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Date : 20001130

Dossier : IMM-1341-00

ENTRE :

OLAYEMI ANNE BADEJO

ESTHER ADENIKE BADEJO

JOSHUA OLUMAYOWA BADEJO

PAR L'ENTREMISE DE LEUR TUTRICE À L'INSTANCE

OLAYEMI ANNE BADEJO

demandeurs

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE O'KEEFE

[1]         Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l'article 82.1 de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (la Loi) à l'encontre de la décision rendue par un agent d'immigration en date du 29 février 2000. Dans sa décision, l'agent d'immigration a statué qu'il n'existait pas de motifs d'ordre humanitaire suffisants pour dispenser la demanderesse de se conformer au paragraphe 9(1) de la Loi.


L'ORDONNANCE DEMANDÉE

[2]         Dans leur demande d'autorisation et de contrôle judiciaire, les demandeurs disent solliciter une ordonnance annulant la décision susmentionnée et une ordonnance [Traduction] « enjoignant au défendeur de traiter la demande du droit d'établissement présentée à partir du Canada conformément aux dispositions de principe énoncées dans les sections IE 9 et/ou IP 5 du manuel de l'immigration. »

LE CONTEXTE FACTUEL

[3]         Les demandeurs sont Olayemi Anne Badejo et ses deux enfants, Esther Adenike Badejo et Joshua Olumayowa Badejo (pour lesquels elle agit en qualité de tutrice à l'instance). Les demandeurs sont citoyens du Nigéria et sont arrivés au Canada le 11 septembre 1997, où ils ont revendiqué le statut de réfugié. La revendication de Mme Badejo a été rejetée et elle fait maintenant l'objet d'une mesure de renvoi. Le 19 février 1999, Mme Badejo a présenté une demande de dispense de visa fondée sur des motifs d'ordre humanitaire. Son entrevue s'est déroulée le 11 février 2000. Sa demande de dispense a été rejetée le 29 février 2000. En rendant sa décision, l'agent d'immigration a fourni des motifs dont voici un extrait :


[Traduction] Rejet. Mme Badejo ne m'a pas convaincu qu'elle éprouverait des difficultés excessives, indues ou injustifiées. Mme Badejo a dit ne pas craindre le gouvernement en place, mais craindre que l'armée reprenne le pouvoir. J'ai pris note de son affirmation que son visage a été plongé dans de l'eau acide; toutefois, si l'on observe le visage de Mme Badejo, on n'y remarque aucune cicatrice visible. Elle ne mentionne pas avoir souffert de problèmes visuels en raison de cet incident. J'ai pris note de sa crainte face à son oncle; toutefois, il n'a pas été établi qu'il posait un problème lorsqu'elle n'habite pas avec lui. Après m'être entretenu avec les enfants de Mme Badejo, je ne vois pas en quoi leur comportement s'est amélioré depuis leur rencontre avec le Dr Pilowsky. Il ressort de leur entrevue que les enfants présentent des problèmes de comportement. Le Dr Pilowsky a dit que « apparemment Esther (sa fille) n'a pas amélioré » son comportement. Ni la demanderesse ni son avocat ne prétendent qu'Esther ne peut pas être traitée au Nigéria. Le traitement qu'elle a reçu au Canada n'a pas donné de résultat.

Mme Badejo n'a jamais mentionné que ses parents auraient eu des problèmes avec le gouvernement ou la police du Nigéria au cours de son entrevue. Elle a déjà dit à son psychologue que son père était disparu. Je retiens l'affirmation de Dr Pilowsky selon laquelle Mme Badejo souffre de « dépression et anxiété » ; toutefois, il ne s'agit pas d'une difficulté excessive. Selon le Dr Pilowsky, la plupart de ses problèmes psychologiques découlent de l'incertitude concernant son statut d'immigrante. La présente décision lève cette incertitude.

Une autre difficulté mentionnée par la demanderesse est l'absence d'emploi disponible. Je note que Mme Badejo a travaillé pour des entreprises de renom. Elle l'a mentionné dans sa demande et à l'entrevue. Dans une observation accompagnant la demande, l'avocat dit : « Avant son arrivée au Canada, elle occupait un emploi de haut niveau » . Il ajoute que « Mme Badejo a été en mesure de s'établirfinancièrement au Canada et est seule responsable de ses deux enfants. Il est clair qu'elle est autonome et qu'elle ne voudra jamais dépendre des contribuables canadiens. » Cela n'est pas entièrement exact, car Mme Badejo a habituellement trouvé des emplois par l'entremise d'agences de placement temporaire. Mme Badejo a aussi reçu des fonds additionnels de l'aide sociale du 18 juin 1998 au 31 décembre 1999. Son travail bénévole pour les Services canadiens du sang, l'école de sa fille et son église est louable. Elle s'est inscrite récemment à un cours de saisie clavier au Collège Centennial et a participé à un programme de trois semaines d'initiation à l'informatique au YWCA. Elle a acheté récemment des meubles pour son appartement. Les actes accomplis par Mme Badejo pendant son court séjour au Canada m'ont convaincu qu'elle s'est établie. Je ne pense pas qu'elle éprouverait des difficultés excessives, indues ou injustifiées si elle était tenue de présenter sa demande comme l'exige l'article 9(1).

[4]         La demanderesse, Olayemi Anne Badejo, est la mère de deux enfants, une fille, Esther, née le 19 mai 1994, et un fils, Joshua, né le 25 février 1997. Joshua est asthmatique et doit utiliser un inhalateur doseur régulièrement.


[5]         La demanderesse, Olayemi Anne Badejo, a déposé un affidavit à l'appui de sa demande de contrôle judiciaire.

LES PRÉTENTIONS DE LA DEMANDERESSE

[6]         Les demandeurs énoncent ainsi les questions en litige :

A.                                       L'agent a-t-il commis une erreur de droit du fait qu'il n'a pas évalué correctement les conséquences du renvoi sur les enfants et, en particulier, a-t-il mal interprété la preuve relative aux conséquences du renvoi sur le fils?

B.                                       L'agent a-t-il mal interprété la totalité de la preuve qui lui a été soumise?

[7]      Les demandeurs font valoir que le raisonnement qui sous-tend l'arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999_] 2 R.C.S. 817 ne limite pas aux enfants nés au Canada l'examen des conséquences du renvoi. Mme Badejo soutient que ses enfants sont établis au Canada et ont tous les deux des problèmes médicaux et/ou psychologiques qui sont traités ici. Mme Badejo affirme de plus que les motifs de la décision ne contiennent pas d'examen sensible et attentif de l'intérêt des enfants comme l'exige pourtant l'arrêt Baker.


[8]      Mme Badejo fait valoir que l'agent a mal évalué l'intérêt véritable de Joshua, qui souffre d'asthme, car elle lui a dit clairement qu'il n'y avait pas de médicaments disponibles et qu'elle n'avait pas les moyens de s'en procurer. Elle soutient que la décision de l'agent souligne, à tort, qu' [Traduction] « aucune observation ne mentionne l'absence de traitement disponible. » Mme Badejo plaide que l'agent n'a tenu aucun compte de ses prétentions concernant le traitement et affirme, dans son affidavit, que l'agent s'est engagé à communiquer avec un médecin au Nigéria pour déterminer si un traitement pouvait être obtenu là-bas.

[9]      En ce qui concerne sa fille, Esther, Mme Badejo prétend que l'agent s'est trompé sur les faits lorsqu'il a conclu qu'il n'existait pas de preuve qu'Esther ne pouvait pas être traitée pour ses problèmes de comportement au Nigéria. Mme Badejo soutient que ce fait était exposé dans son affidavit non contesté. De plus, elle affirme que, devant une preuve contradictoire, étant donné qu'elle a déposé un affidavit et que l'intimé s'appuie seulement sur des notes, la jurisprudence de la Cour révèle qu'il faut donner préférence à l'affidavit non contredit.


[10]    Mme Badejo affirme que l'agent a accordé très peu d'attention à son anxiété, à sa dépression, à son risque de suicide et au rapport psychologique. Selon elle, l'agent s'est complètement fourvoyé en interprétant le rapport lorsqu'il a laissé entendre que ses problèmes psychologiques découlent de l'incertitude concernant son statut d'immigrante et que son état s'améliorerait avec le rejet de sa demande. Mme Badejo fait aussi valoir que l'agent a commis une erreur d'interprétation en se penchant sur la crainte qu'elle ressentait face à son oncle au Nigéria, car elle lui avait dit clairement qu'elle devrait retourner chez son oncle, n'ayant aucun autre endroit où aller. Mme Badejo affirme donc que l'agent a mal interprété ou n'a pas pris en compte la preuve dont il disposait et qu'il a de ce fait commis une erreur de droit.

LES PRÉTENTIONS DU DÉFENDEUR

[11]    Le défendeur soutient que la décision de l'agent d'immigration doit être raisonnable, qu'il doit exercer son pouvoir discrétionnaire de façon raisonnable en tenant compte des circonstances particulières de l'espèce. Le défendeur affirme que la norme de contrôle applicable est celle du caractère raisonnable simpliciter.

[12]    Le défendeur soutient que l'agent était sensible aux motifs d'ordre humanitaire et qu'il a tenu compte des difficultés qu'une décision défavorable causerait à la demanderesse et à ses enfants. Les motifs de l'agent indiquent clairement qu'il a tenu compte de toutes les circonstances, y compris des enfants et de la mesure dans laquelle ils étaient établis au Canada. Les motifs de l'agent révèlent qu'il a considéré tous les facteurs invoqués par les demandeurs en concluant qu'ils ne subiraient pas de difficultés excessives ou indues s'ils devaient suivre les règles habituelles pour demander à immigrer au Canada.


[13]    Quant aux prétentions de Mme Badejo concernant sa famille et l'endroit où elle se rendrait si elle retournait au Nigéria, le défendeur soutient que tous les membres de la famille de Mme Badejo (y compris son frère et sa soeur) se trouvent au Nigéria et qu'elle y occupait un bon emploi. Le défendeur fait valoir que, dans ces circonstances, il fallait accorder peu de poids à l'allégation de Mme Badejo selon laquelle elle devrait retourner chez son oncle parce qu'elle n'avait aucun autre endroit où aller.

[14]    Le défendeur prétend qu'aucun fait dans les documents déposés à l'appui de la demande n'indique que l'agent d'immigration n'aurait pas évalué complètement et équitablement la demande présentée par la demanderesse en vue d'être exceptionnellement dispensée de se conformer à la Loi.

LA QUESTION EN LITIGE

[15]      L'agent a-t-il commis une erreur ouvrant droit au contrôle judiciaire en rejetant la demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire présentée par les demandeurs en vertu du paragraphe 14(2) de la Loi sur l'immigration?

LA LOI

[16]      Voici les dispositions législatives pertinentes :



9. (1) Except in such cases as are prescribed, and subject to subsection (1.1), every immigrant and visitor shall make an application for and obtain a visa before that person appears at a port of entry.

9. (1) Sous réserve du paragraphe (1.1), sauf cas prévus par règlement, les immigrants et visiteurs doivent demander et obtenir un visa avant de se présenter à un point d'entrée.



114.(2) The Governor in Council may, by regulation, authorize the Minister to exempt any person from any regulation made under subsection (1) or otherwise facilitate the admission of any person where the Minister is satisfied that the person should be exempted from that regulation or that the person's admission should be facilitated owing to the existence of compassionate or humanitarian considerations.

114.(2) Le gouverneur en conseil peut, par règlement, autoriser le ministre à accorder, pour des raisons d'ordre humanitaire, une dispense d'application d'un règlement pris aux termes du paragraphe (1) ou à faciliter l'admission de toute autre manière.


ANALYSE ET DÉCISION

[17]    La demanderesse, Mme Badejo, a déposé, dans le cadre de la demande, un affidavit dans lequel elle affirme notamment ce qui suit :


[Traduction] J'ai aussi dit au cours de mon entrevue relative aux motifs d'ordre humanitaire que mon fils Joshua souffre d'asthme bronchique. J'ai fourni une lettre de son médecin traitant le confirmant. J'ai aussi dit à l'agent d'immigration qu'il, Joshua, a besoin d'inhalateurs doseurs et d'un masque spécial pour traiter son asthme. J'ai aussi informé l'agent d'immigration que l'achat de ces médicaments pour Joshua me coûtait très cher et que je n'aurais pas les moyens de me procurer ce type de médicaments au Nigéria. J'ai aussi dit à l'agent d'immigration que, à ce que je sais en ce qui concerne les soins médicaux et la disponibilité des médicaments au Nigéria, je ne réussirais probablement pas à trouver les médicaments dont Joshua a besoin pour traiter son asthme. À la fin de l'entretien, l'agent d'immigration s'est engagé à communiquer avec un médecin au Nigéria pour déterminer si Joshua pourrait être traité au Nigéria. S'il m'avait demandé ces renseignements, je les lui aurais fournis. Je joins comme pièce « B » à mon affidavit des copies des documents que j'ai remis à l'agent d'immigration à l'appui de mes observations sur les motifs d'ordre humanitaire concernant Joshua.

[18]    Un examen des notes de l'agent d'immigration ne révèle aucune mention de l'engagement de communiquer avec un médecin au Nigéria. L'agent d'immigration n'a pas déposé d'affidavit.


[19]    Quant à la question de la recevabilité de la preuve par affidavit dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire, la Cour a toujours éprouvé une certaine réticence à recevoir des éléments de preuve qui n'ont pas été présentés au tribunal dont la décision est contestée; toutefois, cette question ne se pose pas en l'espèce. Aucune transcription de la procédure n'a été conservée et les notes de l'agent, qui ne correspondent pas à une transcription complète, constituent habituellement le seul compte rendu de l'entrevue. Dans le cadre de la présente demande, la Cour ne dispose que de la preuve par affidavit de la demanderesse, Mme Badejo, relativement à sa prétention que l'agent s'est engagé à communiquer avec un médecin au Nigéria pour déterminer si son fils pourrait être traité pour son asthme au Nigéria. L'agent n'a pas déposé d'affidavit pour réfuter cette affirmation et ses notes n'en font pas mention. La preuve offerte dans le paragraphe 7 de l'affidavit n'est en conflit avec aucune autre preuve et l'auteur de l'affidavit n'a pas été contre-interrogé. La preuve par affidavit a été produite pour clarifier ce qui selon la demanderesse, Mme Badejo, aurait été dit à l'entrevue. Dans les circonstances, je retiendrai la preuve contenue au paragraphe 7 de l'affidavit. Aucune preuve n'établit qu'on a communiqué avec un médecin. La demanderesse, Mme Badejo, affirme que, si elle avait su que l'agent ne communiquerait pas avec un médecin, elle l'aurait fait elle-même.

[20]    Un agent d'immigration n'a pas l'obligation d'écrire une lettre à un médecin au Nigéria. J'estime toutefois que l'agent, après avoir pris l'engagement d'écrire une lettre, a manqué à son devoir d'agir équitablement envers les demandeurs en ne l'écrivant pas. Ce n'est pas que l'agent était tenu d'écrire cette lettre, mais qu'il s'était engagé à le faire. Il doit donner suite à son engagement. Selon moi, en ne le respectant pas, il a manqué à son obligation d'équité procédurale envers les demandeurs; la demande de contrôle judiciaire doit donc être accueillie et la demande doit être renvoyée à un agent d'immigration différent pour examen.

[21]    Compte tenu de ma conclusion qui précède, je ne suis pas tenu de traiter les autres questions soulevées dans la demande.

[22]      Aucune partie ne désire faire certifier une question grave de portée générale.


ORDONNANCE

[23]      LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie.

                                                                            « John A. O'Keefe »             

                                                                                                                                                                      

                                                                                               J.C.F.C.                     

Toronto (Ontario)

30 novembre 2000

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.


                                             COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                         SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                           Avocats et avocats inscrits au dossier

NUMÉRO DU GREFFE :    IMM-1341-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :                          OLAYEMI ANNE BADEJO

ESTHER ADENIKE BADEJO

JOSHUA OLUMAYOWA BADEJO

PAR L'ENTREMISE DE LEUR TUTRICE À L'INSTANCE OLAYEMI ANNE BADEJO

demandeurs

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :    TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE : LE MARDI 28 NOVEMBRE 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE O'KEEFE

EN DATE DU :                                            LE JEUDI 30 NOVEMBRE 2000

ONT COMPARU :

Me Lorne Waldman

Pour les demandeurs

Me Stephen H. Gold

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :        Me Lorne Waldman

Avocat

Jackman, Waldman & Associates

281, avenue Eglinton est

Toronto (Ontario)

M4P 1L3

Pour les demandeurs

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Pour le défendeur


                   COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               

Date : 20001130

Dossier : IMM-1341-00

ENTRE :

OLAYEMI ANNE BADEJO

ESTHER ADENIKE BADEJO

JOSHUA OLUMAYOWA BADEJO

PAR L'ENTREMISE DE LEUR TUTRICE À L'INSTANCE OLAYEMI ANNE BADEJO

demandeurs

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                                                                                                                      

                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

                                                                      

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