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Date : 20190417


Dossier : IMM-4349-18

Référence : 2019 CF 465

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 17 avril 2019

En présence de madame la juge Walker

ENTRE :

DAIANA MICLESCU

TEOFIL MICLESCU

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Les demandeurs, Daiana Miclescu et Teofil Miclescu, qui sont tous deux mineurs, demandent le contrôle judiciaire d’une décision rendue de vive voix (la décision) par la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada. La SPR a conclu que les demandeurs n’avaient ni qualité de réfugiés au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger aux termes des articles 96 et 97, respectivement, de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR). La demande de contrôle judiciaire est présentée au titre du paragraphe 72(1) de la LIPR.

[2]  Pour les motifs exposés ci-dessous, la demande sera accueillie.

I.  Contexte

[3]  Les demandeurs, Daiana Miclescu (née le 28 février 2002) et Teofil Miclescu (né le 12 juin 2005), sont des enfants. Ils sont tous deux des citoyens roumains d’origine ethnique rom. Ils sont arrivés au Canada le 23 octobre 2012 avec M. Spartacus Miclescu et Mme Valoarea Mitita, qui, selon les demandeurs, sont respectivement leur père et leur mère. Dans la décision, la SPR a remis en question le fait que M. Miclescu et Mme Mitita soient en fait les parents des demandeurs.

[4]  Les demandeurs ont quitté la Roumanie le 25 juin 2012 avec Mme Mitita. Ils se sont d’abord rendus en Angleterre, puis immédiatement au Mexique. Le 14 juillet 2012, le groupe est entré aux États-Unis, où il semble qu’il ait rejoint M. Miclescu. Quelques mois plus tard, la famille est venue au Canada et a présenté des demandes d’asile.

[5]  Le ministre a déposé un premier avis d’intervention dans les demandes d’asile de la famille le 31 mai 2013. Le 17 juin 2013, l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) a délivré des avis d’étranger désigné pour chacun des demandeurs, pour Mme Mitita et pour M. Miclescu, en vertu de l’alinéa 20.1(1)b) de la LIPR.

[6]  En 2014, la SPR a été informée que Mme Mitita et les demandeurs s’étaient séparés de M. Miclescu. Mme Mitita et les demandeurs ont demandé que leurs demandes d’asile soient séparées de celle de M. Miclescu. La SPR a mis fin au statut de représentant désigné de M. Miclescu pour les demandeurs le 22 juillet 2014, puis elle a désigné Mme Mitita comme représentante désignée à la même date.

[7]  La demande d’asile de M. Miclescu a été suspendue en octobre 2015 en application du paragraphe 103(1) de la LIPR en raison d’une accusation d’agression sexuelle déposée contre lui. Sa demande a par la suite été rétablie lorsque l’accusation a été retirée.

[8]  Le ministre a délivré un deuxième avis d’intervention relativement aux demandes d’asile de la famille le 30 novembre 2017.

[9]  Le 3 mai 2017, le conseil de M. Miclescu a indiqué que les parents des demandeurs s’étaient réconciliés, puis a demandé que la demande d’asile de son client soit jointe à celles des demandeurs et de Mme Mitita. Le 15 mai 2018, la SPR a rendu une décision joignant les quatre demandes d’asile.

[10]  Le 16 mai 2018, les demandes d’asile de M. Miclescu et de Mme Mitita ont été suspendues en application du paragraphe 103(1) de la LIPR. L’audience sur les demandes d’asile des demandeurs devait se dérouler comme prévu.

[11]  Un document de la SPR, la « Fiche des demandes », datée du 16 mai 2018, contient la directive suivante :

[traduction]
Bien que la demande d’asile de demanderesse adulte soit suspendue, rien ne l’empêche d’agir comme représentante désignée pour ses enfants. L’audience relative à la demande d’asile des enfants mineurs aura lieu le 6 juin 2018, comme prévu.

[12]  La SPR a entendu les demandes d’asile des demandeurs le 28 juin 2018.

II.  La décision faisant l’objet du contrôle

[13]  La décision est datée du 28 juin 2018. Elle a été rendue de vive voix, le jour de l’audience. La décision est difficile à résumer, car elle revient constamment à la question du statut de Mme Mitita en tant que représentante désignée pour les demandeurs qu’à l’examen de la question de savoir si elle est leur mère. L’analyse par le tribunal des demandes d’asile sous-jacentes des demandeurs est entremêlée de paragraphes traitant de cette question d’identité.

[14]  La SPR a commencé son analyse en examinant les Directives numéro 3 du président de la CISR : Les enfants qui revendiquent le statut de réfugié (émises en vertu du paragraphe 65(3) de la LIPR) (les Directives), étant donné que le tribunal a conclu que l’identité était une question importante en l’espèce. Plus précisément, l’identité de M. Miclescu et de Mme Mitita en tant que parents des demandeurs a été remise en question au début de la décision, car le tribunal a déclaré que [TRADUCTION] « à l’heure actuelle, leur véritable identité fait partie des questions qui devaient être abordées à l’audience et qui, malheureusement, n’ont pas été résolues à ma satisfaction à ce stade‑ci ». Par conséquent, la SPR n’était pas convaincue que les demandeurs étaient arrivés au Canada accompagnés de leurs parents.

[15]  La SPR s’est dite préoccupée par la façon de procéder à l’audience, compte tenu de son incertitude par rapport au fait que Mme Mitita remplissait le rôle de représentante désignée en raison du fait que M. Miclescu avait signé les formulaires de renseignements personnels des demandeurs. Après discussion, la SPR a précisé que Mme Mitita était prête à agir au nom des demandeurs.

[16]  La SPR a analysé la relation de Mme Mitita avec les demandeurs. Le tribunal s’est concentré sur la raison pour laquelle elle et les demandeurs avaient des noms de famille différents et il s’est interrogé à savoir s’ils étaient ses enfants, et non simplement d’autres membres de la famille. Voici ce que la SPR a déclaré :

[traduction]
Pour cette raison, je conclus que vous n’avez pas établi qu’il y a une possibilité sérieuse de persécution pour un motif prévu à la Convention ou que, selon la prépondérance des probabilités, vous seriez personnellement exposés à un risque de torture ou à un risque de mort ou de traitements ou peines cruels ou inusités à votre retour dans votre pays, et mes motifs sont les suivants.

[17]  Le tribunal a brièvement passé en revue les craintes relatées par Mme Mitita dans son formulaire de renseignements personnels. Elle a déclaré qu’elle avait été victime de violence en Roumanie et qu’elle ne voulait pas que ses enfants subissent le même traitement. Elle a également déclaré que les demandeurs avaient été victimes de discrimination à l’école; elle a décrit un incident survenu dans un parc en Roumanie au cours duquel la famille avait été harcelée. Mme Mitita a précisé qu’elle et les membres de sa famille s’étaient adressés à la police pour signaler l’incident, mais que la police n’avait rien fait.

[18]  La SPR est ensuite revenue à la question de l’identité en faisant référence à une lettre du Roma Community Centre de Toronto attestant que les demandeurs étaient des Roms. Le tribunal a constaté que la lettre ne mentionnait pas les détails des relations entre M. Miclescu, Mme Mitita et les enfants. La SPR s’est référée aux copies des certificats de naissance et des passeports des demandeurs au dossier ainsi qu’aux documents d’identité de M. Miclescu et de Mme Mitita. Toutefois, le tribunal n’a pas analysé le contenu des documents.

[19]  La SPR a conclu qu’elle n’était pas certaine de la relation entre les demandeurs et Mme Mitita, quoiqu’elle fût convaincue que les demandeurs venaient de Roumanie et que leurs noms étaient Teofil et Daiana. Le tribunal a tenté d’établir un lien avec Mme Mitita au moyen de documents scolaires, de renseignements sur la vaccination et de dossiers médicaux, mais il n’a pas pu le faire, puisque les demandeurs n’avaient pas fourni de documents de cette nature. Dans le cadre de cette discussion, le tribunal semble également avoir apprécié les demandes d’asile des demandeurs sur le fond et les questions des soins médicaux et de l’éducation des enfants roms en Roumanie.

[20]  La SPR a ensuite remis en question l’explication de Mme Mitita concernant la raison pour laquelle la famille n’avait pas demandé le statut de réfugié au Royaume-Uni ou aux États‑Unis. Elle a ensuite déclaré que le fait pour Mme Mitita de vouloir de meilleures conditions économiques et un meilleur avenir pour ses enfants n’appuyait pas une demande de protection internationale. Le tribunal a souligné le délai de la famille à quitter la Roumanie et n’a pas accepté l’explication de Mme Mitita selon laquelle ils avaient eu besoin d’un certain temps pour économiser de l’argent en vue de quitter le pays. La SPR se demandait pourquoi Mme Mitita n’utiliserait pas l’argent économisé pour payer un meilleur logement en Roumanie et pour faire vacciner les enfants. Le tribunal a conclu que Mme Mitita n’était pas crédible et, par conséquent, a refusé les demandes d’asile des demandeurs.

[21]  La SPR a examiné l’information contenue dans le formulaire de renseignements personnels de M. Miclescu et a déclaré que son récit avait été contredit par la documentation nationale sur la Roumanie. Enfin, la SPR a conclu que les demandeurs n’avaient pas réfuté la présomption relative à la protection de l’État.

III.  Les questions en litige et la norme de contrôle

[22]  Les demandeurs soulèvent trois questions dans leurs observations écrites. Ils remettent en question l’application des Directives par la SPR et sa formulation du critère applicable aux demandes d’asile présentées au titre de l’article 96, et soutiennent que la SPR n’a pas tenu compte de la preuve selon laquelle les demandeurs étaient des personnes à protéger en raison de leur origine ethnique rom.

[23]  Dans leurs plaidoiries, les demandeurs se sont concentrés sur la décision elle-même et ont soutenu qu’elle présentait des lacunes sur les plans de l’intelligibilité et de la transparence. Ils soutiennent que le tribunal s’est montré déraisonnable en centrant sa décision sur ses préoccupations concernant la relation de Mme Mitita avec les demandeurs et qu’il n’a pas abordé adéquatement le fond de leurs demandes d’asile. Les demandeurs soutiennent également que la SPR n’a pas tenu compte de la preuve dont elle disposait au sujet de la question de l’identité et des relations familiales. Enfin, ils soulignent de nombreux cas dans la décision où le tribunal a confondu les références à la représentante désignée et aux demandeurs.

[24]  Comme je l’explique dans la prochaine section du présent jugement, la décision contient un certain nombre d’erreurs graves. À mon avis, il n’est pas nécessaire de compartimenter mon examen de la décision et j’analyserai les constatations de fait de la SPR et ses appréciations de la crédibilité et de la preuve selon la norme de la décision raisonnable (Wang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 969 au paragraphe 22; Behary c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 794, au paragraphe 7; Rahal c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 319, au paragraphe 22 (Rahal); Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF nº 732, au paragraphe 4, 160 NR 315 (CAF)).

IV.  Analyse

La décision était-elle raisonnable?

[25]  Je juge que la décision n’était pas raisonnable. Elle ne répond pas aux exigences de justification, de transparence et d’intelligibilité. La décision n’aborde pas adéquatement le fond des demandes d’asile des demandeurs, de sorte qu’il n’est pas possible d’examiner si le refus de la SPR de leur accorder l’asile fait partie ou non des issues possibles acceptables pouvant se justifier en l’espèce (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47). À mon avis, la décision souffre grandement du fait qu’elle a été rendue de vive voix. Les brèves sections dans lesquelles la SPR a examiné le bien-fondé des demandes d’asile des demandeurs sont perdues dans une analyse confuse de leur relation avec Mme Mitita.

[26]  Il semble y avoir amplement d’éléments de preuve concernant l’identité dans le dossier certifié du tribunal, y compris pour celle des demandeurs, de Mme Mitita, et de la relation entre eux. Toutefois, la SPR n’a entrepris aucune analyse du contenu ou de l’authenticité de ces éléments de preuve. Le certificat de naissance roumain de Daiana (2002) indique que Spartacus Miclescu et Valoarea Mitita sont ses parents. Son passeport indique qu’elle est citoyenne roumaine. Le certificat de naissance de la Roumanie de Teofil (2005) fait état de Spartacus Miclescu et de Valoarea Miclescu comme étant ses parents, et son passeport indique qu’il est également citoyen de la Roumanie.

[27]  La question du nom de famille de Mme Mitita ne peut pas être considérée comme déterminante pour les demandes d’asile des demandeurs; toutefois, la décision donne à penser que c’est le cas, puisque le tribunal est revenu maintes fois sur la question. Le nom de jeune fille de Mme Mitita était Miclescu. Elle s’est apparemment engagée dans une relation avec Spartacus Miclescu en Roumanie (compte tenu des dates de naissance des enfants), mais pendant sa vie adulte en Roumanie, elle a également été mariée pendant un certain temps à M. Mitita. Elle semble avoir renoué sa relation avec M. Miclescu avant de quitter la Roumanie. Cette séquence d’événements peut être tirée du dossier certifié du tribunal, et la SPR aurait dû en tenir compte par rapport à ses préoccupations déclarées concernant la composition de la famille.

[28]  En outre, on ne sait pas exactement pourquoi la question du statut de Mme Mitita à titre de mère des demandeurs est devenue une question pressante pour la SPR. Un peu plus d’un mois avant l’audience, à la suite de la suspension des demandes d’asile de M. Miclescu et de Mme Mitita, la SPR avait reconnu Mme Mitita comme étant la représentante désignée [traduction] « pour ses enfants ».

[29]  Le dossier certifié du tribunal fait certes état de problèmes d’immigration graves et non résolus concernant M. Miclescu et Mme Mitita. La délivrance des quatre avis touchant des étrangers désignés par l’ASFC en 2013, les interventions du ministre et les antécédents de M. Miclescu en matière d’immigration sont des questions préoccupantes, mais la SPR n’en a pas discuté dans son raisonnement et ces questions préoccupantes n’ont pas nécessairement joué un rôle déterminant dans les demandes d’asile des demandeurs. Si les préoccupations concernant M. Miclescu et Mme Mitita constituaient le fondement de son scepticisme à l’égard des demandes d’asile des demandeurs, le tribunal était tenu de relever ces préoccupations dans la décision et d’y répondre.

[30]  Les conclusions défavorables de la SPR en matière d’identité ont mené directement au rejet des demandes d’asile des demandeurs. Après son incursion initiale dans la question de l’identité, le tribunal a déclaré que, [traduction] « [p]our cette raison », les demandeurs n’avaient ni qualité de réfugiés au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger. Ces mots sont prononcés tout juste après que le tribunal a dit qu’il ne pouvait pas établir si les demandeurs étaient effectivement les enfants de Mme Mitita, avant toute analyse du fond des demandes d’asile. Il s’agit d’une erreur susceptible de contrôle de la part de la SPR.

[31]  Après être revenu à la question de l’identité, le tribunal a examiné certains aspects des récits de Mme Mitita et de M. Miclescu en ce qui concerne les demandeurs. La SPR a conclu que Mme Mitita n’était pas crédible et a rejeté le contenu des récits. La conclusion défavorable quant à la crédibilité était fondée sur l’analyse du tribunal concernant l’identité, et ses commentaires quant au témoignage de Mme Mitita faisaient montre d’un manque d’égard quant à celui-ci.

[32]  Je ne tire aucune conclusion quant à savoir si les demandes d’asile des demandeurs seraient accueillies à la suite d’une analyse adéquate de leur identité, des problèmes, de l’identité et des récits de leurs parents ainsi que des risques potentiels auxquels les demandeurs seraient exposés en tant que Roms qui retournent en Roumanie. Ces questions sont toutes pertinentes relativement à l’appréciation des demandes d’asile des demandeurs. Elles doivent être examinées à fond par un autre tribunal de la SPR lors du réexamen de cette affaire.

V.  Conclusion

[33]  La demande est accueillie. La décision ne renferme aucune analyse cohérente des demandes d’asile des demandeurs.

[34]  Les parties n’ont proposé aucune question à certifier, et l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT rendu dans le dossier IMM-4349-18

LA COUR STATUE que :

1.  La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2.  Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Elizabeth Walker »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 21e jour de mai 2019

Maxime Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4349-18

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :

DAIANA MICLESCU, TEOFIL MICLESCU c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 4 AVRIL 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE WALKER

 

DATE DES MOTIFS :

LE 17 AVRIL 2019

 

COMPARUTIONS :

Peter G. Ivanyi

 

POUR LES DEMANDEURS

Asha Gafar

 

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Rochon Genova LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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