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Date : 20190410


Dossier : IMM-3763-18

Référence : 2019 CF 431

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 10 avril 2019

En présence de monsieur le juge Annis

ENTRE :

LUIS FERNANDO RAMOS AGUILAR

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée au titre du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR), à l’égard de la décision (la décision) de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) datée du 11 juin 2018. Dans la décision, la SPR a conclu que le demandeur ne serait pas exposé au risque d’être persécuté, d’être soumis à la torture, ou à une menace à sa vie, ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités s’il était renvoyé au Mexique.

II.  Contexte

[2]  Luis Fernando Ramos Aguilar (le demandeur) est un citoyen du Mexique.

[3]  Le demandeur a quitté le Mexique en décembre 2000 pour se rendre aux États‑Unis. Il a résidé et travaillé dans ce pays pendant quatre ans.

[4]  À son retour des États‑Unis, le demandeur a ouvert un restaurant à Mexico le 22 janvier 2005.

[5]  Le 24 février 2005, quatre hommes, que le demandeur appelle [traduction] « la fraternité », l’ont abordé. Le demandeur allègue que ces hommes lui ont dit qu’ils étaient envoyés par « Jarocho », qui contrôlait le territoire dans lequel le demandeur avait ouvert son restaurant, et qu’il devait leur donner de l’argent s’il voulait continuer d’exploiter son restaurant. Le demandeur a accepté de leur donner 2 000 pesos par mois.

[6]  Le demandeur allègue que le 27 août 2005, Jarocho, chef de l’organisation, lui a rendu visite et lui a annoncé que d’autres entrepreneurs locaux et lui devaient désormais lui donner 5 000 pesos par mois pour pouvoir continuer d’exploiter leurs entreprises.

[7]  Le demandeur a à nouveau eu la visite de la fraternité en septembre 2005, et il a alors refusé de les payer. Une bagarre s’en est suivie, au cours de laquelle les hommes qui étaient sur les lieux ont menacé de le tuer.

[8]  Le demandeur allègue que le 15 septembre 2005, après avoir fermé le restaurant, il a été suivi par des hommes prenant place à bord d’une voiture qui l’ont enlevé et tabassé. Les assaillants du demandeur ont finalement quitté les lieux lorsque la police est arrivée. L’un des assaillants du demandeur a été arrêté, et le demandeur l’a reconnu comme étant « El Memo », l’un des hommes qui lui avaient déjà rendu visite pour lui extorquer de l’argent. Le demandeur allègue qu’il a été transporté à l’hôpital par une ambulance de la Croix‑Rouge où il a reçu des soins pour les blessures qu’il avait subies.

[9]  Le 30 septembre 2005, le demandeur a appris qu’El Memo était sorti de prison après avoir soudoyé les autorités avec l’aide de son patron Jarocho. Le frère du demandeur a reçu des appels de voisins l’avertissant que des hommes étaient à la recherche du demandeur et qu’ils voulaient le tuer. Par conséquent, le demandeur a fui le Mexique pour demander l’asile au Canada.

[10]  Le demandeur est arrivé à Montréal le 28 octobre 2005. Il s’est ensuite installé au domicile d’une famille mexicaine à Toronto, avec son épouse et son frère. Le demandeur allègue qu’il n’a jamais songé à demander l’asile parce qu’il croyait que le problème qu’il avait connu au Mexique était réglé, et parce qu’il ne connaissait pas le processus juridique pour obtenir le statut de réfugié. Le demandeur et sa famille sont demeurés deux mois au Canada, puis sont rentrés au Mexique.

[11]  Le 30 mai 2006, le demandeur et son épouse faisaient l’épicerie et ont trouvé une tête d’animal sur le toit de leur voiture, et un message inscrit sur la lunette arrière, qui disait [traduction] « Nous t’avons trouvé, idiot ». Le demandeur a décidé d’envoyer son épouse, son enfant, sa belle-mère et son beau-frère à Monterrey, au Mexique, pour assurer leur sécurité.

[12]  Le demandeur a fui le Mexique pour le Canada le 20 juin 2006.

[13]  Le demandeur est rentré au Mexique en avril 2007.

[14]  Entre mai 2007 et octobre 2008, Jarocho et d’autres membres de la fraternité ont contacté le demandeur et sa famille par téléphone à de multiples occasions pour leur extorquer de l’argent. Le demandeur allègue aussi que pendant cette période, il a été suivi en voiture par des membres du gang qui le menaçaient.

[15]  Le demandeur est arrivé au Canada le 10 avril 2009, et y a alors demandé l’asile.

[16]  Le demandeur allègue que son épouse a été attaquée en 2015 par des policiers qui lui ont montré une photographie de lui et lui ont demandé si elle connaissait cette personne.

III.  Décision contestée

[17]  La question déterminante de la demande d’asile du demandeur était celle de la crédibilité. La SPR a conclu que, en général, le demandeur n’était pas un témoin crédible, et que sa crainte d’être persécuté par des criminels n’était pas objectivement fondée. La SPR a aussi conclu que le demandeur n’avait pas de crainte subjective de persécution.

[18]  La SPR a souligné que certains aspects du témoignage du demandeur montraient qu’il n’avait pas de crainte subjective d’être persécuté au Mexique. Elle a relevé que le demandeur n’avait déployé aucun effort pour demander l’asile les deux premières fois qu’il était venu au Canada, et qu’il n’avait pas non plus déployé d’effort pour se renseigner concernant l’asile au Canada. De plus, la SPR a souligné que le demandeur avait affirmé qu’il était rentré au Mexique, pays où il avait reçu des menaces de mort, pour voir sa famille. La SPR a conclu que ce comportement n’est pas compatible avec celui d’une personne qui craint d’être tuée.

[19]  La SPR a aussi relevé des incohérences importantes dans l’exposé circonstancié du demandeur. Elle a noté qu’à l’audience, le demandeur a affirmé qu’il craignait trois personnes s’appelant El Chato, El Memo et El Jarocho, qui était leur chef. Le demandeur a déclaré que ces personnes appartenaient à un gang s’appelant Los Tenien qui sévit dans tout le Mexique. En dépit du fait que les noms de ces trois criminels étaient inscrits dans l’exposé circonstancié du Formulaire de renseignements personnels (FRP) du demandeur, le document ne mentionnait pas Los Tenien, gang auquel les individus appartenaient prétendument. Toutefois, l’avocate du demandeur a fait savoir que les trois hommes étaient des criminels qui étaient affiliés à Hermandad, gang de dirigeants policiers corrompus, tandis que le rapport de police présenté par le demandeur soulignait qu’El Jarocho appartenait à la fraternité, qui avait des contacts avec Los Zetas. Lorsqu’il a été invité à expliquer pourquoi il avait omis le nom du gang, le demandeur a affirmé qu’il avait appris l’existence de Los Tenien en septembre 2012. La SPR a jugé que cette explication n’était pas raisonnable puisque le demandeur a mentionné ultérieurement à l’audience qu’il ne savait pas que le nom du gang avait été omis dans son FRP. La SPR a souligné que le demandeur était représenté par une avocate à l’audience et que, de ce fait, il était attendu de sa part qu’il ait modifié l’exposé circonstancié contenu dans son FRP avant l’audience afin d’y inclure le nom du gang Los Tenien après avoir pris connaissance de cette information en septembre 2012.

[20]  De plus, la SPR a noté qu’aucun élément de preuve documentaire convaincant provenant d’une source indépendante et fiable n’atteste que le demandeur a été pris pour cible aux fins d’extorsion et qu’il a été maltraité par trois criminels qui appartenaient au gang Los Tenien.

[21]  La SPR a aussi noté qu’en dépit du fait que le demandeur a affirmé qu’il avait été enlevé et transporté à l’hôpital par une ambulance de la Croix-Rouge le 15 septembre 2005, il n’a présenté aucun élément de preuve pour étayer les blessures qu’il aurait subies. À l’audience, il a été demandé au demandeur s’il disposait du rapport des services ambulanciers ou du rapport de l’hôpital, et il a répondu qu’il n’avait aucun de ces documents. Il a affirmé qu’il avait perdu ces rapports et que son frère n’était pas été en mesure d’obtenir de copies des documents. Le demandeur n’a pas produit d’éléments de preuve documentaire de son frère faisant état des efforts que ce dernier avait déployés pour obtenir les rapports de l’hôpital et du service ambulancier et des raisons pour lesquelles ces démarches se sont révélées vaines, et n’a pas présenté non plus d’élément de preuve documentaire de source indépendante et fiable attestant qu’il avait été transporté à l’hôpital après avoir été maltraité par des criminels.  

[22]  La SPR a également souligné que le rapport de police fourni par le demandeur aurait pu être fabriqué assez facilement par quiconque sachant se servir d’un ordinateur. Bien que le contenu du rapport soit dactylographié lisiblement, aucun des prétendus timbres de la police apposés sur le rapport n’est déchiffrable ou ne porte les initiales du policier qui a rédigé le rapport, comparativement aux timbres du traducteur. En outre, les timbres apposés sur le rapport n’ont pas de relief, et la SPR a conclu que, pour cette raison, ils auraient facilement pu être fabriqués aussi. Qui plus est, la SPR a fait remarquer que le demandeur n’a pas présenté les pièces d’identité des policiers qui auraient signé le rapport, et il n’a pas non plus fourni de renseignements ou d’autres éléments de preuve documentaire issus des autorités mexicaines attestant que les personnes qui ont signé le rapport appartiennent à la force policière au Mexique. Compte tenu des éléments déposés en preuve et puisque la SPR a conclu que le demandeur n’avait pas de crainte subjective d’être persécuté au Mexique, elle a estimé que le rapport de police avait vraisemblablement été fabriqué pour les besoins de sa demande d’asile.

[23]  Somme toute, la SPR a conclu que le demandeur n’avait pas été victime d’extorsion ni enlevé parce qu’il n’avait pas payé les sommes exigées par les extorqueurs. Elle a estimé que le demandeur avait vraisemblablement inventé son récit d’extorsion et d’enlèvement après avoir prétendument refusé de payer les sommes exigées par les extorqueurs. Elle a conclu que le demandeur n’était pas exposé à une menace à sa vie, au risque de traitements ou peines cruels et inusités ou au risque d’être soumis à la torture s’il retournait au Mexique.

[24]  Le demandeur demande maintenant le contrôle judiciaire de cette décision.

IV.  Questions en litige

[25]  Le demandeur affirme que la présente demande soulève deux questions :

  • a) La SPR a-t-elle contrevenu à l’équité procédurale et à la justice naturelle en n’accordant pas au demandeur une possibilité raisonnable de connaître les conclusions défavorables du commissaire quant à la crédibilité concernant le rapport de police?

  • b) La SPR a-t-elle fait montre de partialité dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire?

[26]  En raison de l’absence de preuve probante pour étayer l’allégation de partialité, celle-ci ne sera pas examinée, à l’exception de remarques sur la formulation de telles allégations contre la SPR.

V.  Norme de contrôle

[27]  La question soulevée par le demandeur a trait à l’équité procédurale. Elle est contrôlée selon la norme de la décision correcte : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au paragraphe 43; Lakatos c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1061. Cela dit, il peut être opportun de procéder à un examen fondé sur la norme de la décision correcte « en se montrant respectueux [des] choix [du décideur] » et en faisant preuve d’un « degré de retenue » (Bergeron c Canada (Procureur général)2015 CAf 160 au paragraphe 69).

[28]  La Cour estime aussi que le demandeur conteste en fin de compte une conclusion de fait quant à la crédibilité. L’injustice alléguée par le demandeur concerne uniquement la conclusion défavorable quant à la crédibilité applicable au prétendu rapport de police, en plus de commentaires sur le caractère insuffisant de ses éléments de preuve corroborants. Les autres conclusions défavorables quant à la crédibilité ne sont pas sérieusement contestées.

[29]  La norme de contrôle qui s’applique aux conclusions quant à la crédibilité a été décrite judicieusement par mon collègue le juge Keith M. Boswell dans la décision Odia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF  363 au paragraphe 6 lorsqu’il a statué que les conclusions quant à la crédibilité ne devraient pas être invalidées à moins « qu’il y ait eu une erreur des plus manifestes », comme il est exposé ci-après :

[6] […] Il est admis qu’une grande retenue est due à l’endroit des conclusions de crédibilité (voir : Martinez Giron c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 7, au paragraphe 14, 176 ACWS (3e) 505). Comme l’a remarqué la Cour dans Njeri c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 291 :

[11] En ce qui concerne les conclusions sur la crédibilité, j’ai remarqué que la Cour a, et devrait avoir, des réticences à annuler de telles conclusions, à moins qu’il y ait eu une erreur des plus manifestes (Revolorio c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1404). La retenue due tient compte tant du contexte de l’affaire et de l’intention du législateur que de la situation particulière dans laquelle se trouve le juge des faits qui évalue la preuve apportée par des témoignages. Le degré de retenue varie selon le fondement de la conclusion de crédibilité. La raisonnabilité est la norme applicable et la Cour doit faire preuve d’une retenue non négligeable à l’égard de la décision de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié.

[Non souligné dans l’original.]

[30]  Puisque la Cour ne peut pas soupeser à nouveau les éléments de preuve, le caractère insuffisant des éléments de preuve ne constitue pas un motif permettant d’invalider une conclusion de fait, tant qu’il y a quelque preuve de celle-ci et qu’il n’est pas évident que la conclusion de fait est totalement déraisonnable : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, [2009] 1 RCS 339 au paragraphe 61.

VI.  Analyse

[31]  Le demandeur se fonde sur la transcription de l’audience de la SPR qui renvoie à une conférence officieuse de cinq minutes entre l’avocate du demandeur et le commissaire de la SPR (le commissaire) au cours de laquelle des instructions ont été données au sujet des observations écrites et des communications postérieures à l’audience. Après la conférence, le commissaire a déclaré ce qui suit au dossier :

[traduction]

Nous reprenons l’audience. Toutes les parties sont présentes. Monsieur, j’ai eu une brève discussion avec votre avocate. Puisque celle-ci doit faire traduire le contrat de location, elle a promis de me présenter des observations dans un délai de deux semaines environ. Et je lui ai prodigué des conseils quant aux aspects qu’elle aborderait […] la crédibilité étayée par des éléments de preuve documentaire, votre départ du Mexique, votre séjour au Canada, le fait de ne pas demander l’asile et de retourner dans votre pays […] cela pose problème. Je veux qu’elle aborde la criminalité en tant que risque généralisé […] pourquoi ne croit-elle pas qu’il s’agit d’un risque généralisé en l’espèce. Elle abordera toutes ces questions dans des observations écrites et dès que je les recevrai […] j’aurai votre réponse dans un délai d’une semaine. Je tenterai de vous répondre avant la fin du mois de juin.

[Non souligné dans l’original.]

[32]  Le demandeur affirme que le commissaire a tiré de nombreuses conclusions quant à la crédibilité qui ne lui ont pas été communiquées. À ce sujet, je conclus qu’il n’y en a qu’une, concernant le rapport de police. De plus, le demandeur prétend que le commissaire [traduction] « plus d’une fois, a montré son intention d’accueillir la demande ». Le demandeur soutient que le commissaire aurait dû lui communiquer clairement ses préoccupations et aurait dû souligner que celles-ci devaient être abordées dans les observations subséquentes à l’audience.

[33]  Le demandeur souligne plus particulièrement qu’en dépit du fait que le commissaire a relevé des préoccupations importantes au sujet du rapport de police qu’il avait présenté, il ne les lui avait pas communiquées. Pour cette raison, le commissaire a privé le demandeur d’une possibilité raisonnable de produire des éléments de preuve, d’interroger des témoins et de présenter des observations, comme le prévoit l’alinéa 170e) de la LIPR. C’est simplement l’incarnation de l’équité procédurale que de prescrire que la SPR doit offrir aux parties « la possibilité de produire des éléments de preuve, d’interroger des témoins et de présenter des observations ».

[34]  La Cour n’a relevé aucun élément de preuve démontrant que le commissaire a, à quelque occasion que ce soit, indiqué son intention d’accueillir la demande d’asile. Cette affirmation non étayée figure dans l’affidavit d’un stagiaire en droit auquel était jointe une version dactylographiée des notes manuscrites prises par le stagiaire à l’audience, qui ne figurent pas en annexe. Lorsque l’exagération a été rectifiée, il a été inféré que le commissaire était réceptif à la demande d’asile du demandeur. Les conseils fournis à titre gratuit par le commissaire, et l’autorisation à présenter des documents supplémentaires à l’appui des affirmations de son client, ont amené l’avocate du demandeur à conclure que le commissaire ne voulait pas se voir obligé de rejeter la plainte du demandeur. J’ai fait savoir à l’audience que, sans les notes manuscrites prises au moment de la rencontre, les éléments de preuve contenus dans l’affidavit ne sont pas suffisamment dignes de foi dans des circonstances où le commissaire n’est pas en mesure de répondre à des allégations aussi sérieuses. Qui plus est, le fait de donner la possibilité de présenter des éléments de preuve supplémentaires est loin d’être une indication de l’intention de rendre une décision favorable, particulièrement lorsque la déclaration faite par le commissaire après la conférence montrait que la crédibilité était toujours en doute.

[35]  L’unique observation du demandeur concernant la conférence non officielle ayant une quelconque importance avait trait à l’insuffisance de la preuve et aux conclusions quant à la crédibilité se rapportant au rapport de police. Même si la Cour devait concéder que le commissaire a commis une quelconque erreur en incitant à tort le demandeur à ne pas présenter d’éléments de preuve supplémentaires au sujet du rapport de police, cela ne suffirait pas pour invalider la décision.

[36]  Comme il est décrit plus haut, le commissaire a soulevé plusieurs préoccupations quant à la crédibilité. Sans qu’il faille renvoyer au rapport de police, ces préoccupations sont suffisantes pour étayer une conclusion défavorable quant à la crédibilité au sujet du demandeur. Quand plusieurs conclusions défavorables quant à la crédibilité sont tirées et que l’une d’entre elles s’avère non fondée ou contrevient à un processus de recherche des faits, la situation doit néanmoins être appréciée en considérant si les autres conclusions quant à la crédibilité étaient suffisantes pour étayer la décision du commissaire. Ce n’est pas comme si le fait d’annuler une seule conclusion quant à la crédibilité avait pour effet de diminuer la valeur des autres conclusions. J’estime que les conclusions les plus importantes en matière de crédibilité étaient plus que suffisantes pour étayer la conclusion de la SPR selon laquelle le demandeur n’était pas crédible.

[37]  Qui plus est, la conclusion d’absence de crédibilité au sujet du rapport de police n’était en soi qu’une conclusion supplémentaire. Elle reposait sur les conclusions défavorables précédentes quant à la crédibilité. C’est ce qui ressort du paragraphe 29 de la décision, où le commissaire écrit :

Par conséquent, compte tenu des éléments déposés en preuve et de la conclusion du tribunal selon laquelle le demandeur d’asile n’a pas de crainte subjective d’être persécuté au Mexique, le tribunal estime que le rapport de police présenté par le demandeur d’asile a été fabriqué pour les besoins de sa demande d’asile, et il n’accorde donc aucune valeur probante à ce document.

[Non souligné dans l’original.]

[38]  Autrement dit, la préoccupation quant à la crédibilité se rapportant au rapport de police n’était même pas une conclusion indépendante, ce qui met encore en relief le fait que la conclusion défavorable quant à la crédibilité reposait sur un certain nombre de préoccupations et n’était complétée que par celles concernant le rapport de police.

[39]  Enfin, le demandeur a mal interprété la nature de l’obligation d’équité procédurale dans les circonstances de l’espèce. Il déplore que, parmi les éléments qui ont été abordés pendant la conférence non officielle, les lacunes présentées par le rapport de police n’ont pas été mentionnées. En fait, il soutient que le commissaire aurait dû l’informer des lacunes relevées dans ses éléments de preuve de sorte qu’il puisse prendre des mesures pour en accroître la valeur probante.

[40]  Si le commissaire a fait abstraction du rapport de police dans la discussion non officielle, je suis convaincu que ce n’était pas intentionnellement. Plus logiquement, les lacunes du rapport de police étaient perçues comme une préoccupation s’ajoutant aux autres conclusions défavorables quant à la crédibilité qui ont été tirées après l’audience lorsque le commissaire a pris en compte l’ensemble des éléments de preuve, comme il se devait.

[41]  En passant, je me dois d’exprimer mes critiques en ce qui concerne les commissaires de la SPR qui ont des discussions non officielles importantes avec les parties. La SPR est une cour d’archives, et les discussions de ce genre ne devraient pas avoir lieu sans être transcrites. Il est aussi dans l’intérêt des commissaires que les discussions de ce type soient enregistrées pour éviter la situation qui vient de se produire. Les discussions non enregistrées sont uniquement permises pour les questions procédurales ou les questions incidentes similaires qui ne touchent pas à des questions de fond liées à la décision elle-même.

[42]  Pour revenir à l’argument du demandeur, celui-ci déplace le fardeau qui lui incombe pour établir le bien-fondé de sa demande. Il a produit en preuve le rapport de police, qui contient un certain nombre d’irrégularités qu’on ne trouve pas dans un document officiel. De plus, le document n’était pas suffisamment corroboré parce que son auteur n’était pas identifié. Le commissaire n’est pas tenu de soulever les lacunes de ce genre en matière de preuve auprès d’un demandeur qui est représenté par une avocate très compétente. Imposer un tel fardeau aux décideurs rendrait leur tâche intolérable, étant donné que les problèmes se rapportant à la preuve ne sont pas toujours cernés sans une réflexion approfondie quant à leur nature.

[43]  Qui plus est, le demandeur cherche à appliquer deux poids, deux mesures. Son approche est purement contradictoire. Selon les règles de procédure applicables à l’immigration, il n’est pas tenu de divulguer tous les documents pertinents, accompagnés d’une attestation officielle selon laquelle l’avocat a conseillé à son client de produire les documents en question, signée par l’avocat et le client. De la même façon, dans les faits, le demandeur est autorisé à présenter les seuls éléments de preuve qui étayent son dossier, en faisant abstraction des éléments de preuve qui ne sont pas utiles, tant que cela n’a pas pour effet de tromper la Cour. Par conséquent, faire volte-face et laisser entendre que les commissaires devraient communiquer aux demandeurs chacune des préoccupations qu’ils pourraient avoir à l’égard des éléments de preuve d’un demandeur d’asile dénature la règle relative à l’équité.

[44]  Enfin, les motifs du commissaire ont été qualifiés de déraisonnables car ils imposaient au demandeur l’obligation d’identifier l’auteur du rapport de police, une forme d’authentification fort restreinte comparativement aux exigences qui s’appliquent aux procédures civiles courantes. Le fait est que les parties sont tenues de corroborer les éléments de preuve lorsqu’il est raisonnablement possible de le faire. Avec la technologie, la situation a évolué pour ce qui est de la disponibilité de l’information dans le pays d’origine et de l’accès à celle-ci.

[45]  La technologie facilite grandement l’accessibilité des éléments de preuve corroborants par rapport à ce qui prévalait en 1980, lorsqu’a été rendue la décision dans l’affaire Maldonado c Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1980] 2 CF 302 (C.A.) (QL) [Maldonado]. Sur la foi de cette décision, les avocats n’ont aucune excuse pour ne pas conseiller à leurs clients d’obtenir les éléments de preuve corroborants voulus et disponibles afin de démontrer que leurs documents sont « crédibles ou dignes de foi en l’occurrence ». Les documents authentifiés comme il se doit sont la norme dans les sphères judiciaire et quasi judiciaire. Il n’y a aucune raison dans le village global des communications d’aujourd’hui que les mêmes normes ne s’appliquent pas dans les affaires d’immigration.

[46]  Mes observations finales concernent l’allégation de partialité, que j’ai déjà rejetée parce qu’elle n’est pas fondée. Le demandeur a fait une seule observation factuelle voulant que le commissaire ait attaqué la crédibilité du demandeur avec [traduction] « zèle ». L’allégation n’est étayée par aucun élément de preuve ayant la moindre valeur probante.

[47]  Il convient de reconnaître que les avocats sont des fonctionnaires judiciaires. Les allégations de partialité contre un commissaire de la SPR, ou tout décideur d’un tribunal administratif judiciaire ou quasi judiciaire, ne devraient être formulées que dans les cas les plus évidents. Ce n’est pas le cas en l’espèce. Les avocats devraient s’inspirer de la réprimande adressée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Arthur c Canada (Procureur général), 2001 CAF 223, au paragraphe 8, en ces termes :

[8] [...] Une allégation de partialité, surtout la partialité actuelle et non simplement appréhendée, portée à l'encontre d'un tribunal, est une allégation sérieuse. Elle met en doute l'intégrité du tribunal et des membres qui ont participé à la décision attaquée. Elle ne peut être faite à la légère. Elle ne peut reposer sur de simples soupçons, de pures conjectures, des insinuations ou encore de simples impressions d'un demandeur ou de son procureur. Elle doit être étayée par des preuves concrètes qui font ressortir un comportement dérogatoire à la norme. […]

[48]  La demande est rejetée. Aucune question n’est certifiée en vue d’un appel.


JUGEMENT dans le dossier IMM-3763-18

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée, et aucune question n’est certifiée en vue d’un appel.

« Peter Annis »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 13e jour de juin 2019

Isabelle Mathieu, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3763-18

INTITULÉ :

LUIS FERNANDO RAMOS AGUILAR c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 11 MArs 2019

JUGEMENT et motifs :

le juge ANNIS

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 10 AVRIL 2019

COMPARUTIONS :

Melissa Keogh

Wennie Lee

POUR LE DEMANDEUR

Laoura Christodoulides

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lee & Company

Immigration Advocacy, Counsel & Litigation

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

pour le défendeur

 

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