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Date : 20190426


Dossier : IMM-4104-18

Référence : 2019 CF 531

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 26 avril 2019

En présence de monsieur le juge Fothergill

ENTRE :

ABDI ALI HASSAN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’MMIGRATION

 

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Abdi Ali Hassan demande le contrôle judiciaire d’une décision d’un agent d’immigration [l’agent] du haut-commissariat du Canada à Pretoria, en Afrique du Sud. L’agent a rejeté la demande de visa de résident permanent de M. Hassan à titre de membre de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières ou de la catégorie des personnes protégées à titre humanitaire outre-frontières (pays d’accueil).

[2]  Pour les motifs qui suivent, la conclusion de l’agent selon laquelle M. Hassan a une solution durable en Afrique du Sud était raisonnable et suffit pour justifier la décision de rejeter la demande de visa de M. Hassan. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

I.  Contexte

[3]  M. Hassan est citoyen de la Somalie. Il prétend craindre d’être persécuté par Al-Chabaab, une organisation terroriste. Il affirme qu’Al-Chabaab a tenté de le recruter à la fin de 2007 et au début de 2008, sans qu’il cède. Al-Chabaab est ensuite venu chez lui et a laissé un message de menace à ses sœurs. M. Hassan a quitté Mogadiscio peu de temps après.

[4]  M. Hassan est arrivé en Afrique du Sud en mai 2008 et a demandé l’asile. Sa demande a été acceptée et M. Hassan a maintenant le statut de réfugié en Afrique du Sud, ce qui lui a permis de travailler, de trouver un logement et de poursuivre ses études. Toutefois, il affirme avoir été victime de sept ou huit agressions xénophobes au cours des dix dernières années.

[5]  L’un des frères de M. Hassan, Mohamed Ali Hassan, est citoyen canadien et a présenté une demande de parrainage en son nom. L’agent a reçu M. Hassan en entrevue en Afrique du Sud le 9 juillet 2018. L’agent a informé M. Hassan que sa demande était rejetée par la voie d’une lettre datée du 17 juillet 2018.

II.  Décision faisant l’objet du contrôle

[6]  L’agent a noté que M. Hassan avait confirmé au début de l’entrevue qu’il comprenait l’interprète.

[7]  L’agent a conclu que M. Hassan n’avait pas répondu véridiquement aux questions et avait ainsi contrevenu au paragraphe 16(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27. Plus précisément, l’agent n’a pas retenu l’explication de M. Hassan quant aux raisons pour lesquelles il avait quitté la Somalie et à la question de savoir si les membres de sa famille avaient un quelconque lien avec le gouvernement somalien.

[8]  Les notes de l’entrevue inscrites dans le Système mondial de gestion des cas fournissent d’autres détails quant aux préoccupations de l’agent. M. Hassan a dit avoir quitté la Somalie parce qu’Al-Chabaab essayait de le recruter à Mogadiscio. Toutefois, rien n’indique que le groupe Al-Chabaab était actif à Mogadiscio à l’époque pertinente (2007 et 2008). Invité à apporter des précisions, M. Hassan a expliqué qu’Al-Chabaab ne se battait pas pendant cette période, mais cherchait seulement à recruter.

[9]  M. Hassan a indiqué dans son formulaire de demande qu’aucun des membres de sa famille n’avait travaillé pour le gouvernement somalien. Son frère Mohamed a toutefois déclaré au cours d’une entrevue que leur père avait travaillé pour le gouvernement somalien sous le régime de Siad Barre, qui a pris fin en 1991, et qu’un autre frère avait servi dans l’armée somalienne. Invité à faire des commentaires, M. Hassan a dit qu’il avait mal compris la question.

[10]  L’agent a conclu que l’Afrique du Sud représente une solution durable pour M. Hassan en vertu de l’alinéa 139(1)d) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227. M. Hassan a qualité de réfugié, il a un emploi et une voie d’accès à la résidence permanente s’offre à lui en Afrique du Sud. L’agent a donc conclu que M. Hassan n’était pas admissible à un visa de résident permanent.

III.  Question en litige

[11]  La seule question soulevée par cette demande de contrôle judiciaire est celle de savoir si le rejet de la demande de visa de M. Hassan par l’agent était raisonnable.

IV.  Analyse

[12]  Le rejet de la demande de visa de résident permanent de M. Hassan par l’agent, y compris sa conclusion selon laquelle l’Afrique du Sud représente une solution durable, peut être examiné par la Cour selon la norme de la décision raisonnable (Mushimiyimana c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1124, au paragraphe 21 [la décision Mushimiyimana]). La norme de la décision raisonnable est une norme de déférence et porte principalement sur l’existence d’une justification, de la transparence et de l’intelligibilité dans le processus décisionnel. La Cour n’interviendra que si la décision ne fait pas partie des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).

[13]  M. Hassan conteste les conclusions défavorables de l’agent quant à la crédibilité, ainsi que la conclusion selon laquelle l’Afrique du Sud lui offre une solution durable. Il affirme que les motifs invoqués par l’agent pour rejeter sa demande de visa étaient cumulatifs et que, si l’un d’entre eux est jugé déraisonnable, la décision ne peut être maintenue.

[14]  M. Hassan soutient que l’agent a mal compris les raisons pour lesquelles il a quitté Mogadiscio. Il n’a pas dit qu’Al-Chabaab se battait là-bas en 2007 et en 2008, mais seulement que des combats avaient eu lieu. Il s’agissait de combats intertribaux qui n’avaient rien à voir avec Al-Chabaab. Al-Chabaab avait néanmoins commencé ses efforts de recrutement à ce moment‑là.

[15]  L’explication de M. Hassan est étayée par l’extrait suivant des notes de l’agent relatives à l’entrevue :

[TRADUCTION]

[Q] J’ai des doutes quant à votre crédibilité. Al-Chabaab n’était pas actif à Mogadiscio à ce moment-là?

[R] Ces années-là ont été les pires pour le recrutement. Ils n’avaient pas encore commencé à se battre.

[Q] Vous venez juste de me dire qu’ils menaient des combats tous les jours. Maintenant vous me dites qu’ils ne faisaient que recruter?

[R] À Mogadiscio, les combats n’impliquaient pas toujours Al‑Chabaab, mais les tribus. À ce moment-là, les forces éthiopiennes étaient présentes.

[16]  J’accepte l’affirmation de M. Hassan selon laquelle les réponses qu’il a données aux questions sur les circonstances de son départ de la Somalie étaient cohérentes et ont sans doute été mal interprétées par l’agent. Je suis moins convaincu par son explication quant à son omission de mentionner l’emploi de son père au sein du gouvernement somalien et l’implication de son frère dans l’armée. M. Hassan affirme qu’il n’était pas clair si la question initiale concernait le gouvernement actuel ou le régime Barre précédent. Les notes de l’agent sont rédigées ainsi :

[TRADUCTION]

[Q] Quelle était l’occupation de votre frère en Somalie?

[R] Il travaillait pour le gouvernement.

[Q] Quel genre de travail exactement?

[R] Je ne sais pas exactement.

[Q] Pourquoi n’avez-vous pas dit la vérité lorsque je vous ai posé la question la première fois?

[R] Je n’ai pas pu préciser.

[Q] Pourtant ma question vous concernait vous ou les membres de votre famille.

[R] Lorsque vous parlez de gouvernement, ce n’est pas juste de parler de n’importe quel gouvernement en Somalie, alors je pense toujours au régime de Siad Barre.

[Q] Mais vous m’avez dit le contraire lorsque je vous ai demandé pourquoi vous m’aviez caché le fait que votre père avait travaillé au gouvernement?

[R] Le gouvernement est un mélange maintenant.

[17]  L’agent était mieux placé que la Cour pour évaluer la crédibilité de cet échange déroutant. En fin de compte, toutefois, cela ne change rien aux conclusions défavorables de l’agent quant à la crédibilité du demandeur. L’agent semble avoir accepté l’affirmation de M. Hassan selon laquelle il a été victime de sept ou huit attaques violentes en Afrique du Sud au cours d’une période de dix ans, mais cela n’était pas suffisant pour miner la conclusion selon laquelle l’Afrique du Sud offre une solution durable à M. Hassan.

[18]  Il incombait à M. Hassan de démontrer que son acceptation comme réfugié en Afrique du Sud ne lui a pas apporté une solution durable (Karimzada c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 152, au paragraphe 25). M. Hassan affirme qu’il ne possède aucune compétence spécialisée et qu’il ne peut obtenir d’emploi que dans des domaines à risque élevé comme conduire des camions de livraison ou travailler comme commis de magasin, ce qui le rend vulnérable au vol. Il se plaint que l’agent n’a pas correctement évalué sa situation personnelle (citant Abdi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1050, aux paragraphes 27 et 28 [la décision Abdi]).

[19]  Une solution durable peut exister dans un pays malgré l’existence d’un risque généralisé (la décision Abdi, au paragraphe 28). L’agent a conclu que le risque de violence auquel M. Hassan a fait face en Afrique du Sud était un risque auquel faisait face l’ensemble de la population et n’était pas suffisamment personnel. L’agent pouvait raisonnablement tirer cette conclusion.

[20]  L’Afrique du Sud est signataire de la Convention relative au statut des réfugiés des Nations Unies, 189 RTNU 150 [la Convention]. Ayant été accepté comme réfugié dans ce pays, M. Hassan a un emploi, un logement et une voie d’accès à la résidence permanente. Cette affaire est semblable à l’affaire Abdi, dans laquelle la juge Susan Elliott a confirmé la conclusion d’un agent d’immigration selon laquelle l’Afrique du Sud était une solution durable pour deux frères de la Somalie, même si l’un d’entre eux avait été victime d’un crime violent.

[21]  Les parties ont eu l’occasion d’informer la Cour de toute affaire dans laquelle un tribunal canadien a néanmoins conclu qu’un demandeur d’asile qui avait obtenu le statut de réfugié en Afrique du Sud n’avait pas de solution durable dans ce pays. L’avocat de M. Hassan a attiré l’attention de la Cour sur la décision Mushimiyimana, dans laquelle une conclusion de solution durable en Afrique du Sud a été infirmée pour des motifs procéduraux. Il a également fait une analogie avec la décision Saifee c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 589 [la décision Saifee], dans laquelle les demandeurs auraient fui au Tadjikistan, un signataire de la Convention, pour des raisons de sécurité mais où le rejet de leurs demandes de visa a néanmoins été jugé déraisonnable.

[22]  Aucune de ces décisions n’est instructive en l’espèce. La décision Mushimiyimana a été tranchée selon des motifs procéduraux. Dans la décision Saifee, la situation des demandeurs au Tadjikistan n’était pas tout à fait claire (paragraphes 21 et 44). La demande de contrôle judiciaire a été accueillie parce que l’agent d’immigration n’avait pas examiné si les demandeurs, qui étaient citoyens de l’Afghanistan, pourraient être admissibles à la catégorie de personnes de pays d’accueil (paragraphes 42 et 43).

[23]  En revanche, l’avocat du défendeur a mentionné cinq décisions publiées dans lesquelles la Cour a confirmé la conclusion d’un agent des visas selon laquelle un demandeur d’asile dont la demande avait été acceptée en Afrique du Sud avait une solution durable dans ce pays, malgré les allégations de violence xénophobe : Uwamahoro c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 271; Ntakirutimana c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 272; la décision Abdi; Barud c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1152; Dusabimana c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1238.

[24]  Je suis convaincu que la conclusion de l’agent selon laquelle M. Hassan a une solution durable en Afrique du Sud était raisonnable et suffisante pour appuyer la décision de rejeter sa demande de visa. L’argument de M. Hassan selon lequel les motifs invoqués par l’agent pour rejeter sa demande de visa étaient cumulatifs et doivent tous être jugés raisonnables pour que la décision soit maintenue relève davantage de la sémantique que de la logique ou du droit. De plus, les conclusions défavorables de l’agent quant à la crédibilité de M. Hassan fondées sur ses réponses aux questions concernant les liens de sa famille avec le gouvernement somalien étaient raisonnablement étayées par la preuve.

V.  Conclusion

[25]  La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Ni l’une ni l’autre des parties n’a proposé de question à certifier en vue d’un appel.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

« Simon Fothergill »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 22e jour de mai 2019.

Isabelle Mathieu, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4104-18

INTITULÉ :

ABDI ALI HASSAN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Winnipeg (Manitoba)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 15 AVRIL 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

le juge FOTHERGILL

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

le 26 avril 2019

COMPARUTIONS :

David Matas

pour le demandeur

Brendan Friesen

POUR LE DÉFEndeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

David Matas

Avocats

Winnipeg (Manitoba)

POUR LE DEMANDEUR

Sous-procureur général du Canada

Winnipeg (Manitoba)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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