas lui apporter.


[7]          À vrai dire, la Commission semble présumer - à tort - que si la demande de contrôle judiciaire d'une de ses décisions peut être interprétée comme soulevant une question de compétence, elle est automatiquement fondée à intervenir et que, en tant que tribunal dont la compétence est contestée, elle apportera nécessairement un point de vue particulier sur les questions en litige et sera nécessairement mieux placée pour expliquer son dossier (en supposant, comme la Commission paraît le faire, que celui-ci ait besoin d'être expliqué). Le fait que la Commission érige l'existence de « questions de compétence » en pierre angulaire de sa requête en autorisation d'intervenir témoigne de la conception erronée que le critère de l'intervention d'un tribunal dans les demandes de contrôle judiciaire de ses décisions serait en quelque sorte distinct du critère applicable à d'autres personnes désireuses d'intervenir. Or, à moins que le droit d'intervenir dans une instance ne soit conféré et défini par une loi, l'intervention de qui que ce soit, y compris d'un tribunal, est subordonnée à l'octroi d'une autorisation sous le régime de l'article 109 des Règles de la Cour fédérale (1998) (les Règles) : Canada (Procureur général) c. Georgian College of Applied Arts and Technology, [2003] A.C.F. no 394 (C.A.); et Il c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C.F. no 1264 (C.A.).

[8]          L'article 109 des Règles dispose expressément que l'avis d'une requête en autorisation d'intervenir doit expliquer « en quoi [la] participation [du requérant] aidera à la prise d'une décision sur toute question de fait et de droit se rapportant à l'instance » .

[9]          L'interprétation judiciaire de l'article 109 a conduit à l'établissement d'une liste de facteurs qui peuvent être pris en considération aux fins de décider si l'autorisation d'intervenir devrait être accordée. Ces facteurs, présentés sous forme interrogative, sont les suivants :

·      La personne qui se propose d'intervenir est-elle directement touchée par l'issue du litige?

·      Y a-t-il une question qui est de la compétence des tribunaux ainsi qu'un véritable intérêt public?

·      S'agit-il d'un cas où il semble n'y avoir aucun autre moyen raisonnable ou efficace de soumettre la question à la Cour?

·      La position de la personne qui se propose d'intervenir est-elle défendue adéquatement par l'une des parties au litige?

·      L'intérêt de la justice sera-t-il mieux servi si l'intervention demandée est autorisée?

·      La Cour peut-elle entendre l'affaire et statuer sur le fond sans autoriser l'intervention?


(Voir Syndicat canadien de la fonction publique (Division du transport aérien) c. Lignes aériennes Canadien International Ltée, [2000] A.C.F. no 220 (C.A.).

[10]      Étant donné la situation particulière des tribunaux dont les ordonnances font l'objet de demandes de contrôle judiciaire et l'impératif d'ordre public de préserver l'image d'impartialité des tribunaux et d'éviter le spectacle choquant d'un tribunal impartial défendant le bien-fondé de ses décisions - voir C.A.I.M.A.W. c. Paccar, précité; et Canada (Procureur général) c. Canada (Tribunal des droits de la personne), [1994] A.C.F. no 300 -, on a appliqué à l'examen des requêtes en autorisation d'intervenir présentées par les tribunaux un supplément de rigueur propre à faire en sorte que leurs interventions se limitent aux questions de compétences entendues « dans un sens restreint » et à l'explication de leurs dossiers. Cette évolution de la jurisprudence n'a pas créé un « droit » spécial d'intervention pour les tribunaux; elle n'a fait qu'allonger et préciser la liste des facteurs à prendre en considération sous le régime de l'article 109 des Règles dans le cas des tribunaux. Par conséquent, la question centrale à trancher par la Cour relativement à une requête en autorisation d'intervenir présentée par un tribunal reste le point de savoir s'il a été démontré « en quoi [l'intervention] aidera à la prise d'une décision sur toute question de fait et de droit se rapportant à l'instance » [non souligné dans l'original].

[11]      Cette considération primordiale a pour conséquence que, dans chaque cas, la personne qui désire intervenir doit établir que son intervention aidera à la prise de décision sur une question donnée. Or, elle ne peut y arriver sans démontrer que son intervention ajoutera aux débats un élément absent de ce qu'y apporteront les parties : Syndicat canadien de la fonction publique (Division du transport aérien) c. Lignes aériennes Canadien International Ltée, précité. Si l'on poursuit le raisonnement, on voit mal comment la Commission pourrait faire une telle démonstration sans donner une idée des faits et des arguments qu'elle a l'intention d'invoquer et expliquer en quoi ils diffèrent des moyens des parties.


[12]      En l'occurrence, la Commission n'a pas présenté d'éléments de preuve ou d'observations qui expliqueraient en quoi son intervention aiderait la Cour, et le dossier dont celle-ci dispose ne contient rien non plus qui étayerait les requêtes de la Commission. En conséquence, ces requêtes doivent être rejetées.

[13]      Ajoutons que la Commission ne convainc pas non plus lorsqu'elle soutient, comme elle l'a fait dans sa réplique versée au dossier T-940-04, que la qualité d'intervenant devrait automatiquement lui être accordée en l'espèce au motif que la Cour lui a [traduction] « systématiquement » octroyé l'autorisation d'intervenir dans d'autres demandes de contrôle judiciaire àpropos de la même question de compétence.

[14]      Les requêtes en autorisation d'intervenir sont examinées au cas par cas, et le requérant doit chaque fois convaincre la Cour que son intervention dans l'instance en question aidera cette dernière à rendre sa décision. Les décisions et les ordonnances citées par la Commission ne font pas état des pièces dont disposait la Cour dans chaque requête en autorisation d'intervenir pour trancher celle-ci, et la Cour n'a rien sur quoi se fonder pour conclure que les circonstances qui justifiaient l'intervention de la Commission dans ces autres affaires sont également présentes dans celles dont elle est maintenant saisie.


[15]      Je conclus que les requêtes de la Commission, étant donné qu'elles n'abordent même pas la question de savoir en quoi l'intervention proposée apporterait d'autres arguments et d'autres faits que ceux présentés à la Cour par les parties, sont mal conçues et ne pouvaient manquer d'être rejetées. Ces requêtes, pour tout dire, n'auraient pas dû être présentées. En conséquence, la Commission devra payer sans délai au demandeur, quelle que soit l'issue de la cause, les dépens afférents à la requête contestée, qui relève du dossier T-940-04. Il n'est pas adjugé de dépens pour la requête relative au dossier T-932-04, celle-ci n'ayant pas été contestée par le demandeur.

                       « Mireille Tabib »                

Protonotaire           

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.

                                                                                                                                                           


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                             AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                           T-940-04

INTITULÉ :                                            LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

c.

GEORGINA SASVARI

                                                                             

REQUÊTE EXAMINÉE SUR DOSSIER, SANS COMPARUTION DES PARTIES

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :      LA PROTONOTAIRE MIREILLE TABIB

DATE DES MOTIFS :                          LE 24 NOVEMBRE 2004

OBSERVATIONS ÉCRITES PRÉSENTÉES PAR :

Michael Roach

Ministère de la Justice

POUR      L'APPELANT/DEMANDEUR

Lisa Cirillo

Downtown Legal Services

POUR LA DÉFENDERESSE

Philippe Dufresne                                     

Ceilidh Snider

Commission canadienne des droits de la personne

POUR LA PERSONNE DÉSIRANT INTERVENIR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR L'APPELANT/DEMANDEUR

Downtown Legal Services

Toronto (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE

Commission canadienne des droits de la personne

Ottawa (Ontario)

POUR LA PERSONNE DÉSIRANT INTERVENIR


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