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Date : 20190425


Dossier : IMM‑5132‑17

Référence : 2019 CF 526

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 25 avril 2019

En présence de monsieur le juge Norris

ENTRE :

YE JUNG KIM

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 [la LIPR].

[2]  Le demandeur est un citoyen de la Corée du Sud. Il a été titulaire d’une série de permis d’études au Canada du 1er février 2006 au 31 août 2017. À la date d’expiration de son dernier permis d’études, le demandeur a présenté une demande de permis de travail postdiplôme [le PTPD]. Cette demande a été rejetée le 30 octobre 2017 parce que le demandeur n’avait fourni aucune preuve démontrant qu’il avait terminé son programme d’études, une exigence pour être admissible à un PTPD. Le demandeur ne conteste pas que tel ait été le cas. En fait, il n’avait pas obtenu son diplôme (une maîtrise ès arts en économie à l’Université de la Colombie‑Britannique) lorsqu’il a présenté sa demande de PTPD. Il soutient toutefois que la décision a été rendue sans respecter l’équité procédurale et qu’elle est déraisonnable.

[3]  Pour les motifs qui suivent, je ne partage pas ce point de vue.

[4]  La façon dont je dois examiner ces questions ne fait aucun doute. En ce qui concerne l’équité procédurale, je dois déterminer si le processus suivi par l’agent respectait le degré d’équité exigé eu égard à l’ensemble des circonstances (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43; Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, au paragraphe 54). Si tel est le cas, il n’y a pas lieu d’intervenir pour ce motif. En ce qui concerne la décision proprement dite, elle est assujettie à la norme de la décision raisonnable. Je dois faire preuve de déférence envers l’agent en raison de son expertise présumée pour ce qui est des critères à appliquer et de la nature hautement factuelle de ce type de décision discrétionnaire (Ngalamulume c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1268, au paragraphe 16). Je dois examiner la décision en me demandant si elle possède les attributs du caractère raisonnable, qui tient principalement « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel », et déterminer si elle appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47). Bien qu’un agent des visas ne soit pas tenu de fournir des motifs détaillés, les motifs fournis doivent être suffisants pour expliquer la décision (Quintero Pacheco c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 347, au paragraphe 36; Ogbuchi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 764, aux paragraphes 12 et 13; Omijie c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 878, aux paragraphes 22 à 28). Je dois intervenir pour ce motif uniquement si les motifs invoqués, examinés dans le contexte du dossier, ne répondent pas à ce critère.

[5]  Je commencerai par analyser deux points de procédure.

[6]  Premièrement, dans sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire, le demandeur a déclaré que la décision en cause est la décision du 30 octobre 2017 par laquelle sa demande de PTPD a été rejetée. Il semble que le demandeur ait demandé que cette décision soit réexaminée, mais je ne dispose pas de la décision rendue relativement à cette demande.

[7]  Deuxièmement, le dossier de demande du demandeur contient des éléments de preuve qui sont postérieurs à la décision initiale, dont une lettre de l’Université de la Colombie‑Britannique datée du 30 novembre 2017 qui confirmait que le demandeur avait rempli toutes les exigences pour l’obtention d’une maîtrise ès arts en économie et que son diplôme lui avait été décerné le 15 novembre 2017. (Je souligne, entre parenthèses, que dans l’affidavit que le demandeur a déposé à l’appui de sa demande d’autorisation, celui‑ci explique que la seule exigence qu’il lui restait à satisfaire pour obtenir son diplôme en date du 31 août 2017 était l’achèvement d’un [traduction] « cours de préparation d’un mémoire ». Il affirme qu’il a déposé son mémoire [traduction] « à temps », mais qu’il n’a obtenu sa note finale qu’après l’expiration de son permis d’études. Le demandeur ne mentionne pas quand il a reçu sa note finale.)

[8]  En règle générale, le dossier de la preuve dans une demande de contrôle judiciaire d’une décision d’un tribunal administratif se limite au dossier dont disposait le décideur (Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22, au paragraphe 19 [Access Copyright]; Bernard c Canada (Agence du revenu), 2015 CAF 263, au paragraphe 13 [Bernard]). La logique de cette règle repose sur les rôles respectifs du décideur administratif et de la cour de révision (Access Copyright, aux paragraphes 17 et 18; Bernard, aux paragraphes 17 et 18). Le décideur statue sur le bien‑fondé de l’affaire, alors que la cour de révision ne peut examiner que la légalité générale de ce que le décideur a fait. Cette règle générale admet des exceptions (comme il est mentionné dans les décisions Access Copyright, au paragraphe 20, et Bernard, aux paragraphes 19 à 28), mais aucune ne s’applique en l’espèce. Par conséquent, j’ai conclu que seuls les renseignements dont disposait le décideur sont admissibles dans le cadre de la présente demande.

[9]  Le demandeur soutient que la décision a été rendue sans respecter l’équité procédurale. Je ne suis pas d’accord. En effet, le demandeur affirme que l’agent des visas avait l’obligation de l’informer qu’il ne remplissait pas les conditions préalables pour obtenir un PTPD avant de rejeter sa demande. Il ressort clairement de la jurisprudence qu’une telle obligation n’existe pas. Dans la décision Masam c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 751, ma collègue la juge Walker a résumé en ces termes les principes d’équité procédurale qui s’appliquent dans ce contexte même (au paragraphe 11) :

Bien qu’une obligation d’équité existe à l’égard des demandeurs dans les affaires associées aux permis de travail postdiplôme, l’obligation n’oblige pas un agent à aviser un demandeur d’une préoccupation soulevée directement par les exigences de la législation ou autres lois connexes ni de fournir au demandeur l’occasion de faire des observations concernant la préoccupation (Hassani c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1283; Penez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1001, au paragraphe 37). Dans chaque affaire, il appartient au demandeur de soumettre à l’agent tous les renseignements en lien avec l’admissibilité de sa demande initiale. C’est dans les affaires où un agent considère les questions ou les faits comme étrangers aux exigences de la demande qu’un agent a l’obligation d’aviser le demandeur de l’enjeu ou de la préoccupation. Dans ces affaires, le demandeur n’aurait pas su que la question ou préoccupation particulière était applicable à sa demande et, en équité, aurait dû avoir l’occasion de soumettre des observations.

Voir également la décision Marsh c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 408, aux paragraphes 32 à 40 (qui porte également sur une demande de PTPD) et, de façon plus générale, les décisions Hamza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 264, au paragraphe 24, et Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 509, au paragraphe 26.

[10]  Les exigences relatives à l’équité procédurale ont été respectées en l’espèce. Il incombait au demandeur de démontrer qu’il était admissible à un PTPD. Il ne s’est pas acquitté de ce fardeau, car, en fait, il ne remplissait pas les conditions du programme. Il n’avait pas obtenu son diplôme lorsqu’il a présenté sa demande. L’agent n’était pas tenu d’aviser le demandeur de cette lacune dans sa demande avant de la rejeter.

[11]  En ce qui concerne la décision de l’agent proprement dite, le demandeur soutient que la décision est déraisonnable, puisque l’agent aurait dû s’appuyer sur les objectifs politiques généraux du programme de PTPD et sur la LIPR elle‑même au lieu d’appliquer les conditions d’admissibilité strictes comme il l’a fait. Je ne suis pas d’accord. Le demandeur ne remplissait pas l’une des conditions préalables obligatoires pour obtenir un PTPD lorsqu’il a présenté sa demande. L’agent n’avait pas le pouvoir discrétionnaire nécessaire pour ne pas respecter les conditions du programme qui sont énoncées dans les instructions sur l’exécution du programme (Nookala c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1019, au paragraphe 12; Abubacker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2016 CF 1112, aux paragraphes 16 et 17; Ofori c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 212, au paragraphe 20). Il était tout à fait raisonnable que l’agent rejette la demande au motif que le demandeur n’était pas admissible. La décision, bien qu’elle soit brève, ne laissait aucun doute quant à la raison pour laquelle elle avait été rendue.

[12]  Les étudiants étrangers au Canada comme le demandeur sont admissibles à un PTPD, mais ils doivent détenir un permis d’études valide lorsqu’ils présentent une demande de PTPD. Cela posait problème pour le demandeur, car son permis d’études expirait le 31 août 2017, mais il ne remplissait pas encore les critères pour obtenir son diplôme, une autre exigence pour être admissible à un PTPD. Une solution évidente aurait été de demander une prolongation de son permis d’études et de présenter ensuite une demande de PTPD une fois qu’il aurait rempli les critères pour obtenir son diplôme au lieu de demander un PTPD alors qu’il n’était pas admissible. Je ne dispose d’aucun élément de preuve laissant croire que le demandeur n’aurait pas pu procéder ainsi au lieu de la façon dont il a choisi de procéder.

[13]  Il ne fait aucun doute que le demandeur a été déçu du rejet de sa demande de PTPD, mais il ne pouvait pas être surpris. Il sera également déçu de l’issue de la présente demande. Cependant, la décision de l’agent des visas a été rendue en respectant l’équité procédurale et est raisonnable. Rien ne justifie que j’intervienne.

[14]  Le demandeur propose deux questions aux fins de certification en vertu de l’alinéa 74d) de la LIPR :

[traduction]

Les programmes comme le programme de PTPD qui offrent une occasion unique en raison d’une impossibilité pratique de présenter une nouvelle demande exigent‑ils un degré plus élevé d’équité procédurale sous la forme d’un courriel ou d’une lettre communiquant l’intention de refuser une occasion unique de changer quoi que ce soit?

La nature des programmes comme le programme de PTPD qui visent à promouvoir les intérêts canadiens exige‑t‑elle un degré plus élevé d’équité procédurale sous la forme d’un courriel ou d’une lettre communiquant l’intention de refuser une occasion unique de changer quoi que ce soit?

[15]  Le demandeur n’a pas proposé ces questions dans ses observations écrites ou orales. Exceptionnellement, il a eu l’occasion de déposer des observations supplémentaires après l’audience. Le défendeur a déposé des observations en réponse et s’est opposé à la certification des questions.

[16]  Pour que sa certification soit justifiée, une question doit être déterminante quant à l’issue de l’appel, transcender les intérêts des parties et porter sur des questions ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale (Lewis c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CAF 130, au paragraphe 36; Lunyamila c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CAF 22, au paragraphe 46 [Lunyamila]). L’exigence de certification ne doit pas être prise à la légère (Mudrak c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 178, au paragraphe 19).

[17]  J’estime que ni l’une ni l’autre des questions proposées par le demandeur ne saurait être certifiée. En l’espèce, l’issue ne repose pas sur les exigences relatives à l’équité procédurale, mais plutôt sur le fait que le demandeur a présenté sa demande de PTPD prématurément. Quoi qu’il en soit, la jurisprudence de la Cour est constante quant à la nature de ces exigences dans le contexte des demandes de PTPD. Une question de portée générale n’est pas soulevée lorsque la jurisprudence a répondu de manière adéquate à une question (NK c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2015 CF 1377, aux paragraphes 62, 80 et 102; Osahor c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 666, au paragraphe 22). En outre, les questions du demandeur reposent sur une fausse prémisse. Le demandeur qualifie le PTPD d’ [traduction] « occasion unique ». Un étranger peut obtenir un PTPD une seule fois, mais rien ne laisse entendre qu’il ne peut pas présenter plusieurs demandes si ses demandes antérieures ont été rejetées. Les exigences du programme restreignent inévitablement le nombre de fois qu’une personne donnée peut présenter une demande, mais cela dépend des circonstances particulières de chaque cas. En résumé, l’issue de la présente affaire est fondée sur les faits particuliers en l’espèce. Les questions proposées par le demandeur ne découlent pas de ces faits et ne soulèvent pas de questions qui doivent être tranchées (Lunyamila, au paragraphe 46; Lai c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2015 CAF 21, au paragraphe 10).

[18]  Pour tous ces motifs, la demande de certification des questions susmentionnées et la demande de contrôle judiciaire sont rejetées.

[19]  Enfin, dans les observations écrites sur les questions proposées aux fins de certification que l’avocat du demandeur a présentées en réplique, celui‑ci répond aux observations du défendeur en utilisant un langage personnel inapproprié et incendiaire. La Cour ne devrait pas avoir à rappeler à l’avocat qu’il a l’obligation de demeurer courtois ou que ce type d’observations doit être évité (Forde c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CF 1029, au paragraphe 69).


JUGEMENT dans le dossier IMM‑5132‑17

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question de portée générale n’est énoncée.

« John Norris »

Juge

Traduction certifiée conforme,

Ce 24e jour de mai 2019

Manon Pouliot, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑5132‑17

 

INTITULÉ :

YE JUNG KIM c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 1er NOVEMBRE 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE NORRIS

 

DATE DES MOTIFS :

LE 25 aVRIL 2019

 

COMPARUTIONS :

Matthew Wong

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Alex C. Kam

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Orange LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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