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     IMM-1031-96

OTTAWA (ONTARIO), le mercredi 1er octobre 1997

EN PRÉSENCE DE M. le juge suppléant Darrel V. Heald

Entre :

     MAURICE MEIKLE,

     requérant,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

     ET DE L'IMMIGRATION,

     intimé.

     O R D O N N A N C E

     La demande de contrôle judiciaire est accueillie. L'avis du délégué non identifié du ministre en date du 15 février 1996 est infirmé.

                             Darrel V. Heald

                        

                             Juge suppléant

Traduction certifiée conforme         

                             F. Blais, LL.L.

     IMM-1031-96

Entre :

     MAURICE MEIKLE,

     requérant,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

     ET DE L'IMMIGRATION,

     intimé.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE SUPPLÉANT HEALD

     Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'un avis émis par le ministre intimé, aux termes du paragraphe 70(5) de la Loi sur l'immigration, selon lequel le requérant constitue un danger pour le public au Canada. Cet avis est daté du 15 février 1996, et est signé par un "délégué du ministre" dont l'identité n'est pas mentionnée. Le requérant demande une déclaration aux termes de l'article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 attestant que le paragraphe 70(5) de la Loi sur l'immigration est nul et non avenu; une ordonnance annulant l'avis contesté; et une ordonnance renvoyant l'affaire à l'intimé pour nouvel examen.

LES FAITS

     Le requérant est citoyen du Royaume-Uni. Il a obtenu le droit d'établissement au Canada, à l'âge de sept ans, le 12 janvier 1964. Il a été reconnu coupable d'un très grand nombre d'infractions depuis 1973. Bien que la plupart soit des infractions mineures, il y a une condamnation pour possession d'un stupéfiant dans le but d'en faire le trafic.

     Une mesure d'expulsion a été prise contre le requérant après la tenue d'une enquête le 18 janvier 1993, au motif qu'il était visé au sous-alinéa 27(1)d)(ii) de la Loi sur l'immigration1. Le même jour, le requérant a interjeté appel contre la mesure d'expulsion à la section d'appel de l'immigration de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (SAI). L'avis d'appel a été signifié à l'arbitre au moment de l'enquête le 18 janvier 1993. Sans qu'on puisse expliquer pourquoi, l'avis d'appel n'a pas été expédié au greffe de la SAI avant le 11 octobre 1994.

     Malheureusement, le requérant n'a pu être entendu par la SAI parce qu'un avis déclarant qu'il constituait un danger pour le public a été émis contre lui le 15 février 1996. Le 21 mars 1996, la SAI a rejeté l'appel du requérant au motif qu'elle n'avait pas compétence pour entendre la question en raison de l'application de l'alinéa 70(5)c) de la Loi sur l'immigration2.

LES QUESTIONS EN LITIGE

     1.      L'intimé a-t-il manqué à un principe de justice naturelle ou d'équité procédurale en rendant son avis fondé sur le paragraphe 70(5)?
     2.      L'intimé a-t-il manqué à un principe de justice naturelle ou d'équité procédurale en négligeant de traiter l'avis d'appel du requérant entre le 18 janvier 1993 et le 11 octobre 1994, l'empêchant ainsi d'interjeter appel avant l'entrée en vigueur du paragraphe 70(5) de la Loi sur l'immigration?
     3.      L'expression "constitue un danger pour le public au Canada" utilisée au paragraphe 70(5) contrevient-elle à l'article 7 de la Charte ou aux principes d'équité procédurale?

ANALYSE

1. L'équité procédurale concernant l'avis fondé sur le paragraphe 70(5)

     Le requérant fait valoir que la procédure en vertu de laquelle l'avis fondé sur le paragraphe 70(5) a été pris porte atteinte à l'équité procédurale : il n'y a pas eu d'audience; il n'y a pas eu de possibilité de contre-interroger les témoins et l'avis n'a pas été motivé par écrit.

     Dans l'arrêt Williams c. M.C.I. (1997), 147 D.L.R. (4th) 93 (C.A.F.), la Cour a statué qu'il n'est pas nécessaire de fournir des motifs à l'appui d'un avis fondé sur le paragraphe 70(5). La Cour d'appel a jugé qu'un tel avis n'entraîne pas l'expulsion, mais que son effet est plutôt le suivant (p. 103, version française, p. 10) :

     L'avis donné par le ministre en application du paragraphe 70(5) a donc pour effet de substituer le droit de demander un contrôle judiciaire au droit d'interjeter appel de la mesure d'expulsion, de substituer l'exercice par le ministre du pouvoir discrétionnaire dont il est investi de dispenser une personne d'une expulsion légale à l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire semblable conféré à la section d'appel par l'alinéa 70(1)b), et de substituer le droit de demander un sursis judiciaire au droit d'obtenir un sursis d'origine législative.         

     La Cour fait observer, à la page 109, que l'équité est respectée si la partie intéressée peut présenter des observations. Bien que l'arrêt Williams donne une opinion incidente au sujet du droit à une audience et du contre-interrogatoire des témoins, la manière dont la Cour décrit l'effet d'un avis fondé sur le paragraphe 70(5) dans Williams fait ressortir qu'il n'est pas justifié d'imposer la tenue d'une audience ou un droit au contre-interrogatoire des témoins. Par conséquent, je conclus qu'il n'y a pas eu manquement à l'équité procédurale dans l'élaboration de l'avis fondé sur le paragraphe 70(5) en l'espèce.

     Au cours des plaidoyers, l'avocat du requérant a également cherché à contester le bien-fondé de l'avis fondé sur le paragraphe 70(5). L'avocat de l'intimé a fait valoir qu'il n'avait pas été averti suffisamment à l'avance qu'un tel argument serait soulevé. De toute façon, je n'accepte pas l'argument du requérant. Le requérant fait référence au rapport du docteur Elterman, un éminent psychologue judiciaire canadien, qui a conclu que le requérant n'est pas une personne dangereuse. Le délégué du ministre était saisi du rapport Elterman, de même que d'autres renseignements fournis par le requérant. Il n'y a aucune raison de croire que la totalité des renseignements qui étaient à la disposition du délégué du ministre n'ont pas été examinés. D'après l'ensemble du dossier, quand on tient compte du casier judiciaire du requérant, et que la retenue appropriée est accordée à la décision du délégué du ministre, il est impossible de conclure que le délégué du ministre a commis une erreur susceptible de contrôle en parvenant à son opinion. Le fait que le délégué du ministre ait préféré sa propre interprétation de la preuve à celle du docteur Elterman n'est pas une erreur en soi. La loi prévoit que le délégué du ministre, et non le témoin expert du requérant, doit se faire une opinion quant à savoir si cette personne constitue un danger pour le public.

2. Le retard dans le dépôt de l'avis d'appel

     Le dossier indique clairement que l'avis d'appel en l'espèce a été déposé après un très long retard. L'avis d'appel a été signifié par le requérant à l'arbitre en matière d'immigration, R.V. Leach, le 18 janvier 1993. L'arbitre Leach a signé un accusé de réception sur la première page du document d'appel indiquant qu'il avait reçu l'avis ce jour-là3. Nous n'avons pas d'explication de ce qui est arrivé au document entre le 18 janvier 1993 et le 11 octobre 1994, quand Randy Jordan du Service central de renvoi l'a fait parvenir au greffe de la SAI4.

     Il n'est pas raisonnable de s'attendre que le requérant fournisse une preuve pour expliquer comment le document a été remis aux représentants officiels de l'intimé et pourquoi il est demeuré en leur possession aussi longtemps. Les règles de la SAI qui étaient en vigueur à l'époque, DORS/90-738, disposent au paragraphe 9(1), qu'un arbitre à qui un avis d'appel est signifié doit "le déposer sans délai". Cela ne s'est pas produit. Aucune raison n'a été fournie pour expliquer comment cette erreur grave s'est produite et pourquoi l'avis d'appel n'a pas été envoyé immédiatement au greffe de la SAI.

     Le requérant a fait tout ce qu'il était tenu de faire aux termes des règles de la SAI. Il a signifié son avis d'appel à un arbitre en matière d'immigration. Il était en droit de s'attendre à ce que l'avis soit déposé. L'omission de déposer l'avis en temps opportun a eu pour conséquence que "l'avis selon lequel le requérant constitue un danger pour le public au Canada" a annulé l'appel. Il me semble évident que la conduite de certains des représentants officiels de l'intimé a été négligente, à tout le moins.

     La présente Cour a accordé des redressements lorsque des retards causés par la négligence ont fait subir un préjudice indu à certaines personnes faisant partie de la catégorie de la famille, par exemple dans Canada (M.E.I.) c. Porter (14 avril 1988), A-353-87 (C.A.F.), et Alvero-Rautert c. Canada (M.E.I.) [1988] 3 C.F. 163, 18 F.T.R. 50, 4 Imm.L.R. (2d), et dans des cas faisant intervenir des raisons d'ordre humanitaire, comme Rizzo c. M.C.I. (27 janvier 1997), Imm-282-97, et Munoz c. Canada (M.C.I.), (1995), 30 Imm.L.R. (2d) 166. Les faits et le contexte de ces affaires sont différents de ceux de l'espèce, mais ils font tous ressortir que la Cour cherche à s'assurer que les décisions administratives qui sont prises respectent les règles de l'équité. Au bout du compte, on peut supposer que le législateur voulait que ses lois soient administrées d'une manière équitable conformément aux principes de justice naturelle.

     Le requérant a fait valoir que la présente Cour a compétence pour lui accorder une réparation en vertu des dispositions des alinéas 18.1(3)b) et 18.1(4)b) de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, qui sont rédigés dans les termes suivants :

     18.1[...]         
     (3) Sur présentation d'une demande de contrôle judiciaire, la Section de première instance peut :         
         [...]         
         b) déclarer nul ou illégal, ou annuler, ou informer et renvoyer pour jugement conformément aux instructions qu'elle estimait appropriées, ou prohiber ou encore restreindre toute décision, ordonnance, procédure ou tout autre acte de l'office fédéral.         
     (4) Les mesures prévues au paragraphe (3) sont prises par la Section de première instance si elle est convaincue que l'office fédéral, selon le cas : [...]         
     b) n'a pas observé un principe de justice naturelle ou d'équité procédurale ou toute autre procédure qu'il était légalement tenu de respecter;         

     L'intimé fait valoir que, puisqu'il n'y a pas de fondement pour contester l'avis fondé sur le paragraphe 70(5), aucune réparation ne devrait être accordée en vertu de cet article. En outre, si la Cour annule l'avis donné, l'intimé en émettra simplement un autre.

     Il y a, en fait, un lien entre le manquement aux principes de justice naturelle et l'avis fondé sur le paragraphe 70(5) qui a été émis en l'espèce. Le lien causal, et le préjudice subi par le requérant est que l'avis fondé sur le paragraphe 70(5) a eu pour effet de le priver d'un droit d'appel - un droit qu'il pouvait exercer avant que les dispositions du paragraphe 70(5) entrent en vigueur. Comme l'indique l'arrêt Williams, précité, l'avis donné par le ministre en application du paragraphe 70(5) a pour effet de substituer le droit de demander un contrôle judiciaire au droit d'interjeter appel de la mesure d'expulsion, de substituer l'exercice par le ministre du pouvoir discrétionnaire dont il est investi de dispenser une personne d'une expulsion légale à l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire semblable conféré à la section d'appel par l'alinéa 70(1)b), et de substituer le droit de demander un sursis judiciaire au droit d'obtenir un sursis d'origine législative.

     Dans l'arrêt Williams, la Cour d'appel n'a pas considéré la "substitution des droits" comme un empiétement sur les droits fondamentaux. Toutefois, en l'espèce, les circonstances sont différentes. Le délai de plus de vingt mois a eu pour effet de priver le requérant de droits qu'il pouvait exercer. Ce n'était pas le cas dans l'arrêt Williams. En toute équité, l'appel du requérant devant la SAI devrait être entendu.

     L'avis fondé sur le paragraphe 70(5) empêche qu'un appel soit interjeté à la SAI. Par conséquent, la seule façon d'autoriser le requérant à faire valoir ce droit qu'il aurait été en droit d'exercer n'eut été du retard occasionné dans le dépôt de l'avis d'appel, est d'annuler l'avis donné par le ministre en application du paragraphe 70(5). À mon avis, l'article 18.1 permet qu'une réparation soit accordée dans ce cas sans avoir recours à d'autres doctrines fondées sur l'équity, comme la non-recevabilité ou la doctrine des attentes légitimes. Quant à l'argument selon lequel l'intimé émettra tout simplement un autre avis, la Cour ne peut refuser d'accorder une ordonnance au motif que l'intimé agira ultérieurement de façon à priver celle-ci de son effet.

     En annulant l'avis donné par le délégué du ministre, la Cour n'accorde pas au requérant l'autorisation perpétuelle de demeurer au Canada. Elle permet simplement à l'appel du requérant d'être entendu devant la SAI. Si la SAI, après avoir dûment examiné le cas, n'annule pas la mesure d'expulsion prise contre le requérant, alors l'intimé pourra ultérieurement être en mesure d'expulser le requérant du Canada.

3. L'article 7 de la Charte et la question du caractère vague

     La Cour est liée par la décision de la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Williams, précité. Par conséquent, il serait inutile de réexaminer les questions qui ont été soulevées dans cette affaire.


CONCLUSION

     Pour les motifs précités, j'ai conclu que le retard inexpliqué et très long dans le dépôt de l'avis d'appel du requérant constitue un manquement aux principes de justice naturelle et d'équité procédurale. Le retard occasionné par ce manquement a donné lieu, notamment, à un avis donné en application du paragraphe 70(5) qui fait l'objet de la présente demande de contrôle judiciaire. Aux termes des dispositions des alinéas 18.1(4)b) et 18.1(3)b) de la Loi sur la Cour fédérale (précitée), j'accueille la demande. L'avis du délégué non identifié du ministre, en date du 15 février 1996, est annulé.

CERTIFICATION

     Les deux parties ont convenu qu'il n'y avait pas de question grave de portée générale en l'espèce. J'en conviens. Il est à espérer que les questions soulevées en l'espèce découlent d'une situation tout à fait unique. Aucune question ne sera certifiée.

                             Darrel V. Heald

                        

                             Juge suppléant

Ottawa (Ontario)

le 1er octobre 1997

Traduction certifiée conforme         

                             F. Blais, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

    

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NE DU GREFFE :                  IMM-1031-96
INTITULÉ DE LA CAUSE :          MAURICE MEIKLE c. M.C.I.
LIEU DE L'AUDIENCE :          Vancouver (Colombie-Britannique)
DATE DE L'AUDIENCE :          le 15 août 1997

MOTIFS DU JUGEMENT PAR LE JUGE SUPPLÉANT HEALD

DATE :                      le 1er octobre 1997

ONT COMPARU :

Timothy J. Vondette                      POUR LE REQUÉRANT

Daniel Poulin                          POUR L'INTIMÉ

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

George Wong & Company              POUR LE REQUÉRANT

Vancouver (Colombie-Britannique)

George Thomson                      POUR L'INTIMÉ

Sous-procureur général du Canada

__________________

1      Le sous-alinéa 27(1)d)(ii) est rédigé dans les termes suivants :      27(1) L'agent de l'immigration ou l'agent de la paix doit faire part au sous-ministre, dans un rapport écrit et circonstancié, de renseignements concernant un résident permanent et indiquant que celui-ci, selon le cas :          d) a été déclaré coupable d'une infraction prévue par une loi fédérale              (ii) soit qui peut être punissable d'un emprisonnement maximal égal ou supérieur à cinq ans;

2      L'alinéa 70(5)c) est rédigé dans les termes suivants :      70(5)c) Ne peuvent faire appel devant la section d'appel les personnes, visées au paragraphe (1) ou aux alinéas (2)a) ou b), qui, selon la décision d'un arbitre :          c) relèvent, pour toute infraction punissable aux termes d'une loi fédérale d'un emprisonnement maximal égal ou supérieur à dix ans, du cas visé à l'alinéa 27(1)d) et, selon le ministre, constitue un danger pour le public au Canada.

3      Dossier du requérant, p. 74.

4      Dossier du requérant, p. 18.

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