Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20190412


Dossier : IMM‑4343‑18

Référence : 2019 CF 450

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 12 avril 2019

En présence de monsieur le juge Fothergill

ENTRE :

CHUN LIN

LI PING ZHU

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE LIMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Chun Lin et Li Ping Zhu sont mari et femme et citoyens de la Chine. Ils demandent le contrôle judiciaire dune décision de la Section dappel des réfugiés [la SAR] de la Commission de limmigration et du statut de réfugié [la CISR]. La SAR a rejeté leur appel et confirmé une décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR] de la CISR selon laquelle ils ne sont ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger au sens des paragraphes 96 et 97(1) de la Loi sur limmigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27.

[2]  Pour les motifs qui suivent, lévaluation par la SAR des documents présentés par les demandeurs et le rejet par cette dernière de leur demande d’asile sur place étaient tous deux raisonnables. La conclusion défavorable de la SAR quant à la crédibilité des demandeurs était raisonnablement étayée par la preuve. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II.  Contexte

[3]  M. Lin et Mme Zhu prétendent craindre dêtre persécutés en raison de leurs croyances religieuses. Ils disent appartenir à un groupe appelé les Shouters, une secte chrétienne interdite en Chine. Ils prétendent également craindre dêtre persécutés pour avoir violé les lois chinoises en matière de planification familiale.

[4]  M. Lin affirme que sa première fille est née en Chine le 8 juin 1992. Selon le département de la Sécurité intérieure des États‑Unis (DHS), M. Lin est entré aux États‑Unis avec sa première épouse et sa fille le 8 juin 1992. Ils ont présenté des demandes dasile le 13 juillet 1993. M. Lin a affirmé craindre dêtre persécuté en raison de ses activités politiques et des lois chinoises en matière de planification familiale. Ses demandes ont été rejetées pour manque de crédibilité. Le 4 juin 1997, un juge de la Cour de limmigration de New York a ordonné le renvoi de M. Lin en Chine. Il a été mis au courant des dispositions prises en vue de son départ le 14 octobre 1998, mais il ne sest pas présenté pour son renvoi.

[5]  M. Lin vivait et travaillait illégalement aux États‑Unis lorsquil a été reconnu coupable de complot en vue de commettre un vol qualifié en 2004. Il a été condamné à 63 mois de prison, y compris le temps quil avait passé en détention en attendant son procès. Il a purgé sa peine et a été libéré à la fin de 2007 ou au début de 2008. Il a ensuite été détenu pendant trois autres mois en attendant son renvoi en Chine. Il est retourné en Chine en 2008 et il a épousé Mme Zhu le 8 novembre 2010.

[6]  M. Lin a travaillé comme pêcheur en Chine. Il affirme quà la fin de novembre 2012, deux de ses cousins, qui étaient également pêcheurs, se sont noyés, ce qui lui a causé beaucoup dangoisse. M. Lin et sa femme étaient bouddhistes, mais un voisin leur a fait remarquer que Bouddha navait pas réussi à protéger les cousins de M. Lin et quon ne pouvait donc pas compter sur lui pour protéger sa famille. Le voisin a laissé entendre que la chrétienté, plus particulièrement le mouvement des Shouters, pourraient leur offrir une meilleure protection et la vie éternelle. Mme Zhu est devenue membre des Shouters le 16 janvier 2013. M. Lin a fait de même trois mois plus tard. Ils ont été baptisés le 21 juillet 2013. Le 2 février 2014, ils ont eu une fille ensemble.

[7]  Selon M. Lin et Mme Zhu, le Bureau de la sécurité publique de la Chine (BSP) a effectué une descente dans leur église le 9 novembre 2014. Ils ont été détenus, mais libérés après avoir payé une amende. Le BSP exigeait quils se présentent au BSP chaque semaine. Lorsquils se sont présentés le 25 novembre 2014, ils ont reçu une sommation [sommation de 2014]. Ils ont continué de se présenter au BSP jusquau 6 mai 2015.

[8]  En février 2015, M. Lin et Mme Zhu ont été présentés à un passeur. Le passeur leur a fourni des titres de voyage et un itinéraire vers le Canada. Ils disent avoir quitté la Chine le 12 mai 2015 sans leur fille. Toutefois, un document fourni par le DHS indique que les empreintes digitales de M. Lin ont été prises à un endroit non précisé aux États‑Unis le 14 avril 2015.

[9]  M. Lin et Mme Zhu sont arrivés au Canada le 21 mai 2015. Ils ont présenté des demandes dasile le lendemain. Ils allèguent que le BSP a remis une autre sommation à leur intention aux membres de leur famille le 20 mai 2015 [sommation de 2015].

[10]  En juillet 2015, M. Lin et Mme Zhu ont modifié leur formulaire Fondement de la demande dasile pour indiquer que Mme Zhu était enceinte de leur deuxième enfant. Ils ont dit craindre de faire l’objet de mesures de planification familiale coercitives sils retournaient en Chine, parce que le nom de la fille que M. Lin a eue avec sa première épouse ainsi que le nom de leur propre fille figuraient sur leur certificat de résidence, ou hukou.

[11]  La SPR a entendu les demandes dasile des demandeurs les 28 avril, 26 mai et 7 juillet 2017. Le ministre de la Citoyenneté et de lImmigration [le ministre] est intervenu pour faire valoir que M. Lin ne pouvait se réclamer de la protection accordée aux réfugiés en vertu de larticle 1(F) de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, 189 UNTS 137, en raison de sa condamnation au criminel aux États‑Unis. Toutefois, le ministre a par la suite abandonné cette position et il a fait valoir que les demandes des demandeurs devraient être rejetées pour manque de crédibilité.

[12]  La SPR a rejeté les demandes dasile des demandeurs le 31 août 2017. La SPR a conclu que les demandeurs n’avaient pas été en mesure détablir quils étaient de véritables chrétiens, quils étaient recherchés par les autorités chinoises ou que Mme Zhu ferait lobjet dune stérilisation forcée ou dun avortement si elle retournait en Chine. Les demandeurs ont interjeté appel devant la SAR, qui a rejeté leur appel le 8 août 2018.

III.  Décision faisant lobjet du contrôle

[13]  Les demandeurs ont contesté la décision de la SPR pour cinq motifs : a) lévaluation par la SPR des documents qu’ils ont présentés à lappui de leur demande; b) la conclusion défavorable de la SPR quant à la vraisemblance de leur récit concernant leur voyage depuis la Chine jusqu’au Canada; c) la conclusion négative de la SPR quant à la sincérité de leurs croyances religieuses et de leurs demandes d’asile sur place; d) la conclusion de la SPR concernant la possibilité que Mme Zhu puisse subir une stérilisation forcée ou à un avortement en Chine; et e) la conclusion défavorable de la SPR quant à la crédibilité des demandeurs.

[14]  La SAR a convenu que la SPR na pas évalué correctement les documents présentés par les demandeurs à lappui de leur demande et elle a procédé à sa propre analyse avant de conclure que les documents étaient vraisemblablement frauduleux. La SAR a mis en doute lauthenticité de la sommation de 2014 et de lexistence de la sommation de 2015.

[15]  La SAR a conclu que le récit des déplacements des demandeurs était truffé d’incohérences frappantes et quils avaient tenté de cacher les détails de leur voyage au Canada. Les demandeurs ont déclaré avoir quitté leur maison à Fuzhou le 12 mai 2015 et sêtre rendus à Shenzhen, puis à Hong Kong, puis en Allemagne, puis en Jamaïque et enfin au Canada, où ils seraient finalement arrivés le 21 mai 2015. Cela ne cadrait pas avec le document du DHS indiquant que les empreintes digitales de M. Lin avaient été prises aux États‑Unis le 14 avril 2015. Les demandeurs navaient fourni aucun document corroborant, comme des cartes dembarquement, des itinéraires ou des étiquettes de bagages, pour confirmer leur itinéraire à destination du Canada.

[16]  La SAR a conclu que les demandeurs nétaient pas de véritables adeptes du christianisme en Chine ou au Canada et quils avaient fréquenté une église au Canada uniquement pour accroître la crédibilité de leurs demandes dasile frauduleuses. De plus, les demandeurs navaient fourni aucune preuve que les autorités chinoises étaient au courant de leurs pratiques religieuses au Canada.

[17]  La SAR a conclu que les demandeurs ne risquaient pas dêtre persécutés en raison des lois chinoises sur la planification familiale. Les multiples hukous fournis par les demandeurs portaient à confusion et comportaient des incohérences, ce qui donnait à penser que ces documents nétaient pas authentiques. Les demandeurs nont pas déposé en preuve l’acte de naissance de la fille issue du premier mariage de M. Lin, ce qui a amené la SAR à mettre en question son existence. Mme Zhu a déclaré quelle était enceinte à laudience devant la SPR, mais rien nindique quelle avait accouché au moment où la SAR a rendu sa décision. Même si les demandeurs avaient effectivement contrevenu aux lois sur la planification familiale de la Chine, rien ne permettait de penser que Mme Zhu subirait un avortement forcé ou une stérilisation dans la province du Fujian.

[18]  Ces conclusions étaient suffisantes pour étayer une conclusion négative générale quant à la crédibilité des demandeurs. La SAR a donc rejeté lappel des demandeurs, concluant quils ne sont ni des réfugiés ni des personnes à protéger.

IV.  Question en litige

[19]  La seule question soulevée en l’espèce est de savoir si le rejet des demandes dasile des demandeurs par la SAR était raisonnable.

V.  Analyse

[20]  Lévaluation par la SAR des demandes dasile des demandeurs peut être examinée par la Cour en fonction de la norme de la décision raisonnable. La norme de la décision raisonnable est une norme déférente qui s’intéresse avant tout à l’existence dune justification ainsi qu’à la transparence et à lintelligibilité du processus décisionnel. La Cour ninterviendra que si la décision ne fait pas partie des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).

[21]  Les demandeurs contestent le caractère raisonnable de la décision de la SAR pour plusieurs motifs. Dans sa plaidoirie, lavocate des demandeurs sest concentrée sur deux points : a) lévaluation par la SAR des documents présentés à lappui de la demande des demandeurs; et b) le rejet par la SAR des demandes d’asile sur place des demandeurs.

[22]  Les demandeurs affirment que les documents étrangers sont présumés authentiques et ne devraient pas être rejetés sans motif valable (citant Ramalingam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de lImmigration), [1998] ACF no 10 ; Rasheed c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de lImmigration), 2004 CF 587). Ils soutiennent que la SAR na pas précisé lequel des quatre exemples de sommations authentiques figurant dans la réponse à la demande dinformation [RDI] CHN 104458.E est incompatible avec la sommation de 2014. De façon plus générale, ils affirment que la SAR a centré de façon inappropriée son attention sur la forme de la sommation plutôt que sur sa substance. Ils soulignent que la RDI na pas été mise à jour depuis 2003 (citant Ma c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 163, au paragraphe 23 [Ma]) et ils affirment que l’abondance généralisée de documents frauduleux en Chine nest pas un motif suffisant pour conclure qu’un document donné est frauduleux (citant Guo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 400, au paragraphe 4).

[23]  Le ministre répond que les demandeurs nont soulevé quune simple possibilité derreur. Il incombe aux demandeurs de démontrer que la décision de la SAR était déraisonnable, et ils ne se sont pas acquittés de ce fardeau.

[24]  La SAR a relevé les divergences suivantes entre la sommation de 2014 et les exemples présentés dans la RDI :

[traduction] En observant les sommations présentées par lappelant et en les comparant aux exemples figurant dans la documentation du CND, la SAR constate que la structure et le format des sommations ne sont pas conformes à la documentation. Il manque lidentificateur avant le nom de la personne concernée (en haut à gauche). La structure des deuxième et troisième lignes est incompatible avec la documentation du CND – plus précisément, la caricature [sic] avant un chiffre 30 figure à la deuxième ligne, et non à la troisième. Lespacement entre les trois dernières lignes du document nest pas compatible avec la documentation fournie dans le CND.

[25]  Je suis daccord avec le ministre pour dire que les demandeurs doivent préciser, avec un degré de précision raisonnable, les erreurs commises, selon eux, par la SAR dans son évaluation des documents. Ils ne lont pas fait. Aux paragraphes 20 et 23 de sa décision, la SAR a déclaré que la sommation de 2014 était selon elle une sommation délivrée pour des raisons de sécurité publique et elle a souligné que des renseignements quon sattendrait à trouver au bas de la sommation si le document était authentique n’y figuraient pas. La section [traduction] « comparution » de la sommation de 2014 était vide, bien que les demandeurs aient prétendu sêtre rendus en personne aux bureaux du BSP.

[26]  La RDI dont il est question dans Ma était incluse dans le cartable documentaire national [CND] relatif à la Chine qui a été publié en 2013, mais en lespèce, la SAR a cité la RDI figurant dans le CND relatif à la Chine daté du 31 mars 2017. La RDI na pas changé, et son inclusion dans le CND de 2017 était une forte indication quelle demeurait à jour; il était donc raisonnable pour la SAR de sy fier.

[27]  Les demandeurs se plaignent que la SAR na pas évalué les autres documents présentés à lappui de leur demande de façon indépendante. La conclusion de la SAR au sujet de la sommation de 2014 l’a amenée à rejeter les autres documents (contrairement à Chen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 311, aux paragraphes 20 et 21, et à Ren c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1402, aux paragraphes 24 et 25).

[28]  Les autres documents invoqués par les demandeurs dépendaient de lauthenticité de la sommation de 2014. La SAR a conclu que la sommation de 2014 n’était pas authentique et elle a conclu que les documents subséquents visant à établir que les demandeurs se sont présentés au BSP et ont été libérés devaient également être faux. L’authenticité du [traduction] « Formulaire de présence de la personne sous surveillance » de M. Lin a également été jugée douteuse en raison du document du DHS confirmant sa présence aux États‑Unis la veille de sa présence enregistrée le 15 avril 2015. La sommation de 2015 na jamais été versée au dossier.

[29]  En ce qui concerne le rejet de la demande d’asile sur place des demandeurs, je suis d’avis que la SAR a raisonnablement conclu que les demandeurs nont présenté aucune preuve que les autorités chinoises étaient au courant de leurs pratiques religieuses au Canada. À la lumière de la conclusion de la SAR selon laquelle les demandeurs ont exercé ces pratiques religieuses uniquement pour accroître la crédibilité de leurs demandes dasile frauduleuses, il était raisonnable de conclure quils ne continueraient pas de les exercer sils retournaient en Chine.

[30]  Les autres arguments des demandeurs peuvent être examinés brièvement. La SAR a raisonnablement conclu que les demandeurs navaient pas établi quils avaient violé les lois chinoises en matière de planification familiale ou quils seraient persécutés sils retournaient en Chine. La preuve des demandeurs concernant leur voyage au Canada était imprécise et elle comportait des incohérences. Aucun document ne confirmait leur itinéraire. M. Lin a fourni ses empreintes digitales aux États‑Unis près dun mois avant que les demandeurs prétendent avoir quitté la Chine. La conclusion négative générale de la SAR quant à la crédibilité des demandeurs était raisonnablement étayée par la preuve.

VI.  Conclusion

[31]  La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Ni lune ni lautre des parties na proposé de question à certifier en vue dun appel.


JUGEMENT

LA COUR STATUE comme suit : la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« Simon Fothergill »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 14e jour de mai 2019.

Chantal DesRochers, LL.B., D.E.S.S. en trad.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑4343‑18

 

INTITULÉ :

CHUN LIN, LI PING ZHU c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE LIMMIGRATION

 

LIEU DE LAUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE LAUDIENCE :

LE 2 AVRIL 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE FOTHERGILL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 12 AVRIL 2019

 

COMPARUTIONS :

Stephanie Fung

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Lorne McClenaghan

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lewis & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.